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Les cheminements d’une histoire singulière

■ Guillaume GOUTTE
PASSEURS D’ESPOIR
Réseaux de passage du Mouvement libertaire espagnol 1939-1975
Saint-Georges d’Oléron, Les Éditions libertaires, 2013, 230 p
.

AU FOND de l’histoire, indiquait Lucien Febvre, il y a toujours des sentiments. Longtemps le récit de cette histoire-là – notamment celle de la résistance libertaire antifranquiste des années 1950 – fut raconté de manière sentimentale et avec l’idée qu’il fallait revendiquer le parcours tragique de ces quelques hommes qui marchèrent vers la mort au nom de leurs convictions. On était alors dans une double nécessité : la première relevait d’une dette morale envers ces combattants disparus et la seconde d’une mise en cause des instances du Mouvement libertaire espagnol en exil dans la gestion approximative et cahotante de la stratégie d’action armée contre l’État franquiste. Cette tâche, Antonio Téllez Solá (1921-2005) fut le premier à la mener à bien en consacrant partie de son existence à raconter cette histoire qui fut aussi la sienne. D’où le caractère indiscutablement affectif de ses récits, par ailleurs bien informés [1]. Avec le livre de Guillaume Goutte, qui assume clairement l’héritage de l’ « œuvre fondatrice » de Téllez Solá, nous entrons à l’évidence dans une autre dimension, celle qui tient à égale distance, et avec constance, l’histoire froide, antiquaire et dématérialisée, des universitaires à prétention objectiviste et l’histoire héroïque à vocation militante plus encline à manier l’émotion que le bilan. C’est sans doute le principal mérite de cette étude, fruit d’un travail universitaire transformé en livre, que de s’efforcer d’éviter ces deux écueils en tenant fermement le cap de l’histoire critique pour restituer sur le long terme – trois décennies et demie – les cheminements complexes d’une résistance libertaire.

CENTRÉ sur la figure du « passeur » – et plus largement sur la question de « l’organisation de la traversée de la frontière » –, le livre de Guillaume Goutte adopte, en effet, un angle de vision original par rapport à la production historiographique dominante sur le sujet. Il s’agit ici de comprendre, à ras de terre pourrait-on dire, comment fonctionnèrent ces réseaux de passage mis en place par les anarchistes espagnols, mais aussi de montrer comment ils évoluèrent, sur le long terme, en regard des conditions de la clandestinité et des changements de ligne stratégiques du Mouvement libertaire espagnol en exil. Sur cet aspect du problème, Passeurs d’espoir offre une vision globale bien documentée des conflits internes que suscitèrent, au sein de l’exil libertaire, les activités des groupes de la résistance intérieure tout en se gardant de les réduire, comme c’est souvent le cas dans la sphère de l’histoire héroïque, à une éternelle dichotomie entre une « juste ligne » (activiste) et les pesanteurs bureaucratiques visant à la paralyser. Ici, les évidentes sympathies de l’auteur pour l’activité de la résistance libertaire n’oblitèrent pas son jugement quant à ses faiblesses et ses contradictions, mais aussi quant à l’entêtement qu’elle manifesta à se maintenir, malgré son faible rendement, dans les pires conditions.

Indépendamment de son principal objet – « réévaluer l’intense activité antifasciste à laquelle se sont livrés les anarchistes espagnols » entre 1939 et 1975 –, Passeurs d’espoir peut induire, tant son champ est vaste, plusieurs niveaux de lecture. On y trouvera, au choix, une description fouillée de l’exil anarchiste espagnol en France, un exposé méthodique des motivations du passage clandestin de la frontière pyrénéenne dans les deux sens durant toute cette période, une analyse précise de l’organisation de l’activité des réseaux de passage anarchistes et un relevé circonstancié des politiques de répression que suscita, des deux côtés de la frontière, cette délictueuse activité. De quoi penser, en somme, les divers éléments configurant un dispositif complexe où le « passeur anarchiste » (ou « passeur de guérilla ») représente une « pièce maîtresse » de la résistance libertaire contre le franquisme.

Cet homme, qui est-il ? À la différence du passeur « classique » – ou encore du guide salarié par d’autres organisations antifascistes –, le passeur anarchiste fait intimement corps avec le projet qu’il sert. Cette adéquation entre son idéal militant et son activité constitue, sans doute, sa grande singularité. Il est un combattant conscient des risques qu’il encourt, risques qu’il partagera avec ses compagnons en cas d’échec – d’autant qu’il est parfois passeur et guérillero, comme c’est, par exemple, le cas de Ramón Vila Capdevila, dit Caraquemada. En clair, avant d’être « passeur », cet homme est d’abord un militant anarchiste qui met sa connaissance du terrain au service d’une cause qu’il fait sienne et qui, sans lui, ne pourrait pas prospérer. Le reste est affaire de circonstances et d’opportunités. Le moins qu’on puisse dire, c’est que, suivant le long cours de cette histoire, les conditions et les enjeux du passage changeront souvent.

