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Boris Cyrulnik : la résilience ou comment surmonter les traumatismes mémoriels

W ou le souvenir d’enfance… Etrange autobiographie que celle de Georges PEREC par son titre mais aussi par les premières lignes par laquelle elle commence : « Je n’ai pas de souvenirs d’enfance. Jusqu’à ma douzième année à peu près, mon histoire tient en quelques lignes : j’ai perdu mon père à quatre ans, ma mère à six ; j’ai passé la guerre dans diverses pensions de Villard-de-Lans. En 1945, la sœur de mon père et son mari m’adoptèrent. […]

« Je n’ai pas de souvenirs d’enfance » : je posais cette affirmation avec assurance, avec presque une sorte de défi. L’on n’avait pas à m’interroger sur cette question. Elle n’était pas à mon programme. J’en étais dispensé : une autre histoire, la Grande, l’Histoire avec sa grande hache, avait déjà répondu à ma place : la guerre, les camps. »

L’enfance de Georges Perec, comme celle de Boris Cyrulnik, a côtoyé l’horreur des camps avec la perte irrémédiable des parents et les premières années vécues dans une France en guerre où l’on traquait les Juifs. Se protéger de la mémoire pour ne pas souffrir.

En effet, comment survivre, comment continuer à vivre, comment vivre avec une mémoire à ce point douloureuse ? Boris Cyrulnik n’aura de cesse de chercher la réponse à cette terrible question.

Boris Cyrulnik

Boris Cyrulnik est né à Bordeaux le 26 juillet 1937 où ses parents, Juifs venus pour sa mère de Pologne et d’Ukraine pour son père, s’étaient installés dans les années 30. Les parents de Boris Cyrulnik sont arrêtés en 1942, déportés à Auschwitz d’où ils ne reviendront pas. Pour lui éviter le pire, ils avaient placé leur fils en pension. Boris Cyrulnik va être alors pendant toute la guerre un enfant traqué, caché, placé au hasard des événements en famille d’accueil ou en orphelinat, dénoncé, sauvé… Une enfance chaotique… Une enfance massacrée… Il est difficile de faire le récit de cette enfance car bien des pistes sont brouillées, voire contradictoires, et elles le sont de par Boris Cyrulnik lui-même. Au sein de tant de malheurs, la mémoire ne saurait être objective, reconstitution rigoureusement historique des faits vécus, elle s’aménage des refuges pour survivre au présent. Elle est la représentation de la vérité de celui qui se souvient, rien d’autre. Dans la même situation, Georges Perce écrivait froidement : « Je n’ai pas de souvenirs d’enfance… ».

De toute façon mon propos n’est pas de me livrer à un énième récit des souffrances des enfants juifs pendant la guerre d’autant que Boris Cyrulnik a lui-même  écrit un livre aux résonnances très intimes – j’évite volontairement d’utiliser le terme d’autobiographie – dont le titre est : « Sauve-toi, la vie t’appelle ! ».

Boris Cyrulnik est devenu un neuropsychiatre et psychanalyste internationalement connu et reconnu, notamment pour avoir développé et rendu accessible le concept de « résilience ». Il a aussi bien d’autres cordes à son arc que je n’évoquerai pas dans cet article car je m’en tiendrai au thème de la résilience. Il a souvent déclaré que c’était l’expérience traumatisante qu’il avait vécue enfant qui l’avait conduit  à devenir psychiatre.

Les années d’après-guerre furent difficiles pour lui. Il écrit à ce sujet : « Pendant les années d’après-guerre, je n’ai eu le choix qu’entre l’hébétude et le charivari. Par bonheur, deux tuteurs de résilience se sont disposés autour de moi : la rencontre entre Dora et Emile et le mythe communiste. » Dora, la tante qui l’a élevée et Emile, l’ami… l’affection enfin ! Quant au mythe communiste, il en est très vite revenu même s’il y a « cru » durant son adolescence, une adolescence qui avait besoin de s’appuyer sur une croyance, quelle qu’elle fût !

