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Retour en photos sur l’après midi en hommage à Emilio Marco
C’était ce samedi 25 juin 2016, à la bibliothèque municipale de Saint-Pierre-des-Corps :
Mort d’un républicain espagnol ?
La célèbre photo de R. Capa ne drevait-elle pas être re-légender en : « Mort d’un cénétiste espagnol sur le front d’Andalousie en 1936 » ?
Puisqu‘il s’agissait de Federico Borrell García « Taino » : Il était anarcho-syndicaliste, militant de la CNT et fondateur des jeunesses libertaires (FIJL) à Alcoy :
L’art de voler
L’ouvrage s’inscrit dans les quatre temps de la chute entre la naissance et la mort d’Antonio, parce qu’aussi bien, conclut Antonio
fils, « mon père mit 90 ans à tomber du quatrième étage »…
Antonio père désira voler depuis tout jeune pour échapper à une destinée insupportable : l’enracinement dans les contraintes familiales et la mentalité étriquée des petits paysans misérables de Peñaflor de Gállego, province de Saragosse, village où il naquit en 1910.
À l’âge de huit ans, comme tant d’autres, il dut quitter l’école pour aider aux travaux sur un lopin de terre que son père voulait étendre aux dépens du voisin. Chacun ayant la même pratique, des murs de propriété furent érigés sur toute la terre arable, annihilant à jamais l’horizon pour qui vivait courbé sur le sol, de sol a sol [1].
Antonio père concluait : « Les luttes fratricides que j’ai dû subir m’enseignèrent que les hommes ne doivent avoir d’autre village que l’humanité. […] J’ai grandi, oui, mais avec un horizon bouché par l’ambition, ou mieux dit par la misère. »
Perché sur un arbre, Antonio et son ami Basilio cherchent la direction de Saragosse, où le jeune révolté partira se confronter à une autre misère, de 1931 à 1936. Son seul passeport pour une relative liberté de mouvement était son permis de conduire obtenu en 1931, le jour de la proclamation de la République.
Puis la guerre civile éclate et la vie à Saragosse devient insupportable et terrorisante.
Antonio mûrit son plan pour échapper à la mobilisation et à l’Espagne franquiste. Les jeunes appelés dont il fait partie sont conduits sur le front à Quinto de Ebro : il arrive à passer la ligne…
…et tombe sur la centurie Francia, rassemblant des Espagnols qui vivaient en France avant 1936. Ces hommes faisaient partie de la colonne Ortiz, basée au sud de l’Èbre. Il trouve là une activité qui lui convient : transporter et distribuer les courriers des miliciens, entre Alcañiz, Azaila, La Puebla de Híjar… et une solide amitié avec trois de ces combattants, dont Mariano Díaz.
Quand les miliciens anarchistes apprennent qu’ils vont être militarisés et passer sous le commandement des communistes, la tension monte ; mais le processus est inexorable et la guerre petit à petit engloutit les espérances révolutionnaires.
Ensuite, comme l’écrit Antonio, ils commencèrent à assumer la possibilité de perdre aussi la guerre. La centurie Francia fut incorporée dans la 116e brigade de la 25e Division et Antonio père s’incorpora dans le 8e bataillon de transport. Le groupe d’amis se perdit et se retrouva au gré des batailles perdues ; la dernière étant celle de l’Èbre. Jusqu’à la retirada…
Beaucoup meurent à peine arrivés dans les camps de concentration français, à ciel ouvert ; puis ils doivent construire eux-mêmes leurs baraques : « Nous étions comme des oiseaux construisant leur propre cage. »
Miradors et mitrailleuses empêchent les internés d’être en France ; mais la route vers l’Espagne restera toujours ouverte. Comme elle n’était pas assez empruntée au goût des autorités françaises, celles-ci offrirent aux internés un faux choix : ou bien rentrer chez Franco, ou bien intégrer la Légion étrangère. Ceux qui ne choisissaient pas ne pouvaient être que des lâches :
Quand la guerre avec l’Allemagne éclate, Antonio ne sort de
St-Cyprien que pour aller trimer comme esclave dans les
forêts au sein d’une Compagnie de travailleurs. Après fuites
et détentions diverses, il trouve un havre de paix et de
bonheur à Guéret auprès d’une famille de paysans où le grand
père lui apprend à connaître la terre, qu’à la différence
des père et frères d’Antonio il aimait pour ses qualités et
non pour les quantités qu’elle produisait.
