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LES MEMOIRES DES TRAUMATISMES


Ce colloque, organisé en 2015, met en lumière un thème qui nous est cher car il illustre parfaitement nos trois cycles de conférences : celle de Federica Luzi sur « Se réapproprier le passé historique » ; celle du 3 février 2017 de Samya Daech et de Cathy Félix « Les écrivains et la mémoire » puis celle du 10 mars « Mémoire et résilience » avec Françoise Nègre.

L’article peut sembler long mais il mérite un détour. Argentine, Brésil, Algérie, littérature mais aussi cinéma sont mis en relief.

J’ai noté quelques phrases : « Parler des mémoires, c’est parler du présent » ; Le passé est aussi « relié à un futur désiré » ; La mémoire est intimement liée à la politique.

 

 

Les mémoires des traumatismes

Léa Métayer
Auditrice de Master à l’ENS de Lyon
Publié par Élodie Pietriga le 23 janvier 2017
« Les régimes totalitaires du xx e siècle ont révélé l’existence d’un danger insoupçonné auparavant : celui de l’effacement de la mémoire »
Tzvetan Todorov, Les abus de la mémoire,
Paris : Arléa, 1995, p. 5

Affiche du colloque

Les 5 et 6 novembre 2015 a eu lieu à l’École Normale Supérieure de Lyon le colloque portant sur les récentes recherches effectuées sur la question de la mémoire. Ce colloque a eu pour objectif de mettre en valeur non seulement la pluridisciplinarité à laquelle les intervenants ont montré un grand attachement, mais également la dimension internationale qui permettait de prendre pour objet d’études des pays différents, et d’élargir ainsi le champ des recherches en effectuant des comparaisons souvent tout à fait fructueuses.

La mémoire suppose de travailler sur une temporalité parfois récente, du point de vue historique. Elle prend plusieurs formes : « individuelle » ou « collective » [1], elle est souvent partielle, nécessairement fragmentée par l’esprit humain qui, par nature, effectue des sélections, et avec le temps, déforme, reconstruit, omet, volontairement ou involontairement. Ce travail de mémoire ne relève pas seulement de l’établissement de faits. Déformer la mémoire collective, construire une mémoire collective qui met en avant des faits plutôt que d’autres est un moyen puissant de contrôle. Ainsi, pendant les dictatures du Cône Sud, plus particulièrement celle de l’Argentine, pendant la dictature brésilienne ou pendant la guerre d’Algérie se jouent des périodes de violence inouïe, qui créent un traumatisme tel que cette violence ne trouve que difficilement un écho dans le langage. Celle-ci est physique mais aussi morale : il est impossible d’exprimer publiquement un contre-pouvoir, il est impossible également de reconstituer le passé trouble des militants qui s’opposent au pouvoir, de retrouver les corps des disparus.

La violence sous toutes ses formes devait trouver une réponse. Il fallait cesser de taire les souffrances subies, il fallait leur donner un sens et cesser de les nier, de les plonger dans l’oubli. Une sorte de nécessité apparaît. Cette voix passe par la littérature, l’histoire, la sociologie, ou l’étude philosophique. Elle est également judiciaire, parce qu’un besoin de justice et de vérité naît avec la prise de conscience du traumatisme vécu pendant ces périodes de violence extrême. Après de nombreuses années de silence ou de déni, les études sur cette période plus éloignée dans le temps apparaissent. C’est dans ce cadre que s’inscrit ce colloque qui met en avant la nécessité de travailler dans un cadre pluridisciplinaire. Cette pluridisciplinarité vise à obtenir une vision globale de ce qu’est la mémoire et de la relation qu’elle a avec la politique. Ce colloque a permis également de mettre en commun des travaux qui concernent la France, l’Argentine, et le Brésil. Les relations établies entre la mémoire et la violence politique dans des contextes de dictatures ou de terrorisme d’État trouvent des échos dans des pays différents, ce qui favorise l’idée d’un travail interdisciplinaire et qui a vocation à s’ouvrir dans des domaines qui ne participent pas encore dans ce programme de recherche. S’il est parfois difficile de travailler ensemble, notamment avec les historiens, pour des raisons de méthode, comme le souligne avec humour Catherine Coquio ou Marie-Pierre Rosier, il est nécessaire d’établir des connexions entre les recherches des différentes disciplines. La pluridisciplinarité et les questions de droit ont été particulièrement mises en avant par deux juristes, qui sont « sortis de leur cadre traditionnel » [2] afin d’effectuer ce travail.

Il s’agit de travailler sur des témoignages enfouis, des passés qui participent à la mémoire individuelle tronquée et à un nécessaire établissement d’une vérité retrouvée, objectif utopique qui cependant permet la construction d’une mémoire. Or, celle-ci s’obtient par des détours, des procédés littéraires. C’est donc tout un processus de construction en cours qu’il s’agit d’étudier.

Qu’est-ce que la mémoire ? Elizabeth Jelin donne des pistes pour la définir : « Parler des mémoires, c’est parler du présent », affirme-t-elle. La mémoire se définit par rapport à la « manière qu’ont les sujets de construire le passé ». Le passé est aussi « relié à un futur désiré ». Il s’agit donc d’un processus, mais un processus qui est construit par le sujet de manière subjective. C’est pour cette raison que la mémoire n’est pas constituée uniquement d’une série de faits exhaustifs. La mémoire « implique une sélection », et l’oubli définitif n’existe pas. « Ce que le passé laisse, ce sont des traces ». Ces traces peuvent être physiques, ou symboliques. D’où, selon Elizabeth Jelin, toute la difficulté de l’interprétation de ces « traces », car, à elles seules, elles ne permettent pas de constituer une mémoire.

