Miguel Hernandez dans la mémoire.
Mar Campelo Moreno
Publico du 26 mars 2022
A Elvira Hernandez Gilabert, ma grand-mère.
Ma chère grand-mère :
Il y a plus de 25 ans que tu es partie et aujourd’hui c’est le 80ème anniversaire de ta dernière visite à ton frère Miguel en vie, mais je n’ai pas oublié les anecdotes que tu m’as racontées à maintes reprises depuis que j’étais toute petite fille jusqu’à cette maudite maladie qui a emporté tes souvenirs ; même quand tu avais perdu les capacités de t’exprimer, tu ouvrais les yeux et quelque chose remuait en toi en voyant une photo de ton frère.
De la même façon tu riais quand tu me racontais les remontrances que tu lui lançais chaque fois que son esprit s’égarait dans ses promenades dans la montagne d’Orihuela pour aller lire ou écrire et que tu devais te justifier avec une quelconque excuse ou quand tu clouas les volets pour qu’il ne les ouvrit pas aux heures de fortes chaleur.
Il riait aussi quand tu lisais ses poèmes et que tu lui demandais qu’il t’expliquât ce qui se cachait derrière chaque figure de rhétorique, sans te lasser jusqu’à ce que tu ais tout compris. Et quand tu le reprenais pour ses expressions d’une tonalité osée. Quand tu parlais de votre enfance et de votre jeunesse, toujours tu souriais, tes yeux s’illuminaient en revivant ces instants, et tu dessinais l’image d’un garçon joyeux, spontané, affectueux et plein de vie, avec une énorme empathie pour la souffrance d’autrui.
Vous avez été compagnons de jeux, toujours complices et amis. Il te parlait de ses lectures, de sa passion créatrice – tu fus la première lectrice de beaucoup de ses poèmes- de son fervent désir d’aller à Madrid, mais aussi de ses expériences, de ses amis, des femmes qu’il avait aimées…Avec cette précision du détail qui te forçait à te retenir en riant du bout des lèvres « Miguel ne me raconte pas de telles choses »
Avec ce sourire en coin, tu me racontais que ta mère et toi vous trayiez les chèvres par deux fois pour récupérer quelques sous que vous envoyiez à Miguel pour qu’il survive à Madrid.
Tu t’es mariée et tu es partie à Madrid avec ton mari et ta fille (ma mère) ; l’oncle Miguel retourna à Madrid à cette même époque et bien que vous habitiez dans une pension de famille, il venait presque tous les jours pour manger et faire laver son linge.
Quand tu lus l’élégie qu’il écrivit pour son ami Manolo, mort noyé, tu lui demandas de ne pas l’éditer parce qu’elle aurait causé plus de douleur encore et il te l’offrit pour que tu en fasses ce que tu voulais. Tu l’as gardée dans ton classeur des trésors, celui qui contenait toutes les coupures de presse où on parlait de lui ; ce classeur se remplit tout le reste de ta vie avec chacune de ses lettres, de ses photos, chacune de ses publications, tout ce qui concernait ton frère, pour la plus simple raison.
Pourquoi retourna-t-il à Orihuela à la fin de la guerre ? Pourquoi n’écouta-t-il pas votre père quand il lui dit « va-t-en Miguel, c’est maintenant que vont venir les exterminations » ? Parce qu’il voulait embrasser sa famille et qu’il se savait innocent. Et ils l’ont emprisonné dans le Séminaire, dans cette montagne où il aimait se perdre pour écrire, pour lire, pour s’imprégner de la nature.
Ses lettres de prison tentaient de transmettre l’espoir, et il se permettait même quelques plaisanteries ; il vous cacha qu’il avait été condamné à mort jusqu’à ce qu’ils commuèrent la peine à la prison à perpétuité. Ces lettres qui passaient par la censure ou cachées sur le rebord du pot à lait, écrites sur du papier hygiénique. Et toi tu écrivais ou rencontrais tous ceux qui pouvaient intercéder pour qu’il puisse être libéré.