Et puis il y a Madeleine. qui rappellera sans doute aux
lecteurs des Fils de la Nuit une autre Madeleine qui
chevaucha également son Antonio.
Mais la guerre reprend le dessus : arrestations, vie clandestine et maquis se succèdent jusqu’à la libération. Une autre vie misérable commence qui voit l’espoir du renversement de Franco s’évanouir, et les idéaux d’existence se dégrader à Marseille dans la pratique du marché noir et la fréquentation du milieu.
Alors Antonio décide en 1949 de rentrer à Saragosse où sa cousine mariée à un phalangiste lui garantit la vie sauve s’il se soumet à la famille, à la Phalange, à l’argent. Pour compléter le tableau, il se marie à l’église.
« Le mariage fut aussi un enterrement, celui de la dignité et des idéaux […] comme beaucoup d’Espagnols, j’appris à vivre par-dessus mon propre cadavre. » Il annonce alors sa défaite à son ami Mariano, resté en France. Commence maintenant une vie de silence uniquement interrompu par la naissance de son unique fils Antonio en 1951…
…qui se rappelle encore aujourd’hui avec tendresse ces étés passés en France auprès de la famille de Mariano : le seul moyen qu’avait trouvé son père pour contrebalancer l’influence fascisto-cléricale de sa femme et de sa famille.
Puis tout se dégrada encore plus : la famille sombra dans la misère, le ressentiment, et Antonio père dans la dépression. En 1985, il entra dans une maison de retraite où il partagea avec deux compagnons quelques moments de fantaisie.
Jusqu’à la chute finale, en ce jour où « pour la première fois dans ma vie tout allait être facile ».
Les Giménologues, le 27 juin 2009.
[1] Du lever au coucher du soleil.
LES ENFANTS DE LA GUERRE CIVILE. Quelques photos.
Des enfants de la Guerre Civile, victimes innocentes d’un conflit qui les a souvent arrachés à leur terre natale. Que sont-ils devenus ?
Quelques images dans le désordre de la guerre. Il suffit de lire les visages.





Luis Ramón Marín (1884-1944), l’un des premiers photoreporters espagnols. A la fin de la guerre, il n’a plus été autorisé à exercer sa profession.








































Dessins d’enfants (origine indéterminée, collection personnelle). On reconnait en particulier les Savoia Marchetti italiens et les Junker Ju 87 allemands
Emilio Marco et ses compagnons de lutte
¡ A Zaragoza o al charco !
Les Giménologues et L’Insomniaque publient en 2016
« ¡ A Zaragoza o al charco ! » se lançaient les miliciens sur le front d’Aragon pour entretenir leur courage. Et cette formule [1], ils se la rappelèrent plus tard, dans les camps en France, nous disait un jour Emilio Marco, l’un des protagonistes de ce livre.
Le 18 juillet 1936, dans la capitale de l’Aragon, les jeunes libertaires comme Petra Gracia arpentent les boulevards en attendant de connaître l’attitude de la CNT-FAI face au soulèvement militaire prévisible. Le 19 juillet, Saragosse tombe aux mains des factieux.
La chute incompréhensible de la « perle anarchiste », encore retentissante de la motion sur le communisme libertaire adoptée au IVe congrès de la CNT en mai, est ressentie comme une catastrophe.
Le 24 juillet partent de Barcelone les miliciens de la « Primera columna », conduite par Buenaventura Durruti, puis ceux de la « Segunda columna », conduite par Antonio Ortiz, où Emilio Marco s’embarquera. Il combattra dans la centurie de Juan Peñalver, cénétiste de Sant Feliu de Llobregat.
Dans les quartiers ouvriers de Saragosse, les militants sont traqués et Florentino Galvàn se cache où il peut.
Alors que pour la plupart des libertaires, l’offensive pour reprendre Saragosse ne peut se dissocier de l’abolition du salariat et de l’argent, et de la mise en commun des terres, des outils et du travail, au niveau des Comités directeurs de la CNT et de la FAI on s’aligne sur l’antifascisme et l’on exige « que personne n’aille au-delà ».