On aurait tort, en effet, de voir dans cette résistance un continuum mythique de l’esprit de rébellion fondé sur le seul refus anarchiste de la dictature. Elle épouse, au contraire, jusque dans ses moments de recul ou d’hésitation, les mouvements, plus ou moins favorables, d’une histoire hésitante. D’où la nécessité de la saisir dans le détail en s’attachant aux ruptures d’approche qui la caractérisèrent d’une période à l’autre. La première saison de la résistance s’inscrit, de 1939 à 1945, dans le mouvement plus général de la lutte contre le nazi-fascisme et engage, très tôt, au sein du réseau Ponzán notamment [2], des anarchistes convaincus que l’issue de ce combat déterminera forcément l’avenir de l’Espagne. Atypique, cette phase reste marquée par le pragmatisme des réseaux libertaires qui s’y impliquent et n’hésitent pas à travailler pour des alliés provisoires en échange de certains avantages pour leur propre cause [3]. La deuxième saison se subdivise en deux périodes : l’une, qui va de 1946 à 1950, voit éclore des groupes d’action apparemment soutenus par l’exil mais fonctionnant plutôt de manière autonome ; l’autre, qui court de 1951 à 1960, se caractérise par la persistance de l’activisme armé des derniers groupes d’action malgré l’abandon de cette ligne par les instances de l’exil en 1951. La troisième saison (1961-1967) est liée à la fondation de l’organisme Défense Intérieur, puis à l’« insurgence » d’une nouvelle génération d’activistes des Jeunesses libertaires à travers les activités du Groupe 1er-Mai. Enfin, la quatrième et dernière saison, celle des années 1970, met en mouvement des groupes sans lien organique direct avec le Mouvement libertaire espagnol (ou ses dissidences), comme les GARI et le MIL.

LA LUTTE contre la dictature franquiste demeure, du début à la fin de cette histoire singulière, la principale raison d’être des passeurs anarchistes (de la France vers l’Espagne – pour y transférer des combattants, des fonds, des armes et de la propagande – ou de l’Espagne vers la France – pour y rapatrier des militants en danger). Chevilles ouvrières de la résistance, le succès des missions dont ils ont la charge repose essentiellement sur leurs épaules.

À la différences d’autres ouvrages où la question de la rémunération des passeurs se voit souvent reléguée aux oubliettes de l’idéalisme, le livre de Guillaume Goutte apporte, sur le sujet, quelques éléments d’information chiffrés intéressants, notamment sur la première saison de la résistance. On y apprend, par exemple, que le réseau Ponzán demandait de 2 000 à 3 000 pesetas aux services britanniques pour chaque personne passée à leur demande [4]. Pour ce qui concerne le transport de Juifs vers l’Espagne – que le réseau prit parfois en charge contre la volonté des services britanniques, qui n’en faisaient pas une priorité –, les tarifs exacts ne sont pas connus, mais il semble qu’ils n’aient rien eu à voir avec ceux – exorbitants – pratiqués par les passeurs classiques. Jusqu’en 1942, l’argent perçu par le réseau Ponzán était, nous dit Guillaume Goutte, « intégralement versé à une caisse commune » destinée à subvenir aux besoins de ses membres et de leurs familles, mais aussi à financer les activités proprement anarchistes du réseau [5] et ses infrastructures (hébergeurs, faussaires, imprimeurs, agents de liaison).

Les passeurs des années suivantes – dont certains exerçaient, pour leur propre compte, des activités de contrebande – n’étaient, semble-t-il, rémunérés que lorsqu’ils passaient, de l’Espagne vers la France, des « migrants “économiques” ou “familiaux” ». Cela dit, on peut penser, que, même s’ils travaillaient souvent pour la gloire, il leur arrivait aussi, à l’occasion, d’être défrayés par les groupes d’action de la résistance [6]. De même, sur les bases d’appui dont disposait la résistance des années 1950 – notamment, du côté français, le mas Tartas et le mas Graboudeille et, du côté espagnol, Can Moreno et Can Flaquer –, sur les itinéraires de passage clandestin et sur les expéditions elles-mêmes, Passeurs d’espoir fourmille de données fort utiles pour comprendre comment fonctionnaient, dans le détail, ces réseaux.