Tu habitais déjà à Alicante quand ils le déplacèrent dans un établissement pénitentiaire pour adultes, là où devait être sa dernière prison. A pied tu allais le voir chaque fois qu’on autorisait un parloir et tu lui portais de la nourriture envoyée par tes parents depuis Orihuela et tout ce que tu pouvais obtenir par le marché noir ; ces pots à lait si difficiles à remplir et que les matons laissaient tomber. Le jour de Notre Dame de Mercédès, le 24 septembre, les enfants pouvaient rendre visite aux prisonniers ainsi pouvaient entrer son fils et les trois tiens. Ma mère, à sept ans était l’ainée et tu lui faisais mémoriser les messages à lui transmettre. A la sortie, tu la sollicitais pour qu’elle te répétât chaque parole de ton frère.
Tu m’évoquais ce jour où vous allèrent le voir avec Josefina : il n’avait plus la force de marcher et il s’appuyait sur deux de ses compagnons. Dès qu’il vous aperçut, il se redressa, gonfla le torse et sourit.
– Miguel, tu es en pleine forme ? Tu vas mieux ?
– Ils sont venus m’offrir de l’argent et la liberté si je me rétracte sur tout ce que j’ai écrit et que je mets ma plume au service du régime.
-Tu as répondu que oui !
– J’ai dit que non.
« Mon frère était comme ça » tu concluais.
Sa santé s’aggravait. Tu parcourais tout Alicante, d’un bout à l’autre, sans arrêt, cherchant un appui, pour que puisse être levée l’interdiction qu’un médecin puisse lui rendre visite, jusqu’à ce que tu l’obtiennes. Il l’aida à mieux respirer, sans les moyens suffisants, il ne pouvait faire plus. L’idéal aurait été de le transférer au Sanatorium pour tuberculeux de Porta Coeli, où à l’écart de l’insalubrité de la prison, il aurait pu se récupérer. Mais tant que ton frère n’acceptait pas de retourner au sein de l’église, cela était impossible.
Quand tu allais pour lui rendre visite à l’infirmerie où il s’étouffait parmi la crasse ça te brisait le coeur. Tu le lavais, tu l’habillais avec du linge propre et tu lui faisais sortir le liquide de ses poumons comme te l’avait montré le médecin.
Conscient que c’était bientôt la fin, il accepta de se marier à l’église, prostré dans son lit, pour protéger sa famille (les mariages civils étaient non valides). Quelques jours après le transfert à Porta Coeli fut accepté, mais c’était déjà trop tard.
La nuit du 27 mars tu lui rendis visite avec Josefina. Ta voix se brisait quand tu me racontas que tu le lavas et l’aidas à respirer pour la dernière fois. Il mourut au matin.
Arrivèrent les années de silence, de peur à prononcer son nom, de l’hypocrisie, des livres des éditions Losada qui arrivaient mystérieusement d’Argentine, des conversations à mi-voix. Tu étais indignée par l’injustice, par la haine et les mensonges, toujours les mensonges. Tu me parlais de l’oncle Miguel entre des murmures et tu me demandais de parler moins fort quand je te demandais des précisions. « Ne raconte rien » « Ne te fais pas remarquer » Et bien à présent je le raconte, grand-mère, ma mémoire est ta mémoire.
Au début de la démocratie, tu allais à toutes les réceptions et tu répondais à toutes les interviews. Tu étais épuisée, mais c’était ton « devoir » de rendre hommage et de faire connaître le nom et l’oeuvre de ton frère. Ce fut la travail de toute ta vie.
Tu aurais été ravie de savoir que 2017 fut « l’année Miguel Hernandez », toi qui étais inquiète qu’ils le fassent disparaître. Ravie de savoir que je donne des conférences sur cet héritage de souvenirs dont tu m’as fait cadeau, que j’ai publié l’élégie à Manolo, comme tu le souhaitais, que le lit de ton frère (qui t’accompagna dans tous les lieux où tu as habité) est maintenant dans dans ta chambre, dans la maison de la rue de Arriba, qui aujourd’hui s’appelle Miguel Hernandez, et que c’est une maison-musée. Il n’a pas été oublié grand-mère, même une gare porte son nom, un aéroport, une université et des écolee et centres culturels.
