Plaintes pour torture : les oubliés du franquisme

En Espagne, les plaintes de victimes du franquisme se multiplient depuis un an pour des actes de torture commis dans les années 70. Mais la justice espagnole refuse encore d’ouvrir des procès. Comment expliquer qu’aucun criminel franquiste n’ait été jugé, plus de 40 ans après la mort de Franco ?

Place de la Puerta del Sol, en plein cœur de Madrid, un lieu emblématique prisé par les touristes qui s’y prennent en photo ou par les Espagnols qui ont l’habitude de s’y promener. Sur le côté, se dresse un grand bâtiment, qui surplombe la place : il s’agit du siège du gouvernement régional de Madrid. Aujourd’hui, les nombreux touristes qui passent devant ne connaissent pas la fonction bien différente que ce lieu avait sous le franquisme. Il faut dire qu’aucune plaque commémorative n’a été apposée sur la façade.

endant la dictature de Franco (1939-1975), c’était le siège de la Direction générale de la sécurité (DGS), l’un des principaux centres de détention et de torture par lequel sont passés de nombreux opposants politiques.

Antonio González Pacheco, tortionnaire visé par neuf plaintes de victimes

Jesús Rodríguez Barrio est l’une des nombreuses victimes à avoir été torturée dans ce bâtiment. Il a été arrêté trois fois exactement dans les années 70 : en 1972, il avait alors 18 ans, en 1974 et en 1975. Cette année-là, ce militant de la Ligue communiste révolutionnaire croise le chemin d’un policier franquiste, Antonio González Pacheco, surnommé Billy el Niño, pour l’habitude qu’il avait de manier l’arme comme un cow-boy.

 » Le 16 avril 1975, j’étais sur le point d’entrer dans la maison où j’étais invité. A ce moment, un groupe de policiers qui m’attendait caché s’est jeté sur moi. J’ai été conduit à la Direction générale de la sécurité puis aux interrogatoires, où m’attendaient plusieurs policiers. L’un d’entre eux était le célèbre Antonio González Pacheco. J’étais à peine entré dans la salle d’interrogatoire, et sans me dire un mot, il me donna un gros coup dans les parties génitales : j’étais plié en deux, tellement j’avais mal. Il a continué à me frapper. Et après tous ces coups, il a commencé à me poser des questions « . Jesús Rodríguez Barrio

Jesús Rodríguez Barrio a été torturé pendant trois jours dans ce centre de détention. Enfermé dans une cellule au sous-sol, entre deux interrogatoires, il entendait le bruit des pas des gens qui se promenaient Puerta del Sol, à travers une petite fenêtre « où n’entrait pas la lumière, seulement un peu d’air ». « Les gens passaient en riant, sans savoir ce qu’il y avait en dessous. Toi, tu étais juste sous leurs pieds et tu te disais : ces personnes qui se promènent n’ont aucune idée de ce qui se passe en dessous. Les gens ignoraient complètement l’horreur qu’il y avait dans ces trous, dans ces sous-sols », raconte aujourd’hui ce professeur d’économie à la retraite. Jesús Rodríguez Barrio s’apprête à porter plainte devant la justice espagnole contre son tortionnaire : « un homme qui savourait les moments où il nous torturait. Son objectif était d’humilier et de détruire moralement les personnes qu’il interrogeait ».
Rosa García Alcón a porté plainte au mois de mars contre son tortionnaire, Antonio González Pacheco​.

Rosa García Alcón, elle, a déjà porté plainte contre ce même tortionnaire, au mois de mars. Elle aussi a été torturée dans ce centre de détention, à Madrid. C’était en août 1975, avant d’être conduite à la prison pour femmes de Yeserías de Madrid jusqu’en décembre, pour appartenance à une organisation illégale : la Fédération Universitaire Démocratique Espagnole (FUDE), une organisation étudiante qui appartenait au FRAP.