Essentiel dans les deux premières saisons de la résistance libertaire, le rôle des passeurs tend à décliner à partir des années 1960, date à laquelle, avec le début de la grande migration touristique, s’ouvrent d’autres voies, moins dangereuses, de passage vers l’Espagne. « Nombre de jeunes activistes anti-franquistes, nés en exil, [étant] de nationalité française », la plupart des entrées se font alors, indique Guillaume Goutte, « par les postes frontaliers, avec des papiers le plus souvent en règle ». Presque « légalement », en somme. Reste que, certaines traversées clandestines demeurant encore nécessaires, « notamment pour évacuer des militants recherchés par la police », les passeurs ne disparaissent pas complètement. En cas de besoin, ils reprennent le collier, en adaptant, il est vrai, leurs activités aux nouvelles formes de déplacement motorisées. Ce changement de méthode est ici évoquée par Jordi Gonzalbo et Jeanine Lalet, qui participèrent de près, dans les années 1960 et 1970, aux activités de passage liées au groupe des Jeunesses libertaires de Perpignan [7].

SI, D’UNE PHASE À L’AUTRE de la résistance libertaire au franquisme, perdure un même imaginaire réactivant les mêmes vertus combattantes, les différences sont évidemment nombreuses, comme le montre Guillaume Goutte, entre la résistance à mort des premiers temps, l’extrême solitude des maquisards des années 1950, l’activisme à vocation spectaculaire des années 1960 et l’illégalisme assumé des années 1970.

Guillaume Goutte accorde une attention particulière – et attendrie – aux maquisards des années 1950, seconde époque, dont le seul – mais vrai – mérite fut probablement de sauver symboliquement l’honneur des vaincus d’une déjà lointaine guerre civile. Ceux qui s’adonnèrent, en ces temps de désarroi, à cette résistance solitaire étaient en réalité de drôles de types incapables d’admettre d’autre manière de vivre – et de mourir – que celle-là. Porteurs de flamme côtoyant des fantômes, ils se battaient non pour vaincre, mais pour ne pas démériter. Cette configuration mentale si particulière d’une résistance ultra minoritaire, le franquisme la perçut comme un réel danger, non pour sa survie – elle était assurée au vu du déséquilibre des forces engagées –, mais parce qu’elle ravivait constamment la mémoire du peuple des ombres. D’où la constance qu’il mit à l’éradiquer. Qu’on entende bien : il ne s’agit pas, ici, de sur-valoriser la « dangerosité » anti-franquiste des Sabaté, Facerías et autres Caraquemada – au bout du compte, leurs clandestines activités n’eurent aucun effet déstabilisateur réel sur le régime –, mais d’insister sur l’exceptionnelle motivation individuelle de ces combattants solitaires que rien ne fit céder : ni l’adversité, ni le rejet dont ils furent l’objet de la part de leur organisation. C’est sans doute cette étrange prédisposition à l’entêtement et au refus qui les firent passer pour des aventuriers quand ils n’étaient que des irréductibles.

Au tournant des années 1960, les adeptes d’une nouvelle forme de résistance, moins lyrique et plus méthodique, critiquèrent, dans les rangs d’un mouvement libertaire en voie d’apparente réunification, la facture par trop improvisée de l’ancienne. Pour Guillaume Goutte, si l’on « peut assurément parler d’impasse de la lutte armée » à la fin des années 1950, cet échec s’explique surtout par la féroce répression qu’elle subit et par « l’inadéquation entre le soutien supposé de l’appareil confédéral de la CNT “apolitique“ à la lutte armée et la réalité des moyens qu’il était capable ou souhaitait mettre en œuvre pour l’assumer ». Il poursuit : « Cette dualité permanente entre les intentions et les actes induisit indubitablement, du côté des groupes d’action, autant de faux espoirs que de sourdes rancœurs ». Pour la nouvelle génération résistante, celle qui fit ses premières armes dans le cadre de l’organisme Défense Intérieur (DI), il s’agissait, en revanche, d’opérer un « saut qualitatif » – pour reprendre l’expression d’un de ses stratèges, Octavio Alberola [8] –, en rompant avec le côté « romantique » et « désorganisé » de la vieille garde. Pour un autre « jeune libertaire » de l’époque, Tomás Ibáñez, dont Guillaume Goutte rapporte les propos, les principales différences entre ces deux âges de la résistance étaient au nombre de quatre : la tactique d’action directe ne devait plus être « l’affaire d’individualités », mais engager « l’ensemble du MLE » ; les braquages devaient être exclus ; les opérations devaient être menées dans l’intention de susciter des « effets médiatiques » ; l’objectif essentiel de cette résistance devait être d’abattre Franco [9].

