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Cathy FELIX : les écrivains et la mémoire

La guerre d’Espagne a été une guerre emblématique et des journalistes et des écrivains venus du monde entier se sont engagés aux côtés des Républicains contre le fascisme. Comment ces écrivains ont-ils contribué à forger la mémoire de la Guerre Civile pendant que la dictature muselait les écrivains en Espagne ? Après la mort de Franco, comment les écrivains espagnols ont-ils contribué au réveil d’une mémoire massacrée ?

CONFERENCE ECRIVAINS ET MEMOIRE

LES INTELLECTUELLES EUROPÉENNES ET LA GUERRE D’ESPAGNE : de l’engagement personnel à la défense de la République espagnole.

 

Allison Taillot est agrégée d’espagnol et maîtresse de conférences à l’université Paris- Ouest- Nanterre- La Défense.

Ouvrage remanié à partir de sa thèse soutenue en 2012. Présidente du jury : Mercédès Yusta Rodrigo.

 

La défense de la République espagnole pendant la guerre d’Espagne (1936-1939) a constitué un point de cristallisation de l’engagement des intellectuels européens et un catalyseur de la mobilisation des femmes en faveur d’un régime qui leur avait reconnu des droits dans la Constitution de 1931. A la croisée de ces deux communautés, seize femmes se sont impliquées dans cet épisode majeur de l’histoire européenne du XXème siècle en apportant leur soutien actif au gouvernement républicain. En mettant en regard ces huit Espagnoles (Rosa Chacel, Ernestina de Champourcin, Carmen Conde, María Teresa León, Concha Méndez Cuesta, Margarita Nelken, Isabel Oyarzábal de Palencia et María Zambrano) et ces huit étrangères (Valentine Ackland, Agnia Barto, Nancy Cunard, Clara Malraux, Anna Sehers, Sylvia Townsend Warner, Andrée Viollis, Simone Weil), cette thèse prétend mettre au jour des personnalités et des trajectoires individuelles méconnues – voire inconnues – et apporter sur le conflit un éclairage nouveau. A travers la prise en compte des prémices de leur engagement commun contre le fascisme entre 1936 et 1939, l’analyse de leur contribution directe à l’effort de guerre et l’étude de leur participation à la défense de la culture, il s’agit de montrer que la guerre d’Espagne fut pour toutes un espace d’affirmation et de revendication d’elles-mêmes comme femmes, comme antifascistes et comme femmes de lettres.

Dans ce sens, nous tenons ici à préciser et à justifier la composition de notre panel en termes de nationalité. Il nous a semblé judicieux, dans un souci de cohérence, de nous concentrer sur des femmes issues du continent européen. Nous n’inclurons par conséquent pas l’Argentine Delia del Carril (1884-1989), les Mexicaines Blanca Lydia Trejo (1906-1970) et Elena Garro (1920- 1998) ou encore la Franco-cubaine Anaïs Nin (1903-1977) dont la présence en territoire républicain ou parmi les signataires de manifestes favorables au gouvernement légal a néanmoins retenu notre attention et que nous projetons d’étudier dans l’avenir.

Les femmes sélectionnées pour la thèse sont originaires de cinq pays : l’Espagne, la France, l’Angleterre, l’Allemagne et l’URSS. Comme nous aurons l’occasion de l’expliquer plus en détails dans le premier chapitre de la thèse, huit sont Espagnoles :

Isabel Oyarzábal de Palencia (1878-1974)

 

Margarita Nelken (1894-1968)

 

Rosa Chacel (1898-1994)

 

Concha Méndez Cuesta (1898-1986)

María Teresa León (1903-1988)

María Zambrano (1904-1991)

 

Ernestina de Champourcin (1905-1999)

 

Carmen Conde (1907-1996)

 

Les huit autres sont étrangères : les Anglaises

Sylvia Townsend Warner (1893-1978)

 

Nancy Cunard (1896-1965)

 

Valentine Ackland (1906-1969) – il s’agit bien d’elle –

 

les Françaises :

Andrée Viollis (1870-1950)

 

Clara Malraux (1897-1982)

 

Simone Weil (1909-1943)

 

l’Allemande Anna Seghers (1900-1983)

 

et la Russe Agnia Barto (1906-1981).

 

Cette répartition n’est pas anodine. Elle témoigne d’une part de la prépondérance logique des Espagnols parmi les intellectuels mobilisés.

 

 

Avant-Propos

Table des sigles et des abréviations

Introduction

Les prémices de l’engagement

Introduction
Les origines
Formation et premières préoccupations

Le choix de l’écriture dans les années 1920
L’écriture : vocation ou fruit des circonstances ?
Les premières œuvres
Sociabilité, stimulation intellectuelle et visibilité

Les premières causes défendues
La condition féminine
Les opprimés
De la paix à l’antifascisme
Vers une définition de l’intellectuel(le)

L’effort de guerre

Introduction

La lutte au front
Les intellectuelles européennes et la lutte armée
Les « faits d’armes » des intellectuelles européennes
Le front : espace de transgression et de révélation pour les intellectuelles

La lutte à l’arrière
Les victimes et les blessés
Les enfants
Les civils

Les intellectuelles européennes et la mobilisation antifasciste
Les outils oraux de la mobilisation antifasciste
Les outils écrits de la mobilisation antifasciste

La défense de la culture

Introduction

Le combat pour la culture
La protection de la culture
La promotion de la culture
La culture en termes de représentation

Le IIe Congrès International des Écrivains pour la Défense de la Culture (juillet 1937)
Origine, antécédents et organisation du Congrès
Le Congrès comme acte de solidarité : mythe ou réalité ?
Les interventions à la tribune des intellectuelles déléguées
La tribune comme espace de transition du politique à l’esthétique

Le Congrès de Valence dans les écrits de la guerre des intellectuelles
Le Congrès de Valence dans les écrits de presse des intellectuelles européennes
Le Congrès de Valence dans les poèmes des intellectuelles européennes
Le Congrès de Valence dans la prose de fiction
des intellectuelles européennes

Conclusion

Sources bibliographiques
Archives
Presse
Bibliographie

Éditeur Presses universitaires de Paris Nanterre

Livre broché
Nb de pages 324 p. Bibliographie . Notes .
ISBN-10 2840162342
ISBN-13 9782840162346
 Version en pdf :

https://bdr.u-paris10.fr/theses/internet/2012PA100184_diff.pdf

 

La route du massacre Malaga-Almeria

Jean-Louis San Roman, fier que des français se soient mobilisés pour cet hommage,  a voulu que cet article soit publié sur le site.
Andrés Torrico Alvarez a partagé la publication de Málaga Republicana sur la page Facebook de l’ASEREF

Llegada anoche a Málaga del colectivo de hijos e hijas del exilio que desde Francia vienen a participar en la marcha de homenaje a las víctimas de la masacre de la carretera de Málaga-Almería del próximo sábado.