 » J’étais à peine arrivée à la DGS qu’Antonio González Pacheco m’a donné des coups de poings dans le visage, sur le corps, des coups. Je tombais et il me relevait en m’attrapant par les cheveux, je les avais longs à l’époque. Il me donnait des coups de pieds. […] Deux fois, ils m’ont emmenée en voiture pour trouver une de nos planques … mais nous n’en avions pas. En chemin, ils me disaient qu’ils allaient m’emmener dans un grand parc de Madrid, qui s’appelle Casa de Campo, qu’ils allaient me violer et que mes parents ne sauraient jamais où j’étais. C’était ce genre de menaces en continu « .
Rosa García Alcón

Aujourd’hui, Antonio González Pacheco est visé par neuf plaintes de victimes, pour crimes contre l’humanité à Madrid. D’autres victimes s’apprête à porter plainte contre lui. Toutes les victimes sont membres de l’association La Comuna, une association créée en 2011 pour venir en aide aux victimes de la fin du franquisme. Il existe déjà de nombreuses associations de victimes, dite de mémoire historique, mais la plupart était composée de proches de victimes disparues au moment de la Guerre civile (1936-1939). Leur travail portait plus sur la recherche des corps de ces victimes, souvent jetées dans des fosses communes. Il y avait donc comme un « vide associatif », qu’a voulu combler La Comuna en accompagnant les victimes, encore vivantes, dans un combat judiciaire que n’avaient pas forcément entrepris les autres associations de victimes.

De Madrid à Oviedo, un mouvement « juridique » qui s’étend à toute l’Espagne

Les neuf premières plaintes de victimes de torture ont été déposées à Madrid, où vit aujourd’hui le tortionnaire Antonio González Pacheco. Mais ce qui ressemble aujourd’hui à un mouvement « juridique » est en train de s’étendre à d’autres villes espagnoles. Au mois de mai, trois autres victimes, résidant à Oviedo dans les Asturies, ont porté plainte pour torture contre Pascual Honrado de la Fuente. Vicente Gutiérrez Solís, 85 ans, est l’une de ces trois victimes.

Ce militant du Parti communiste a été arrêté et torturé plusieurs fois dans les années 60. « Ils me frappaient dans le dos, il y avait aussi les coups de poings qu’ils te donnaient dans l’estomac. Tous les coups qu’ils te mettaient, ça t’anéantissait », confie aujourd’hui ce mineur à la retraite, dans son appartement à El Entrego, un petit village situé à une trentaine de minutes d’Oviedo. Comme Antonio González Pacheco à Madrid, Pascual Honrado de la Fuente est toujours vivant et peut croiser ses victimes dans Oviedo. « Pascual, je l’ai croisé après dans les années 80, avec un autre policier devant le local du parti communiste. Quand je les ai vus, je suis allé les voir et je leur ai dit que c’était lamentable de rencontrer encore ces tortionnaires dans la rue, que c’était une honte qu’ils aient poursuivi les gens quand ils manifestaient ou quand ils luttaient pour les libertés démocratiques. Il ne m’a pas répondu ! Cela me fait mal de devoir me rappeler que ces policiers se promènent encore par ici et qu’on ne les ait pas sanctionner comme ils le méritent », s’emporte le vieil homme moustachu.

Sa plainte, comme celles des deux autres victimes d’Oviedo, a été rejetée en première instance. Il a fait appel et est prêt à poursuivre son combat judiciaire. « Tant que j’ai de l’énergie, que je suis en bonne santé, je continuerai à exiger que ce type de personnes soit jugé comme il se doit et qu’ils paient pour ce qu’ils ont fait. Nous allons continuer à nous battre jusqu’au dernier moment », affirme Vicente Gutiérrez Solís. Il marque une pause : « pour leur rappeler que nous sommes toujours là ».

La plainte argentine

L’année choisie pour créer l’association de victimes La Comuna n’est pas due au hasard. En 2010, le juge Baltasar Garzón est suspendu de ses fonctions au sein de l’Audience nationale, la plus haute juridiction pénale espagnole pour avoir enquêté sur les crimes du franquisme. Deux ans après, celui qui a provoqué l’arrestation du dictateur chilien Augusto Pinochet est définitivement écarté.

Dans une résolution du 28 mars 2012, la Cour suprême espagnole se prononce définitivement contre l’ouverture d’enquête sur les crimes du franquisme. Depuis, plus aucun juge n’a suivi l’exemple du juge Garzón. La plupart des plaintes des victimes du franquisme, comme celle de Rosa García Alcón, ont été rejetées en première instance par les tribunaux espagnols.