Au terme de deux années d’activités régulièrement contrariées par ceux-là mêmes dont la présence au sein du DI n’avait, depuis sa création, d’autre but que celui-là [10], un bilan honnête de la courte existence de cet organisme « conspiratif » impose de reconnaître, comme le fait Guillaume Goutte, que, malgré sa louable aspiration au « saut qualitatif », ses « lacunes » furent aussi évidentes que ses difficultés « à gérer correctement ses entreprises » [11]. Pour s’en convaincre, nous dit-il, il suffit de s’intéresser, « au-delà des imprévus que toute action clandestine peut connaître, [à l’] amoncellement d’erreurs [qui lui sont] directement imputables », notamment au moment de la confuse opération madrilène de l’été 1962 – qui deviendra la tragique « affaire Granado-Delgado » et « entamera définitivement son crédit » [12]. Par la suite, le flambeau fut repris par les seules Jeunesses libertaires qui persistèrent, à travers le Groupe 1er-Mai, à emprunter, pendant quelques années encore, la voie activiste avant qu’une nouvelle vague d’insurgés, plus proche de l’illégalisme armé post-soixante-huitard que de la résistance libertaire antifranquiste classique, n’occupe, au début des années 1970, le devant d’une scène où tout se décidait dans les coulisses – y compris le tempo d’une transition démocratique déjà programmée. Quelque dix ans après Francisco Granado et Joaquín Delgado, Salvador Puig Antich, militant du MIL, sera le dernier garrotté – mais non le dernier exécuté – d’un généralissime exterminateur qu’aucune résistance ne parvint, hélas, à éliminer.

S’IL CONVIENT de saluer le travail de Guillaume Goutte, c’est qu’il est rare que, sur un tel sujet, l’équilibre soit à ce point tenu entre l’évidente empathie ressentie pour les fantômes de cette résistance au long cours et la claire volonté d’en retracer l’histoire sans sombrer dans sa mythification. Centré sur la figure du passeur anarchiste, un des grands oubliés – notons-le – de cette longue épopée, le récit qu’il en tire nous replace au centre de cet entrelacs de passions et de refus qui poussèrent quelques hommes à poursuivre un combat bien trop inégal pour pouvoir être remporté. La première leçon qui se dégage de cette épopée, la principale peut-être, c’est qu’il existe, quelles que soient les circonstances, des individus – rares – qui se sentent portés par un défi nécessaire et que rien n’abat, pas plus la défaite que la solitude. La seconde, c’est que cette histoire leur appartient en propre, et non pas à l’organisation à laquelle ils étaient liés et qui, souvent, les lâcha sans jamais le leur dire clairement. Quant à supposer que cet abandon valut trahison, ce serait évidemment ignorer qu’aucune organisation, aussi libertaire fût-elle, ne pouvait lier son sort et ses intérêts à une stratégie qui risquait, à terme, de remettre en cause le statut légal qu’elle avait acquis en exil. Son grand tort fut de jouer sur les deux tableaux, et même de surenchérir dans le martyrologe, en laissant accroire, par pure démagogie, qu’elle était, encore et toujours, le centre névralgique d’une résistance qui la gêna plutôt aux entournures – double langage qui conduisit, au début des années 1960, à la création d’un organisme « conspiratif » dont les concepteurs firent tout pour qu’il ne conspire surtout pas.

Il n’est plus temps, cela dit, de se demander si la voie de la résistance armée contre le franquisme était possible. Ni même de savoir dans quelles conditions elle aurait pu l’être. Elle fut tentée, sous diverses formes, et elle échoua, quelles que fussent les méthodes employées, à atteindre la plupart de ses objectifs. Sauf un : maintenir vivante la mémoire des vaincus et, avec elle, ouverte la perspective qu’il n’était jamais vain d’arpenter les chemins d’insoumission. Au risque de s’y perdre en cherchant un passage. À l’heure des bilans, c’est sans doute ce qui demeure, et c’est bien comme ça.

José FERGO

[1] Deux livres de cet auteur sont disponibles en français : Sabaté. Guérilla urbaine en Espagne (1945-1960), Toulouse, Repères-Silena, 1990, et Le Réseau d’évasion du groupe Ponzán. Anarchistes dans la guerre secrète contre le franquisme et le nazisme (1936-1944), Toulouse, Le Coquelicot, 2008.

[2] Francisco Vidal Ponzán (1911-1944) demeure indiscutablement la figure dominante de cette « première résistance ». Ancien agent du Service d’intelligence spéciale périphérique (SIEP) de l’armée républicaine, cet anarchiste aragonais, instituteur de profession, fut, de 1939 à sa mort, au cœur d’un vaste réseau de passage de frontière travaillant de concert avec les services secrets britanniques.

[3] Dans une perspective parallèle, il faut noter que leurs commanditaires – ici, les services britanniques, mais il y en eut d’autres, notamment dans les rangs gaullistes – surent le plus souvent réutiliser, pour la cause résistante, les compétences particulières que des combattants anarchistes comme Ponzán – mais aussi Agustín Remiro ou Juan Catalá – avaient acquises, pendant la guerre d’Espagne, sur le front d’Aragon, en matière de renseignement, d’évasion et d’infiltration.

[4] Juan Catalá et Joaquín Baldrich touchaient, eux, 3 000 pesetas par agent ou aviateur transporté en Espagne, en 1943.