Arrivée hier soir à Malaga du collectif des fils et filles de l’exil qui depuis la France viennent pour participer à la marche d’hommage aux victimes du massacre de la route de Málaga-Almería du samedi suivant.
Marcha homenaje a las víctimas de la masacre fascista en la Ctra. Málaga-Almería
C’est une belle galerie de photos à visionner en allant sur le lien suivant !!!
https://photos.google.com/share/AF1QipMozbICyUli5zQiJ9v-ciYSQO_3Mo0z2tp6bh7isM44M0w2BIFPsK5jJkPTxwhi9Q?key=emFVWXFVemdObGgydFdvc2hZZW5lY2NfWGNneW5B

LES MEMOIRES DES TRAUMATISMES


Ce colloque, organisé en 2015, met en lumière un thème qui nous est cher car il illustre parfaitement nos trois cycles de conférences : celle de Federica Luzi sur « Se réapproprier le passé historique » ; celle du 3 février 2017 de Samya Daech et de Cathy Félix « Les écrivains et la mémoire » puis celle du 10 mars « Mémoire et résilience » avec Françoise Nègre.

L’article peut sembler long mais il mérite un détour. Argentine, Brésil, Algérie, littérature mais aussi cinéma sont mis en relief.

J’ai noté quelques phrases : « Parler des mémoires, c’est parler du présent » ; Le passé est aussi « relié à un futur désiré » ; La mémoire est intimement liée à la politique.

 

 

Les mémoires des traumatismes

Léa Métayer
Auditrice de Master à l’ENS de Lyon
Publié par Élodie Pietriga le 23 janvier 2017
« Les régimes totalitaires du xx e siècle ont révélé l’existence d’un danger insoupçonné auparavant : celui de l’effacement de la mémoire »
Tzvetan Todorov, Les abus de la mémoire,
Paris : Arléa, 1995, p. 5

Affiche du colloque

Les 5 et 6 novembre 2015 a eu lieu à l’École Normale Supérieure de Lyon le colloque portant sur les récentes recherches effectuées sur la question de la mémoire. Ce colloque a eu pour objectif de mettre en valeur non seulement la pluridisciplinarité à laquelle les intervenants ont montré un grand attachement, mais également la dimension internationale qui permettait de prendre pour objet d’études des pays différents, et d’élargir ainsi le champ des recherches en effectuant des comparaisons souvent tout à fait fructueuses.

La mémoire suppose de travailler sur une temporalité parfois récente, du point de vue historique. Elle prend plusieurs formes : « individuelle » ou « collective » [1], elle est souvent partielle, nécessairement fragmentée par l’esprit humain qui, par nature, effectue des sélections, et avec le temps, déforme, reconstruit, omet, volontairement ou involontairement. Ce travail de mémoire ne relève pas seulement de l’établissement de faits. Déformer la mémoire collective, construire une mémoire collective qui met en avant des faits plutôt que d’autres est un moyen puissant de contrôle. Ainsi, pendant les dictatures du Cône Sud, plus particulièrement celle de l’Argentine, pendant la dictature brésilienne ou pendant la guerre d’Algérie se jouent des périodes de violence inouïe, qui créent un traumatisme tel que cette violence ne trouve que difficilement un écho dans le langage. Celle-ci est physique mais aussi morale : il est impossible d’exprimer publiquement un contre-pouvoir, il est impossible également de reconstituer le passé trouble des militants qui s’opposent au pouvoir, de retrouver les corps des disparus.

La violence sous toutes ses formes devait trouver une réponse. Il fallait cesser de taire les souffrances subies, il fallait leur donner un sens et cesser de les nier, de les plonger dans l’oubli. Une sorte de nécessité apparaît. Cette voix passe par la littérature, l’histoire, la sociologie, ou l’étude philosophique. Elle est également judiciaire, parce qu’un besoin de justice et de vérité naît avec la prise de conscience du traumatisme vécu pendant ces périodes de violence extrême. Après de nombreuses années de silence ou de déni, les études sur cette période plus éloignée dans le temps apparaissent. C’est dans ce cadre que s’inscrit ce colloque qui met en avant la nécessité de travailler dans un cadre pluridisciplinaire. Cette pluridisciplinarité vise à obtenir une vision globale de ce qu’est la mémoire et de la relation qu’elle a avec la politique. Ce colloque a permis également de mettre en commun des travaux qui concernent la France, l’Argentine, et le Brésil. Les relations établies entre la mémoire et la violence politique dans des contextes de dictatures ou de terrorisme d’État trouvent des échos dans des pays différents, ce qui favorise l’idée d’un travail interdisciplinaire et qui a vocation à s’ouvrir dans des domaines qui ne participent pas encore dans ce programme de recherche. S’il est parfois difficile de travailler ensemble, notamment avec les historiens, pour des raisons de méthode, comme le souligne avec humour Catherine Coquio ou Marie-Pierre Rosier, il est nécessaire d’établir des connexions entre les recherches des différentes disciplines. La pluridisciplinarité et les questions de droit ont été particulièrement mises en avant par deux juristes, qui sont « sortis de leur cadre traditionnel » [2] afin d’effectuer ce travail.