Enfant il s’est senti en « agonie psychique » avec « une âme gelée » qui ne ressentait rien. Comment un enfant blessé par la vie comme l’a été Boris Cyrulnik, peut-il donc devenir un adulte épanoui ? C’est ce prodige-là que développe la résilience.

Qu’est-ce que la résilience ?

Si l’on cherche la définition du mot dans un dictionnaire, on peut lire la définition suivante : « Caractéristique mécanique définissant la résistance aux chocs d’un matériau ou la capacité de ce matériau à retrouver sa forme initiale après avoir été comprimé ou déformé». Au départ donc un terme qui appartient au domaine de la mécanique. Puis appliqué depuis, grâce aux travaux de Boris Cyrulnik, au domaine de la psychologie, le mot désigne la capacité de l’être humain à surmonter les traumatismes et à se développer en dépit des épreuves traumatisantes vécues dans le passé.

Ce mot a été utilisé pour la première fois en 1982 dans un sens métaphorique par une psychologue américaine, Emmy Werner, suite à des travaux qu’elle avait réalisés sur des enfants des rues à Hawaï… Elle avait découvert qu’un tiers des enfants qui avaient connu la drogue et le viol et qu’elle avait aidés des années auparavant avaient trouvé du travail et fondé une famille. Comment avaient-ils pu s’en sortir ?

C’est à partir des années 60 que Boris Cyrulnik s’est intéressé à la résilience à une époque où les scientifiques de l’âme considéraient qu’une personne blessée par la vie était irrémédiablement perdue. Or à partir de sa propre expérience, à partir aussi de cas concrets qu’il a pu rencontrer, il s’est interrogé sur les processus de récupération de soi que certains individus étaient capables de mettre en place. Pour lui et il sait de quoi il parle, l’expérience du malheur ne saurait condamner définitivement l’être humain et ce n’est pas parce que l’on a vécu le malheur (deuil, abandon, inceste, violence sexuelle, maladie, guerre…)  qu’on est détruit à jamais. La résilience est donc un vecteur d’espoir, une manière d’exorciser le malheur tout en sachant que la blessure est présente et le sera toujours, « c’est plus que résister, c’est aussi apprendre à vivre ! »  Le malheur n’est donc pas irrémédiable !

Dans un livre intitulé Les Vilains petits canards, Boris Cyrulnik analyse des cas de résilience célèbres : Maria Callas, petite fille grosse et laide, rejetée et mal aimée, née à New York de parents grecs immigrés… Barbara, violée par son père et poursuivie pendant la seconde guerre mondiale en raison de ses origines juives… Brassens le mauvais garçon révolté qui découvre la poésie et donne un sens à sa révolte… Mais à travers ces cas célèbres, c’est aussi de chaque individu que parle Boris Cyrulnik et ce qu’il veut faire entendre c’est que l’individu ne se réduit pas à un statut de victime et qu’aucune blessure n’est irréversible !

Selon Boris Cyrulnik, qu’est-ce qui empêche la résilience ?

–        La solitude affective

–        Le silence et la honte qui font que l’individu se replie sur lui-même

–        Le déni qui peut être un temps protecteur mais qui finit par l’empêcher d’affronter le traumatisme

Quels sont, toujours selon Boris Cyrulnik,  les facteurs qui favorisent la résilience ?

–        Les capacités de résilience interne qui remontent à des structures affectives anciennes et préverbales mises en place au tout début de la vie

–        Les tuteurs de résilience externes : la famille, l’école, l’entourage, la culture…

–        Le soutien que celui qui a subi un traumatisme peut recevoir

–        Le sens qu’il est capable de  donner à ce qui lui est arrivé

–        Les capacités de rêver et de créer

Si la blessure reste enfouie au fond de l’individu, si elle ne guérit jamais complètement, la souffrance n’est cependant pas une fatalité. Les processus de résilience existent qui permettent à un individu de se construire ou de se re-construire.  Dépasser le malheur pour trouver le bonheur, si fragile et imparfait soit-il.

Sauve-toi, la vie t’appelle !