Tous les articles par Eric Sionneau

« Verdad Justicia y Reparación »

Communiqué de Caminar

Les résultats des récentes élections municipales et autonomes en Espagne permettent aujourd’hui au PP allié à VOX de gouverner les plus grandes villes d’Espagne et l’essentiel des communautés autonomes.

Cela sera de nature à entraver la mise en œuvre de la récente loi de mémoire démocratique qui repose pour une part importante, notamment en matière éducative, sur les communautés autonomes.

En effet, dès la publication au BO du 20 octobre dernier de la Loi de Mémoire Démocratique, le nouveau chef de l’opposition, Núñez Feijóo, avait déclaré qu’elle était un hymne à « l’oubli démocratique » et s’était engagé à l’abroger dès son arrivée au gouvernement avec la complicité de son partenaire VOX qui, de son côté, la considérait comme un « révisionnisme historique plus typique des régimes totalitaires ».

Pedro Sanchez vient par ailleurs d’annoncer que des élections législatives anticipées se dérouleront le 23 juillet prochain.

Une des premières conséquences de la dissolution anticipée des Cortes est que la « Ley de bebés robados » dont l’examen avait déjà été différé depuis plusieurs mois ne pourra être votée dans le cadre de la présente législature.

Caminar regrette que trop d’atermoiements et de pertes de temps aient conduit à une telle situation.

Caminar réaffirme sa volonté d’agir en coordination avec les associations mémorielles espagnoles pour que les avancées contenues dans la loi de Mémoire démocratique du 20 octobre 2022 ne soient pas remises en cause quelles que soient les alternances politiques et que cette loi puisse effectivement trouver une application concrète sur tout le territoire espagnol et pour ceux de l’exil républicain.

Les Rencontres Transfrontalières, qui réuniront du 29 septembre au 1er octobre prochain les associations mémorielles espagnoles et françaises, seront l’occasion d’affirmer que rien n’arrêtera l’action de ceux qui demandent, au travers de leur lutte, « Verdad Justicia y Reparación » .

¡ Democracia real ya !

Le Bureau de Caminar

Retirada, les républicains sur les routes de l’exil

En 1939, les républicains espagnols prennent la route de l’exode. Ils fuient la dictature franquiste et se dirigent vers la France où ils espèrent trouver refuge et soutien. La réalité est tout autre. Après l’épreuve de la Retirada, ils sont parqués dans des camps d’internement inhumains.

Avec

Geneviève Dreyfus-Armand Historienne, conservatrice générale des bibliothèques, spécialiste de l’histoire politique et sociale de la France contemporaine et des migrations espagnoles au XXe siècle

Maëlle Maugendre Historienne, spécialiste de l’histoire de l’immigration et des mouvements de réfugiés

Quelques jours après le coup d’État du général Franco contre la République espagnole, le journal La Petite Gironde propose, le 23 juillet 1936, un éditorial intitulé « Les Lois de l’hospitalité » : « En face des événements d’Espagne, on peut dire que nous sommes sur le velours. Quoiqu’il arrive, nous sommes sûrs de toucher des réfugiés ». L’éditorialiste poursuit : « Il existe pourtant un remède bien simple. Il suffirait d’un petit article de loi disant que si un réfugié politique étranger encourt une mesure d’expulsion, il sera, non pas conduit à une frontière de son choix, mais remis aux autorités de son pays. Avec cette menace, on peut être certain que ces messieurs, si farouches qu’ils soient, se tiendraient tranquilles ». Alors que l’air du temps est à l’esprit fasciste, pour les réfugiés républicains, les lois de l’hospitalité sont malmenées.
La guerre civile espagnole

En 1936 éclate la guerre civile espagnole, qui oppose le camp républicain, partisan de la Seconde République alors en vigueur, et le camp nationaliste, partisan du général Franco. La guerre d’Espagne déchire le pays pendant trois ans, de 1936 à 1939, année qui voit la victoire de Franco et des nationalistes. Celui qu’on appelle le Caudillo met en place une dictature fasciste, l’État espagnol, qui perdure jusqu’en 1977, deux ans après sa mort.

