Archives de catégorie : Témoignages et récits
Les migrants d’hier et ceux de nos jours
Ce que nos parents ou nos proches ont vécu en 1939 en s’exilant, non par plaisir, mais pour fuir la dictature, cela se reproduit, hélas encore de nos jours. Ce documentaire le montre parfaitement.
Et que dire de ce Gouvernement qui a décidé de ne pas envoyer les courriers qui étaient destinés aux familles éparpillées ? Combien n’ont pas pu retrouver les leurs ?
Mémoires croisées
Mémoires croisées : quand une fille de SS et une petite-fille de Franquiste se rencontrent pour partager leurs histoires
Barbara Brix et Loreto Urraca portent toutes les deux une lourde histoire de famille : l’une est fille de SS, l’autre petite-fille de Franquiste. Dans une rencontre ouverte au public, organisée par une librairie de Port-Vendre, elles ont pu partager et croiser leurs vécus.
Transmettre la mémoire, l’histoire de leur famille, pour mieux s’en détacher. Barbara Brix est fille d’un SS, Loreto Urraca petite-fille d’un Franquiste. Toutes les deux ont découvert le lourd passé de leur famille après la mort de leurs aïeux ; elles étaient réunies à Port-Vendre, dans une rencontre ouverte au public organisée par la librairie Oxymore, afin de partager leurs histoires.
Pour Barbara, ancienne professeure de langues et d’histoire, la révélation est venue d’un ami, archiviste et historien. Le père de cette Allemande, maintenant installée à Perpignan, est décédé en 1980. Des années après, en 2006, son ami lui rend visite, et lui demande brusquement : « Barbara, savais-tu que ton père a fait partie des Einsatzgruppen ? »
« Le choc de ma vie »
« D’abord, ça a été le choc de ma vie, se souvient Barbara Brix. Et en même temps, c’était bizarre mais j’avais aussi comme un sentiment de soulagement. Car je me suis rendu compte que pendant les dernières années, j’avais le sentiment qu’il y avait quelque chose de faux dans le narratif familial, on ne parlait presque pas de la guerre. Il y avait un soupçon en moi. »
Le choc de la révélation passé, l’ancienne professeure se met immédiatement à faire des recherches sur le passé de son père, le médecin Peter Kröger. Elle sait qu’il avait été sur le front russe pendant la Seconde Guerre mondiale ; elle découvre vite qu’il s’est porté volontaire, dès septembre 1939, pour faire partie des SS allemands. Il part même avec les Einsatzgruppen, les unités d’extermination du IIIe Reich, et participe à l’invasion de l’Ukraine en 1941.
J’ai mené des recherches pour me confronter à cette terrible vérité. Avant, je n’aurais jamais pu imaginer que mon père soit présent dans un acte d’extermination.
Barbara Brix, fille d’un SS
France 3 Occitanie
« J’ai trouvé un document qui date du procès contre les Einsatzgruppen. Un commandant interrogé racontait qu’à Lviv, il avait reçu l’ordre de fusiller, avec son commando, une centaine de personnes juives, rapporte Barbara Brix. Ce commandant dit qu’il y avait invité le médecin, mon père, pour garantir par sa présence que ça se passe de manière « clean ». Là, j’ai eu la première preuve. »
Barbara découvre ensuite que son père était probablement présent, avec son commando des Einsatzgruppen C, lors du massacre de Babi Yar, à Kiev, en septembre 1941. La Shoah par balle y avait fait 33 771 victimes parmi la population juive.
Mémoire traumatique
Ses recherches ont permis à Barbara Brix de se détacher de l’histoire de son père, en parler permet d’extérioriser cette mémoire traumatique. Loreto Urraca a vécu la même chose avec l’histoire de son grand-père paternel, policier en Espagne pendant la Seconde Guerre mondiale, en réalité « chasseur de Rouges », ces républicains qui avaient fui l’Espagne franquiste.