« De mon point de vue, abandonner les victimes du franquisme, comme cela a été le cas jusqu’à aujourd’hui, c’est un manquement aux devoirs d’un Etat de droit, un manquement aux obligations d’un juge. Malheureusement, la position de la justice est à l’opposé de cette idée. J’étais conscient des risques que je prenais et des conséquences que cela pouvait engendrer, mais je ne pouvais pas poursuivre des crimes contre l’humanité, génocides, des actes de torture, commis sous la dictature argentine et chilienne, je ne pouvais pas me contenter d’avoir arrêté Pinochet à Londres et dire qu’ici il ne s’était rien passé, quand j’ai eu l’opportunité d’enquêter sur des crimes similaires en Espagne. Si, il s’est passé quelque chose. Et il y a aujourd’hui une impunité sur laquelle s’accordent toutes les institutions, tous les partis au pouvoir de gauche comme de droite « .
Baltasar Garzón, ex-juge de l’Audience nationale

La notion de crimes contre l’humanité, rejetée par la justice espagnole

Dès 2010, plusieurs victimes, voyant que les voies judiciaires sont bloquées en Espagne, portent plainte devant un tribunal argentin pour crimes contre l’humanité au nom du principe de la justice universelle. C’est un dispositif juridique qui permet à un Etat de poursuivre les auteurs de crimes contre l’humanité, quel que soit le lieu ou le crime qui a été commis, sans prendre en compte la nationalité de l’auteur ou des victimes. Pour constituer leur plainte, les victimes ont besoin d’associations pour les orienter vers des avocats, les appuyer dans leur travail de recherches de documents. C’est là qu’intervient La Comuna, qui permet à de nombreuses victimes, comme Jesús Rodríguez Barrio et Rosa García Alcón, de porter plainte en Argentine.

La juge argentine, María Servini de Cubría, se saisit de l’affaire et demande l’extradition de plusieurs criminels franquistes, dont Antonio González Pacheco. En 2014, le gouvernement espagnol a refusé d’extrader ces criminels franquistes, au motif qu’il ne s’agit pas de crimes contre l’humanité.

L’ouverture de procès contre des tortionnaires franquistes est en fait conditionnée par cette notion de droit. Les actes de torture qu’ont subis ces opposants politiques dans les années 70 peuvent-ils être considérés comme étant des crimes contre l’humanité ? Pour que cela soit le cas, il faut que ces actes « ne soient pas isolés mais qu’ils aient été commis dans le cadre d’un plan généralisé et systématique de la part des autorités », comme le rappelle Javier Chinchón, professeur de droit international à l’Université Complutense de Madrid. En rejetant la notion de crimes contre l’humanité par rapport à ces actes de torture, la justice espagnole considère donc qu’il s’agit d’actes isolés. Et les actes de torture, même s’ils sont prouvés, sont prescrits au bout de dix ans. « Selon l’interprétation de certains tribunaux, ce n’était pas commun de la part des autorités franquistes de torturer systématiquement les prisonniers. La réalité, que nous connaissons, est tout autre : la torture était généralisée et c’est pour cela qu’il n’y avait aucune conséquence judiciaire. C’était une politique mise en place par l’Etat qui visait des opposants politiques ou d’autre catégories de personnes », détaille le professeur de droit international, membre de Rights International Spain.

Réforme de la loi d’Amnistie ou de mémoire historique ?

La loi d’Amnistie, votée en 1977 au moment de la transition démocratique, fait encore aujourd’hui l’objet de débat en Espagne.

Selon certains avocats ou certaines victimes, elle représente l’obstacle principal à l’ouverture de procès contre des criminels franquistes. Deux ans après la mort de Franco, cette loi a été votée par la plupart des partis, de gauche comme de droite. Elle a notamment permis de faire sortir l’ensemble des prisonniers politiques des geôles franquistes. Au moment de voter cette loi, la plupart des partis de gauche, comme le Parti communiste, ne se doutaient pas qu’elle deviendrait le motif invoqué par certains tribunaux pour rejeter les plaintes d’anciens opposants politiques.

Des projets de réforme ont donc vu le jour afin de modifier cette loi et d’empêcher les tribunaux d’en faire une interprétation erronée. Le 20 mars dernier, la proposition de réforme de la loi d’Amnistie a été rejetée par les principaux partis de droite, le Partido Popular et Ciudadanos, mais également par le PSOE, le Parti socialiste.