Écouter ici : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-cours-de-l-histoire/retirada-les-republicains-sur-les-routes-de-l-exil-9046034

La CNT et le mouvement libertaire pendant la transition démocratique espagnole

Les récits dominants de la transition politique qui a traversé l’Espagne après la mort de Franco et la fin formelle de la dictature, en 1976, mettent toujours en avant le rôle des partis politiques et des syndicats «  réformistes  ». Ceux-ci ont masqué, pendant longtemps, le rôle important qu’ont eu les luttes sociales, en général, et, en particulier, à restreindre celui joué par le mouvement libertaire, en le cantonnant à un phénomène marginal et anecdotique. L’un des objectifs de ce travail est de montrer au contraire l’importance de la présence de l’anarchosyndicalisme et des anarchistes pendant cette période, malgré la répression sciemment organisée et orchestrée par les institutions contre les idées et les pratiques révolutionnaires revendiquées par ces mouvements. En même temps, l’auteur s’efforce de montrer les difficultés internes et les contradictions présentes au sein des organisations et groupes héritiers de l’anarchisme classique et relativement figé, et aussi au sein de ceux promouvant un processus qui tiendrait compte de l’évolution des sociétés démocratiques.

Cette recherche pointue et empathique de l’auteur nous renvoie à plus d’un titre aux débats actuels au sein des mouvements sociaux et syndicaux.

http://www.atelierdecreationlibertaire.com/Pour-nous-contacter-ou-commander.html

Ramón Acín. La bonté et la colère


Le 6 août 1936, le peintre, sculpteur, professeur et journaliste Ramón Acín Aquilué fut arrêté à Huesca par les troupes rebelles dirigées par le général Franco. Acín était un personnage très important en Aragon en raison de sa carrière en tant que pédagogue, en tant qu’artiste et de son engagement syndical dans la CNT, la Confédération nationale du travail.

Il se cachait dans sa maison lorsque Huesca a été prise par les rebelles. Les fascistes sont allés chez lui pour l’arrêter et ont maltraité sa femme, Concepción [1] Monrás. Dans ces circonstances, Ramón Acín sortit de sa cachette, fut arrêté et fusillé le même jour au pied d’un mur du cimetière de Huesca. Dans le registre des décès, Ramón Acín est enregistré en tant qu’individu « tué dans les combats de la guerre civile ». Quelques jours plus tard, sa femme a été exécutée de la même manière.

Une jeunesse rebelle et créative

Ramón Acín naquit à Huesca en 1888. Son père, Santos Acín, était un ingénieur agricole qui lui trouva un professeur de dessin alors que le petit Ramón n’avait que dix ans. Le fait d’être le fils d’une famille aisée permit au jeune Ramón d’étudier dans une Espagne ravagée par l’analphabétisme.

Bien qu’il ait entamé des études de sciences chimiques, en réalité, il se consacra à ce qui était sa grande passion : la peinture. Il commença bientôt à collaborer avec la presse locale et établit ses premiers contacts avec le mouvement ouvrier. Au lycée de Huesca, il se lia d’amitié avec Felipe Alaiz qui devint plus tard son biographe. Ce dernier était l’un des rédacteurs de La Idea (« L’Idée »), un journal anarchiste.

À Madrid, à partir de 1910, Acín mena une vie de bohème. Après avoir reçu une bourse du Conseil provincial de Huesca, quelques mois plus tard, il alterna ses séjours dans la capitale avec des séjours à Tolède. Avant de devenir professeur de dessin temporaire à l’École normale de Huesca, il rencontra Federico García Lorca. Influencé par un de ses bons amis, Ángel Samblancat, un militant républicain et écrivain très connu à l’époque, Acín s’installa à Barcelone où il commença à collaborer avec la presse catalane, réalisant des caricatures et critiquant de manière sarcastique la guerre du Maroc.

L’art et l’éducation au service de la révolution

Les anarchistes espagnols appelaient l’anarchisme la idea depuis que l’Italien Giuseppe Fanelli, envoyé par Bakounine lui-même, rencontra, à Madrid en 1868, un groupe d’internationalistes espagnols. La raison pour laquelle la idea a pris racine comme elle l’a fait en Espagne est un mystère, car aucun des premiers amis de l’Internationale en Espagne ne parlait italien et Fanelli ne connaissait pas du tout l’espagnol. Mais ce qui est certain, c’est que la idea a fait souche en Espagne, comme elle l’a fait dans l’Ukraine de Nestor Makhno.