C’est en lisant le résumé d’une thèse, justement intitulé « Chasseur de Rouges » et paru dans la presse, que Loreto tombe sur la photo et le nom de son grand-père, à sa « grande surprise ». Elle apprend dans ce résumé que son aïeul, en tant que policier, était chargé « de localiser où étaient les plus hauts responsables de la République, pour les capturer et les rapatrier en Espagne. Certains ont été exécutés », résume cette Espagnole, maintenant installée en France.
Quand je lis l’article, j’ai un fort sentiment de honte. La honte de me savoir petite-fille d’un bourreau tortionnaire, capable d’attraper des personnes en sachant qu’elles allaient être exécutées.
Loreto Urraca, petite-fille de Franquiste
France 3 Occitanie
En 2008, au moment de sa découverte, son grand-père est mort depuis longtemps, en 1989, et elle n’entretient que peu de liens avec sa famille paternelle. Pourtant, Loreto Urraca ne se lance pas tout de suite, comme l’avait fait Barbara Brix, dans la recherche de vérité. « Je n’ai pas su assumer à ce moment-là. Je ressentais plus de la rage, parce que ce nom de famille n’est pas très commun en Espagne, et quelqu’un pouvait faire un lien très facilement entre ce bourreau et moi-même. »
Ce lien, une journaliste le fait, « quelque temps plus tard », en demandant à Loreto de participer à un reportage. « Elle me donnait la possibilité de donner mon impression, c’était mon premier acte de dénonciation publique. J’ai ressenti le besoin de défier ce tortionnaire. »
« Chasseur de Rouges » et agent nazi
Cet événement sert de déclencheur, et Loreto Urraca se met à consulter une série d’archives pour en apprendre plus. Elle découvre peu à peu « une deuxième facette de [son] grand-père : il n’était pas seulement un « chasseur de Rouges », mais aussi un agent nazi. » Pedro Urraca est soupçonné, notamment, d’avoir facilité la capture de Jean Moulin par les nazis. En 1948, il est d’ailleurs condamné en France à la peine de mort par contumace.
Durant ses recherches, Loreto Urraca se rend aussi compte que le sujet de l’exil républicain et de l’implication de l’Espagne dans la Seconde Guerre mondiale n’est que très peu abordé dans le pays. « Ce qui était terrible pour moi, c’est qu’on aurait dit que j’étais la seule à faire des recherches. C’est un parcours solitaire, ingrat. »
Je ne ressentais pas de la culpabilité, mais de la responsabilité : je devais donner une valeur à toutes les informations que j’avais, c’était mon seul moyen de réparer, à ma façon, tout le malheur.
Loreto Urraca, petite-fille de Franquiste
France 3 Occitanie
Loreto se lance alors dans l’écriture d’un roman, mêlant l’histoire à la fiction, pour finaliser le « trajet de dé-filiation » avec son grand-père paternel. Comme des hyènes, Portrait de famille sur fond de guerre paraît en décembre 2023. Une véritable volonté de transmettre, pour celle qui n’avait « jamais eu de transmission de mémoire » dans sa famille.
LE 9 FEVRIER 1939, MANUEL et VICTORIA FOULENT LE SOL FRANÇAIS
Chaque 9 Février, mon père s’asseyait au bout de la table. Entouré de leurs enfants Manuel et Victoria racontaient inlassablement leur arrivée en France, avec leurs voix couvertes d’émotion. Après nous avoir expliqué leurs départs de leurs villages et leurs combats difficiles pendant la guerre, ils avancent pas à pas vers ce pays inconnu qu’ils ont décidé d’atteindre pour essayer de vivre une vie meilleure et en paix.
Le 5 Février 1939, Manuel et Victoria, commencent leur exode… ils marchent vers l’inconnu…. La France……
Le 5 février 1939, ayant quitté son village andalou pour combattre le franquisme, laissant famille et amis, Manuel avec pour seul bagage une vieille couverture usée sur le dos, prenait la route de la France.
De son côté, Victoria avec ses parents et sa sœur, partait de Barcelone et prenait elle aussi, la route de la France.
