Emilio Marco et ses compagnons de lutte

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¡ A Zaragoza o al charco !

Aragon 1936-1938. Récits de protagonistes libertaires

 

Les Giménologues et L’Insomniaque publient en 2016

« ¡ A Zaragoza o al charco ! » se lançaient les miliciens sur le front d’Aragon pour entretenir leur courage. Et cette formule [1], ils se la rappelèrent plus tard, dans les camps en France, nous disait un jour Emilio Marco, l’un des protagonistes de ce livre.

Le 18 juillet 1936, dans la capitale de l’Aragon, les jeunes libertaires comme Petra Gracia arpentent les boulevards en attendant de connaître l’attitude de la CNT-FAI face au soulèvement militaire prévisible. Le 19 juillet, Saragosse tombe aux mains des factieux.
La chute incompréhensible de la « perle anarchiste », encore retentissante de la motion sur le communisme libertaire adoptée au IVe congrès de la CNT en mai, est ressentie comme une catastrophe.
Le 24 juillet partent de Barcelone les miliciens de la « Primera columna », conduite par Buenaventura Durruti, puis ceux de la « Segunda columna », conduite par Antonio Ortiz, où Emilio Marco s’embarquera. Il combattra dans la centurie de Juan Peñalver, cénétiste de Sant Feliu de Llobregat.
Dans les quartiers ouvriers de Saragosse, les militants sont traqués et Florentino Galvàn se cache où il peut.

Alors que pour la plupart des libertaires, l’offensive pour reprendre Saragosse ne peut se dissocier de l’abolition du salariat et de l’argent, et de la mise en commun des terres, des outils et du travail, au niveau des Comités directeurs de la CNT et de la FAI on s’aligne sur l’antifascisme et l’on exige « que personne n’aille au-delà ».

Voilà le cœur de l’un des drames à plusieurs facettes qui se nouèrent dans la partie de l’Espagne restée républicaine. Mais avant que les mâchoires de la contre-révolution ne se referment sur les impatients du front et de l’arrière, une expérimentation aux dimensions historiques eut cours, un début de vie nouvelle fut savourée jusqu’à la dernière goutte, au sein de l’Aragon rural.

Miliciens catalans partant pour SaragosseAprès avoir accompagné les volontaires espagnols et internationaux de « la Durruti » dans le secteur de Pina, nous repartons en campagne au sud de l’Èbre, du côté de Belchite avec « la Ortiz ».
Et dans la continuité de À la recherche des fils de la nuit, nous tentons une fois encore d’articuler les histoires particulières et l’analyse des questions collectives.
Car cet ouvrage s’ancre dans les récits d’hommes et de femmes engagés dans les milices et dans les activités des collectivités aragonaises. Les rencontres qui se sont succédé après 2006 avec ces compañeros et compañeras – ou leurs enfants – représentent un petit miracle.

À Tours Engracia, fille de Florentino Galván [2], membre du Conseil d’Aragon, et Emilio Marco, milicien de la colonne Sur Ebro, ont sacrément animé notre soirée de présentation.
À Grenoble, Hélios se trouvait dans la même soirée que nous sur l’Espagne, et nous nous sommes « reconnus » au gré de nos interventions respectives. Il a lui-même rédigé l’histoire de son père Juan Peñalver [3], centurion d’Emilio (double surprise !).
Tomás Ibánez nous a dit un jour où nous étions au CIRA de Lausanne que sa mère Petra Gracia, fort âgée, n’arrêtait pas de lui parler (et pour la première fois) des terribles journées de l’été 1936 à Saragosse.
Après avoir lu l’édition espagnole des Souvenirs d’Antoine, Isidro Benet, un « ex » du Groupe international de la colonne Durruti, et son fils César, nous ont un jour contactés par mail depuis Valencia, histoire de savoir si les souvenirs du miliciano pouvaient nous intéresser…
Antoine et ses copains ont été un peu secoués en lisant dans « à la recherche des fils de la nuit » les noms de destacados anarchistes qu’avait bien connus son père, Manolo Valiña [4], lui-même ancien homme d’action de la CNT-FAI. Eux-mêmes avaient longtemps cherché à compléter son histoire.

Voilà que l’on pouvait encore approcher cette expérience de manière incarnée, avec des protagonistes du mouvement libertaire espagnol. Ce furent désormais les derniers témoins directs à nous avoir parlé aussi précisément, et avec toujours autant de passion, de ce moment fort de l’histoire.
Au fil des ans, nous avons régulièrement soumis à Emilio, Hélios, Petra, Isidro, Engracia et Antoine les nouvelles moutures des notices en cours de rédaction, jusqu’à la disparition des quatre premiers d’entre eux.
Nous saluons aussi au passage la mémoire de Josep Fortuny de Tarnac, et de Juan et María Gutiérrez de Banat, maintenant disparus.