L’engagement de Ramón Acín dans le mouvement anarchiste remonte à 1913, lorsqu’il commença à publier dans les revues La Idea, La Ira (« La Colère »), puis d’autres publications anarchistes comme Solidaridad Obrera (« Solidarité ouvrière »), Lucha Social (« Lutte sociale »), ainsi que le quotidien El Diario de Huesca (« Le Journal de Huesca »).

Dans sa trajectoire pédagogique, il s’inspira de deux modèles éducatifs : l’Institution libre de l’enseignement fondée à Madrid à la fin du XIXe siècle et L’École moderne fondée à Barcelone en 1901 par Ferrer i Guàrdia, un libre-penseur, un franc-maçon et un anarchiste non-violent. L’École moderne promut l’éducation libertaire fondée sur le modèle de l’école mixte et laïque, en contact avec le réel, et orientée vers le respect et l’épanouissement de l’individu dans un contexte d’autonomie et d’éducation à la solidarité. Il intégra ensuite à son enseignement les apports du Français Célestin Freinet aux moyens de l’expression libre et l’imprimerie sérigraphique au sein de l’école.

Acín mettait au premier plan ses préoccupations sociales et il s’engagea très tôt dans la CNT en collaborant avec la presse syndicale. Il participa en tant que délégué à l’important deuxième congrès de la confédération syndicale qui se tint à Madrid en 1919. Il se mobilisa ensuite pour défendre les prisonniers anarchistes nombreux en Aragon et dans toute l’Espagne. Le mouvement ouvrier espagnol était à l’époque anarchosyndicaliste. Rappelons qu’au début de la guerre civile, la CNT comptait plus d’un million de militants.

Installé à Huesca au début des années 1920, Ramón Acín s’y fit un nom en raison de son œuvre artistique et de son engagement politique et syndical. En 1922, il réalisa son premier relief en argile, un buste de l’écrivain, journaliste et juriste Luis López Allué. En octobre de la même année, il ouvrit bénévolement une académie de dessin à son domicile afin d’enseigner aux travailleurs le dessin, la peinture et la sculpture.

Acín fut emprisonné pour la première fois en 1924, après avoir publié un article Por indulto y por humanidad (« Pour le pardon et pour l’humanité ») dans lequel il demandait la liberté pour son ami, l’écrivain et caricaturiste Juan Bautista Acher, condamné à mort par la dictature de Miguel Primo de Rivera.

À sa sortie de prison, il s’exila à Paris. Un exil forcé pour les anarchistes qui s’opposaient à la dictature. Lors de différents séjours à Barcelone, Madrid et en 1926 à Paris, Ramón Acín se mit en contact avec les avant-gardes européennes. Le modernisme, le surréalisme, le cubisme et le futurisme stimulèrent sa curiosité artistique et son besoin de liberté créatrice. Il rencontra des créateurs tels que Juan Gris, Picasso, Federico García Lorca et Luis Buñuel. Acín participa à plusieurs grandes expositions à Madrid et Barcelone, sans jamais dévier de son engagement politique en tant que « grain de sable », comme il aimait le dire, au cœur d’une tempête révolutionnaire « qui va tout emporter », dans une Espagne rétrograde, ankylosée et injuste envers les plus humbles. C’est ce qu’il écrit en juin 1931, à Madrid où il était délégué du Haut-Aragon au congrès de la CNT et où il exposa ses œuvres à l’Ateneo (« l’Athénée ») culturel.

Ramón Acín était un artiste brillant avec d’extraordinaires qualités humaines, une figure essentielle du monde culturel et politique des années 1920 et 1930. Ses œuvres présentent un intérêt particulier en raison de son engagement idéologique et de son intention clairement avant-gardiste.

L’artiste, sa muse et le cinéaste

En Aragon, Acín resta un enseignant, un artiste et un militant anarchiste très actif. À cette époque, en 1924, il avait déjà épousé Concepción Monras qui donna naissance à sa première fille, Katia, et peu après à la deuxième, Sol.

L’histoire d’amour et de mort de Ramón Acín et Concha Monrás est l’une des plus belles, des plus émouvantes et des plus terribles histoires liées à la guerre civile. Concha était la compagne et la muse d’Acín. Dans une des lettres qu’il adressa à sa bien-aimée, il écrivit : « Tu seras toujours la consolation de mon affliction et la cause de ma joie. »

La personnalité de Concha était très affirmée : elle était une femme libre, jouait au tennis, du piano (on dit qu’elle jouait très bien Mozart et Chopin) et parlait l’espéranto. Ils se marièrent en janvier 1923, bien que leur relation ait commencé cinq ans plus tôt, ils ont vécu ensemble pendant treize ans.