Pour l’un comme l’autre, c’était des moments difficiles, partant vers l’inconnu, un pays où ils ne connaissaient personne avec aucun rudiment de la langue, pour construire quoi, où et comment…..
Le 6 Février 1939, après quelques heures de repos, couchés dans les fossés ou sur l’herbe, enveloppés de leur couverture, ils poursuivent leur route. C’est difficile de mettre un pas devant l’autre, quand on a mal dormi, quand on sait que dans la poche il reste le dernier petit morceau de pain durcit par le froid, mais malgré l’inconnu au bout du chemin, il y a l’espoir d’une vie en paix. Alors on marche regardant devant soi….
Le 7 Février 1939, le froid est là, la faim tenaille, mais il faut poursuivre….. Au bout du chemin une longue file avance lentement. On rejoint le convoi…… A pas lents on rentre dans la file. On avance moins vite ….. On aide à relever les personnes âgées. Les maigres bagages sont de plus en plus lourds. Les enfants pleurent ….. Les visages sont tristes, le regard lointain, mais on avance….
Le 8 Février 1939, Ils poursuivent leur route. La file interminable s’épaissit…. Les pas se font plus lents, les maigres fardeaux plus lourds…. Des vieillards, des enfants jonchent le sol, ne pouvant plus faire un pas….. La file s’épaissit.
Ils piétinent, on arrive…. Ils s’entassent et l’attente est longue……. Debout, assis sur les bagages, les enfants dans les bras, entassés les uns sur les autres, ils attendent dans le froid, la faim et la peur au ventre du lendemain….
On est arrivé…. Va-t-on la passer cette frontière…….. On avance lentement …..
Le 9 Février 1939, depuis la veille on piétine plus que l’on avance…. Beaucoup de monde devant, beaucoup de monde derrière…. On essaie de se reposer, de dormir, mais c’est difficile …. Vers trois heures du matin ne pouvant plus dormir et la peur de l’inconnu nouant les tripes Manuel avance, avance à pas lent. Il se retourne lentement jetant un dernier regard, laissant derrière lui famille, amis, pays…..
Il suit le mouvement et tout d’un coup « ALLEZ, ALLEZ » Ce sont les premiers mots français qu’il entend, crié par des gendarmes, des militaires, des gardes-chiourme avec des fouets. Il était 5 heures du matin.
Sur le visage de certains français, il lisait la peur, la crainte, la haine de voir arriver ces espagnols « rouges » par milliers.
Pendant ce temps, Victoria marchait avec les siens. Elle passa la frontière à 18 heures dans les conditions aussi difficiles que les précédents et suivants … On les a poussé tous les deux vers les plages d’Argelès-sur-Mer.
Ils passèrent leur première nuit, sur la plage, couchés dans des trous pour se protéger du vent….
Tout au long de leur cheminement vers Argelès sur Mer, ils ont rencontré aussi de nombreux soutiens de la part du « Secours Rouge » (aujourd’hui «Secours Populaire ») de communistes de la région, de syndicalistes, qui distribuaient des bols de soupe, donnaient un morceau de pain, rajoutaient des couvertures, des bonnets et des écharpes………..
Cette chaleur humaine mes parents ne l’ont jamais oubliée. Elle les a guidés tout au long de leur parcours jusqu’à leur mort. C’est aussi vrai pour ce qui me concerne.
C’est ainsi que chaque, le 9 Février 1939, mon père et ma mère, fêtaient à leur manière avec la famille, ce nouveau départ …
Fernande
Valentin Montané, une vie à la CNT espagnole en exil !
En 1929, il voit le jour dans un petit village (Ginesta de Ebro) baigné par l’Ebre. C’est sa patrie, l’endroit où il prend ses racines. De là, il va suivre sa famille au fil de l’histoire bondissante de l’Espagne. En février 1939, réfugié en France, , dans le Loiret, il nous conte en détail ce que fut son existence, sa conscience libertaire et son engagement de toute une vie dans la lutte anarco-syndicaliste. Au détour de son récit, il ne manque pas de rendre hommage aux habitants de Puiseaux qui ont accueillis sa famille à bras ouverts, parmi d’autres exilés, et les ont protégés tout au long de la guerre mondiale.