La mémoire est intimement liée à la politique. « L’effacement de la mémoire » conduit par les régimes qui ont exercé la violence a pour conséquence l’oubli, volontaire ou non, de certaines périodes traumatiques. Rétablir les faits, c’est construire une mémoire qui peut permettre de construire également une identité nationale. Comme le rappelle Isabelle Bleton dans sa conférence, la politique de Carlos Menem [3] en Argentine n’a pas permis une reconstruction de la mémoire, mais a, au contraire, refoulé cette mémoire. Les victimes et les bourreaux « circulaient sur le même espace public », et se côtoyaient. La loi protégeait les bourreaux, le pardon accordé aux bourreaux ne permettait pas d’établir des faits, mais de les cacher, de les plonger dans l’oubli. Elizabeth Jelin rappelle qu’un des enjeux fondamentaux de la mémoire se joue lors des transitions démocratiques. Lorsqu’une seule mémoire est imposée, affirme Elizabeth Jelin, elle est inévitablement, un jour où l’autre, contestée. Le premier enjeu de la « première étape de démocratisation », affirme Annick Louis, ce n’est pas celui de la mémoire, mais celui de « l’établissement des faits et leur reconnaissance ». Mais ce processus est intimement lié à la mémoire. Car rétablir les faits ne suffit pas. Encore faut-il les interpréter.

Le Siluetazo, Buenos Aires, 21 September 1983. Photographe: Daniel García. Publication sur Afterall.org

Le travail d’un historien peut consister à travailler également sur les mémoires en tant qu’elles apportent un éclairage sur les traumatismes de l’époque. Or Elizabeth Jelin met en avant la difficulté qu’il y a à exprimer la violence. La difficulté peut être due au régime politique en place, ou liée à l’individu. Toujours est-il que le silence s’explique souvent, affirme-t-elle, par une incapacité à écouter. Pour pouvoir s’exprimer, il faut trouver un interlocuteur. C’est la raison pour laquelle le témoignage est essentiel afin de parvenir à reconstruire une mémoire (historique ou individuelle) et c’est également la raison pour laquelle de nombreuses manifestations ont lieu, comme le montre Annick Louis.

Pendant le colloque, Laura Alcoba, ancienne élève de l’ENS Fontenay-Saint-Cloud (promotion 1989) et à présent écrivain, a accepté de parler d’un de ses romans, La casa de los conejos. Laura Alcoba a passé une partie de son enfance en France, son adolescence et sa vie d’adulte en France également. Mais enfant, elle a vécu quelques mois en Argentine, dans ce qui a été renommé, suite à la publication de son livre, « La casa de los conejos ». L’écriture du livre a été pour Laura Alcoba une nécessité, mais ne s’est pas imposée directement à elle. La naissance de sa fille, déclare-t-elle avec émotion, a sans doute déclenché un besoin de se souvenir. Laura Alcoba mène alors une petite enquête dans l’espoir de reconstituer ses souvenirs d’enfant. Elle cherche à revoir la maison, et contacte María Isabel Chorobik de Mariani (connue aussi comme Chicha Mariani), qui donne une réponse qui va « bouleverser » l’écrivain : « Je croyais que ta mère et toi étiez mortes ». Laura Alcoba a alors la « certitude qu’il fallait garder une trace », cette même trace dont parle Elizabeth Jelin et avec laquelle, un jour peut-être, il est possible de reconstruire une mémoire. Pourtant, la petite fille du roman, ce n’est pas directement elle. C’est un personnage, une reconstruction de l’enfant qu’elle était à partir de l’adulte d’aujourd’hui. L’écriture permet sans doute une distance qui lui a permis de se replonger dans des souvenirs douloureux et hors du commun. Le roman peut-il témoigner ? C’est l’une des questions que s’est posée Marie-Pierre Rosier. À partir de quatre auteurs, Alicia Kozameh, Sarah Rosenberg, Nora Strejilevich et Alicia Partnoy, elle s’interroge sur le genre de ces œuvres hybrides qui se situent entre le roman et le témoignage. Seulement « la valeur du témoigne [est] altérée », car « le témoin témoigne de l’impossibilité de témoigner ». C’est « l’écriture qui permet de combler en partie ce manque et fait réapparaître les personnes assassinées par le terrorisme d’État ».

Dans quelle mesure la littérature peut-elle devenir une voix s’inscrivant dans le cadre politique ? La fiction est-elle capable d’éclairer le passé ou le présent ? « Historiquement, la littérature brésilienne ne cesse de discuter de manière […] critique les processus d’autoritarisme, de violence, et de destruction dans le pays. », affirme Jaime Ginzburg. S’il est nécessaire d’étudier la littérature brésilienne dans ce cadre, c’est qu’elle est donc capable d’apporter des réponses, bien qu’elle ne se réduise pas à ces réponses. Jaime Ginzburg en est persuadé, « la littérature peut […] contribuer à changer le passé et le présent ». Quelques conférences se sont attardées sur l’analyse d’œuvres en particulier, entre témoignage et roman, ou pris comme témoignages, dans l’optique de reconstruire une mémoire. C’est le cas, par exemple, d’Avalovara, d’Osman Lins, un « roman qui met en scène des réalités étrangères à notre routine quotidienne sous une forme narrative peu habituelle, non seulement comme roman qui explore des récits fragmentés, mais aussi comme un témoignage littéraire du temps douloureux de la dictature militaire ». Le roman étudié par Elsa Crousier porte de la même manière sur la question de la reconstruction de la mémoire. Il s’agit de mettre en scène plusieurs voix féminines, individuelles, pour construire une mémoire collective. La mémoire devient une « quête », parce que les deux voix se confrontent, et l’une d’entre elles aimerait oublier, ne plus se souvenir. Une lutte contre l’oubli, le mensonge, « l’effacement de la mémoire », s’installe. Elsa Crousier rappelle enfin que l’histoire est, étymologiquement, intimement liée à l’enquête. Les romans qui prennent la forme d’enquêtes policières peuvent donc s’inscrire dans une sorte de voix historique. Plusieurs exemples ont été cités, comme celui du roman de Miguel Bonasso (exemple donné par Isabelle Bleton). « Le processus de reconstruction du passé de la dictature [se fait] au moyen d’un récit policier », grâce auquel il est possible de se distancer pour raconter « la violence politique » d’une époque. Enfin, si la littérature est capable de lancer le processus de construction de la mémoire, c’est qu’elle est parfois la seule à ne pas avoir passé sous silence la violence. C’est le cas pour la guerre d’Algérie, dont la mémoire est lacunaire, et dont la production littéraire est devenue nécessaire à la mémoire collective de la « guerre d’indépendance algérienne qui fut beaucoup plus qu’une tragédie à deux personnages », car « cette guerre de décolonisation qui a laissé des blessures profondes fut à la fois franco-française, algéro-algérienne, franco-algérienne. », affirme Désirée Schyns.