Malgré son engagement syndical et politique, Ramón Acín est devenu un sculpteur et un peintre de premier plan, et nombre de ses œuvres ont commencé à se multiplier. Lors de ses voyages à l’étranger, il rencontra les intellectuels et les artistes les plus importants de son époque et se lia d’amitié avec le cinéaste Luis Buñuel.

En 1928, Acín réalisa l’une de ses œuvres les plus connues. La Fuente de las Pajaritas (« La Fontaine des cocottes en papier ») pour la ville de Huesca. À cette époque, Acín était en contact avec toute l’opposition à la dictature de Primo de Rivera et à la monarchie d’Alfonso XIII, il participa au soulèvement manqué de Jaca [2]. Le rôle de Ramón Acín était d’organiser, avec la CNT, une grève générale à Huesca pour accompagner le soulèvement. L’échec de l’insurrection l’obligea à s’exiler de nouveau à la fin de 1930. Avec la proclamation de la République, il retourna en Espagne et participa à diverses initiatives de la CNT, dont le troisième congrès de Madrid en 1931.

Son amitié avec Buñuel fit de lui le protagoniste d’une anecdote qui entra dans l’histoire du cinéma espagnol. Ami du grand cinéaste, il lui promit que s’il gagnait à la loterie, il financerait le tournage du film Las Hurdes, tierra sin pan (« Les Hurdes, terre sans pain »), l’impressionnant documentaire que Luis Buñuel consacra à l’Estrémadure, la région la plus déprimée et la plus pauvre d’Espagne. Pour Buñuel, le film devait provoquer un choc pour contribuer à améliorer le sort d’une population rurale oubliée de tous. La toute jeune République aux mains des républicains et des socialistes y vit une critique de sa politique sociale et censura le film qui ne sortit à Paris qu’en 1937.

Par un hasard totalement surréaliste, le jackpot de Noël, en 1932, revint à Ramón Acín. Suite au scandale de la projection de son film L’âge d’or à Paris en 1930, Luis Buñuel se retrouva totalement déprimé et désargenté. Le ticket gagnant de Ramón Acín changea le cours des choses et permit à Buñuel de réaliser le film Las Hurdes, tierra sin pan et de retrouver foi en son incroyable talent.

La répression et la mort de Ramón et Concha Acín

À cette époque, l’activité et l’action d’Acín sur le plan politique et culturel étaient très importantes. En tant qu’anarchiste et militant de la CNT, il devint l’une des références du mouvement ouvrier en Aragon.

Dans les années qui suivirent, à partir de l’avènement de la Seconde République, Acín subit d’autres emprisonnements. La République qui, en 1936, après le coup d’État militaire du général Franco, trouva dans le mouvement anarchiste son premier défenseur ne tarda pas à réprimer ses sauveurs. Notre artiste fut une première fois emprisonné en mars 1932 pour s’être solidarisé avec les grèves ouvrières qui se développaient dans toute l’Espagne, puis il fut incarcéré en juillet et décembre 1933, « dans le cadre des campagnes d’intimidation contre la CNT de Huesca » [1]

En 1933, Manuel Azaña, le président du Conseil des ministres de l’époque, ordonna la répression des militants de la CNT du village de Casas Viejas, en Andalousie, en donnant un ordre : « Ni blessés ni prisonniers, tirez-leur dans le ventre ! » C’est ainsi que la République, qui se voulait une République de travailleurs, a traité les anarchistes, en les assassinant. Toujours sous la République, en 1934, aux Asturies, le gouvernement envoya la Légion sous le commandement du général Franco qui écrasa une insurrection ouvrière faisant plus de 3 000 morts.

À Huesca, lorsque le coup d’État contre la République a eu lieu en juillet 1936, Acín se rendit en tant que représentant de la CNT auprès du gouverneur civil pour demander des armes pour le peuple afin de défendre Huesca contre les militaires factieux. Les autorités de la ville, qui craignaient plus les anarchistes que l’armée, refusèrent. Le gouverneur assura à Ramón Acín que tout était sous contrôle. Quelques heures plus tard, les franquistes prirent Huesca et la répression commença contre les anarchistes et les défenseurs de la République.