Pour lui, l’exil fut synonyme de sauvetage, de paix et de développement. Mais il n’a jamais cessé son engagement dans sa vie professionnelle et pour lutter contre la dictature franquiste en maintenant vivace son idéal à travers ses actes de militants de la CNT espagnole en exil.
Le camps de femmes de Rieucros et Michel del Castillo
« CES CAMPS FURENT TRÈS REPRÉSENTATIFS DU MERDIER FRANÇAIS »
Michel del Castillo
« Mon souvenir le plus fort, c’est l’obscurité. Enfant, cela vous terrifie. Il devait y avoir une ou deux ampoules de 25 watts pour toute la baraque. On arrivait au bout du monde, on ne savait plus où on était et, dans ce magma de femmes espagnoles dépenaillées, j’étais une crevure qui allait de pneumonie en pneumonie. Je ne bougeais plus, collé contre ma mère, je lisais des partitions de musique. Le froid, la faim, bien sûr, inutile d’en parler. J’allais surtout dans la baraque des Allemandes, les Espagnoles n’arrêtaient pas de se hurler dessus. L’enfermement concentre des gens qui n’ont rien en commun, socialement, politiquement. Ma mère est arrivée avec un beau manteau, très maquillée, on l’a regardée méchamment. Des femmes seules, confinées, sans contact avec les hommes, ne restent pas longtemps gentilles. Mais, chez les Allemandes, tout était propre, c’était des communistes cultivées, qui lisaient, écrivaient, dessinaient, me racontaient des histoires. J’avais besoin d’une loi, elles avaient cette discipline qui leur avait permis de tenir en Allemagne.
On avait été chassés d’Espagne en 1939 et on m’avait dit que la France était un pays où l’on mange bien, où l’on est poli. Le plus triste pour moi, c’est que mon père, qui nous avait dénoncés, était français. Je trouvais ça scandaleux, je n’arrêtais pas de répéter : je ne suis pas espagnol.
C’est à Rieucros que j’ai commencé à écrire. Des petits contes. L’un d’eux parlait d’un des sept nains qui avait très froid dans une baraque… Ils ont été affichés à l’exposition organisée à Mende par le maire : il était furieux contre ce camp, dont les habitants croyaient au départ qu’il ne renfermait que des droits communs et, pour les obliger à prendre en compte les détenues, il avait exposé des objets qu’elles avaient fabriqués. Certaines prisonnières sont venues à Mende, les Français les regardaient, ils étaient gentils, ils essayaient de comprendre. Le dimanche, ils venaient se promener autour du camp, le vallon de Rieucros ayant toujours été un lieu de villégiature. Certaines détenues se livraient à la prostitution, derrière le camp.
Ces camps furent très représentatifs du merdier français. Cela aurait pu être bien pire : on aurait pu être livré, battu, tué. Moi-même, je pouvais aller à l’école à Mende. On pataugeait dans l’improvisation, on nous laissait avoir froid, avoir faim, un climat étrange où se mêlaient la débâcle, la peur de l’étranger et une gentillesse foncière. Quelque chose de bizarre, d’un peu merdique. «
Des frontières et des femmes, de Manuela Parra
Manuela Parra organise chaque année les journées de rencontres franco-espagnoles de Montpellier. Aujourd’hui, elle vient nous parler de son ouvrage, Des Frontières et des Femmes.
« Françaisespagnole », voilà comment se définit Manuela Parra.
Dans son ouvrage Des frontières et des femmes, Manuela transcrit les récits d’exils de femmes qu’elle a rencontrée. Ces récits sont ponctués d’illustrations et de poèmes.