Cependant, si la littérature est capable d’offrir des témoignages, des récits fictifs qui conduisent à la découverte d’une vérité historique, Catherine Coquio émet des doutes à propos du travail de la mémoire. Au fil de ses recherches, elle décide de prendre de la distance sur son propre travail. Elle découvre ainsi qu’il existe une véritable obsession pour la mémoire, obsession qui oblige parfois à parler de « devoir de mémoire », ce que Laura Alcoba, par exemple, refuse, et que Catherine Coquio observe comme étant un vocabulaire de la passation qui tend à une moralisation excessive de la mémoire. La notion de témoignage elle-même porte à confusion. Étymologiquement, explique-t-elle il s’agit de « voir ce qui s’est joué de religieux ». Le témoignage engage l’individu à dire la vérité. C’est plus une obsession pour la vérité qui naît avec cette volonté de témoigner. C’est « le mal de vérité » que dénonce Catherine Coquio, qui explique la profusion de témoignages qui naissent.

Enfin, et en guise de conclusion, le colloque a mis en avant un élargissement sur un art visuel, le cinéma, capable lui aussi d’offrir une forme de témoignage. Les deux conférences qui portent sur le cinéma mettent en avant les images et les sons qui prennent possession de l’oubli sous toutes ses formes. Le film de Patricio Guzmán, Nostalgia de la luz, met en scène, par exemple, des femmes, dans le désert d’Atacama (Chili), qui cherchent les disparus. Cette scène est mise en relation avec les astronomes qui cherchent à déceler les secrets de l’univers. Selon Sylvie Rollet, on est alors du « côté de l’ordre immémorial du temps », du côté du « cycle inépuisable de la matière ». « La magie des images cinématographiques est de l’ordre de ces restes pour contrer le non-sens et l’amnésie ». C’est la raison pour laquelle « l’infiniment lointain est mobilisé ». Le travail sur l’oubli est effectué également dans le travail d’Albertina Carri, présenté par Laurence Mullaly. La jeune cinéaste a perdu ses parents à l’âge de 4 ans, et tente de reconstituer une mémoire qu’elle a perdue, mais refuse d’aborder un « passé mythifié ». Il s’agit de s’intéresser « aux creux et aux plis de la mémoire, multiple et contradictoire ». Elle aborde ainsi « le vide de l’absence », sans concession. Le court-métrage n’est ni un documentaire, ni une fiction, il décrit une souffrance, il présente l’oubli, le vide, mais également l’impossibilité de se souvenir. Il présente en fait les contradictions qui sont celles de la mémoire, qui ne se construit pas à partir uniquement de souvenirs, mais également d’oubli, pour permettre à l’homme de la construire et, en même temps, de se construire.

Notes

[1]Maurice Halbwachs, Les cadres sociaux de la mémoire, Paris : Librairie Félix Alcan, Première édition, 1925.
[2]Elisabeth Joly-Sibuet et Hugues Fulchiron.
[3]Une loi d’amnistie a été établie par le président Menem, la loi de punto final, dans le but de pardonner à la population argentine, bourreaux compris, les crimes commis durant les périodes de terrorisme d’État.

CONFÉRENCES CITÉES

Elisabeth Joly-Sibuet (Université Jean Moulin-Lyon 3) et Hugues Fulchiron (Université Jean Moulin-Lyon 3) : « Bilan et perspectives des rencontres pluridisciplinaires droit/lettres/philosophie du réseau Mémoires en construction » (workshops de São Paulo, novembre 2014, et de Buenos Aires, mai 2015).

Elizabeth Jelin, (CONICET /IDES, Buenos Aires) : « Los futuros del pasado. Presencias, sentidos y silencios en los escenarios de la acción social ».

Entretien avec Catherine Coquio (Université Paris IV – Sorbonne), animé par Jean-Louis Jeannelle (Université de Rouen).

Sandra Nitrini (Université de São Paulo) : « Un témoignage poétique sur la dictature brésilienne: Avalovara, d’Osman Lins. ».

Elsa Crousier (Université Lumière Lyon 2) : « La mise en scène de la construction d’une mémoire collective des dictatures du cône sud dans les romans des années 1980 ».

Entretien avec Laura Alcoba romancière (Université Paris Ouest-Nanterre La Défense /éditions du Seuil) : « À propos de l’écriture de Manèges, petite histoire argentine ».

Isabelle Bleton (ENS de Lyon/CERCC) : « Roman et transition démocratique en Argentine. Figures de la mémoire, de la malmémoire et de l’oubli ».

Marie-Pierre Rosier (Université Lumière Lyon 2) : « Témoignage, fiction et mémoire argentine: Élaborations littéraires d’ex-séquestrées et d’ex-prisonnières.».

Jaime Ginzburg (Université de São Paulo) : « Memória e esquecimento: Literatura Brasileira e Ditadura Militar ».

Désirée Schyns (Université de Gand) : « La mémoire littéraire de la guerre d’Algérie dans la fiction algérienne francophone: Les grandes lignes de son évolution ».