[5] Entré clandestinement en France en 1947, Cipriano Mera racontait que la vie d’un condamné à mort valait alors, en Espagne franquiste, 500 pesetas. Autrement dit, avec 500 pesetas on pouvait corrompre un fonctionnaire de prison. Partant de là, Mera, lui aussi pragmatique en diable, s’évertua à convaincre les instances dirigeantes de la CNT en exil qu’il était sans doute plus urgent, pour l’heure, de faire sortir un maximum de compagnons libertaires des geôles franquistes que de publier livres et journaux en quantité. Sans succès. L’anecdote vaut ce qu’elle vaut, mais elle restitue assez précisément une réalité que connaissaient Ponzán et ses camarades, qui réinvestirent dans cette tâche partie des prestations reçues des services britanniques.

[6] Les passeurs les plus célèbres de cette époque seront Francisco Denís Diéz, dit Catalá, et Ramón Vila Capdevila, dit Caraquemada – voir, à leur sujet, l’entretien avec Mariano Aguayo Morán publié dans ce numéro –, mais aussi Antonio Gónzalez Péres, dit Tono, Antonio Cereza Grasa et Antonio Cuesta Hernández.

[7] On lira, dans ce numéro, une recension du livre récemment paru de Jordi Gonzalbo : Itinéraires Barcelone-Perpignan. Chroniques non misérabilistes d’un jeune libertaire en exil.

[8] Dans l’entretien accordé à Guillaume Goutte, Octavio Alberola affirme curieusement que la situation internationale de l’époque – guerre froide, mouvements de décolonisation et, surtout, révolution cubaine – joua un rôle dans la réunification, en 1961, de la CNT. L’hypothèse est hardie mais sans fondement. Ce qui, en revanche, n’est pas discutable, c’est l’influence évidente que joua le processus révolutionnaire cubain sur Alberola, qui en fut longtemps un ardent panégyriste.

[9] Hormis les illusions d’époque sur une implication réelle – c’est-à-dire logistique et financière – des instances dirigeantes du MLE en exil dans ce genre d’activités et l’intérêt manifeste, lui aussi d’époque, porté aux impacts médiatiques de telle ou telle action, l’idée d’attenter à la vie du dictateur n’était pas, elle, à proprement parler originale, comme le prouve l’entretien avec Mariano Aguayo Morán que nous publions dans ce numéro.

[10] C’est ainsi que Germinal Esgleas et Vicente Llansola, représentants de la très immobiliste orthodoxie faïste, furent tout à la fois les inspirateurs et les fossoyeurs du DI.

[11] Sans parler des infiltrations policières qu’il subit et ne soupçonna pas. Sur ce chapitre, Goutte situe à ses justes proportions l’ampleur de la calamiteuse insouciance du DI, puis du Groupe 1er-Mai, vis-à-vis d’un indicateur qui sévit quatorze années durant dans le milieu activiste.

[12] Sur cet épisode, on peut se reporter, malgré ses lacunes, au livre de Carlos Fonseca, Le Garrot pour deux innocents : l’affaire Granado-Delgado – Éditions CNT-RP, 2004 – recensé dans le n° 16 – avril 2004 – de ce bulletin sous le titre : « De “l’innocentisme” et de ses limites ». Sur l’activisme des années 1960, on peut puiser, avec mesure, au livre de Salvador Gurucharri et Tomás Ibáñez, Une résurgence anarchiste. Les Jeunesses libertaires dans la lutte contre le franquisme : la FIJL dans les années 1960 – Acratie, 2012 –, dont l’édition espagnole fut longuement recensée dans le n° 39 – janvier 2011 – de ce même bulletin sous le titre : « Au temps des “Jeunesses” ardentes : l’histoire en héritage ».

Á PROPOS DES PHOTOS DU CAMP DE MAUTHAUSEN, ANTONIO GARCÍA ET FRANCISCO BOIX : QUELQUES VERITES.

Merci à Véronique Salou Olivares pour ces précisions en réponse à notre article :

PARÍS DARÁ EL MAYOR RECONOCIMIENTO AL FOTÓGRAFO DE MAUTHAUSEN

 

Juste dire qu’au-delà de tous les mérites et les risques pris par Francisco Boix pour collecter ce témoignage précieux de photos et les sortir du camp ou les cacher dans le camp, il n’était pas seul. Il a beaucoup oeuvré pour ce devoir collectif de résistance et de survivre. Mais son décès très jeune en a fait un martyr idéal pour ceux qui voulaient créer une figure « d’Épinal » pour la résistance du camp, et pour cause il ne pouvait plus rien dire.
Antonio Garcia Alonso par son fils Claude : (extraits)