Voilà le cœur de l’un des drames à plusieurs facettes qui se nouèrent dans la partie de l’Espagne restée républicaine. Mais avant que les mâchoires de la contre-révolution ne se referment sur les impatients du front et de l’arrière, une expérimentation aux dimensions historiques eut cours, un début de vie nouvelle fut savourée jusqu’à la dernière goutte, au sein de l’Aragon rural.
Miliciens catalans partant pour SaragosseAprès avoir accompagné les volontaires espagnols et internationaux de « la Durruti » dans le secteur de Pina, nous repartons en campagne au sud de l’Èbre, du côté de Belchite avec « la Ortiz ».
Et dans la continuité de À la recherche des fils de la nuit, nous tentons une fois encore d’articuler les histoires particulières et l’analyse des questions collectives.
Car cet ouvrage s’ancre dans les récits d’hommes et de femmes engagés dans les milices et dans les activités des collectivités aragonaises. Les rencontres qui se sont succédé après 2006 avec ces compañeros et compañeras – ou leurs enfants – représentent un petit miracle.
À Tours Engracia, fille de Florentino Galván [2], membre du Conseil d’Aragon, et Emilio Marco, milicien de la colonne Sur Ebro, ont sacrément animé notre soirée de présentation.
À Grenoble, Hélios se trouvait dans la même soirée que nous sur l’Espagne, et nous nous sommes « reconnus » au gré de nos interventions respectives. Il a lui-même rédigé l’histoire de son père Juan Peñalver [3], centurion d’Emilio (double surprise !).
Tomás Ibánez nous a dit un jour où nous étions au CIRA de Lausanne que sa mère Petra Gracia, fort âgée, n’arrêtait pas de lui parler (et pour la première fois) des terribles journées de l’été 1936 à Saragosse.
Après avoir lu l’édition espagnole des Souvenirs d’Antoine, Isidro Benet, un « ex » du Groupe international de la colonne Durruti, et son fils César, nous ont un jour contactés par mail depuis Valencia, histoire de savoir si les souvenirs du miliciano pouvaient nous intéresser…
Antoine et ses copains ont été un peu secoués en lisant dans « à la recherche des fils de la nuit » les noms de destacados anarchistes qu’avait bien connus son père, Manolo Valiña [4], lui-même ancien homme d’action de la CNT-FAI. Eux-mêmes avaient longtemps cherché à compléter son histoire.
Voilà que l’on pouvait encore approcher cette expérience de manière incarnée, avec des protagonistes du mouvement libertaire espagnol. Ce furent désormais les derniers témoins directs à nous avoir parlé aussi précisément, et avec toujours autant de passion, de ce moment fort de l’histoire.
Au fil des ans, nous avons régulièrement soumis à Emilio, Hélios, Petra, Isidro, Engracia et Antoine les nouvelles moutures des notices en cours de rédaction, jusqu’à la disparition des quatre premiers d’entre eux.
Nous saluons aussi au passage la mémoire de Josep Fortuny de Tarnac, et de Juan et María Gutiérrez de Banat, maintenant disparus.
Les récits de nos amis ont donc servi de matrice chronologique et événementielle que nous avons développée et recoupée à partir de ce que nous avons trouvé dans les centres d’archives, dans la presse des années trente, dans la documentation du mouvement libertaire espagnol, dans d’autres témoignages publiés ou non, et dans les travaux d’historiens ou de chercheurs amateurs.
Nous avons ajouté des développements de notre cru sur deux thèmes qui nous paraissent essentiels quand on se penche sur le processus révolutionnaire qui eut cours dans l’Espagne des années trente : le projet de société communiste libertaire, et la polémique, toujours entretenue aujourd’hui, sur une supposée cruauté spécifique des anarchistes espagnols.
Puisse cette mosaïque donner un peu à voir ce qui s’est joué au cours des luttes anticapitalistes dans les années trente en Espagne.
Le 24 avril 2016. Les Giménologues, Clermont-Ferrand, Lagarde, Marseille, Périgueux, Valbonnais.
[1] « ¡ A Zaragoza o al charco ! » [À Saragosse ou à la mare !] est une expression célèbre tirée d’une historiette datant du XIXe siècle, destinée à illustrer l’opiniâtreté des Aragonais. Un Aragonais rencontre sur son chemin un curé qui lui demande où il se dirige. « À Saragosse », répond-t-il. Le curé rétorque « Si Dieu le veut », et l’autre lui répond : « Qu’il le veuille ou non, c’est à Saragosse que je vais. » Dieu apparaît à cet instant, et pour punir le récalcitrant il le transforme en grenouille et le jette dans une petite mare, où il croupit.