Repose en paix, grand-mère, la poésie de ton frère résonne dans le monde entier ; son nom est écrit en lettres de feu ; et je continuerai à partager cet héritage que tu m’as transmis jusqu’à le laisser graver dans ma mémoire. Miguel Hernandez est, indiscutablement, un grand poète ; mais pour moi il restera toujours l’oncle Miguel.
traduction de l’article de Publico du 26 mars 2022 par Luis
Miguel Hernández en la memoria
MAR CAMPELO MORENO
Publico 26 de marzo 2022
• A Elvira Hernández Gilabert, mi abuela
Querida abuela:
Hace más de 25 años que te fuiste y hoy se cumplen 80 de la última vez que viste a tu hermano Miguel con vida, pero no he olvidado las anécdotas que me contaste una y otra vez desde que era una niña hasta que la maldita enfermedad se llevó tus recuerdos; aunque, incluso cuando habías perdido la capacidad de expresarte, abrías los ojos y algo se removía dentro de ti si veías una foto de tu hermano.
Cómo te reías cuando me contabas las regañinas que le echabas cada vez que « se le iba el santo al cielo » en sus excursiones a la sierra de Orihuela para leer o escribir y tenías que justificarlo con cualquier excusa, o cuando clavaste las contraventanas para que no las abriera en las horas de calor.
También se reía él cuando leías sus poemas y le hacías que te explicara lo que se escondía en cada juego retórico, no descansabas hasta que lo entendías todo. Y cuando lo reprendías por sus expresiones subidas de tono. Siempre sonreías cuando hablabas de vuestra niñez y juventud, se te iluminaban los ojos reviviéndolo y dibujabas la imagen de un muchacho alegre, espontáneo, cariñoso y vital, con una enorme empatía con el sufrimiento ajeno.
Fuisteis compañeros de juegos y siempre cómplices, amigos. Te hablaba de sus lecturas, de su pasión creadora –fuiste la primera lectora de muchos de sus poemas-, de su deseo vehemente de ir a Madrid, pero también de sus vivencias, de sus amigos, de las mujeres a las que amó… Con esa atención al detalle que tenías que reprimir entre risas pudorosas: « Miguel, no me cuentes esas cosas ».
Con esa sonrisa tuya de medio lado, me contabas que tu madre y tú ordeñabais las cabras por segunda vez para sacar unas perricas que le enviabais a Miguel para que sobreviviera en Madrid.
Te casaste y te fuiste a Madrid con tu marido y tu hija (mi madre); el tío Miguel volvió a Madrid en esa misma época y, aunque vivía en una pensión, iba casi a diario a tu casa a comer y a que le lavaras la ropa.
Cuando leíste la elegía que le escribió a su amigo Manolo, que había muerto ahogado, le pediste que no la publicara porque causaría más dolor y te la regaló para que hicieras con ella lo que quisieras. Tú la guardaste en tu carpeta de los tesoros, la que contenía todos los recortes de prensa en los que se hablaba de él; esa carpeta que fue creciendo durante el resto de tu vida con cada carta suya, cada foto, cada publicación, cada referencia a tu hermano por mínima que fuera.
¿Por qué tuvo que volver a Orihuela cuando acabó la guerra? ¿Por qué no escuchó a vuestro padre cuando le dijo « vete, Miguel, que ahora viene el exterminio »? Porque quería abrazar a su familia y se sabía inocente. Y lo encarcelaron en el Seminario, en esa sierra en la que le gustaba perderse para escribir, para leer, para empaparse de naturaleza.
Sus cartas desde la cárcel trataban de transmitir esperanza, incluso se permitía alguna broma; os ocultó que lo habían condenado a muerte hasta que le conmutaron la pena por cadena perpetua. Esas cartas que llegaban censuradas o escondidas en el borde de las lecheras, escritas en papel higiénico. Y tú escribías o visitabas a cualquiera que pudiera interceder para su excarcelación.