Annick Louis (Université de Reims/EHESS) : « Imaginer le réel. A propos de Lenta biografía de Sergio Chejfec (1990) et W ou le souvenir d’enfance de Georges Perec (1975) ».

Sylvie Rollet (Université de Poitiers) : « L’empire de la disparition: autour de quelques figures filmiques de l’amnésie historique ».

Laurence Mullaly (Université de Bordeaux) : « La mémoire agissante selon la cinéaste argentine Albertina Carri ».

Source :
Léa Métayer. 12/2016. « Les mémoires des traumatismes ».
La Clé des Langues (Lyon: ENS LYON/DGESCO). ISSN 2107-7029. Mis à jour le 23 janvier 2017.
Consulté le 31 janvier 2017.
Url : http://cle.ens-lyon.fr/ojal/les-memoires-des-traumatismes-329093.kjsp

Machisme des années 50 : Le guide de la parfaite épouse.

 Sois l’épouse de ses rêves !
« Seamos hormiguitas graciosas y amables » : Soyons de charmantes et d’aimables petites fourmis.

Pilar Primo de Rivera

Sœur de José Antonio Primo de Rivera (fondateur de la Phalange en octobre 1933) elle fut Déléguée nationale de la Section Féminine du mouvement de 1934 à 1977. Dévouée et soumise par conviction aux valeurs du national-catholicisme elle serait à l’origine du Guide de la parfaite épouse édité en 1953. Cet opuscule a été distribué aux femmes qui ont effectué leur Service Social (Servicio Social).

Le Service Social était obligatoire pour les femmes célibataires de 17 à 35 ans. Il durait 6 mois : trois d’éducation théorique (bonne mère, bonne épouse, soumise, catholique et patriote) et trois de service obligatoire et gratuit dans des cantines, hôpitaux, bureaux, colonies, etc. Le Service Social était nécessaire pour trouver un emploi ou pour sortir du territoire.

Voici donc un florilège du mode impératif.
Femme docile et au foyer !
Cela  prête à sourire  tant cette servitude parait inconcevable aujourd’hui.

Où sont les acquis sociaux de la femme de la Deuxième République ?

 


La situación de la mujer en la sociedad ha cambiado pero no en todos los aspectos y en todas las regiones del mundo.
En los años cuarenta y cincuenta, durante la dictadura de Franco, se vivía en una sociedad machista, la mujer era considerada como la que incitaba al pecado y había un dominio del hombre sobre la mujer en los temas referentes a las concepciones sociales y científicas, ya que existía una supuesta inferioridad mental en ésta.  La Falange hizo hincapié en la posición de las mujeres creando un manual de la esposa perfecta en 1953, el cual se entregaba en España a todas las mujeres que hacían Servicio Social en la sección femenina, algo que ahora es considerado como machista en aquella época eran normas que las mujeres tenían que cumplir. Las reglas iban desde las tareas de la casa hasta las relaciones sexuales.
La Sección Femenina estaba dominada por Pilar Primo de Rivera, hermana del fundador de la falange José Antonio Primo de Rivera. Estas mujeres hicieron muchas labores, crearon campamentos de alimentación para niños y cuando se las empezó a conocer, en 1937, se les entregó el Servicio Social de la Mujer, que por aquellos tiempos ya era obligatorio, por lo que eran las encargadas de la formación femenina.
La acción que realizaba la Sección Femenina durante el Franquismo era la de enseñar a las jóvenes a ser buenas patriotas, buenas cristianas y buenas esposas, subordinándose totalmente a los hombres. Se esperaba de las mujeres su sumisión y docilidad cuya función principal era la maternidad. Así se encontraron las mujeres tras la Guerra, teniéndose que adaptar a ser mujer y madre y dedicarse exclusivamente al cuidado de éstos bajo la moral católica del franquismo.
Después de la Segunda República las mujeres ya habían conseguido el derecho al voto y su ocupación en lugares públicos, pero el régimen franquista las condujo de nuevo a sus hogares y a considerarlas únicamente como procreadoras, como consecuencia de las muertes causadas. Su función era mantener el orden tradicional del hogar, cuidar al hombre, protegerlo y satisfacerlo.

 
1) Que le repas soit prêt : Prévois-lui un délicieux repas quand il rentre. C’est une façon de lui montrer  que tu as pensé à lui, que tu tiens compte de ses désirs. La plupart des hommes ont faim lorsqu’ils rentrent à la maison. Prépare-lui son plat préféré !

2) Sois belle ! Prépare-toi cinq minutes avant son arrivée afin qu’il te trouve fraîche et belle. Retouche ton maquillage, mets un ruban dans tes cheveux et fais au mieux pour lui faire plaisir. Pense qu’il a eu une dure journée et qu’il n’a été qu’en présence de ses collègues de travail.


3) Sois douce et intéressante : L’un de tes devoirs est de le distraire. Après sa dure journée de travail il a sûrement besoin de récupérer. Tu dois faire tout ton possible pour lui être agréable.

4) Mets la maison en ordre : Elle doit être impeccable. Fais un dernier tour dans les différentes pièces avant que ton mari n’arrive. Range les livres d’école, les jouets, etc. et donne un coup de plumeau sur la table.

5) Fais en sorte qu’il se sente au paradis : Après tout, prendre soin de son confort te procurera aussi une énorme satisfaction personnelle. Pendant les mois les plus froids, prépare la cheminée avant son arrivée. Ton mari se sentira dans un véritable havre de paix et d’ordre, ça va lui remonter le moral ainsi qu’à toi-même.

6) Prépare les enfants : Prends quelques minutes pour que les enfants soient présentables. Coiffe-les, qu’ils aient les mains propres, change leurs vêtements si besoin. Ce sont ses petits trésors et il veut les voir impeccables.