Longtemps après, il lui redonne sa forme humaine, et l’Aragonais reprend sa route.
Mais il croise à nouveau un curé qui lui pose la même question, et il lui répond : « Voy a Zaragoza… o al charco », car il n’est pas acceptable pour lui de dire « Si Dieu le veut. »
Devant une telle détermination, Dieu jeta l’éponge.
On comprend que cette fable au fond irrévérencieux à l’égard de la religion, et où l’individu s’affirme face à l’autorité suprême ait séduit les anarchistes, au point que, comme on le verra dans ce livre, l’un d’entre eux signait ses articles : « Uno del charco ».
[2] Mort en 1966
[3] Mort en 1983
[4] Mort en 1976
ATTENTISME ET DEMISSION ou TRAHISON, CYNISME ET HYPOCRISIE.
GRELLET, Gilbert, Un été impardonnable.1936 : la guerre d’Espagne et le scandale de la non-intervention. Préface de Manuel Valls. Paris : Albin Michel, 2016, 278 p.
La non-intervention en Espagne fut une des farces diplomatiques les plus scandaleuses perpétrées en Europe entre les deux guerres.
William Shirer, journaliste et historien américain.
Les démocraties occidentales ont abandonné à son sort la démocratie espagnole. La farce de la non-intervention a poignardé dans le dos un gouvernement démocratique constitutionnel sous le couvert de l’impartialité.
Claude Bowers, ambassadeur des Etats-Unis en Espagne.
Il eût suffi d’une aide insignifiante au gouvernement de Madrid pour qu’il étouffât dans l’œuf la rébellion.
Jean Zay, ministre de l’Education Nationale.
A l’été 1936, les troupes nationalistes du général Franco, avec l’appui d’avions allemands et italiens, remontent du sud de l’Espagne vers Madrid. C’est une véritable « colonne de la mort » (*), formée de légionnaires et de mercenaires marocains. En chemin, ils multiplient les massacres de civils et assassinent les responsables politiques d’une République espagnole fragile, qui avait appelé au secours le gouvernement français du Front populaire.
Indifférentes à ces crimes de masse, la France de Léon Blum, l’Angleterre de Churchill (**) et l’Amérique de Roosevelt ont refusé d’intervenir pour aider les démocrates espagnoles, alors que les régimes fascistes prenaient fait et cause pour Franco et les militaires putschistes.
Le livre de Gilbert Grellet est le récit de cette faute impardonnable, qui allait meurtrir le peuple espagnol et accroître l’appétit de conquête d’Hitler et de Mussolini, préfigurant Munich et la Seconde Guerre mondiale. A l’heure où se repose la question des interventions extérieures, cette leçon d’histoire sonne comme un avertissement. L’attentisme et la démission sont inexcusables dans les situations extrêmes.
Gilbert Grellet est écrivain et journaliste à l’Agence France-Presse, dont il a notamment dirigé le bureau de Madrid de 2005 à 2010.
[reproduction de la quatrième de couverture]
(*) Expression attribuée à l’historien Francisco Espinosa Maestre (membre par ailleurs du groupe d’experts chargés de la recherche et de l’identification des fosses communes).
(**) Stanley Baldwin est alors premier ministre.
Divisé en une quarantaine de courts chapitres, telle une chronique, ce récit est une reconstitution historique des premiers mois de la guerre civile en Espagne. Bien documenté, il a pour source livres et documents publiés sur la guerre d’Espagne et sur les principaux acteurs mais aussi journaux publiés à cette époque en Espagne, en France ou en Angleterre (voir bibliographie). Sont situés dans leur contexte les discours prononcés et les articles écrits par les grands protagonistes de ce drame (Blum, Churchill et Franco en particulier), enfin sont consultées les archives militaires allemandes de Fribourg et de l’Association pour la Récupération de la Mémoire Historique (ARMH) à Madrid. Les dialogues des réunions et les entretiens reconstitués dans l’ouvrage sont tirés directement de ces documents. Lise London (rencontrée par l’auteur en 2006 et décédée en 2012), participant à la création des Brigades Internationales, qui fut la secrétaire – interprète d’André Marty, capitaine dans la Résistance, qui a survécu aux camps de la mort nazis (comme son mari, le communiste tchèque Arthur London, auteur de l’Aveu) est l’inspiratrice de ce livre.