Le sujet est sensible politiquement, car cette loi représente un des symboles de la transition démocratique.

Aujourd’hui, le gouvernement du socialiste Pedro Sánchez préfère réformer la loi de mémoire historique. Cette loi a été votée en 2007, sous un autre gouvernement socialiste, celui de José Luis Rodríguez Zapatero. Bien qu’elle soit considérée comme étant un premier pas en faveur des droits des victimes, les associations ou encore certains avocats la jugent insuffisante. La loi de Mémoire historique devait permettre de retirer les symboles franquistes dans les rues, comme les statues ou le nom des rues. Elle devait également permettre la réouverture de fosses communes, où ont été jetés les corps de centaines de milliers de victimes – l’Espagne est derrière le Cambodge, le pays qui possède le plus de fosses communes.
Nomination d’un directeur général pour la mémoire historique au sein du gouvernement

Le gouvernement actuel a aussi pour la première fois créé une direction générale pour la mémoire historique. « Cela souligne la sensibilité de Pedro Sánchez sur ces questions », affirme Fernando Martínez López, qui occupe ce poste au sein du ministère de la Justice.

Fernando Martínez López va être chargé de présenter la nouvelle réforme de la loi de mémoire historique. Une première version avait déjà été présentée en décembre 2017, par le parti socialiste, à laquelle avait d’ailleurs participé Baltasar Garzón et sa fondation FIBGAR qui oeuvre en faveur des droits de l’homme. Le nouveau directeur général de la mémoire historique le reconnaît, la loi de Mémoire historique est « insuffisante », mais elle « pose les bases de la récupération de la dignité des victimes du franquisme et de la Guerre civile ». « Ce que nous envisageons avec la réforme de la loi de Mémoire historique, celle que nous allons présenter aux députés devant le congrès espagnol, ce sont toutes les mesures qui rendent possible une réparation intégrale en termes de vérité, de justice et de garanties de non-répétition. Nous avons travaillé en profondeur sur tous les aspects soulevés par les organismes nationaux et internationaux et humanitaires, par les associations de mémoire historique, sur toutes les insuffisances qui existaient pour faire en sorte qu’une fois pour toutes, nous puissions résoudre ces problèmes et respecter le droit des victimes de la guerre civile et du franquisme », détaille Fernando Martínez López, dans un des bureaux du ministère de la Justice.

Reste maintenant à faire voter cette réforme par les députés du Congrès, l’équivalent de l’Assemblée nationale en France. Le PSOE dispose de 85 sièges, loin de la majorité absolue : 176 voix sont nécessaires pour faire voter un texte. Le parti socialiste devra donc convaincre d’autres partis de gauche comme Unidos Podemos, afin d’atteindre cette majorité. Les principaux partis de droite, le Partido Popular et Ciudadanos, devraient eux voter contre cette réforme, comme ils l’ont fait sur des textes similaires. Le 13 septembre, lors d’un vote au Congrès, ces deux partis se sont par exemple opposés à l’exhumation des restes de Franco de son mausolée, situé dans ce qu’on appelle El Valle de los Caídos, à une cinquante de kilomètres de Madrid.

Le 13 septembre, les députés espagnols ont voté pour l’exhumation des restes de Franco, de son mausolée situé près de Madrid, dans ce qu’on appelle El Valle de Los Caídos.

« Rouvrir les blessures du passé »

Le Partido Popular a gouverné l’Espagne de 2011 à 2018, sous la houlette du chef de gouvernement Mariano Rajoy. Deux mandats – le deuxième a été écourté, après le dépôt d’une motion de censure à l’encontre de Mariano Rajoy – marqués par un retour en arrière, selon les victimes du franquisme. Les victimes dénoncent notamment le fait qu’aucun fonds public n’ait été versé par le gouvernement pour rouvrir certaines fosses communes, comme l’exigeait la loi de Mémoire historique.

La position du Partido Popular a toujours été la même, depuis la création du parti. Le parti est surtout héritier de l’Alliance populaire, fondé par Manuel Fraga, un ancien ministre de Franco. Aujourd’hui, encore, les députés conservateurs refusent de légiférer en faveur des victimes du franquisme. « Pour nous, c’est une question qui est résolue depuis longtemps en Espagne. Les députés s’étaient déjà prononcés de façon très claire sur la guerre civile, sur la dictature dans une résolution que la commission constitutionnelle a approuvée en 2002. Donc notre position sur ce sujet, c’est que les Espagnols ont d’autres priorités, ils s’intéressent à leur présent et à leur futur », affirme Francisco Martínez Vázquez, député du Partido Popular de Madrid, porte-parole de la commission constitutionnelle du Congrès.