Lorsque Boix arrive à L’Erkennungsdienst (labo photo du camp de Mauthausen) il y a déjà une résistance organisée au sein de ce Kommando:
« Six déportés travaillaient au labo photo en mai 1941 : un socialiste autrichien, Hans, était le Kapo; un jeune républicain espagnol, Antonio García Alonso, ( N°4665) travaillait depuis début mai au labo photo; Stefan Grabowski, le « Polonais rouge », qui avait combattu en Espagne dans les Brigades internationales, Miroslav Lastowka, un autre Polonais ; Johann Gralinski ; enfin un autre Espagnol, Ruiz.
Antonio García s’est vite rendu compte que Grabowski, responsable avant son arrivée du développement, tirait clandestinement un sixième exemplaire de certaines photos et cachait cette collection dans le labo. Il continua lui-même ce travail qui, découvert, leur aurait valu une mort atroce, et a probablement mis de côté quelques clichés de la visite de Himmler du 31 mai. Fin 1942, García demanda un assistant, étant donné la surcharge de travail due aux arrivées massives de déportés, et proposa à Paul Ricken (adjudant SS responsable du labo) un nom, choisi en fait par les dirigeants clandestins à Mauthausen du parti communiste espagnol : un autre Catalan, Francesc Boix Campo, appelé couramment Francisco Boix. en 1944, arriva dans le service photo un dernier Espagnol : José Cereceda.
Trois déportés étaient au courant de la collection secrète : Grabowski, mort fin 1944, García et Boix. Très malade, García fut hospitalisé au Revier (hôpital) de février à mars 1945. À son retour, la collection, d’environ 200 clichés, avait disparu de sa cachette. Boix, devenu dans l’intervalle Kapo du labo (mais il le nia au procès de Nuremberg), finit par dire à García l’avoir remise aux dirigeants communistes clandestins, qui l’avaient dispersée et camouflée dans le camp. Après le suicide de Hitler le 30 avril, annoncé à la radio le lendemain, le commandant de Mauthausen ordonna à Paul Ricken de détruire l’ensemble des négatifs et des photos de l’Erkennungsdienst, pour effacer les traces de l’esclavage et de la barbarie à l’oeuvre dans le camp. García et Boix réussirent alors à soustraire encore des négatifs et des photos.
L’organisation clandestine espagnole avait, quelques semaines avant, décidé de faire sortir du camp les clichés cachés depuis quatre ans, grâce à deux jeunes communistes catalans, Jacinto Cortés et Jesús Grau, qui portaient chaque jour ses repas à un Kommando d’Espagnols travaillant au village de Mauthausen. Ils avaient sympathisé au fil des mois avec Anna Pointner, une habitante voisine du chantier, qui accepta de dissimuler les photos dans une lézarde du mur de son jardin. Et le 5 mai, donc, le camp fut libéré.

Boix, apparemment, récupéra le lot de clichés et l’emporta en France où il travailla pour la presse communiste : le 1er juillet, l’hebdomadaire Regards publia 21 des photographies ; le 1er août, le quotidien Ce soir leur consacra un numéro spécial. En 1946, Boix s’attribua le mérite d’avoir sauvé 20 000 photos… Mais « sa » collection fut éclatée : García récupéra certains tirages, Boix en vendit à des agences de presse, notamment tchèques, avant sa mort survenue en 1951, à l’âge de 31 ans, de tuberculose – il est enterré au cimetière parisien de Thiais. Boix devint ensuite un héros porté par la mémoire du Parti communiste espagnol, clandestin sous Franco, et du PCF. García, lui, soupçonné de sympathies trotskystes, n’a pas bénéficié de la même valorisation. L’historien américain David Wingeate Pike, qui a très longuement interviewé García, décédé en 2000, a réhabilité aujourd’hui son rôle dans la soustraction et le sauvetage des photos.

NDLR : Les restes Francisco Boix seront tranférés au cimetière du Père Lachaise à Paris lors d’une cérémonie prévue le 16 juin 2017.

 

Antonio Garcia Alonso :

Né le 19 mai 1913, à Tortosa, province de Catalogne, décédé le 10 juillet 2000. Il écrivit sur le bulletin de la FEDIP sous le pseudonyme de « Juan de Portado ». Au camp il fut très actif dans son kommando le Erkennungdiens, service anthropométrique des prisonniers, pour collecter les preuves des assassinats. (informations données par sa femme Odette) Matricule N° 4665.
Des photos SS présentées comme preuves aux procès de Nuremberg et Dachau
Francisco Boix fut le seul Espagnol appelé à témoigner devant le tribunal militaire international de Nuremberg, les 28 – le même jour que Marie-Claude Vaillant-Couturier – et 29 janvier 1946. Six photos apportées par Boix furent projetées devant le tribunal et versées au dossier des preuves. Dans sa déposition, il certifia, par le biais des photos développées et tirées à l’Erkennungsdienst, la présence de Kaltenbrunner (en compagnie de Himmler) et de Speer (en mars 1943) lors de visites officielles de Mauthausen ou de l’annexe de Gusen – alors que les deux accusés niaient connaître le camp. C’était là la raison d’être de la comparution de Boix, cité comme témoin de l’accusation par Charles Dubost, procureur adjoint de la délégation française.
C’est à Dachau qu’eut lieu, du 7 mars au 13 mai 1946, le procès de 61 responsables, médecins, gardes et Kapos du camp de Mauthausen. Ils furent jugés par un tribunal militaire américain, bien que Mauthausen fît partie de la zone d’occupation soviétique : c’était en effet l’armée américaine qui avait libéré le camp. Francisco Boix témoigna de nouveau, le 11 mai, et fournit 30 photographies qui furent versées au dossier d’accusation comme preuves.