El abismo del olvido – L’abîme de l’oubli
« L’oubli est l’abîme qui sépare la vie de la mort. »
Le peuple espagnol n’en finit pas de récupérer la mémoire historique de la guerre civile et de solder les comptes avec son passé tragique. Ainsi, près de 85 ans après la fin de la guerre civile et après plus de quatre décennies de démocratie, le pays demeure jonché de centaines de fosses communes qui abritent des dizaines de milliers de restes d’êtres humains qui attendent de sortir, un jour peut être, de l’oubli auquel les avait condamné le régime franquiste.
Cette question douloureuse est le sujet du roman graphique El abismo del olvido, réalisé par Paco Roca et Rodrigo Terrasa. Originaires de Valence, les deux auteurs ne sont pas des inconnus en Espagne. Paco Roca s’est imposé depuis deux décennies comme l’un des meilleurs dessinateurs de romans graphiques de son pays, tandis que Rodrigo Terrasa est un journaliste chevronné qui travaille depuis 22 ans pour le grand quotidien espagnol El Mundo. C’est ce dernier qui est à l’origine du projet de ce roman graphique et qui en est le scénariste principal.
El abismo del olvido suit le combat obstiné de Pepica Celda pour récupérer les restes de son père, José Celda, agriculteur républicain fusillé en 1940 et enterré dans une fosse commune, dans le cimetière de Paterna. Située dans la province de Valence, Paterna abrite dans son cimetière 135 fosses communes où ont été enterrées plus de 2.200 personnes fusillées entre 1940 et 1945, victimes de la terrible répression franquiste de l’après la guerre civile. Le scénariste a donc fait un travail préalable de recherche historique, afin de coller le plus possible à la vérité des faits et des personnages.
Le roman graphique est divisé en une quinzaine de chapitres entrelaçant deux trames narratives : l’une située au début des années 40, au plus fort de la répression franquiste, l’autre basée en 2013, au moment de l’excavation de fosses communes dans le cimetière de Paterna. Cette structure narrative binaire permet un va-et-vient constant entre passé et présent qui est l’essence même du fonctionnement de la mémoire. Cela permet de suivre les péripéties et les enjeux de la course contre la montre entreprise contre l’oubli par Pepica Celda, afin de donner à son père une digne sépulture et ainsi, accomplir une promesse faite quand elle était enfant, quelque 70 ans plus tôt…
Outre celui de Pepica, les auteurs dessinent quelques autres beaux portraits. Celui de Leoncio Badía, le fossoyeur humaniste, occupe une place essentielle : républicain, il échappe de peu au peloton d’exécution et doit en échange exercer les fonctions de fossoyeur dans le cimetière de Paterna, chargé d’enterrer les fusillés dans les fosses communes. Pendant près de 5 ans, il accorde un soin particulier aux corps des défunts, laisse des traces dans l’espoir de leur identification future et aident les familles à faire leur deuil. Personnage hors du commun auquel les auteurs rendent ici justice. Celui de l’archéologue enceinte, symbolisant ainsi en sa personne le lien entre le passé, le présent et l’avenir, qui apporte le recours de la science archéologique et son engagement citoyen, deux éléments indispensables pour mener à bien cette entreprise de récupération de la mémoire. Enfin, comment ne pas mentionner le personnage collectif des femmes, mères, veuves et soeurs, toutes victimes mais courageuses et solidaires, empêchées pendant des décennies de faire leur deuil ?
Gilles Legroux https://clio-cr.clionautes.org/el-abismo-del-olvido-abime-de-loubli.html
El abismo el olvido est donc un roman graphique à la fois instructif et par moments poignant. Le soin particulier apporté à la documentation historique par le scénariste en fait une belle leçon d’histoire sur cette page sombre du passé de l’Espagne et permet également d’éclairer les enjeux politiques et culturels de cette question mémorielle. J’en recommande vivement la lecture à tous les hispanisants et hispanisantes qui s’intéressent à l’histoire contemporaine de l’Espagne.