Il s’agit de travailler sur des témoignages enfouis, des passés qui participent à la mémoire individuelle tronquée et à un nécessaire établissement d’une vérité retrouvée, objectif utopique qui cependant permet la construction d’une mémoire. Or, celle-ci s’obtient par des détours, des procédés littéraires. C’est donc tout un processus de construction en cours qu’il s’agit d’étudier.

Qu’est-ce que la mémoire ? Elizabeth Jelin donne des pistes pour la définir : « Parler des mémoires, c’est parler du présent », affirme-t-elle. La mémoire se définit par rapport à la « manière qu’ont les sujets de construire le passé ». Le passé est aussi « relié à un futur désiré ». Il s’agit donc d’un processus, mais un processus qui est construit par le sujet de manière subjective. C’est pour cette raison que la mémoire n’est pas constituée uniquement d’une série de faits exhaustifs. La mémoire « implique une sélection », et l’oubli définitif n’existe pas. « Ce que le passé laisse, ce sont des traces ». Ces traces peuvent être physiques, ou symboliques. D’où, selon Elizabeth Jelin, toute la difficulté de l’interprétation de ces « traces », car, à elles seules, elles ne permettent pas de constituer une mémoire.

La mémoire est intimement liée à la politique. « L’effacement de la mémoire » conduit par les régimes qui ont exercé la violence a pour conséquence l’oubli, volontaire ou non, de certaines périodes traumatiques. Rétablir les faits, c’est construire une mémoire qui peut permettre de construire également une identité nationale. Comme le rappelle Isabelle Bleton dans sa conférence, la politique de Carlos Menem [3] en Argentine n’a pas permis une reconstruction de la mémoire, mais a, au contraire, refoulé cette mémoire. Les victimes et les bourreaux « circulaient sur le même espace public », et se côtoyaient. La loi protégeait les bourreaux, le pardon accordé aux bourreaux ne permettait pas d’établir des faits, mais de les cacher, de les plonger dans l’oubli. Elizabeth Jelin rappelle qu’un des enjeux fondamentaux de la mémoire se joue lors des transitions démocratiques. Lorsqu’une seule mémoire est imposée, affirme Elizabeth Jelin, elle est inévitablement, un jour où l’autre, contestée. Le premier enjeu de la « première étape de démocratisation », affirme Annick Louis, ce n’est pas celui de la mémoire, mais celui de « l’établissement des faits et leur reconnaissance ». Mais ce processus est intimement lié à la mémoire. Car rétablir les faits ne suffit pas. Encore faut-il les interpréter.

Le Siluetazo, Buenos Aires, 21 September 1983. Photographe: Daniel García. Publication sur Afterall.org

Le travail d’un historien peut consister à travailler également sur les mémoires en tant qu’elles apportent un éclairage sur les traumatismes de l’époque. Or Elizabeth Jelin met en avant la difficulté qu’il y a à exprimer la violence. La difficulté peut être due au régime politique en place, ou liée à l’individu. Toujours est-il que le silence s’explique souvent, affirme-t-elle, par une incapacité à écouter. Pour pouvoir s’exprimer, il faut trouver un interlocuteur. C’est la raison pour laquelle le témoignage est essentiel afin de parvenir à reconstruire une mémoire (historique ou individuelle) et c’est également la raison pour laquelle de nombreuses manifestations ont lieu, comme le montre Annick Louis.

Pendant le colloque, Laura Alcoba, ancienne élève de l’ENS Fontenay-Saint-Cloud (promotion 1989) et à présent écrivain, a accepté de parler d’un de ses romans, La casa de los conejos. Laura Alcoba a passé une partie de son enfance en France, son adolescence et sa vie d’adulte en France également. Mais enfant, elle a vécu quelques mois en Argentine, dans ce qui a été renommé, suite à la publication de son livre, « La casa de los conejos ». L’écriture du livre a été pour Laura Alcoba une nécessité, mais ne s’est pas imposée directement à elle. La naissance de sa fille, déclare-t-elle avec émotion, a sans doute déclenché un besoin de se souvenir. Laura Alcoba mène alors une petite enquête dans l’espoir de reconstituer ses souvenirs d’enfant. Elle cherche à revoir la maison, et contacte María Isabel Chorobik de Mariani (connue aussi comme Chicha Mariani), qui donne une réponse qui va « bouleverser » l’écrivain : « Je croyais que ta mère et toi étiez mortes ». Laura Alcoba a alors la « certitude qu’il fallait garder une trace », cette même trace dont parle Elizabeth Jelin et avec laquelle, un jour peut-être, il est possible de reconstruire une mémoire. Pourtant, la petite fille du roman, ce n’est pas directement elle. C’est un personnage, une reconstruction de l’enfant qu’elle était à partir de l’adulte d’aujourd’hui. L’écriture permet sans doute une distance qui lui a permis de se replonger dans des souvenirs douloureux et hors du commun. Le roman peut-il témoigner ? C’est l’une des questions que s’est posée Marie-Pierre Rosier. À partir de quatre auteurs, Alicia Kozameh, Sarah Rosenberg, Nora Strejilevich et Alicia Partnoy, elle s’interroge sur le genre de ces œuvres hybrides qui se situent entre le roman et le témoignage. Seulement « la valeur du témoigne [est] altérée », car « le témoin témoigne de l’impossibilité de témoigner ». C’est « l’écriture qui permet de combler en partie ce manque et fait réapparaître les personnes assassinées par le terrorisme d’État ».

