La Capitana, une femme d’exception racontée par une auteure argentine,Elsa Osorio

 

 

OSORIO Elsa, La Capitana. Madrid : Ediciones Siruela, 1992,

capitana

Elsa Osorio est argentine et elle raconte dans son livre, La Capitana, la vie de Micaela Feldman de Etchebéhère (1902-1992) qui fut elle aussi argentine, puisqu’elle est née dans une petite ville fondée par des colons juifs de Russie et d’Europe de l’Est dans la province de Santa Fe, avant de devenir une citoyenne du monde engagée dans le combat de la Révolution.

Pour Elsa Osorio, l’écriture de ce livre s’étend sur de nombreuses années, un quart de siècle, entre le moment où elle a eu connaissance du personnage et la sortie de son livre en 2012.

Elle va mener une véritable enquête avant de se décider à écrire. Elle retrouve les carnets de Micaela Feldman de Etchebéhère, elle se rend dans tous les lieux où vécut son héroïne, Paris, Berlin, Madrid, elle recueille les témoignages de ceux qui l’ont connue. Elle lit aussi le livre que La Capitana a écrit et qui a été publié à Paris en 1975, Ma Guerre d’Espagne à moi, et traduit en espagnol un an plus tard sous le titre, Mi guerra de España. Testimonio de una miliciana al mando de una columna del POUM.

On pourrait croire que ce travail de recherche allait conduire Elsa Osorio à écrire une biographie appliquée et détaillée, rien d’autre qu’une biographie retraçant pas à pas le destin de celle qu’on appelle aussi Mika.

Ce ne sera pas le cas. D’abord Elsa Osorio a fait un choix dans les passages de la vie de Mika en fonction de leur côté narratif mais dans le respect absolu des faits. Elle affirme : « Quería honrar su vida, no crear un personaje de ficción ». Elle a donc écrit plutôt une biographie littéraire d’à peine 300 pages en donnant vie dans un style d’une grande simplicité à cette femme exceptionnelle que l’Histoire a quelque peu oubliée, comme beaucoup d’autres d’ailleurs. La vie de Mika est un véritable roman et, comme le disait Borges, la réalité peut paraître invraisemblable et dépasser quelquefois la fiction.

Très jeune, Micaela Feldman s’affiche comme une militante engagée et sa rencontre avec celui qui sera l’unique amour de sa vie, un jeune Argentin d’origine française, Hipólito Etchebéhère, la fera renoncer au confort d’une vie bourgeoise pour se consacrer entièrement à la Révolution.

Hipólito étant tuberculeux, ils partent tous les deux pour le climat plus sec de la Patagonie argentine comme dentistes mais en même temps ils veulent collecter des témoignages sur le massacre des peones commis par l’armée dans la province du Chubut entre 1920 et 1921. Puis en 1930 ils partent en Europe à la recherche de la classe ouvrière et de la Révolution. Les voilà dans l’Espagne républicaine, puis à Berlin où ils assistent, impuissants, à la montée du nazisme, puis à Paris où ils fondent en 1934 une revue antistalinienne, Que faire ?

1936, six jours avant le coup d’état de Franco, ils sont à Madrid. C’est la période de la vie de Mika qu’Elsa Osorio raconte le plus longuement, fidèle en cela au titre qu’elle a donné à son livre, La Capitana. Hipólito et Mika rejoignent le POUM, Parti Ouvrier d’Unification Marxiste, qui correspond le mieux à leurs idées. Hipólito commande une colonne motorisée mais il meurt au combat lors de la bataille d’Atienza. Mika décide alors de prendre le poste de son mari et elle réussit à imposer son autorité à ces hommes, révolutionnaires certes mais profondément machistes. Mika réussit à forcer  leur admiration et leur respect par son courage, son abnégation, son charisme, son intelligence et ce sont les miliciens eux-mêmes qui vont la nommer « La Capitana » de leur colonne du POUM. Elle apprend la stratégie guerrière sur le tas, elle participe à plusieurs batailles et elle est désignée pour prendre la colline d’Ávila.

En 1937 elle est arrêtée par des agents staliniens sur le front de Guadalajara. Libérée sur intervention de Cipriano Mera, elle reste en Espagne jusqu’en 1938. En 1939 elle rejoint Paris puis en raison de ses origines juives, elle retourne en Argentine.

Elle revient à Paris en 1946 et en 1968, à 66 ans, on la retrouve sur les barricades auprès des étudiants auxquels elle conseille de mettre des gants afin que les policiers, en voyant leurs mains propres, ne puissent les soupçonner d’avoir dépavé des rues pour construire des barricades !

Quand elle meurt en 1992, ses cendres sont dispersées clandestinement dans la Seine par ses amis.

Quel sujet pour une romancière ! Quel superbe portrait d’une femme bien réelle, toujours fidèle aux combats et aux engagements qu’elle avait choisis, mais injustement oubliée ! Elsa Osorio lui rend hommage sans grandiloquence ni emphase et  fait revivre cette grande figure de la Guerre Civile espagnole.

Ces femmes comme la Capitana ou comme Federica Montseny dont nous a parlé Georges, avaient un idéal pour lequel elles se battaient, pour lequel elles étaient prêtes à tout sacrifier. Pour rien au monde elles n’auraient renoncé aux luttes justes qu’elles menaient pour le droit, la paix, la justice, la liberté. Les femmes de pouvoir d’aujourd’hui bénéficient des combats passés de ces femmes mais  l’idéal, qu’en ont-elles fait ? Elles l’ont relégué dans les profondeurs de leur conscience pour ne pas voir que l’addiction à l’exercice du pouvoir est devenue leur seule valeur, elles l’ont oublié comme on a oublié ces femmes qui furent grandes en toute modestie. Ce sera là ma conclusion ! Pessimiste, sans doute mais c’est ma conclusion !

Ce livre a été traduit en français, aux éditions Métailié, en 2012, avec son titre d’origine, La Capitana !

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