Mémoires Partagées, Association 1901
62 rue du 11 Novembre, 91600 Savigny sur Orge,

http://www.24-aout-1944.org/

 

 

PARÍS DARÁ EL MAYOR RECONOCIMIENTO AL FOTÓGRAFO DE MAUTHAUSEN

Le cercueil de Francisco Boix sera transféré du cimetière de Thiais (Val de Marne) à celui du Père Lachaise à Paris. Un hommage lui sera rendu en présence d’Anne Hidalgo et de Ramiro Santisteban dont le père fut sauvé de la mort à Mauthausen par Francisco Boix.

La cérémonie aura lieu le vendredi 16 juin à 13h30.

Sa reconnaissance officielle est tardive mais bien méritée. Il est méconnu en Espagne.

Photographe espagnol interné au camp de Mauthausen, Boix a réussi à sauvegarder 2000 clichés qui ont servi de preuves au procès de Nuremberg (il est le seul témoin espagnol au procès). Des photos montrent une visite de hauts responsables nazis dont le chef du Bureau de la Sécurité du Reich, Ernst Kaltenbrünner. Celui-ci avait  pourtant nié avoir visité le camp… Il avait probablement perdu la mémoire, mais les victimes, elles, ne peuvent oublier.

Au cimetière du Père Lachaise reposent  également Juan Negrín López dans la 88e division et, dans la 97e division, en face du Mur des Fédérés, sont inhumés plusieurs participants de la Guerre d’Espagne, espagnols et étrangers, notamment membres des Brigades Internationales, à proximité du tombeau de Francisco Largo Caballero.

Cette même 97e division accueille le Mémorial des Espagnols morts pour la Liberté (environ 35 000 dont 10 000 déportés, principalement à Mauthausen, de 1939 à 1945). Erigé à l’initiative de la Fédération Espagnole des Déportés et Internés Politiques, ce Mémorial est aujourd’hui la propriété de l’Etat Espagnol.

Il doit de ce fait être considéré comme un monument national espagnol.

 

Sa biographie en français :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Francisco_Boix

 

París dará el mayor reconocimiento al fotógrafo español de Mauthausen
Los restos de Francesc Boix serán trasladados al Père Lachaise, el cementerio más conocido de la capital francesa

Al acto asistirá la alcaldesa de la ciudad y el deportado Ramiro Santisteban, a cuyo padre salvó Boix de la muerte en el campo de concentración de Mauthausen

El fotógrafo catalán organizó el robo de las fotografías que probaban los crímenes cometidos por los SS y testificó en los Juicios de Núremberg

Carlos Hernández

eldiario.es
07/04/2017

 

Francesc Boix fotografiado en Mauthausen / MHC (Fons Amical de Mauthausen)

MÁS INFO (véase eldiario.es)
• « Si los españoles terminaron en Mauthausen fue gracias al cuñadísimo Serrano Súñer »
• Un convoy de 22 españoles acabó en Mauthausen porque Buchenwald no era lo bastante duro

 

 