Dans quelle mesure la littérature peut-elle devenir une voix s’inscrivant dans le cadre politique ? La fiction est-elle capable d’éclairer le passé ou le présent ? « Historiquement, la littérature brésilienne ne cesse de discuter de manière […] critique les processus d’autoritarisme, de violence, et de destruction dans le pays. », affirme Jaime Ginzburg. S’il est nécessaire d’étudier la littérature brésilienne dans ce cadre, c’est qu’elle est donc capable d’apporter des réponses, bien qu’elle ne se réduise pas à ces réponses. Jaime Ginzburg en est persuadé, « la littérature peut […] contribuer à changer le passé et le présent ». Quelques conférences se sont attardées sur l’analyse d’œuvres en particulier, entre témoignage et roman, ou pris comme témoignages, dans l’optique de reconstruire une mémoire. C’est le cas, par exemple, d’Avalovara, d’Osman Lins, un « roman qui met en scène des réalités étrangères à notre routine quotidienne sous une forme narrative peu habituelle, non seulement comme roman qui explore des récits fragmentés, mais aussi comme un témoignage littéraire du temps douloureux de la dictature militaire ». Le roman étudié par Elsa Crousier porte de la même manière sur la question de la reconstruction de la mémoire. Il s’agit de mettre en scène plusieurs voix féminines, individuelles, pour construire une mémoire collective. La mémoire devient une « quête », parce que les deux voix se confrontent, et l’une d’entre elles aimerait oublier, ne plus se souvenir. Une lutte contre l’oubli, le mensonge, « l’effacement de la mémoire », s’installe. Elsa Crousier rappelle enfin que l’histoire est, étymologiquement, intimement liée à l’enquête. Les romans qui prennent la forme d’enquêtes policières peuvent donc s’inscrire dans une sorte de voix historique. Plusieurs exemples ont été cités, comme celui du roman de Miguel Bonasso (exemple donné par Isabelle Bleton). « Le processus de reconstruction du passé de la dictature [se fait] au moyen d’un récit policier », grâce auquel il est possible de se distancer pour raconter « la violence politique » d’une époque. Enfin, si la littérature est capable de lancer le processus de construction de la mémoire, c’est qu’elle est parfois la seule à ne pas avoir passé sous silence la violence. C’est le cas pour la guerre d’Algérie, dont la mémoire est lacunaire, et dont la production littéraire est devenue nécessaire à la mémoire collective de la « guerre d’indépendance algérienne qui fut beaucoup plus qu’une tragédie à deux personnages », car « cette guerre de décolonisation qui a laissé des blessures profondes fut à la fois franco-française, algéro-algérienne, franco-algérienne. », affirme Désirée Schyns.

Cependant, si la littérature est capable d’offrir des témoignages, des récits fictifs qui conduisent à la découverte d’une vérité historique, Catherine Coquio émet des doutes à propos du travail de la mémoire. Au fil de ses recherches, elle décide de prendre de la distance sur son propre travail. Elle découvre ainsi qu’il existe une véritable obsession pour la mémoire, obsession qui oblige parfois à parler de « devoir de mémoire », ce que Laura Alcoba, par exemple, refuse, et que Catherine Coquio observe comme étant un vocabulaire de la passation qui tend à une moralisation excessive de la mémoire. La notion de témoignage elle-même porte à confusion. Étymologiquement, explique-t-elle il s’agit de « voir ce qui s’est joué de religieux ». Le témoignage engage l’individu à dire la vérité. C’est plus une obsession pour la vérité qui naît avec cette volonté de témoigner. C’est « le mal de vérité » que dénonce Catherine Coquio, qui explique la profusion de témoignages qui naissent.

Enfin, et en guise de conclusion, le colloque a mis en avant un élargissement sur un art visuel, le cinéma, capable lui aussi d’offrir une forme de témoignage. Les deux conférences qui portent sur le cinéma mettent en avant les images et les sons qui prennent possession de l’oubli sous toutes ses formes. Le film de Patricio Guzmán, Nostalgia de la luz, met en scène, par exemple, des femmes, dans le désert d’Atacama (Chili), qui cherchent les disparus. Cette scène est mise en relation avec les astronomes qui cherchent à déceler les secrets de l’univers. Selon Sylvie Rollet, on est alors du « côté de l’ordre immémorial du temps », du côté du « cycle inépuisable de la matière ». « La magie des images cinématographiques est de l’ordre de ces restes pour contrer le non-sens et l’amnésie ». C’est la raison pour laquelle « l’infiniment lointain est mobilisé ». Le travail sur l’oubli est effectué également dans le travail d’Albertina Carri, présenté par Laurence Mullaly. La jeune cinéaste a perdu ses parents à l’âge de 4 ans, et tente de reconstituer une mémoire qu’elle a perdue, mais refuse d’aborder un « passé mythifié ». Il s’agit de s’intéresser « aux creux et aux plis de la mémoire, multiple et contradictoire ». Elle aborde ainsi « le vide de l’absence », sans concession. Le court-métrage n’est ni un documentaire, ni une fiction, il décrit une souffrance, il présente l’oubli, le vide, mais également l’impossibilité de se souvenir. Il présente en fait les contradictions qui sont celles de la mémoire, qui ne se construit pas à partir uniquement de souvenirs, mais également d’oubli, pour permettre à l’homme de la construire et, en même temps, de se construire.

Notes

[1]Maurice Halbwachs, Les cadres sociaux de la mémoire, Paris : Librairie Félix Alcan, Première édition, 1925.
[2]Elisabeth Joly-Sibuet et Hugues Fulchiron.
[3]Une loi d’amnistie a été établie par le président Menem, la loi de punto final, dans le but de pardonner à la population argentine, bourreaux compris, les crimes commis durant les périodes de terrorisme d’État.

CONFÉRENCES CITÉES

Elisabeth Joly-Sibuet (Université Jean Moulin-Lyon 3) et Hugues Fulchiron (Université Jean Moulin-Lyon 3) : « Bilan et perspectives des rencontres pluridisciplinaires droit/lettres/philosophie du réseau Mémoires en construction » (workshops de São Paulo, novembre 2014, et de Buenos Aires, mai 2015).

Elizabeth Jelin, (CONICET /IDES, Buenos Aires) : « Los futuros del pasado. Presencias, sentidos y silencios en los escenarios de la acción social ».

Entretien avec Catherine Coquio (Université Paris IV – Sorbonne), animé par Jean-Louis Jeannelle (Université de Rouen).

Sandra Nitrini (Université de São Paulo) : « Un témoignage poétique sur la dictature brésilienne: Avalovara, d’Osman Lins. ».

Elsa Crousier (Université Lumière Lyon 2) : « La mise en scène de la construction d’une mémoire collective des dictatures du cône sud dans les romans des années 1980 ».