Ya vivías en Alicante cuando lo trasladaron al Reformatorio de Adultos, la que sería su última cárcel. Caminabas hasta allí cada vez que se permitía una « comunicación » y le llevabas los alimentos que enviaban tus padres desde Orihuela y los que podías conseguir a través del estraperlo; esas lecheras que tanto costaba llenar y que los carceleros dejaban caer.
El día de las Mercedes los niños podían visitar a los presos y entraban su hijo y los tres tuyos. Mi madre, con siete años, era la mayor y le hacías memorizar los mensajes que querías transmitirle. Cuando salían, la interpelabas para que repitiera cada palabra de tu hermano.
Me hablabas de aquel día que fuiste a verlo con Josefina: no tenía fuerzas para caminar y se apoyaba en dos compañeros. Cuando os vio, se irguió, hinchó el pecho y sonrió:
•
• Miguel, qué bien te veo, ¿estás mejor?
• Han venido a ofrecerme dinero y la libertad si me retracto de todo lo que he escrito y pongo mi pluma al servicio del régimen.
• ¡Habrás dicho que sí!
• He dicho que no.
« Ese era mi hermano », concluías.
Su salud empeoraba. Recorrías Alicante de punta a punta sin descanso buscando una recomendación que traspasara el bloqueo para que lo visitara un médico, hasta que lo conseguiste. Lo ayudó a respirar mejor aunque, sin los medios suficientes, no podía hacer más. Lo ideal era trasladarlo al sanatorio para tuberculosos de Porta Coeli, donde, fuera de la insalubridad de la prisión, se recuperaría. Pero mientras tu hermano no accediera a volver al seno de la iglesia, era imposible.
Se te rompía el corazón cuando entrabas a visitarlo a la enfermería y lo encontrabas ahogándose entre suciedad. Lo lavabas, lo vestías con ropa limpia y le extraías el líquido de los pulmones como te había enseñado el médico.
Consciente de que se acercaba el final, accedió a casarse por la iglesia, postrado en la cama, para proteger a su familia (los matrimonios civiles habían quedado invalidados). Pocos días después se aprobó el traslado a Porta Coeli, pero ya era tarde.
La noche del 27 de marzo fuiste a visitarlo con Josefina, se te quebraba la voz cuando me contabas que lo aseaste y lo ayudaste a respirar por última vez. Murió esa madrugada.
Y llegaron los años del silencio, del miedo a pronunciar su nombre, de la hipocresía, de los libros de Losada llegados misteriosamente desde Argentina, de las conversaciones a media voz. Te indignaba la injusticia, el odio y las mentiras, siempre las mentiras. Me hablabas del tío Miguel entre murmullos y me pedías que bajara la voz cuando te pedía detalles: « No cuentes nada », « no te signifiques ». Pues ahora lo estoy contando, abuela, mi memoria es tu memoria.
Ya en democracia, ibas a todos los actos y accedías a casi cualquier entrevista. Te quedabas exhausta, pero era tu « deber » homenajear y propagar el nombre y la obra de tu hermano. Esa fue la labor de toda tu vida.
Te habría encantado saber que 2017 fue el « Año de Miguel Hernández », a ti que te preocupaba tanto que lo hicieran desaparecer. Que de vez en cuando doy una charla sobre ese legado de recuerdos que me regalaste. Que publiqué la elegía a Manolo, como tú querías. Que la cama de tu hermano (que te acompañó a todos los lugares donde viviste) está ahora en su cuarto, en la casa de la calle de Arriba, que ahora se llama de Miguel Hernández, y que es su casa-museo. No lo han olvidado, abuela, hasta la estación de tren lleva su nombre, y un aeropuerto, y una universidad, y colegios, y centros culturales.
Descansa en paz, abuela, la poesía de tu hermano resuena en todo el mundo; su nombre está marcado a fuego; y yo seguiré compartiendo este legado que me transmitiste hasta dejarlo grabado en mi memoria. Miguel Hernández es, indiscutiblemente, un gran poeta; pero para mí siempre será el tío Miguel.