Acín se cacha dans sa maison, chaque jour, ils recevaient lui et Concha la visite de membres du camp nationaliste, en particulier des phalangistes. Nuit après nuit, Ramón Acín devait supporter que sa femme soit insultée et maltraitée. Le 6 août, il ne supporta plus et il se rendit. Ramón fut abattu durant la nuit contre un mur du cimetière de Huesca. Concha fut exécutée sans pitié le 23 août dans ce même cimetière.

« C’était un homme bon »

Les témoignages de ceux qui ont approché Ramón Acín parlent d’une même voix : « C’était un homme bon. » Sa façon d’être se reflète dans différentes anecdotes telles que celle du jackpot de Noël 1932, qui bénéficia tant à l’œuvre de Luis Buñuel.

Une autre image emblématique de son art était une cage avec un petit oiseau en papier à l’intérieur. Un jour, on lui offrit un oiseau en cage, pour être cohérent avec sa passion pour la liberté, Acín décida de libérer l’oiseau et de le remplacer par une cocotte en papier. Il milita toute sa vie pour le respect des animaux et de la nature au nom de la vie.

La catastrophique guerre coloniale du Rif et son injuste conscription dont seuls les riches pouvaient être exemptés, la dure répression du soulèvement populaire anti-belliciste lors de la « Semaine tragique » de Barcelone en 1909 et la Guerre de 14-18 confortèrent son antimilitarisme et son rejet de toute forme de violence.

En 1923, il écrivit : « Nul ne peut condamner ni exécuter une personne, ni au nom de la loi, ni au nom de rien. » Le récent assassinat du dirigeant de la CNT Salvador Seguí par les pistoleros, le bras armé du patronat catalan, lui fit prendre conscience de la nécessité de s’opposer au terrorisme et à toute forme de violence.

« Tuer un homme, ce n’est pas défendre une doctrine, c’est tuer un homme », écrivait l’humaniste Sébastien Castellion, dans son Traité des hérétiques. Il protestait ainsi contre le supplice de Miguel Servet, un médecin, un astrologue, un géographe aragonais condamné à mort pour avoir mis en cause le dogme de la Trinité dans un livre publié en 1531. Catholiques et protestants y voyaient alors une menace pour les fondements du christianisme. Stefan Zweig et Albert Camus reprirent plus tard dans leurs ouvrages cette citation de Sébastien Castellion.

Selon leurs proches, la maison de famille des Acín respirait l’anarchisme et la liberté, ils étaient des êtres sociaux, combatifs, imprégnés de la pensée libertaire et déterminés dans l’action révolutionnaire.

Ses idées, son engagement et sa façon de comprendre la vie ont fait de Ramón Acín un exemple pour des générations entières de jeunes rebelles. Sous la Seconde République, alors qu’il était incarcéré, en raison de son soutien aux grèves ouvrières qui se développaient dans toute l’Espagne, il écrivit une lettre émouvante à ses filles Sol et Katia : « … Ceux d’entre nous qui sont en prison ont été amenés ici parce que nous voulons que les enfants et leurs parents et tout le monde vivent plus heureux et mieux et passent l’été dans des endroits magnifiques qu’aujourd’hui seuls ceux qui ont de l’argent peuvent voir et cela ne devrait pas être le cas et beaucoup d’entre nous ont protesté et Galán a été tué. » [3]

L’œuvre picturale de Katia Acín (1923-2004), l’aînée de Conchita Monrás et de Ramón Acín, montre l’horreur à laquelle elle dut faire face à l’âge de 13 ans quand son père, puis sa mère, Concha Monrás furent assassinés. Les jours qui suivirent l’assassinat de ses parents, Katia fut dépouillée de son nom et contrainte de répondre au prénom catholique d’Ana María. Celui qu’on appela « le Lorca aragonais » était un grand cultivateur d’amitié. Bien qu’il ait côtoyé Lorca, Buñuel et d’autres personnalités de l’époque, il s’est toujours vanté que son meilleur ami était Juan Arnalda, un cordonnier anarchiste de Huesca.