Les récits de nos amis ont donc servi de matrice chronologique et événementielle que nous avons développée et recoupée à partir de ce que nous avons trouvé dans les centres d’archives, dans la presse des années trente, dans la documentation du mouvement libertaire espagnol, dans d’autres témoignages publiés ou non, et dans les travaux d’historiens ou de chercheurs amateurs.

Nous avons ajouté des développements de notre cru sur deux thèmes qui nous paraissent essentiels quand on se penche sur le processus révolutionnaire qui eut cours dans l’Espagne des années trente : le projet de société communiste libertaire, et la polémique, toujours entretenue aujourd’hui, sur une supposée cruauté spécifique des anarchistes espagnols.

Puisse cette mosaïque donner un peu à voir ce qui s’est joué au cours des luttes anticapitalistes dans les années trente en Espagne.

Le 24 avril 2016. Les Giménologues, Clermont-Ferrand, Lagarde, Marseille, Périgueux, Valbonnais.

 

 

[1« ¡ A Zaragoza o al charco ! » [À Saragosse ou à la mare !] est une expression célèbre tirée d’une historiette datant du XIXe siècle, destinée à illustrer l’opiniâtreté des Aragonais. Un Aragonais rencontre sur son chemin un curé qui lui demande où il se dirige. « À Saragosse », répond-t-il. Le curé rétorque « Si Dieu le veut », et l’autre lui répond : « Qu’il le veuille ou non, c’est à Saragosse que je vais. » Dieu apparaît à cet instant, et pour punir le récalcitrant il le transforme en grenouille et le jette dans une petite mare, où il croupit.
Longtemps après, il lui redonne sa forme humaine, et l’Aragonais reprend sa route.
Mais il croise à nouveau un curé qui lui pose la même question, et il lui répond : « Voy a Zaragoza… o al charco », car il n’est pas acceptable pour lui de dire « Si Dieu le veut. »
Devant une telle détermination, Dieu jeta l’éponge.
On comprend que cette fable au fond irrévérencieux à l’égard de la religion, et où l’individu s’affirme face à l’autorité suprême ait séduit les anarchistes, au point que, comme on le verra dans ce livre, l’un d’entre eux signait ses articles : « Uno del charco ».

[2Mort en 1966

[3Mort en 1983

[4Mort en 1976

emilio

2 réflexions sur « Emilio Marco et ses compagnons de lutte »

  1. Article de la NR

    Samedi 25 juin, la bibliothèque municipale a rendu hommage à Emilio Marco, figure très appréciée et regrettée de la commune.
    Arrivé en France en 1939, après sa participation à la guerre d’Espagne, il décède en 2013, à l’âge de 92 ans, après avoir été l’un des principaux artisans de l’aménagement du quartier de la Galboisière et avoir milité dans de nombreuses associations locales.
    Le président de Retirada 37 (Luis Lopez) a ainsi affirmé l’importance de « faire vivre les valeurs et mémoires des républicains espagnols ».

    Et, preuve de la place qu’a laissée Emilio dans les mémoires, la présence de Patrick, venu spécialement de Dieppe (Seine-Maritime) lorsqu’il apprit, le matin même, la rencontre programmée.
    Le contact avec le public s’est déroulé en deux étapes : la première, par James, le fils d’Emilio, destinée à recueillir les témoignages de ceux qui ont eu la chance de connaître son père, puis un échange avec l’écrivaine Myrtille Gonzalbo, autour de son ouvrage « A Zaragoza o al charco », dans lequel elle retrace l’histoire du combat libertaire à travers les témoignages de rescapés ou de leurs enfants.
    Pour débuter l’aventure, c’est Marie-France Beaufils, sénatrice-maire, qui a ouvert le bal des hommages : « Emilio, je le connais pour sa vie et son implication à Saint-Pierre et, avec mon père, ils cultivaient ensemble leurs jardins, mais je souhaite découvrir aujourd’hui une autre facette de son histoire. »
    Elle fut ensuite rejointe par d’autres membres de l’assistance, dans des moments plus émouvants les uns que les autres qui dressèrent le portrait d’un homme très attachant : « Pour les enfants, Emilio représentait la cité. Emilio, c’est une histoire d’amitié. Un petit bonhomme qui a vécu une grande page d’histoire. Un type extraordinaire et un super-copain qui poussait en plus très bien la chansonnette à l’occasion de fêtes. »

  2. Bonsoir Jacqueline,
    Je ne connaissais pas Emilio Marco mais j’ai été très touchée par les témoignages des gens qui l’avaient connu à Saint Pierre des Corps et aussi par celui de ce monsieur qui était venu spécialement de Dieppe et dont les commentaires étaient tout à fait intéressants.
    Un petit regret, qu’il ait été question de manière trop décousue d’Emilio dans la conférence qui a suivi.
    Une question me préoccupe mais c’est mon pessimisme qui me pousse à le dire : existe-t-il aujourd’hui des hommes comme Emilio Marco ?

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