7) Évite le bruit : Quand il arrive arrête la machine à laver, le sèche-linge et l’aspirateur, fais en sorte que les enfants soient calmes. Pense au bruit qu’il a dû supporter toute la journée au bureau.

8) Fais en sorte qu’il te voit heureuse : Fais-lui un large sourire et montre-toi sincère dans ton désir de lui plaire. Te voir heureuse est la récompense de son travail quotidien.

9) Écoute-le : Laisse-le parler avant, pense que ses centres d’intérêt sont plus importants que les tiens. Il est possible que tu aies des milliers de choses importantes à lui dire, mais quand il rentre ce n’est pas le meilleur moment pour en parler.


10) Mets-toi à sa place : Ne te plaint pas s’il est en retard ou s’il préfère avoir un moment de détente sans toi ou s’il ne rentre pas de la nuit. Essaie de comprendre son stress et son réel besoin d’être détendu à la maison.

11) Arrête de te plaindre : Ne l’agace pas avec de menus détails. Tes propres soucis sont accessoires par rapport aux siens.


 

12) LE PLUS ! Mets-le à l’aise : Qu’il s’installe dans le fauteuil ou se repose dans la chambre. Prépare-lui  une boisson chaude. Arrange son oreiller et propose-lui d’enlever ses chaussures. Parle-lui d’une voix douce et agréable.

Une bonne épouse sait où est sa place.


Sources :

Deux ouvrages autour de la maternité d’Elne (66)

 

1939. La Retirada pousse sur les routes de France les Républicains espagnols fuyant la dictature de Franco. Parquées dans des camps de concentration tels qu’on les appelait alors notamment dans les Pyrénées-Orientales, de nombreuses femmes internées accouchent dans des conditions terribles. Une maternité créée par l’institutrice Elisabeth Eidenbez, collaboratrice du Secours suisse aux enfants, leur vient en aide, installée dans le château d’En Bardou. Elle accueillera de nombreuses femmes pendant la Seconde Guerre mondiale, espagnoles, juives, françaises, tziganes, d’au moins quinze nationalités différentes. Entre 1939 et 1944, près de 600 enfants voient le jour dans cet havre de paix au milieu d’un océan de souffrances. Oubliée jusqu’au milieu des années 1990, la Maternité est restaurée et acquise par la ville d’Elne en 2005. Protégée depuis 2012 comme monument historique, elle est aujourd’hui un lieu permanent de mémoire. C’est en partant de cette histoire longtemps méconnue, que ce numéro spécial de la revue Exils et migrations ibériques associé à la revue Riveneuve Continents explore l’action humanitaire menée notamment en direction des enfants victimes des conflits, depuis la guerre d’Espagne jusqu’à nos jours.

Geneviève Dreyfus-Armand et Rose Duroux (coordination), Autour de la maternité d’Elne : L’action humanitaire de la guerre d’Espagne à nos jours, éd. Riveneuve, collection Riveneuve Continents n°20, 2016, 292 p. Numéro spécial de Exils et migrations ibériques au XXe siècle (n°7 nouvelle série)

 

En espagnol :

La maternidad de Elna es el testimonio emocionante de unas mujeres que, estando a punto de dar a luz, fueron rescatadas de los campos de concentración republicanos de Sant Cebrià de Rosselló, Argelers y Ribesaltes, donde vivían en lamentables condiciones, y fueron acogidas en una maternidad que fundó la maestra suiza Elisabeth Eidenbenz. Allí pudieron ver nacer y alimentar a sus bebés en condiciones excepcionales. La maternidad de Elna es pues la heroica historia de una mujer que salvó a 597 recién nacidos de una muerte segura.
«Había una madre que no tenía leche y el niño lloraba de hambre día y noche. Cuando se agotaba de tanto llorar, se dormía y ella le daba calor con su erpo.
Cuando salía el sol, enterraba al bebé en la arena hasta que le dejaba fuera sólo la cabecita. La arena le servía de manta. Pero al cabo de unos días el niño se murió de frío y de hambre. Yo estaba embarazada y con sólo pensar que mi hijo nacería en aquel infierno me desesperaba.»

Montellá Assumpta, La maternidad d’Elna, La historia de la mujer que salvó la vida a 597 niños, Badalona, Ara Llibres, 2006, 167 p. Une 3è édition en 2013.

 

Rappel : le très bon article d’Alice sur la maternité (site Retirada 37).

Maternité suisse d’Elne (66) : la mémoire retrouvée

Un auteur à lire, à relire ou à découvrir : Agustín GOMEZ – ARCOS

Agustín Gómez-Arcos est né à Almería (Andalousie) le 15 janvier 1933 et est décédé à Paris le 20 mars 1998 à l’âge de 65 ans.

C’est un écrivain espagnol de tendance libertaire, d’expression espagnole et française.

Après des études de droit, il quitte l’université pour le théâtre. Certaines de ses pièces ayant été interdites, il quitte l’Espagne pour la France en 1966. Il est l’auteur de romans traduits dans le monde entier.

L’Agneau carnivore est son premier roman écrit en français ; le narrateur y évoque son enfance dans l’Espagne franquiste, l’inceste et l’homosexualité.

Mais d’autres romans sont davantage connus, notamment Ana Non qui a fait l’objet d’une adaptation à la télévision par Jean Prat en 1985.

Trois récompenses lui ont été attribuées : le prix du LIVRE INTER en 1977, à sa parution, le prix THYDE-MONNIER « Société des gens de lettres », le prix ROLAND DORGELES en 1978.

Ce livre, c’est l’histoire d’un voyage, mais d’un voyage très particulier qui est à la fois un et multiple : voyage à travers une vie, voyage d’amour, voyage initiatique et imaginaire, voyage de mort et voyage à travers une époque.

C’est le voyage que va accomplir l’héroïne, Anna Paucha, Anna la rouge, Anna NON, à pied, en suivant la voie de chemin de fer pour monter vers le nord de l’Espagne.