« Le gouvernement et les parlementaires doivent travailler sur ces questions pour assurer le futur des prochaines générations et ne doivent pas rouvrir les histoires d’affrontement très tristes entre les Espagnols, qui appartiennent au passé. Pour nous, l’Espagne a vécu une transition exemplaire, une transition qui a permis de passer d’un régime qui n’était pas démocratique, un régime autocratique : c’était une dictature et nous n’avons aucun problème à le dire. Personne au parti Populaire ne défend, absolument personne, la dictature. Nous l’avons toujours dit de façon très claire lors des sessions parlementaires. Nous pensons qu’il faut défendre cette transition, commémorer les 40 ans de notre Constitution, célébrer ce qui a été fait pour réconcilier les Espagnols et construire notre présent et notre futur  » – Francisco Martínez Vázquez, député du Partido Popular de Madrid.

La loi sur la mémoire démocratique et l’infamie de la division des victimes en première et deuxième classe

Le texte ci-dessous est celui de la lettre ouverte adressée par l’ami Octavio Alberola à deux membres du gouvernement dit de « coalition progressiste » au sujet des victimes de la répression franquiste.

Comme l’a annoncé le nouveau ministre de la Présidence, des Relations avec le Parlement et de la Mémoire démocratique, Félix Bolaños, dans une interview publiée le 18 juillet dans le journal El Pais, le Conseil des ministres a approuvé mardi 20 juillet l’avant-projet de loi sur la mémoire démocratique qui devait être approuvé lors du Conseil des ministres ayant suivi le remaniement du gouvernement.

Il faut donc supposer que, conformément à ce qui a été dit dans cette interview – en réponse à la question de savoir si on ne toucherait pas au texte « malgré les critiques » –, le projet de loi sur la mémoire démocratique approuvé n’a pas été modifié et, par conséquent, cette loi – « nous allons la présenter aux Cortes et là elle pourra être modifiée par des amendements » – continue à maintenir l’infamie de la division des victimes de la répression franquiste en victimes de première et de seconde classe.

Craignant que ce soit le cas et ignorant ce que le Conseil des ministres du mardi 20 juillet allait faire, j’ai envoyé trois jours avant cette lettre ouverte, que je reproduis ci-dessous :

Lettre ouverte à Yolanda Díaz* et Irene Montero* :

L’ « égalité » et la loi sur la mémoire démocratique.

Les raisons de cette « lettre ouverte » sont les suivantes :

Comme vous le savez, le remaniement de l’Exécutif et la nomination de Félix Baños comme nouveau ministre de la Présidence, des Relations avec le Parlement et de la Mémoire démocratique ont empêché – selon la presse – le Conseil des ministres d’approuver l’avant-projet de loi sur la Mémoire démocratique le mardi 13 juin (1). Le même texte que celui approuvé par le Conseil des ministres en septembre 2020, bien que modifié et élargi sur certains points suite aux protestations et réclamations des groupes mémorialistes. Un texte que ces groupes continuent de considérer comme insuffisant et indigne, malgré ces modifications et extensions. Non seulement parce qu’il ne correspond pas aux normes internationales en matière de droits humains, mais aussi parce qu’il maintient l’infamie (article 10 de la loi de 2007) de la division des victimes de la répression franquiste en deux catégories.

Une infamie, la division des victimes de la répression franquiste en fonction de la date de leur exécution, ce qui implique de ne pas les reconnaître ni de les indemniser toutes de la même manière, et d’accepter qu’il y ait des victimes de première et de seconde classe par le fait d’avoir été exécutées après ou avant 1968. Une date arbitraire, choisie et fixée par les rédacteurs de la loi de 2007 sans autre « justification » que celle des « circonstances exceptionnelles » et sans expliquer pourquoi c’est à partir de 1968 que les « circonstances » deviennent « exceptionnelles » seulement pour les victimes de la répression franquiste exécutées ; car cette division arbitraire n’existe pas pour la réparation envers ceux qui ont été emprisonnés pendant le régime franquiste. Comment justifier une division si arbitraire dans un cas et pas dans l’autre ? De plus, tant dans la loi de 2007 que dans les projets de loi visant à la réformer, les victimes de la répression franquiste ont toujours été incluses dans une définition unique, sans aucune référence à cette date et aux « circonstances exceptionnelles ». Comme c’est le cas aujourd’hui, avec le nouveau texte, dans lequel ses rédacteurs consacrent un long article à la définition des victimes du coup d’État de 1936, de la guerre civile qui a suivi et de la dictature, pour souligner que sont victimes toutes les personnes qui ont subi la répression franquiste.