Paco Roca, Rodrigo Terrasa
Bilbao, Astiberri Ediciones, 2023, 23,75€
Toulouse, ville rouge
En complément,lire : https://bellaciao.org/fr/Le-reseau-Ponzan-des-anarchistes-dans-la-guerre-secrete
Lire aussi : https://ariegeois.fr/benazet/
Les travailleurs esclaves des franquistes dans les Pyrénées navarraises : « Ils ont séché jusqu’à ce qu’ils meurent »
Plus de 2 000 prisonniers ont été contraints de travailler dans des conditions extrêmes à la construction de la route reliant les vallées de Roncal et de Salazar dans les Pyrénées. Leurs familles ont intenté la première action en justice pour travail forcé pendant la dictature
Les larmes aux yeux, Agurtzane se souvient du temps qu’il a fallu à son père, Rafael Gorroño, pour lui dire qu’il était un travailleur esclave sous Franco. C’était alors qu’elle était déjà adulte lors d’un voyage qu’ils avaient déjà fait à Roncal (Navarre). Mais cette fois, il lui a demandé s’ils pouvaient se rendre à Vidángoz, une ville située au cœur des Pyrénées navarraises, à environ 11 kilomètres de Roncal. « C’est à ce moment-là qu’il a commencé à nous dire qu’il était prisonnier et qu’il construisait une route. » L’histoire de Rafael est celle de milliers de prisonniers du régime franquiste qui ont été utilisés comme esclaves pour construire des infrastructures dans toute l’Espagne dans des conditions extrêmes et d’exploitation. Vendredi, une dizaine de familles ont déposé leur première plainte pour travail forcé pendant la dictature.
Quelque 15 000 prisonniers ont travaillé pendant les premières années de la dictature franquiste à la fortification de la frontière avec la France avec la construction de quatre routes, ainsi que de structures défensives telles que des bunkers qui ont été placés sur toute la longueur de la frontière. Pour ce faire, on utilisait des prisonniers du côté républicain qui se trouvaient dans des camps de concentration et qui étaient organisés en bataillons. La grande majorité d’entre eux étaient connus comme des « mécontents », des personnes qui ne soutenaient pas le nouveau régime franquiste, mais qui n’étaient pas accusées de crimes graves contre le régime et, sans être jugées, étaient utilisées pour ces tâches qui ont duré des années, comme le raconte l’historien et professeur à l’Université publique de Navarre Fernando Mendiola. qui est également l’auteur du livre « Esclaves du franquisme dans les Pyrénées », où il se plonge dans l’histoire des bataillons de travailleurs forcés pendant la dictature en Navarre.
C’est le cas de Juan Manuel Esteban Rico qui, après avoir combattu sur différents fronts, a été arrêté à Vic en décembre 1937. Après être passé par différentes prisons franquistes et le camp de concentration de Miranda de Ebro, il est transféré à Vidángoz en juillet 1940 pour travailler sur la route qui relie les vallées de Roncal et de Salazar dans les Pyrénées navarraises, l’Igal-Vidángoz-Roncal, longue de 17 kilomètres. « Mon père m’a dit qu’il avait de la chance ; d’abord, pour avoir été étiqueté comme mécontent lorsqu’il avait été lieutenant du côté républicain ; et plus tard, parce qu’il avait étudié l’ingénierie minière, il a été chargé de la conception de la caserne et de la garde des outils de travail », explique son fils Valentín.