Avant, Ana était comblée, sa vie se résumait à peu de choses : un homme, trois fils, la République et une barque.

Mais la guerre civile va anéantir ce bonheur qu’elle croyait à jamais acquis. Elle perd le mari et les deux fils ainés. Le cadet, « le petit », 52 ans, accusé d’être un rouge, est en prison dans les geôles franquistes dans le nord de l’Espagne, depuis 30 ans et pour toujours.

Et c’est portée par l’espérance folle de pouvoir embrasser son fils une dernière fois, qu’à 75 ans, elle entreprend ce voyage emportant avec elle pour tout bagage, un pain qu’elle a confectionné «un pain aux amandes, huilé, anisé et sucré comme un gâteau », un pain comme il les aimait.

Ce gâteau va être le « cordon ombilical » imaginaire qui la relie à son fils et qui va lui permettre de se maintenir vivante tout au long du voyage malgré les épreuves qu’elle va devoir subir.

Tout au long de ce voyage, la mort, cette « putain » avec laquelle elle va dialoguer, se confier, l’appelant, la repoussant, est omniprésente.

Ces épreuves, ces dialogues avec la mort, sa confidente, vont lui permettre de retrouver une conscience politique et une identité, ainsi que d’apprendre à lire et de se métamorphoser en Ana OUI.

C’est aussi un voyage à travers l’Espagne colorée et typique mais surtout à travers l’Espagne franquiste, avec toutes ses injustices, ses absurdités, ses aberrations, sa misère et ses interrogations. Et l’on voit transparaitre les idées de Gomez Arcos, son anticléricalisme, son ironie et son mépris pour le Caudillo et son aéropage ainsi que sa haine de la patrie.

Franco est ainsi qualifié de « décompositions miniature, d’agonie naine » et son héritier Juan Carlos, de « Bourbon fade et jaune comme une crème tournée ». De même que les curés sont décrits ainsi : « les curés enrobés, folâtrant depuis mâtine comme des donzelles ».

Les autres oeuvres de GOMEZ-ARCOS :

Maria República

Scène de chasse (furtive)

Un oiseau brulé vif

Pré-papa ou roman des fées

L’enfant pain

L’enfant miraculée

L’homme à genoux.

J. Parès.

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Mort d’un républicain espagnol ?

La célèbre photo de R. Capa ne drevait-elle pas être re-légender en : « Mort d’un cénétiste espagnol sur le front d’Andalousie en 1936  » ?

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Puisquil s’agissait de Federico Borrell García « Taino »  :  Il était anarcho-syndicaliste, militant de la CNT et fondateur des jeunesses libertaires (FIJL) à Alcoy : image002

L’art de voler

 

L’ouvrage s’inscrit dans les quatre temps de la chute entre la naissance et la mort d’Antonio, parce qu’aussi bien, conclut Antonio lartdevoler

fils, « mon père mit 90 ans à tomber du quatrième étage »…

Antonio père désira voler depuis tout jeune pour échapper à une destinée insupportable : l’enracinement dans les contraintes familiales et la mentalité étriquée des petits paysans misérables de Peñaflor de Gállego, province de Saragosse, village où il naquit en 1910.
À l’âge de huit ans, comme tant d’autres, il dut quitter l’école pour aider aux travaux sur un lopin de terre que son père voulait étendre aux dépens du voisin. Chacun ayant la même pratique, des murs de propriété furent érigés sur toute la terre arable, annihilant à jamais l’horizon pour qui vivait courbé sur le sol, de sol a sol [1].

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planche 2 p. 21

Antonio père concluait : « Les luttes fratricides que j’ai dû subir m’enseignèrent que les hommes ne doivent avoir d’autre village que l’humanité. […] J’ai grandi, oui, mais avec un horizon bouché par l’ambition, ou mieux dit par la misère. »

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planche 3 : p. 23

Perché sur un arbre, Antonio et son ami Basilio cherchent la direction de Saragosse, où le jeune révolté partira se confronter à une autre misère, de 1931 à 1936. Son seul passeport pour une relative liberté de mouvement était son permis de conduire obtenu en 1931, le jour de la proclamation de la République.
Puis la guerre civile éclate et la vie à Saragosse devient insupportable et terrorisante.

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planche 4 : p. 50

Antonio mûrit son plan pour échapper à la mobilisation et à l’Espagne franquiste. Les jeunes appelés dont il fait partie sont conduits sur le front à Quinto de Ebro : il arrive à passer la ligne…

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planche 5 : p. 57

…et tombe sur la centurie Francia, rassemblant des Espagnols qui vivaient en France avant 1936. Ces hommes faisaient partie de la colonne Ortiz, basée au sud de l’Èbre. Il trouve là une activité qui lui convient : transporter et distribuer les courriers des miliciens, entre Alcañiz, Azaila, La Puebla de Híjar… et une solide amitié avec trois de ces combattants, dont Mariano Díaz.

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planche 6 : p. 58

Quand les miliciens anarchistes apprennent qu’ils vont être militarisés et passer sous le commandement des communistes, la tension monte ; mais le processus est inexorable et la guerre petit à petit engloutit les espérances révolutionnaires.