Lise London née Elisabeth Ricol, de parents espagnols :
http://www.revues-plurielles.org/_uploads/pdf/1358528683.pdf
17 juillet 1936, soulèvement de la garnison de Melilla au Maroc espagnol.
Franco, surnommé « Miss Iles Canaries 1936» à cause de ses hésitations et sa façon de se faire désirer (les sobriquets concernant Franco sont nombreux et bien imagés), atterrit à Ceuta et rejoint le mouvement insurrectionnel initié par les généraux Mola (véritable cerveau et organisateur du soulèvement militaire), Sanjurjo (considéré comme le chef des insurgés). Queipo de Llano les a rejoints plus tardivement.
Dans cette colonne (la guerre dite « des colonnes » qu’elles soient franquistes ou républicaines – du POUM et de la CNT-FAI – se déroule au début du putsch, de juillet à novembre 1936) qui avance inexorablement vers la capitale, figurent les « volontaires » marocains tant redoutés. Souvent enrôlés de force, ils sont recrutés notamment par Soliman Al-Khattabi, un cousin d’Abd El Krim (chef de la révolte marocaine lors de la guerre du Rif dont la reddition aux espagnols ne sera effective qu’en 1926 grâce à l’appui déterminant des forces françaises commandées par Lyautey puis Pétain). Ces combattants, âgés de 16 à 50 ans, reçoivent une solde de 180 pts par mois (*), leurs parents reçoivent quant à eux huile, sucre, pain. Parfois, le butin recueilli, des machines à coudre Singer – très recherchées – sont directement expédiées par leurs officiers dans les douars du Rif oriental où s’effectue le recrutement nationaliste.
(*) 6 pts / jour est bon salaire pour un journalier agricole. En 1936, la majorité des articles de consommation courante était inférieur à 5pts : 1kg de pain ou de lait coûtait 70cts, pommes de terre 30cts, huile 2pts.
20 juillet.
José Giral, chef du gouvernement espagnol, envoie à son homologue français Léon Blum le message suivant : « Surpris par dangereux coup d’état militaire. Vous demandons de nous aider immédiatement par armes et avions. Fraternellement vôtre. Giral. »
Entouré de ses ministres, il n’y a aucun doute dans l’esprit de Léon Blum lors de cette réunion d’urgence à Matignon : « Bien entendu, nous allons accéder à leur demande. Le Frente Popular espagnol est dans le pétrin et nous devons absolument les soutenir. Vous êtes tous d’accord, n’est-ce pas ? ». Blum est en effet profondément solidaire des républicains espagnols.
23 juillet.
Stanley Baldwin (cousin de Rudyard Kipling), premier ministre conservateur (tory) de 1935 à 1937, laisse entendre à son homologue français quelques remarques préoccupantes : « Ne comptez pas sur nous. Londres resterait ‘ neutre ‘ si la livraison d’armes à Madrid entrainait un conflit avec Berlin ou Rome ». Il est clairement établi que les britanniques sont favorables aux militaires espagnols insurgés et pas seulement pour défendre les intérêts des entreprises britanniques actives en Espagne comme le groupe minier Río Tinto.
D’autre part, Franco s’est rendu des Canaries au Maroc en compagnie de l’ex- agent secret Hugh Pollard, dans l’avion Dragon Rapide loué en Angleterre à la compagnie Olley Air Services par le journaliste espagnol de droite Luis Bolín. Les militaires anglais à Gibraltar ont ensuite aidé en sous-main les rebelles en facilitant leurs communications téléphoniques. Neutralité ? Les dés sont pipés dès le début du conflit.
Les dirigeants britanniques ont été largement intoxiqués par les rapports des services secrets, le MI6, obsédés par la lutte contre le communisme, sur une soi-disant menace marxiste – en fait inexistante – dans la péninsule ibérique.
Une campagne de presse française de droite se fait l’écho de ces rumeurs.
Via « La revue de Paris » ou « La revue des deux mondes » l’homme politique et écrivain Jacques Bardoux (grand-père de Valéry Giscard d’Estaing) propage depuis plusieurs mois la fable d’un complot communiste pour justifier le putsch.
Voir également : BARDOUX Jacques, Le chaos espagnol, éviterons-nous la contagion ? Paris : Flammarion, 1937, 47p.
« Le juif Léon Blum nous conduira-t-il à la guerre ? » s’interroge ainsi L’Action française de Charles Maurras.