En juillet 1936, il se cacha avec Arnalda dans la maison de la rue Cortes, dans l’alcôve derrière une armoire. Fatigué d’entendre les phalangistes torturer sa femme pour obtenir des informations sur le lieu où il se cachait, Acín décida de se rendre. Auparavant, il dessina une moustache à Juan Arnalda pour qu’il puisse s’échapper avec la complicité de la nuit. Arnalda est mort en exil en France en 1977.

Dans le cimetière de Huesca, le 23 août 2019, quatre-vingts ans, jour pour jour, après l’exécution de Concha Monrás avec 94 autres opposants au coup d’État du général Franco, dont une majorité d’anarchistes, un monument a été inauguré à la mémoire des victimes du fascisme.

La Petite bibliothèque des tireurs d’oubli de Marseille vient de publier un livre intitulé En hommage à Ramón Acín. Il est composé d’un texte de présentation de Felip Équy, une biographie chronologique réalisée par Emilio Casanova de la Fondation Ramón et Katia Acín ainsi que deux textes de Ramón qu’ils ont traduits. À ma connaissance, il s’agit du premier ouvrage consacré en France à Ramón Acín.

Daniel Pinós

Article publié dans le n° 12 de la revue Chroniques Noir & Rouge de mars 2023

[1] Concepción appelée aussi Concha ou Conchita (diminutifs du prénom Concepción).

[2] Le soulèvement de Jaca, en Aragon, fut une tentative de renverser le gouvernement espagnol de la dictature du général Berenguer menée le 12 décembre 1930 par un groupe de militaires républicains. Le soulèvement fut déjoué et ses principaux instigateurs, les capitaines Fermín Galán et Ángel García Hernández, furent fusillés. Malgré son échec, il contribua toutefois à affermir dans la population l’idée d’une République, qui fut proclamée seulement quatre mois plus tard à l’issue d’élections municipales qui s’avérèrent être un désaveu pour la monarchie.

[3] Le capitaine Fermín Galán fut l’un des instigateurs du soulèvement de Jaca, en Aragon. Voir note 1.

DESIRS PARTAGÉS AVEC LA RETIRADA 37, VENDREDI 7 AVRIL

Dans le cadre des désirs partagés, le Plessis a une fois de plus le plaisir d’accueillir la Retirada 37. Une soirée consacrée à la mémoire des volontaires étrangères et la solidarité internationale féminine durant la guerre d’Espagne. En écho aux luttes d’aujourd’hui !

Projection, mise en voix, rencontre, dégustations

19H

Bar à tapas

20H

Projection du film LAS MAMAS BELGAS de Sven Tuytens
et rencontre avec Edouard Sill autour de son livre SOLIDARIAS

Infos et réservation : 02.47.38.29.29

ou info@plessis-tierslieu.fr

Tarifs : Libre à partir de 5€

LAS MAMAS BELGAS

LAS MAMAS BELGAS est un film documentaire qui explore l’histoire de la présence des femmes européennes dans la guerre d’Espagne.

Le premier mai 1937 un groupe de 21 femmes originaires de l’est de l’Europe, venant de Belgique, arrive à l’hôpital militaire d’Ontinyent (province de Valence), fondé par le mouvement ouvrier socialiste belge avec l’aide d’Albert Marteaux, du Pob, parti ouvrier belge. Parmi elles, Anna et Adela Korn. Elles ont soigné les soldats dont beaucoup étaient des Brigadistes venant de Belgique, pour la défense de l’Espagne républicaine.

¡Solidarias!

La participation des femmes étrangères durant la guerre civile (1936-1939) -et notamment celles qui s’engagèrent dans les Brigades internationales pour défendre la République et combattre le fascisme- n’avait fait l’objet jusqu’à présent que de très peu de travaux historiques.

Il s’agit pourtant d’une dimension majeure de l’histoire de l’antifasciste et des engagements internationalistes féminins.

A l’initiative de l’ACER (Amis des combattants volontaires en Espagne Républicaine) et de partenaires institutionnels et universitaires, l’ouvrage¡Solidarias! met en valeur cette mobilisation solidaire, humanitaire, militaire et sanitaire de centaines d’étrangères.

EDOUARD SILL

Edouard Sill est docteur en Histoire de l’École Pratique des Hautes Études (EPHE PSL) en 2019, avec la réalisation d’une thèse portant sur le sujet suivant : Du combattant volontaire international au soldat-militant transnational : le volontariat étranger antifasciste durant la guerre d’Espagne (1936-1938).