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planche 7 : p. 68

Ensuite, comme l’écrit Antonio, ils commencèrent à assumer la possibilité de perdre aussi la guerre. La centurie Francia fut incorporée dans la 116e brigade de la 25e Division et Antonio père s’incorpora dans le 8e bataillon de transport. Le groupe d’amis se perdit et se retrouva au gré des batailles perdues ; la dernière étant celle de l’Èbre. Jusqu’à la retirada

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planche 8 : p. 79

Beaucoup meurent à peine arrivés dans les camps de concentration français, à ciel ouvert ; puis ils doivent construire eux-mêmes leurs baraques : « Nous étions comme des oiseaux construisant leur propre cage. »
Miradors et mitrailleuses empêchent les internés d’être en France ; mais la route vers l’Espagne restera toujours ouverte. Comme elle n’était pas assez empruntée au goût des autorités françaises, celles-ci offrirent aux internés un faux choix : ou bien rentrer chez Franco, ou bien intégrer la Légion étrangère. Ceux qui ne choisissaient pas ne pouvaient être que des lâches :

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planches 9 et 10 : pp. 83 et 84

Quand la guerre avec l’Allemagne éclate, Antonio ne sort de
St-Cyprien que pour aller trimer comme esclave dans les
forêts au sein d’une Compagnie de travailleurs. Après fuites
et détentions diverses, il trouve un havre de paix et de
bonheur à Guéret auprès d’une famille de paysans où le grand
père lui apprend à connaître la terre, qu’à la différence
des père et frères d’Antonio il aimait pour ses qualités et
non pour les quantités qu’elle produisait.
Et puis il y a Madeleine. qui rappellera sans doute aux
lecteurs des Fils de la Nuit une autre Madeleine qui
chevaucha également son Antonio.

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planche 11 : p. 97

Mais la guerre reprend le dessus : arrestations, vie clandestine et maquis se succèdent jusqu’à la libération. Une autre vie misérable commence qui voit l’espoir du renversement de Franco s’évanouir, et les idéaux d’existence se dégrader à Marseille dans la pratique du marché noir et la fréquentation du milieu.

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planche 12 : p. 114

Alors Antonio décide en 1949 de rentrer à Saragosse où sa cousine mariée à un phalangiste lui garantit la vie sauve s’il se soumet à la famille, à la Phalange, à l’argent. Pour compléter le tableau, il se marie à l’église.

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planche 13 : p. 145

« Le mariage fut aussi un enterrement, celui de la dignité et des idéaux […] comme beaucoup d’Espagnols, j’appris à vivre par-dessus mon propre cadavre. » Il annonce alors sa défaite à son ami Mariano, resté en France. Commence maintenant une vie de silence uniquement interrompu par la naissance de son unique fils Antonio en 1951…

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planche 14 : p. 147

…qui se rappelle encore aujourd’hui avec tendresse ces étés passés en France auprès de la famille de Mariano : le seul moyen qu’avait trouvé son père pour contrebalancer l’influence fascisto-cléricale de sa femme et de sa famille.
Puis tout se dégrada encore plus : la famille sombra dans la misère, le ressentiment, et Antonio père dans la dépression. En 1985, il entra dans une maison de retraite où il partagea avec deux compagnons quelques moments de fantaisie.

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Jusqu’à la chute finale, en ce jour où « pour la première fois dans ma vie tout allait être facile ».

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planche 16 : p. 205

Les Giménologues, le 27 juin 2009.

 

[1] Du lever au coucher du soleil.

Enric Marco ou l’imposteur

CERCAS Javier, El Impostor. Barcelona : ediciones Delbolsillo, 2016.

el impostor 2

29 janvier 2005

Enrique Marcos ou Enric Marco – son identité est fluctuante au gré des événements et de l’histoire – prononce devant les Cortés un discours rendant hommage aux républicains espagnols déportés dans les camps nazis. Il s’exprime en tant que matricule 6448, rescapé du camp de Flossenbürg. C’est la première fois qu’un hommage est rendu aux déportés républicains espagnols victimes du nazisme et devant une assemblée subjuguée et émue aux larmes, Enrique Marco évoque d’une voix vibrante d’émotion son expérience des camps.

11 mai 2005

A peine quatre mois plus tard, Enric Marco, à l’âge de 84 ans, est démasqué par un historien, Benito Bermejo, qui avait toujours eu des doutes sur la véracité des dires du personnage – il faut reconnaître qu’il n’était pas le seul, d’autres que lui avaient des doutes mais ne les exprimaient pas – et qui enquêtait en vain depuis longtemps sur lui : Enric Marco est donc un imposteur qui s’est inventé un passé de déporté au camp nazi de Flossenbürg ! C’est un scandale énorme qui dépasse largement les frontières de l’Espagne.

Cet imposteur, titulaire de la Croix de Sant Jordi,  est le président de l’Amicale de Mauthausen qui regroupe les anciens déportés espagnols survivants des camps nazis, il a donné des centaines de conférences dans les établissements scolaires sur son expérience de déporté, il célébrait chaque année à Mauthausen la mémoire des camps et il devait inaugurer, juste avant d’être démasqué, le Mémorial de Mauthausen avec  José Luis Rodríguez Zapatero lui-même…

En fait le personnage n’en est pas à une imposture près. Charismatique et menteur éloquent, il se présente aussi comme un héroïque résistant au franquisme, et en 1976 il devient secrétaire régional de la CNT en Catalogne d’où il est originaire, puis en 1978 secrétaire confédéral pour toute l’Espagne. Symbole vivant de l’anarcho-syndicalisme, il sera évincé  de la CNT pour des raisons qui n’ont rien à voir avec ses mensonges !

En fait point d’héroïsme militant, point de fuite vers la France, point d’arrestation par la Gestapo, point de déportation… Tout cela est faux !

En 1941 Marco s’engage simplement comme travailleur volontaire en Allemagne, en tant que mécanicien, dans le cadre du soutien de Franco au régime nazi pour échapper au service militaire en Espagne et toucher un salaire substantiel ! Arrêté en Allemagne pour haute trahison pour avoir défendu les idées  communistes,  il est emprisonné à Kiel mais libéré et blanchi au bout de sept mois. Personne ne saura jamais pourquoi ! De la prison de Kiel à la déportation à Flossenbürg, Marco, menteur et affabulateur de talent, franchira vite le pas !