Entretien avec Laura Alcoba romancière (Université Paris Ouest-Nanterre La Défense /éditions du Seuil) : « À propos de l’écriture de Manèges, petite histoire argentine ».

Isabelle Bleton (ENS de Lyon/CERCC) : « Roman et transition démocratique en Argentine. Figures de la mémoire, de la malmémoire et de l’oubli ».

Marie-Pierre Rosier (Université Lumière Lyon 2) : « Témoignage, fiction et mémoire argentine: Élaborations littéraires d’ex-séquestrées et d’ex-prisonnières.».

Jaime Ginzburg (Université de São Paulo) : « Memória e esquecimento: Literatura Brasileira e Ditadura Militar ».

Désirée Schyns (Université de Gand) : « La mémoire littéraire de la guerre d’Algérie dans la fiction algérienne francophone: Les grandes lignes de son évolution ».

Annick Louis (Université de Reims/EHESS) : « Imaginer le réel. A propos de Lenta biografía de Sergio Chejfec (1990) et W ou le souvenir d’enfance de Georges Perec (1975) ».

Sylvie Rollet (Université de Poitiers) : « L’empire de la disparition: autour de quelques figures filmiques de l’amnésie historique ».

Laurence Mullaly (Université de Bordeaux) : « La mémoire agissante selon la cinéaste argentine Albertina Carri ».

Source :
Léa Métayer. 12/2016. « Les mémoires des traumatismes ».
La Clé des Langues (Lyon: ENS LYON/DGESCO). ISSN 2107-7029. Mis à jour le 23 janvier 2017.
Consulté le 31 janvier 2017.
Url : http://cle.ens-lyon.fr/ojal/les-memoires-des-traumatismes-329093.kjsp

NI L’ARBRE, NI LA PIERRE

Un livre proposé par Jean-Pierre.

 

PINOS Daniel / Ni l’arbre ni la pierre
Des combats pour la liberté aux déchirements de l’exil – L’odyssée d’une famille libertaire espagnole …

« Mon père était ouvrier à l’usine et le reste du temps avec ses compagnons, il préparait la révolution sociale. Enfant, dans les années cinquante, je considérais mon père comme quelqu’un ayant deux métiers : ouvrier et révolutionnaire. »

Les femmes et les hommes qui vécurent cette odyssée s’affrontèrent, la rage au ventre à l’ignominie des pouvoirs. A la joie, la vitalité et l’enthousiasme immense qui régnaient durant la révolution espagnole succéderont la détresse des réfugiés, dépossédés de leurs armes et parqués honteusement dans des camps de concentration français, la résistance contre le fascisme et l’espoir déçu d’un retour en Aragon.

Nous nous souviendrons longtemps, avec tendresse, de cette grand-tante chanteuse de music-hall à Barcelone, de ces grands oncles rebelles et aventuriers, bandoleros au service du mouvement libertaire, de cette grand-mère se répandant d’affection pour ses petits-enfants, leur chantant Hijos del pueblo, l’hymne des anarchistes. Nous repenserons au restaurant populaire collectivisé de Sariñena où se rencontrèrent Juliana et Eusébio, les parents de l’auteur.

Nous les imaginons débordant de révolte, de désir et d’espérance. Ils prennent place dans notre mémoire…

Né en 1953 à Villefranche-en-Beaujolais, Daniel Pinós est l’avant-dernier d’une famille de six enfants. Ses parents, des anarcho-syndicalistes espagnols, s’exilèrent en France en 1939. Militant libertaire et antimilitariste, insoumis en 1973, il s’exila à son tour à Amsterdam où, en 1976, il apprit la mort de son père. Il est aujourd’hui responsable d’édition aux Presses de la Sorbonne Nouvelle.

Collection Commune mémoire
 mai 2001
 127 pages
 prix de vente public : 9,15 EUR

http://www.atelierdecreationlibertaire.com/Ni-l-arbre-ni-la-pierreDes-combats.html?var_recherche=espagne

Couverture : illustration originale de Jacques Tardi

LA RETIRADA, PORT-VENDRES SE SOUVIENT…

Le Journal Catalan du 23 janvier 2017 :

retirada-port-vendres-se-souvient

La commune de Port-vendres organise deux temps forts en mémoire de la Retirada : Port-Vendres se souvient : La Retirada, du 2 au 7 février 2017, une exposition et un film, Camp d’Argelès, le 3 février ; et le 18 février, une marche et un hommage.


EXPOSITION « LES BRIGADES INTERNATIONALES »
au centre culturel (entrée libre) du jeudi 2 février au mardi 7 février 2017 de 15h à 18h en présence de l’auteur Joëlle Courtin-Daures « Le Mas des Ocells ».

PROJECTION DU FILM « Camp d’Argelès » de Felip Solé le vendredi 3 février à 18h30, au Vauban.
« L’idée de faire un film sur le Camp d’Argelès m’est venue en tête chaque fois que j’ai posé le pied sur cette plage. C’était comme si la plage provoquait en moi un double sentiment de rejet et d’attraction. Ce n’est qu’en filmant la plage que pouvait se résoudre ce conflit. Chaque fois que je marchais sur la plage, je me disais : ici il n’y a plus que le sable et la mer, et malgré les nombreux témoignages, celui qui vient ici ne peut voir que la même chose que moi, le sable d’une plage … et moi je voulais que l’on voie les milliers de républicains, les centaines de baraques et surtout la souffrance individuelle et collective … ainsi va germer l’idée de ce film ! » Felip Solé

Lien pour le film sur le camp d’Argelès :

http://www.kalimago.com/camp.html

 

MARCHE et HOMMAGE (Association FFREEE) le samedi 18 février 2017 Rassemblement 9h30 Parking CCI. Départ 10h Marche du quai Forgas vers l’IME Mauresque.

Le camp d’Argeles sur Mer
A la chute de Barcelone, en janvier 1939, et à la fin de la Guerre civile, près de 500 000 espagnols entreprennent le chemin de l’exil, un exode que l’on connaît sous le nom de Retirada. Cette arrivée massive de personnes dans le département des Pyrénées-Orientales (qui, à l’époque, avait une population d’environ 250 000 habitants) marqua le début de la séparation des familles dans des camps d’internement du Roussillon. Les plus connus sont ceux d’Argelès, de Saint-Cyprien, du Barcarès et de Rivesaltes.