Il obtient en 2021 la qualification de Maître de conférence, et remporte le premier accessit au prix d’excellence Joinet (ex Varennes) en 2020 dans la catégorie « Histoire politique et sociale depuis 1870 ».

Edouard Sill est aujourd’hui chargé de cours en Histoire contemporaine et en science politique à l’Institut catholique de Paris (ICP).

Ses thèmes de recherche de prédilection sont variés : Histoire sociale et politique de l’entre-deux-guerres en Europe, Histoire culturelle du mouvement social au XXe siècle, Histoire visuelle, Histoire des femmes, Histoire militaire, Guerre civile espagnole, Volontariat international combattant, Mobilités transnationales armées, Volontariat armé féminin, Enfance en guerre, Marginalités militaires, Engagements/désengagements, Mercenariat moderne et contemporain, Antimilitarisme, Communisme/Anticommunisme, Anarchisme, Fascisme/Antifascisme…

Ces femmes qui ont pris les armes pendant la guerre d’Espagne

 Qu’elles aient été écartées de la ligne de front ou rayées des mémoires, on savait jusqu’ici peu de choses sur les militantes espagnoles entre 1936 et 1939. Une lacune que viennent heureusement combler deux récents ouvrages.

La participation des femmes à  la guerre civile espagnole  entre 1936 et 1939 demeurait un angle encore peu étudié par  les chercheurs . Comme une représentation de la misogynie de la société masculine de l’époque. S’ajoutent à cela les particularités des combats en  Espagne , des milices transformées en armée régulière jusqu’à l’interdiction totale de la présence des femmes sur le front le 1er décembre 1936. Si Ken Loach avait, dans son film  Land and Freedom , évoqué cet aspect, peu d'éléments permettaient d’en comprendre réellement les enjeux et l’importance. Deux ouvrages viennent utilement combler cette lacune.

«Les Combattantes», la puissance des femmes espagnoles

Les Combattantes , de Gonzalo Berger et Tània Balló est un livre passionnant, écrit par deux spécialistes de  la participation des femmes  dans la guerre civile espagnole. Leur propos est centré sur  la Catalogne , dans une remarquable synthèse des informations existantes.

L’historien et l’autrice commencent par analyser l’organisation de femmes libertaires espagnoles  Mujeres libres . Ce groupe, fondé en 1933, était d’abord une structure féministe avant de se transformer, en 1936, après la victoire du Frente Popular, en organisation politique. Son but était d’obtenir  l’émancipation des femmes par l’alphabétisation  –l’Espagne comptait alors plus de 50% d’illettrées– par la dénonciation du  capitalisme, la lutte contre  la prostitution  et, enfin, par la recherche de  l’égalité  entre les sexes.

Particulièrement active en Catalogne et à Madrid, l'organisation a également appelé à rejoindre le front et à combattre. Mais cet espoir égalitaire a été de courte durée: lors de la militarisation  des groupes de volontaires en octobre 1936 , elles ont été renvoyées à l’arrière. Le groupe Mujeres libres n’a jamais été reconnu comme l’un des noyaux centraux du mouvement libertaire espagnol.

Les deux spécialistes se penchent ensuite sur la participation des femmes à  la bataille de Barcelone  (du 29 juin au 3 juillet 1642), faisant apparaître le caractère quasi légendaire de certaines combattantes,  à l'image de Marina Ginestà , immortalisée le fusil à l’épaule, dominant Barcelone.

Exhumant le poids des femmes dans les familles politiques, Gonzalo Berger et Tània Balló passent en revue les quelques dizaines de  communistes  engagées: des figures comme la sous-lieutenante Rosa Domènech ou la combattante Maricruz Carrasco, les 160 combattantes de  la colonne Durruti  en Catalogne, ou les 109 militantes du  Parti ouvrier d’unification marxiste (le POUM)  de Barcelone. Ils évoquent enfin les femmes victimes de la répression franquiste  fusillées à Montjuïc , la prison militaire de Barcelone, en 1939.

«¡Solidarias!», portraits des internationales militantes

Cette  lecture  peut être complétée par celle de  ¡Solidarias! , ouvrage coordonné par l'historien Édouard Sill. Le livre est né d’un colloque consacré aux volontaires étrangères et à la solidarité internationale féminine durant la guerre d’Espagne, organisé par les  Amis des combattants en Espagne républicaine . Il privilégie quatre thèmes: le retour sur l’histoire et le traitement de la question de la présence féminine; la place des volontaires; la solidarité féminine à l'étranger; et le rôle des intellectuelles. Les contributions rassemblées se penchent sur ce champ méconnu du soutien à la République espagnole.