Quant à sa vie sous le franquisme,  elle n’a rien d’héroïque. Citoyen très ordinaire, il fera partie de ceux qui plient l’échine, qui sont toujours du côté de la majorité et qui de fait se soumettront sans état d’âme à la dictature de Franco.

C’est ce personnage que Javier Cercas, auteur de Soldados de Salamina, a choisi de raconter.

Javier Cercas a longtemps hésité avant de se décider à écrire ce livre qu’il dit ne pas être un roman au sens habituel du mot mais bien plutôt un roman sans fiction ou un récit réel. En effet se pose la question suivante : pourquoi consacrer un livre à cet imposteur ? Le silence ne serait-il pas préférable pour lui refuser définitivement ce dont il a usé et abusé pour tromper les gens, la parole ? Lui consacrer un livre, n’est-ce pas chercher à le comprendre, donc dans une certaine mesure à l’excuser ? Primo Levi écrivait  d’ailleurs  à propos des camps : « Peut-être ce qui est arrivé ne doit-il pas être compris, car comprendre, c’est presque justifier ». Pour Tzevetan Todorov, au contraire, « comprendre le mal ne signifie pas le justifier, mais, peut-être, se donner les moyens pour empêcher son retour. »

Javier Cercas se décide finalement à écrire ce livre car il est sans nul doute fasciné par le personnage et poussé par le désir de découvrir la vérité profonde de Marco. « ¿ No son los libros imposibles los más necesarios, quizás los únicos que merece de verdad la pena intentar escribir ? »

Il se met en contact avec Marco qui accepte le projet car l’homme, narcissique à souhait, est satisfait chaque fois que l’on s’intéresse à lui, il l’interroge, enquête, cherchant des documents, rencontrant des témoins, se rendant sur les lieux mêmes du passé de Marco. Javier Cercas met l’imposteur face à ses mensonges et hanté par l’Histoire, il pose le problème de la mémoire historique, comment elle se fait, comment elle peut se corrompre ou se dénaturer, en particulier dans des discours manipulateurs brillants mais sans aucune conscience, style commémoration nauséeuse dégoulinante de bons sentiments, et pour lui, Marco est l’incarnation de la mémoire kitsch, « ese venenoso forraje sentimental aderezado de buena conciencia histórica ».

Javier Cercas met en parallèle le personnage de Marco et celui de don Quichotte qui, tous les deux, se sont inventé une vie pour ne pas voir la grisaille horrible de leur médiocre existence réelle et pour tenter d’y échapper. Tous les deux ont la même capacité affabulatoire, tous les deux recherchent la gloire. Différence importante cependant entre don Quichotte et Marco : don Quichotte ne trompe personne car tout le monde sait qu’il est un pauvre fou qui se prend pour un héros chevaleresque alors que Marco a été pendant des années adulé, recherché, porté en triomphe. Mais cela illustre bien pour Javier Cercas le dilemme posé par la littérature entre la fiction et le réel et qu’il présente ainsi : « La fiction sauve, la réalité tue ». La fiction a donc sauvé don Quichotte et Marco alors que la réalité, comme Narcisse découvrant ce qu’il est réellement, les aurait anéantis. Tous deux sont des écrivains frustrés que l’écriture d’un roman aurait pu sauver. Javier Cercas aurait-il des points communs avec Marco, serait-il lui-même un imposteur ? C’est la question qu’il pose et qu’il se pose à lui-même au début du roman.

A la fin du livre, lors du dernier entretien entre Marcos et Javier Cercas, ce dernier le tutoie pour la première fois comme si les barrières entre eux étaient enfin tombées. Marco semble aussi avoir enlevé le masque pour parler avec franchise, débarrassé pour la première fois de ce tic de langage qui émaillait son discours, « verdaderamente », l’adverbe que comble d’audace, l’imposteur utilisait à profusion ! Javier Cercas compare alors Marco au don Quichotte des dernières pages du livre quand ce dernier redevient le simple Alonso Quijano avant de rendre l’âme, réconcilié avec la réalité. Mais c’est là l’ultime rouerie de Marco que Javier Cercas découvrira plus tard en consultant les archives du camp de Flossenbürg ! Jusqu’au bout Marco aura donc menti et ce sera le coup de théâtre final du livre ! Même démasqué, Marco reste un imposteur !

Le livre de Javier Cercas est intéressant, peut-être un peu long quelquefois, avec des thèmes traités de manière trop répétitive. Ce que l’on a aussi reproché à Javier Cercas, c’est d’avoir lancé l’idée que Marco puisse avoir été un espion du franquisme mais sans qu’il creuse ou développe jamais cette accusation. Mais les hommes ont-ils vraiment besoin de la Vérité ? « Marco, dit Javier Cercas, dans une interview au quotidien français La Croix, est l’hyperbole monstrueuse de tous les hommes, un mélange de réalité et de fiction » mais en le diabolisant au moment où son imposture a été découverte, cela permettait à la société espagnole et aux médias de se dédouaner de leur responsabilité dans l’affaire Marco. Aurions-nous donc besoin de témoins médiatiques plus que de Vérité ?

Enric Marco n’a pas apprécié le livre de Javier Cercas. Le trompeur prétend avoir été trompé et il en revient toujours à la même ligne de défense : « Muchas cosas se hicieron gracias a mi mentiras », comme s’il pouvait y avoir de « bons » mensonges ! Platon le pensait, Montaigne et Voltaire aussi. Kant, au contraire, défendait le principe absolu de vérité qui n’admettait aucune exception ! Javier Cercas développe le thème philosophique du mensonge et ce sont ces considérations philosophiques sur le mensonge qui l’amènent à parler de la mémoire kitsch.

El Impostor, un livre qui n’est pas forcément d’un abord facile malgré la transparence du style, un livre qui n’est ni un roman, ni une biographie réelle mais qui est bien plus que cela, et c’est ce qui en fait la richesse, une réflexion sur le monde et nous-mêmes !