Le camp de concentration d’Argelès-sur-Mer fut un camp de regroupement des réfugiés de la guerre civile espagnole, que le gouvernement français établit en février 1939 sur les plages de la commune d’Argelès-sur-Mer (Pyrénées-Orientales). À peu près 220 000 internés ont transité par ce camp. Le camp d’Argelès-sur-Mer fut mis en place au début de la retirada républicaine en France, puis vinrent s’ajouter les Juifs, les Tsiganes et autres étrangers. Le camp ferma vers la fin 1941, il fut transformé en Chantier de jeunesse par Vichy.

En 1939, Argelès était un petit village agricole de près de 3 000 habitants où le gouvernement français décida de construire un camp d’internement sur la plage, afin de recevoir les réfugiés républicains espagnols.

Ces réfugiés étaient des civils qui fuyaient la répression ou des militaires qui avaient défendu, pendant trois ans, la République espagnole démocratique issue des urnes, un fait relativement oublié par les démocraties occidentales à cause du Pacte de non-intervention.

La France n’avait pas prévu un tel afflux de réfugiés. Les mesures les plus importantes se bornèrent à veiller à la sécurité et au contrôle social. En traversant les Pyrénées, de nombreuses familles furent séparées dans des camps d’internement dans toute la France. Le camp d’Argelès fut le premier ouvert en Roussillon, il accueillit rapidement plus de 80 000 personnes. On n’avait rien prévu pour leur accueil et, au début, seuls le sable et les vêtements qu’ils portaient les protégeaient. Peu après, on ouvrit d’autres camps tels ceux de Saint-Cyprien et de Barcarès.

Conditions de vie :
Les conditions de vie dans ces camps sont extrêmement précaires (début février 1939, à l’occasion d’une conférence de presse à propos du camp d’Argelès, le ministre de l’Intérieur Albert Sarraut s’exprime en ces termes : « le camp d’Argelès sur Mer ne sera pas un lieu pénitentiaire, mais un camp de concentration. Ce n’est pas la même chose »).

Les premières semaines, les hommes dorment à même le sable ou la terre, sans baraquement pour s’abriter. Les décès sont réguliers en raison du manque d’hygiène et des difficultés d’approvisionnement en eau potable et en nourriture. Les conditions de surveillance sont drastiques et assurées par les troupes militaires, tirailleurs sénégalais, spahis ou garde républicaine mobile.

Humiliés par cet accueil et les conditions de vie qu’ils subissent durant leurs premiers mois en France, les réfugiés tentent cependant d’améliorer leur quotidien dans les centres d’hébergement et dans les camps. En comptant parfois sur l’aide de différentes organisations internationales de soutien aux réfugiés espagnols, ils organisent différentes activités afin de ne pas sombrer dans la folie et la dépression.

Les brigades internationales (1936 – 1938)
« C’est en Espagne que ma génération a appris que l’on peut avoir raison et être vaincu, que la force peut détruire l’âme et que parfois le courage n’obtient pas de récompense » Albert Camus.

Les Brigades internationales sont celles qui, sous le nom espagnol de Brigadas Internacionales, se sont battues au côté des Républicains contre les rebelles nationalistes, lors de la guerre civile espagnole, entre 1936 et 1938. Elles étaient composées de volontaires antifascistes venant de 53 pays différents. On estime que durant la totalité de la guerre, entre 32 000 et 35 000 volontaires servirent dans les Brigades internationales, dont 15 000 moururent au combat. Les volontaires participèrent à la bataille de Madrid (1936), aux combats du Jarama, de Guadalajara, de Brunete, de Belchite, de Teruel, du front d’Aragon et de l’Èbre.

Dissoutes à compter du 23 septembre 1938, les Brigades Internationales font leurs adieux au peuple espagnol sur les ramblas de Barcelone le 15 novembre 1938.

Dolores Ibarruri, dite la Pasionaria, leur dira : « Vous pouvez partir la tête haute, vous êtes l’Histoire, vous êtes la Légende, vous êtes l’exemple héroïque de la démocratie solidaire et universelle ».

 

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Source :

http://www.le-journal-catalan.com/retirada-port-vendres-se-souvient/38482

Pau : une exposition en hommage aux guérilleros espagnols en Béarn

Information du quotidien La République des Pyrénées

Pau : une exposition en hommageaux guérilleros espagnols en Béarn

« Memoria viva » est visible à la médiathèque André-Labarrère jusqu’au 26 janvier.

L’exposition, organisée par l’association MER (Mémoire de l’Espagne Républicaine), créée en 2005 par Jean Ortiz, universitaire palois, fils de républicains espagnols, et d’un groupe de filles et fils de Républicains espagnols vivant en Béarn, révèle un pan important du patrimoine local de la Résistance jusqu’à la Libération du Béarn.

Réalisés à partir de témoignages, d’archives, de documents historiques, ces travaux dévoilent les portraits de 23 guérilleros, et expliquent, à l’aide de fiches thématiques, les brigades internationales, les structures spécifiques de guérilleros : la MOI (Main-d’Oeuvre Immigrée), l’UNE (Union Nationale Espagnole, l’AGE (Agrupación de Guerrilleros Españoles),… Des ouvrages tels « Espagne Espagne », de Jean Richard Bloch, disparu en 1947, intellectuel juif, communiste, poète, écrivain engagé, dont la petite-fille Isabelle vit à Pau, des DVD, permettent d’approfondir cette période, d’en dévoiler les pages d’ombre.

Trop peu de traces

Cofondatrice et cheville ouvrière de l’association, Maïté Estop-Extramiana, accompagne, avec érudition et passion, les visiteurs dans leur découverte de cette histoire trop ignorée. Elle regrette « le peu de traces et d’hommage rendus à ces héros, exilés de l’Espagne républicaine, dont beaucoup ont vécu à Pau, en Béarn. Tout est parti du Hédas où ils ont été parmi les premiers à s’engager dans la Résistance contre le fascisme. »

Pour elle, comme pour les descendants et amis des exilés d’Espagne, la volonté de sortir cette histoire de l’oubli constitue un important devoir de mémoire.