Vous savez également que, pour réformer la loi sur la mémoire historique de 2007, le groupe parlementaire socialiste a présenté en décembre 2017 au Congrès des députés une « Proposition de loi sur la mémoire historique et démocratique » qui maintenait cet infâme article 10, et que le groupe parlementaire Unidas Podemos a présenté le 13 juillet 2018 une proposition de loi – elle aussi pour réformer cette loi de 2007 – avec un article (article 32) qui mettait fin à cette infâme discrimination et rétablissait l’égalité entre les victimes de la répression franquiste, en établissant une réparation unique pour « toutes les personnes bénéficiaires de ceux qui sont morts ou ont subi des blessures invalidantes dues à la répression franquiste dans leur lutte contre la dictature jusqu’au 15 octobre 1977 » (2).Retour ligne automatique
Eh bien, le fait est que plus de trois ans se sont écoulés depuis lors et près d’un an depuis la présentation de l’avant-projet de loi sur la mémoire démocratique par le gouvernement de « coalition progressiste », dont vous êtes membres, et que l’avant-projet – qui devait être approuvé par le Conseil des ministres du mardi 13 juin – maintient toujours l’infamie de l’article 10 de la loi de 2007, bien que cet article n’apparaisse pas littéralement dans ledit texte et que le secrétaire d’État à la Mémoire démocratique, Fernando Martinez, prétende – sur la base de la rédaction maquillée et ambiguë de ce texte – qu’« il existe une autre lecture de l’avant-projet » qui efface cette infamie.

En effet, cet avant-projet entretient cette infamie car la disparition dans le nouveau texte de cet article (qui figurait bien dans la proposition de nouvelle loi « sur la mémoire historique et démocratique » du PSOE de décembre 2017) ne signifie pas qu’il n’est plus en vigueur, puisque dans la nouvelle loi – qui est composée de cinq titres « structurés autour du protagonisme et de la réparation intégrale des victimes… » – le chapitre III (du titre I, « sur les victimes »), qui « se réfère à la réparation », indique littéralement que, « avec les mesures qui ont été déployées depuis la Transition, et qui demeurent dans le système juridique, des actions spécifiques sont incorporées… ». Ainsi donc, l’article 10 – qui fait partie des mesures déployées depuis la Transition – reste dans la mise en ordre juridique, tout comme l’infamie de ne pas considérer et accorder des réparations de manière égale à toutes les « victimes de la guerre et de la dictature ». Une discrimination qui ne fait qu’ajouter une peine injuste et douloureuse à celle déjà infligée par le criminel régime franquiste à ceux qui ont donné leur vie pour les libertés aujourd’hui constitutionnelles.

La poursuite d’une telle infamie est une indignité que Unidas Podemos ne doit pas assumer. Non seulement par dignité mais aussi par cohérence avec la proposition de loi présentée par ce groupe le 13 juillet 2018. Car il est évident que ce n’est que si la nouvelle loi considère et indemnise toutes les victimes de manière égale que l’égalité de toutes les victimes de la répression franquiste deviendra réelle et sera rétablie dans le système juridique.Retour ligne automatique
Le rétablissement de cette égalité devrait donc être une priorité pour le gouvernement de « coalition progressiste ». Et plus encore pour la nouvelle deuxième vice-présidente du gouvernement, qui vient de déclarer à la presse que « ce gouvernement doit être celui du redressement, mais aussi le gouvernement de l’égalité », et pour la responsable d’un ministère dont le titre est ministère de l’Egalité

Octavio Alberola

(17 juillet 2021)

* Yolanda Díaz est une élue du Parti communiste espagnol et Irene Montero de Podemos.