Blum autorisera en secret la livraison de quelques avions en pièces détachées ainsi que du matériel mais ces fournitures (payées en or) seront très limitées et insuffisantes.
Que faire ?
Albert Lebrun, esprit conservateur, président de la République, confie grandiloquent, à Blum : « Livrer des armes à l’Espagne peut signifier la guerre en Europe et la révolution en France. » Blum, isolé politiquement par son propre gouvernement et subissant la pression britannique, hésite à donner sa démission. Ses amis espagnols l’en dissuade car il est un précieux allié même si ses pouvoirs sont dérisoires. Blum, résigné, se voit contraint, à contrecœur, de se soumettre. Le gouvernement français décide alors à l’unanimité de n’intervenir en aucune manière dans le conflit intérieur espagnol et propose le principe de « non-intervention ».
Parmi les opposants les plus résolus à la non-intervention – nous devons les citer pour mémoire et par gratitude – figurent les socialistes Vincent Auriol (ministre des Finances, sera président de la République de 1947 à 1954), Roger Salengro (ministre de l’Intérieur), Georges Monnet (ministre de l’Agriculture), Marius Moutet (ministre des Colonies), Marx Dormoy (sous-secrétaire d’Etat à la Présidence du Conseil) ou Léo Lagrange (sous-secrétaire d’Etat aux Loisirs et aux Sports, il soutint les Olympiades de Barcelone), mais aussi les radicaux Pierre Cot (ministre de l’Air), Maurice Viollette (ministre d’Etat), Jean Zay (ministre de l’Education nationale et des Beaux-Arts) ou Alphonse Gasnier-Duparc (ministre de la Marine).
En face, ceux qui soutiennent le projet d’abandonner à son sort la démocratie espagnole en arrêtant de lui vendre des armes ont un poids politique plus important, que ce soit parmi les radicaux, Camille Chautemps (ministre d’Etat, fut maire de Tours, député, il succéda à Blum en juin 1937), Edouard Daladier (ministre de la Défense nationale et de la Guerre), Yvon Delbos (ministre des Affaires étrangères), ou chez les socialistes, Charles Spinasse (ministre de l’Economie nationale), Albert Rivière (ministre des Pensions), Albert Bedouce (ministre des Travaux publics), Robert Jardillier (ministre des Postes, Télégraphes, Téléphones), ou encore Paul Faure (co-secrétaire général de la SFIO avec Léon Blum), chantre du pacifisme, qui finira rallié à Vichy en 1940 comme la plupart des personnages précités. A cette liste non exhaustive, il faut ajouter le très influent poète-diplomate Alexis Léger (remarqué depuis 1924 sous le pseudonyme de Saint John Perse, auteur du sibyllin recueil de poèmes Anabase, qui recevra le prix Nobel de littérature en 1960), secrétaire général du Quai d’Orsay qui saura convaincre le gouvernement Blum : « Il est indispensable d’éviter toute provocation, si nous intervenons pour aider le gouvernement Giral face aux putschistes, ce sera un chiffon rouge agité devant Berlin et Rome. »
Churchill, écarté du pouvoir depuis plusieurs années, ne joue aucun rôle décisionnel. Il occupe un siège aux Communes mais ses idées, ses suggestions, sont écoutées par les dirigeants anglais. Il est aveuglé par un anticommunisme virulent qui l’empêche d’apprécier objectivement la situation en Espagne.
Début août, la presse française fait état de livraisons à Franco d’avions italiens. Hitler envoie discrètement 52 avions sans plaques de nationalité et du matériel de guerre.
Un mois de conflit déjà. Lorca est assassiné le 18 août (une hypothèse communément admise est que José Valdés Guzmán, gouverneur civil de Grenade, aurait ordonné la mise à mort du poète après avoir reçu le feu vert de Queipo de Llano).
Début septembre, Irun tombe, premier genou à terre de la République.
Des meetings de soutien à la République espagnole sont organisés partout en France, « neutralité immorale » dénonce Le Populaire, organe du parti socialiste.