À voir à la médiathèque, les lundi, mardi, jeudi, vendredi de 14h à 18h, les mercredi et samedi de 10h à 18h.

Source :

http://www.larepubliquedespyrenees.fr/2017/01/21/pau-une-exposition-en-hommageaux-guerilleros-espagnols-en-bearn,2090049.php

La mère Méditerranée

Le chanteur- compositeur Joan Manuel Serrat (Barcelone, 1943), très célèbre dans les années soixante, lance un clip vidéo en soutien aux réfugiés pour une campagne intitulée « Casa Nostra Casa Vostra ». Il interprète  Mediterráneo 45 ans après sa sortie.

 

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http://www.lainformacion.com/arte-cultura-y-espectaculos/musica/Joan-Manuel-Serrat-Mediterraneo-refugiados_0_990501384.html

Paroles et traduction :

Mediterráneo (Méditerranée)

Joan Manuel Serrat signe ici une ode à la mer Méditerranée et à ses peuples, un mélange de cultures, de traditions et d’attachement affectif.

Quizá porque mi niñez
Peut-être parce que mon enfance
Sigue jugando en tu playa,
Joue encore sur ta plage,
Y escondido tras las cañas
Et caché derrière les joncs
Duerme mi primer amor.
Dort mon premier amour.

Llevo tu luz y tu olor
Je porte ta lumière et ton odeur
Por donde quiera que vaya,
N’importe où, où que j’aille,
Y amontonado en tu arena
Et entassé dans ton sable
Guardo amor, juegos y penas.
Je garde (les souvenirs de) l’amour, les jeux et les peines.

Yo,
Moi,
Que en la piel tengo el sabor
Qui a dans la peau ton goût
Amargo del llanto eterno,
Amer des pleurs éternels
Que han vertido en ti cien pueblos
Qu’ont versé en toi cent peuples
De Algeciras a Estambul,
D’Algésiras à Istambul,
Para que pintes de azul
Pour que tu peignes de bleu
Sus largas noches de invierno.
Leurs longues nuits d’Hiver.

A fuerza de desventuras,
A force de mésaventures
Tu alma es profunda y oscura.
Ton âme est profonde et sombre.
A tus atardeceres rojos
A tes rouges crépuscules
Se acostumbraron mis ojos
Mes yeux se sont habitués
Como el recodo al camino…
Comme le virage au chemin…

Soy cantor, soy embustero,
Je suis chanteur, je suis menteur,
Me gusta el juego y el vino,
J’aime les jeux et le vin,
Tengo alma de marinero…
J’ai l’âme d’un marin…

¿Qué le voy a hacer, si yo
Qu’est-ce qui j’y peux si moi
Nací en el Mediterráneo ?
Je suis né en Mediterranée ?

Y te acercas, y te vas
Et tu t’approches, et tu t’en vas
Después de besar mi aldea.
Après avoir embrassé mon village.
Jugando con la marea
Jouant avec la marée
Te vas, pensando en volver.
Tu t’en vas, pensant à quand tu reviendras.

Eres como una mujer
Tu es comme une femme
Perfumadita de brea*
Toute parfumée de poix
Que se añora y que se quiere
Qui a la nostalgie et qui s’aime
Que se conoce y se teme.
Qui se connaît et qui se craint.

Ay…
Oh…
Si un día para mi mal
Si un jour pour mon malheur
Viene a buscarme la Parca**.
La Parque vient me chercher,
Empujad al mar mi barca
Poussez mon bâteau à la mer
Con un levante otoñal
Avec une brise automnale
Y dejad que el temporal
Et laissez que la tempête
Desguace sus alas blancas.
Detruise ses ailes blanches.

Y a mí enterradme sin duelo
Et moi, enterrez-moi sans deuil
Entrela playa y el cielo…
Entre la plage et le ciel…
En la ladera de un monte,
Sur la pente d’une colline,
Más alto que el horizonte.
Plus haut que l’horizon.
Quiero tener buena vista.
Je veux une bonne vue.

Mi cuerpo será camino,
Mon corps sera chemin,
Le daré verde a los pinos
Je donnerai du vert aux pins
Y amarillo a la genista…
Et du jaune au genêt…

Cerca del mar. . Porque yo
Près de la mer. . Parce que moi
Nací en el Mediterráneo…
Je suis né en Mediterranée…

*brea : Brai, poix. Le brai est une sorte de goudron que l’on étale sur les bateaux pour les rendre étanches.

**Les Parques : divinités maîtresses du sort des hommes.

 

Source : https://www.lacoccinelle.net/278626.html

Biographie : https://fr.wikipedia.org/wiki/Joan_Manuel_Serrat

« Ma vie en France », Cahier d’exil de la Présidente de l’Amicale Camp de Miellin

Une association amie nous fait part de cette parution.

Ma vie en France, le Cahier d’exil de la Présidente de l’Amicale Camp de Miellin (1939-1943) va paraître.

Le livre évoque son passage au Camp de Miellin.
Aurélia Moyà vient d’avoir 14 ans quand elle et sa famille traversent la frontière franco-espagnole, le 1er février 1939. La guerre d’Espagne touche à sa fin, le camp républicain a perdu. Commence pour Aurélia une longue pérégrination, des Vosges jusqu’en Normandie. Pour surmonter ces bouleversements, elle a un allié : son cahier, dans lequel elle rédige, jour après jour, ses « mémoires ». Malgré les déplacements incessants, la guerre, l’occupation et le travail à l’usine ou aux champs, Aurélia se bat avec une langue qui n’est pas la sienne, le français, pour consigner les faits marquants de sa vie en France et de celle de sa famille, de février 1939 à l’été 1943.
À la suite de ce récit inédit, une postface analytique met en lumière l’originalité de ce texte et ses apports à notre connaissance de cette séquence fondamentale de l’histoire contemporaine. Cette source, échappée par hasard à la destruction promise le plus souvent aux écritures ordinaires de soi, nous donne accès à une expérience personnelle de la rupture brutale qu’a provoquée l’exode de 1939 pour des milliers de personnes. Elle témoigne des efforts d’une adolescente prise dans les aléas de l’histoire pour retrouver le contrôle de son destin.
Née à Arbeca (Catalogne), Aurélia Moyà-Freire est présidente de l’Amicale Camp de Miellin et vit dans les Landes. Elle a publié en 2014 une autobiographie en catalan, Vinc d’Arbeca.