L’engagement des femmes dans la solidarité internationale –dans les organisations de soutien  aux anarchistes  ou au groupe marxiste du POUM, sur un plan numérique (un peu plus de 600 engagées sur quelque 40.000 volontaires), recouvre plusieurs aspects.

La division sexuée du conflit faisait que les femmes étaient renvoyées à des métiers spécifiques comme celui d’infirmière . La consultation du  Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français , fondé par l’historien Jean Maitron, montre que sur 9.000 Français partis en Espagne, il y avait 96 femmes. L’immense majorité était présente à l’arrière; seules quelquesmilitantes, surtout dans les premiers mois, ont participé aux  combats .

Ce cas de figure se retrouve également chez les volontaires américaines: dans  la Brigade Abraham Lincoln , les femmes étaient surtout vouées au rôle d’infirmière. C’est  Fredericka Martin , infirmière de formation, qui coordonnait l’envoi puis le placement des 116 volontaires (sur les quelque 3.000 combattants nord-américains) dans les dispensaires. Il en est de même pour les Pays-Bas: sur plus de 700 volontaires, 22 femmes se sont rendues en Espagne, principalement pour travailler en tant qu’infirmières. Et sur les 3.500 volontaires italiens, 55 femmes ont participé aux soins.

La photographe Gerda Taro, compagne de Robert Capa, a porté une attention toute particulière à l’engagement
des combattants.

L’ouvrage souligne également que  les femmes  avaient des qualifications plus élevées que leurs homologues masculins, appartenant pour le quart d’entre elles à des groupes sociaux privilégiés, ce qui a conduit à les écarter du front pour qu’elles servent ailleurs –dans le domaine médical déjà évoqué, ou au sein de services de traduction ou de rédaction.

La solidarité internationale organisée depuis l’étranger est aussi analysée. L’étude de l’organisation libertaire  Solidarité internationale antifasciste  et de celle contrôlée par le Parti communiste français,  le Secours rouge , vient souligner la faible visibilité des femmes, à l’exception de quelques figures souvent mises en avant dans ces organisations:  Paula Feldstein  pour la maison d’enfants de la Solidarité internationale antifasciste; et Agnès Dumay  dans le cas du Secours rouge, devenu populaire, morte sous les bombes franquistes en décembre 1938, alors qu’elle organisait le départ d’enfants.

Le rôle des intellectuelles et des  artistes  parties en Espagne est également abordé dans ¡Solidarias! L’engagement de  la photographe Gerda Taro , alors compagne de  Robert Capa , est mis en valeur, l’ouvrage soulignant  l’attention toute particulière  qu’elle a portée à l’engagement des combattants. Certaines de ses photos sont aujourd’hui devenues iconiques. Sa mort près de la ligne de front en 1937 a encore renforcé la légende.

De même, l’article portant sur la reporter de guerre  Martha Gellhorn souligne l’importance du  journalisme  dans cette guerre civile. Son itinéraire, de l939;Espagne jusqu’en 1939;au Panama,  où est intervenue l’armée américaine en 1989 , en passant par la Pologne  occupée par l’URSS  en 1939, vient souligner la continuité de son combat pour la reconnaissance des droits humains.

D’autres femmes se détachent, comme la philosophe  Simone Weil, partie combattre , mais qui, victime d’un accident et en raison de sa myopie, a étéobligée d’être rapatriée précipitamment.

Il est possible d’observer une constante dans tous ces récits: les divisions dans le camp républicain entre socialistes,  anarchistes  et poumistes, et communistes en troisième lieu, sont particulièrement marquées, perceptibles dans tous les articles. L’exemple de l’aide médicale est particulièrement révélateur: d’un côté, il y avait  la Centrale sanitaire internationale , organisée par le Komintern (l’Internationale communiste); de l’autre, les socialistes et les membres de la  Fédération syndicale internationale  organisaient leur propre hôpital; et c’était également ce que faisaient les libertaires et les marxistes du POUM.

Sylvain Boulouque  

Édité par Natacha Zimmermann