Le 9 septembre enfin a lieu à Londres la première réunion pour formaliser le pacte de non-intervention proposé par la France afin de mettre en place des mécanismes permettant de contrôler les agissements des pays signataires. Vingt-cinq pays sont représentés hormis le Portugal et la Suisse. Dino Grandi, fasciste notoire représente l’Italie, Joachim Von Ribbentrop (futur ministre des Affaires étrangères), l’Allemagne. Cinq jours plus tard, un sous-comité est mis en place, composé de huit pays : Grande-Bretagne, France, Allemagne, Italie, Union Soviétique, Suède, Belgique et Tchécoslovaquie – ces trois derniers n’y feront que de la figuration. Dès le lendemain, Madrid fait savoir qu’il y a eu des violations de l’accord de la part de l’Allemagne, de l’Italie et du Portugal, en vain. L’opération « Feu magique », montée en une semaine, est le nom donné par Goering à l’aide militaire nazie aux nationalistes (en référence à l’opéra de Wagner « Siegfried »). Le 25 septembre, Julio Álvarez del Vayo, le ministre espagnol des Affaires étrangères, dénonce, indigné et impuissant, devant la 17è assemblée générale de la Société des Nations à Genève, ce scandale politique sans précédent. Rappelons que l’Allemagne n’est plus membre de la SDN depuis 1933.
Cette attitude va pousser Moscou à aider à son tour les républicains à partir du mois d’octobre. Ce « comité de non-intervention », comme il sera désormais désigné, va demeurer actif jusqu’en août 1938, et sera seulement dissous en avril 1939. Cynisme et hypocrisie.
Quelle est la position des Etats-Unis ?
Claude Bowers (*), ambassadeur des Etats-Unis en Espagne, véritable démocrate, considère que ce conflit oppose « une armée à un peuple », il dénonce « la sinistre farce et les simulacres éhontés» de la non-intervention, l’attitude « pitoyable » de Blum, la « trahison de la démocratie espagnole ». Roosevelt, initialement favorable aux républicains espagnols a cédé au secrétaire d’Etat Cordell Hull qui s’appuyait sur le Neutrality Act de 1935 (lois de neutralité et de non-interventionnisme dans les conflits étrangers) pour écarter toute idée de soutiens aux belligérants. Un embargo formel sera même décrété début 1937 alors que le Neutrality Act ne s’applique nullement aux guerres civiles comme le conflit espagnol. Comme pour la Grande-Bretagne, cette apparente neutralité penche plutôt du côté des insurgés car les milieux d’affaires américains accordent leur soutien aux putschistes. Texaco livre pétrole et carburant, Studebaker et Général Motors fournissent à crédit quelque douze mille camions, Dow Chemical livre des dizaines de milliers de bombes via l’Allemagne. En revanche, le 10 août, le gouvernement américain interdit au fabricant aéronautique Glenn L. Martin de vendre huit bombardiers à Madrid. Cependant, la grande majorité des journalistes américains couvrant le conflit espagnol appuie plutôt les républicains, Hemingway est le plus connu. Sur une idée de Maurice Thorez, le Komintern crée début novembre les Brigades Internationales, près de trois mille américains intégreront le bataillon Abraham Lincoln (aux côtés des dix mille français).
(*) BOWERS Claude G., Ma mission en Espagne 1933-1939. Paris : Flammarion, 1956, 412 p.
Le pacte de non-intervention ne sera pas respecté par les alliés de Franco. Entre avril et juillet 1937, 42 navires chargés de matériel de guerre à destination des franquistes passeront outre le blocus ou seront protégés par les « navires de contrôle » allemands et italiens. Malgré ces infractions, aucune mesure ne sera prise. En octobre 1937 ont lieu des premiers contacts entre la junte de Burgos et le gouvernement britannique. Des accords commerciaux sont signés et, le 16 novembre, les britanniques envoient Robert Hodgson comme « agent commercial ». Euphémisme pour un ambassadeur en puissance.
Abandonnée par les démocraties européennes, attaquée par les nazis et les fascistes, Franco a fait massacrer son peuple par des troupes étrangères. La République espagnole se vide de son sang.
Le 20 octobre 1936, Sanjurjo meurt dans un accident d’avion, le 3 juin 1937 c’est le tour de Mola dans les mêmes circonstances (Manuel Machado, frère d’Antonio, lui dédiera même un poème : « ¡ Emilio Mola ! ¡Presente ! »). Affranchi de ses principaux rivaux Franco a désormais le champ libre.
Nous connaissons la suite.