Les personnes qui désirent l’acheter à prix de souscription (quelques euros moins cher qu’en librairie, surtout si la commande dépasse trois exemplaires) peuvent le faire dès maintenant.

La parution est programmée le 26 janvier, jour d’anniversaire d’Aurélia !

Ma vie en France
Cahier d’exil d’une adolescente espagnole (1939-1943)
Auteur : Aurélia MOYÀ-FREIRE
Avant-propos, appareil critique et postface de Rose Duroux, Célia Keren et Danielle Corrado
N° ISBN : 978-2-8107-0421-7
PRIX : 14.00 €
PRIX souscription : 11.50 €
Format et nombre de pages : 13,5 x 22 cm – 114 p.
Parution le 26 janvier 2017
Prix de souscription jusqu’au 25 janvier 2017

Un flyer ci-dessous est à votre disposition pour commander l’ouvrage.

http://miellin1939.canalblog.com/archives/2017/01/21/34833111.html#utm_medium=email&utm_source=notification&utm_campaign=miellin1939

« Mort en Espagne », de Louis Delaprée. Un ouvrage oublié.

 

C’est l’un des ces livres qui ont sombré dans un oubli curieux – et injuste: «Mort en Espagne», de Louis Delaprée, publié en février 1937, a pourtant été très lu à sa parution. L’auteur, journaliste à «Paris-Soir», venait de disparaître en revenant de Madrid: son avion avait été mitraillé le 8 décembre 1936. Delaprée mourut le 11 à l’hôpital de Guadalajara. On accusa la chasse soviétique, puis les aviateurs franquistes et finalement, jamais à court d’une accusation fielleuse, Brasillach désigna Malraux comme l’auteur des coups de feu.

Louis Delaprée avait 34 ans, et venait de créer un scandale en accusant Pierre Lazareff, son patron, d’avoir censuré ses articles, pour laisser la place au ramdam créé par l’entrée en scène de Wallis Simpson et les atermoiements du roi Edward VII. Un télégramme avait mis le feu aux poudres: «Le meurtre de centaines d’enfants espagnols est donc moins intéressant pour vous que la putain royale?», écrivait Delaprée à son directeur. Leurs relations étaient refroidies, en plus, du fait que le jeune journaliste avait une liaison avec Hélène Gordon, future madame Lazareff. L’Espagne, la guerre, l’amour, tout se mêlait.

« J’ai honte d’être homme »

Le livre regroupe les articles de Delaprée en pleine tourmente. De l’état-major du général Mola (soutien de Franco, qui allait mourir, lui aussi, dans un «accident d’avion» en 1937) à Burgos jusqu’au «Martyre de Madrid», le reporter observe «une guerre de religion», alors que, dans les hôtels, «des marquises en robes du soir échangent des prophéties avec des paysans romantiques qui semblent sortir de l’album de Gustave Doré», et que, lors des escarmouches, les soldats s’endorment «dans des couvertures de gauchos, noblement drapées».

Églises éventrées, grands cimetières sous la lune, confins bleuâtres, milicien appuyé sur son mousqueton «comme une bergère sur sa houlette»…  Contrairement aux usages, Delaprée intervient, dans ses propres articles:

Il est dur, quand on plane ainsi malgré soi au-dessus de la guerre, de ne la pouvoir arrêter. Bien que je ne sois, au plus profond de cette tuerie, que deux yeux attentifs et un cœur déchiré, j’éprouve le sentiment d’une obscure culpabilité.»

Il décrit «une guerre de femmes», mais aussi «une guerre d’extermination», l’attaque de l’Acalzar de Tolède, l’incendie de l’Escurial, l’alerte aux gaz, sa rencontre avec le général Lukas, dont la poitrine est ornée de l’Étoile rouge soviétique «gagnée contre Wrangel», et avec Gustave Regler, commissaire politique de la XIIe Brigade Internationale, ami d’Arthur Koestler et de Lilian Hellman («Regler, c’est l’intellectuel voué à la politique, ne vivant que pour elle»). Delaprée ajoute:

J’ai honte d’être un homme quand l’humanité se montre capable de pareils massacres d’innocents.»

Et conclut :

Ô vieille Europe, toujours occupée à tes petits jeux et à tes grandes intrigues, Dieu veuille que tout ce sang ne t’étouffe pas.»

 

Quelques articles glanés ça et là viennent compléter le volume: une visite chez Douglas Fairbanks et Mary Pickford à Hollywood (chez qui il repère tout Dumas, un livre d’Octave Feuillet et «les Misérables»), une rencontre avec Charlie Chaplin au «Lapin Agile» de Montmartre, entre la guitare du père Frédé et les chansons de Bill Bocket, et, enfin, le portrait de Donna Rachele, l’épouse de Mussolini, «la femme de César est demeurée inconnue parce qu’elle l’a voulu avec une patience, un entêtement de paysanne», et qui finira patronne de restaurant, en Romagne.

On dit que c’est après avoir lu «Mort en Espagne» que Picasso se mit à peindre «Guernica». Il n’y a pas de plus bel hommage, n’est-ce pas ?

François Forestier

Bibliobs. La boite à bouquins de Forestier : voir la guerre d’Espagne et mourir. Publié le 20 janvier 2017 à 16h08

Mort en Espagne, par Louis Delaprée,
Editions Pierre Tisné, 272 p., 1937

 

Source : http://bibliobs.nouvelobs.com/documents/20170120.OBS4107/la-boite-a-bouquins-de-forestier-voir-la-guerre-d-espagne-et-mourir.html

 

Biographie :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Louis_Delapr%C3%A9e