Les conditions dans lesquelles ils travaillaient et vivaient étaient extrêmes et précaires, les pioches, les pelles et les marteaux étant le seul matériau pour broyer la pierre et construire les routes. En plus d’être privés de liberté – ils étaient constamment gardés par des soldats armés – ils avaient faim, avaient froid et dormaient entassés dans des baraquements et même des tentes en tissu au cœur des Pyrénées. « Des hommes grands et forts qui séchaient et séchaient jusqu’à ce qu’ils meurent », a expliqué José Barajas Galindo, l’un des prisonniers, dans une lettre à sa famille. Il a ajouté : « Parfois, le compagnon avec qui je dormais à côté, sur la même couchette, était vivant la nuit précédente et le matin, il se réveillait mort. »
« Ils avaient très faim, mon père m’a raconté comment les hommes de grande taille pesant plus de 90 kilos en quelques mois perdaient du poids jusqu’à tomber malades », raconte Valentín Esteban. « Ils venaient manger des tiges de chou bouillies et d’autres racines », ajoute Emilio Elizondo, gendre du prisonnier Rafael Gorroño. L’un des témoignages recueillis par l’historien Fernando Mendiola dans son livre est celui de Félix, un autre prisonnier, qui raconte : « D’en haut, nous avons regardé de la route du camp pour voir s’il y avait de la fumée ; S’il y en avait, nous savions qu’il y avait de la nourriture, et s’il n’y avait pas de fumée, un autre jour, nous savions que nous n’allions pas manger !
Ainsi, beaucoup d’entre eux sont morts de maladies telles que la tuberculose. D’autres ont tenté de s’échapper et ont été abattus. Bien qu’il n’y ait que treize décès enregistrés de travailleurs sur l’autoroute Igal-Vidángoz-Roncal, on pense qu’il y en a eu davantage.
Au-delà de la faim et du froid, les proches s’accordent à dire que l’une des principales causes de souffrance est l’incertitude dont ils ont souffert parce qu’ils ne savaient pas comment allait leur famille et combien de temps il leur faudrait pour les revoir. « La mère de Rafael avait également été prisonnière, elle avait été mise à la prison pour femmes de Saturraran, près d’Ondarroa (Biscaye). Elle y est emprisonnée jusqu’en 1940 et meurt quelques mois plus tard. Il ne pouvait pas lui parler, il ne pouvait pas lui dire au revoir », se lamente son gendre.
Les prisonniers ne savaient pas combien de temps ils allaient rester dans chaque endroit et, en fait, ils étaient émus par différentes œuvres. Juan Manuel Esteban Rico a ensuite été emmené dans la ville de Rentería, dans la province de Gipuzkoa, et, après avoir été libéré, il a été envoyé faire son service militaire à La Corogne.
« Ils n’ont ni cornes ni queues »
L’isolement auquel ils étaient soumis a également été très dur, selon leurs proches. Bien qu’ils vivent dans le village, les voisins les regardent d’abord avec méfiance en raison de la propagande franquiste. « La phrase la plus impressionnante que j’aie jamais entendue est celle d’un enfant demandant à sa mère si nous étions les ‘rouges’, ce à quoi la mère a répondu oui, et il a répondu : ‘Eh bien, ils n’ont ni cornes ni queue’ », a déclaré le prisonnier Adenso Dapena à l’historien Fernando Mendiola.
Au fil des mois, la confiance et la relation avec les voisins se sont accrues au point qu’ils ont reçu des vêtements et de la nourriture. « Mon père a demandé à ma mère par lettre de lui envoyer du savon pour qu’il le donne à une femme de Vidángoz qui lavait son linge », explique Valentín Esteban, qui ajoute que l’un des prisonniers a même épousé une fille du village, selon ce que son père lui a dit.
Après plusieurs années de prisonniers esclaves, ceux qui ont survécu et ont été libérés ont été « marqués » pour le reste de leur vie et beaucoup ont eu du mal à trouver du travail parce que leurs dossiers indiquaient qu’ils étaient « mécontents ». C’est pourquoi leurs familles demandent aujourd’hui justice et reconnaissance pour eux en tant que victimes de la dictature.
Memòria Repressió Franquista.
Blog d’en Jordi Grau i Gatell d’informació sobre les atrocitats del Franquisme….. « Les voix et les images du passé se mêlent à celles du présent pour éviter l’oubli. Mais ces voix et ces images servent aussi à nous rappeler la lâcheté de ceux qui n’ont rien fait lorsque des crimes atroces ont été commis, de ceux qui ont permis l’impunité des coupables et de ceux qui, aujourd’hui, continuent d’être indifférents à l’impuissance des victimes » (Baltasar Garzón)