Ce livre nous place dans le fébrile contexte international et diplomatique qui règne au début du coup d’état militaire des insurgés contre la République. La boucherie de la Première Guerre mondiale a laissé des stigmates indélébiles aux victimes, mutilés, veuves, plaies restées ouvertes pendant encore plusieurs décennies pour cette génération née à la charnière des deux siècles : « plus jamais ça » répétaient-ils. La crainte d’un nouveau conflit mondial a probablement abusé non-interventionnistes et pacifistes face à une réalité qui leur échappait : « Il ne suffit pas d’interdire la guerre pour garantir la paix ». Dès 1933, quand Hitler devient chancelier, on relève dans la presse française les premières inquiétudes – justifiées – face à la lente montée de la peste brune. L’attentisme a rendu la guerre inexorable, déclenchée six mois après la fin de la Guerre Civile espagnole. On peut penser que les pays fascistes n’auraient pas résistés à une attitude ferme et non équivoque des pays démocratiques.
Histoire et conflits de mémoire en Espagne
Il y a quarante ans, la mort de Francisco Franco ouvrait un processus de transition démocratique négocié entre le gouvernement et l’opposition antifranquiste. Il était mis fin à un régime établi une quarantaine d’années auparavant, au terme d’une guerre civile particulièrement meurtrière, déclenchée par un coup d’État militaire. Ainsi la démocratie espagnole ne rompit-elle pas officiellement avec la dictature et évita-t-elle de revenir sur les circonstances de son avènement.
Depuis la fin des années 1990, ce « consensus transitionnel » est critiqué par les mouvements sociaux en faveur de la « récupération de la mémoire historique » et rompu par les partis qui se saisissent désormais du passé comme d’une arme politique. Ce contexte n’est pas sans conséquences sur le travail des historiens, dont les interprétations de la Seconde République, de la guerre civile et de la dictature sont au coeur des conflits de mémoire.
Ce numéro spécial de Vingtième Siècle explore les effets de ces débats mémoriels sur la manière dont on écrit l’histoire du 20e siècle espagnol, en proposant un tour d’horizon des recherches menées depuis une vingtaine d’années.
SOMMAIRE
Les historiens pris dans les conflits de mémoire
Élodie Richard et Charlotte Vorms
Transition historiographique ? Retour sur quatre-vingts ans d’histoire de l’Espagne
Élodie Richard et Charlotte Vorms
Usages politiques du passé
La mémoire malmenée de la transition espagnole à la démocratie
Sophie Baby
La guerre civile espagnole, enjeux historiographiques et patrimoine politique
François Godicheau
Entretien avec le romancier Isaac Rosa
par Élodie Richard
La violence sous la Seconde République espagnole : une question politique
Eduardo González Calleja
Le renouvellement du corps des professeurs d’histoire pendant le premier franquisme
Rubén Pallol Trigueros
Belchite, entre lieu de mémoire et lieu de reconnaissance (1937-2013)
Stéphane Michonneau
Le régime franquiste
Le rôle de l’Église dans la répression franquiste
Gutmaro Gómez Bravo
Le culte de la mort dans l’« État nouveau » espagnol (1936-1941)
Francisco Sevillano Calero
Le contrôle de la sexualité des jeunes Valenciennes sous le franquisme (années 1940 et 1950)
Amélie Nuq
De la crise du logement à la question urbaine : le régime franquiste et les conditions de vie urbaines
Céline Vaz
Adhésion, consentement, résistance
Les dynamiques locales et quotidiennes de la répression franquiste (1936-1950)
Claudio Hernández Burgos
Une histoire sociale de la résistance au franquisme
Jorge Marco
Le premier franquisme « vu d’en bas » : résistance armée et résistances quotidiennes (1939-1952)
Mercedes Yusta Rodrigo
La question religieuse en Espagne au 20e siècle
Feliciano Montero García
Prix : 23 €
MILICIENNES
Quelques photos de femmes engagées dans la défense de la République. L’enthousiasme de la jeunesse se lit sur leur visage.
Simone Weil, 1936.
Plaza Mayor, photo de Zuga, 1938.

Isabel Gonzáles, militante du PSOE aux Canaries.

Frente del Nalón.
Revue Estampa, 29-08-36.
Revue Estampa, 29-08-36.
Esperanza Rodríguez, capitaine.
Revue Crónica, 05-01-37.
Capitaine.
Photo Capa, août 1936.
Infirmière, Buitrago (Aragon).
Photo Centelles, juillet 1936.
Revue Estampa, 29-08-36.
La bête immonde
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