El viaje de Eugenio Sánchez a la cámara de gas nazi

 » Boix merece un monumento. Tenía la cara más dura que el cemento, pero ayudaba todo lo que podía en el campo de concentración ». Quien así habla es Ramiro Santisteban, un cántabro que sobrevivió a Mauthausen y que aún puede contarlo. A sus 95 años de edad la memoria a corto plazo le juega malas pasadas, pero lo que no olvida son los casi cinco años que pasó en el infierno de los campos nazis junto a su hermano Manuel y a su padre, Nicasio.
« Mi padre era mayor y si hubiera trabajado mucho tiempo en la cantera de Mauthausen habría muerto como tantos otros. Yo quería colocarle en la cocina, pelando patatas, y Boix lo hizo posible. Él tenía buena relación con algunos SS porque les conseguía cosas en el mercado negro del campo. Coincidió que sorprendieron a un cocinero alemán robando un salchichón; así que le mandaron a la cantera y mi padre cubrió su hueco pelando patatas. Eso le salvó la vida y fue gracias a Boix », recordaba Ramiro con los ojos enrojecidos por la emoción.
El viejo luchador de Laredo tiene previsto desafiar una vez más a sus achaques para asistir en primera fila al gran homenaje que París prepara al fotógrafo de Mauthausen. En el mediodía del próximo 16 de junio, los restos mortales de Francesc Boix serán trasladados desde su humilde tumba de la necrópolis de Thiais hasta un privilegiado sepulcro del Père Lachaise, el cementerio de las celebridades de la capital francesa.
Reposar en este lugar no es una posibilidad al alcance de cualquiera porque simboliza el más alto reconocimiento de la ciudad. Buena prueba de ello será la presencia de la alcaldesa, Anne Hidalgo, de la asistencia de representantes del Gobierno central y de los honores de Estado con que contará la ceremonia.
Este apoyo institucional no ha sido espontáneo, sino que es fruto del intenso trabajo realizado durante años por la Amicale de Mauthausen de París. Desde su sede central en la capital francesa, se realizó una colecta popular para sufragar los gastos del traslado y se negoció hasta la saciedad con el Ayuntamiento parisino para conseguir ayudas, permisos y hasta su implicación directa en el evento. « Es un mérito de toda la asociación », afirma una de sus dirigentes, que insiste en no ser identificada para no apropiarse de un éxito que, asegura, « tiene muchos nombres ».

Photos et vidéos. Sur la première vidéo, à 2’20“, on assiste à son témoignage – en français – au tribunal de Nuremberg. Des images peuvent choquer :

https://alchetron.com/Francisco-Boix-762703-W

 

Ramiro Santisteban estuvo casi cinco años compartiendo cautiverio en Mauthausen / Carlos Hernández

 

Olvidado en España, reconocido en Francia

Analizando el simbolismo del acto, Juan Ocaña, hijo de un deportado español superviviente de Mauthausen, afirma que este reconocimiento a Francesc Boix tiene dos lecturas: « En clave francesa es un paso extraordinario porque, tras la guerra, De Gaulle ocultó el decisivo papel que los republicanos españoles habían jugado en la Resistencia y también el sufrimiento de miles de ellos en los campos nazis. Si Boix fuera francés, tendría desde hace muchos años una estatua en París. Esa injusticia, poco a poco, se va corrigiendo y ahora este acto servirá para poner en primer nivel la figura de ese gran hombre. En clave española, el acto creo que dejará más en evidencia al Estado español que sigue ignorando a todos estos hombres y mujeres que lucharon contra el fascismo ».
Otros hijos y nietos de compañeros de Boix en Mauthausen también se preguntan por qué no tiene una estatua en Madrid, Sevilla o Barcelona. Su vida, que muy pronto se convertirá en película, atravesó dos guerras. En la de España trabajó como fotógrafo en las filas republicanas; en la europea apenas pudo hacer nada antes de ser capturado por las tropas nazis y deportado a Mauthausen. Fue en este campo de concentración donde el catalán escribió sus páginas más gloriosas.
Los SS aprovecharon su experiencia como fotógrafo para colocarle como ayudante en el laboratorio fotográfico. Allí, junto al también español Antonio García, empezaron a robar copias y negativos en los que se veían los crímenes cometidos en el campo. Boix organizó un plan para sacar del recinto ese material con la ayuda de tres jóvenes prisioneros españoles: Jacinto Cortés, Jesús Grau y José Alcubierre. El paquete acabó en las manos de una vecina del pueblo de Mauthausen, simpatizante antifascista, que lo guardó hasta el final de la guerra.
Tras la llegada de las tropas estadounidenses, Boix recuperó los negativos que acabarían siendo exhibidos en los Juicios de Núremberg en los que se juzgó a la cúpula del régimen nazi. El fotógrafo catalán fue el único español que testificó ante ese histórico tribunal, armado con sus fotografías.

 

Monumento a las víctimas de Mauthausen en el cementerio de Père Lachaise / Carlos Hernández

 

Además de todo tipo de crímenes, en las imágenes se veía a algunos de los jerarcas nazis recorriendo Mauthausen. Entre ellos estaba el Jefe de la Oficina de Seguridad del Reich, Ernst Kaltenbrünner, que había negado previamente haber visitado el campo de concentración. El general de las SS enmudeció al verse en las fotos exhibidas por Boix. Meses después pagaría sus crímenes en la horca.
Boix volvió a testificar en el juicio de Dachau en el que comparecieron algunos de los responsables nazis que dirigieron Mauthausen. La tuberculosis y otras secuelas que le dejó el campo le acompañaron hasta su fallecimiento, el 7 de julio de 1951. Estaba a punto de cumplir los 31 años de edad. Sesenta y seis años después, sus restos mortales realizarán un último viaje hacia el cementerio de las celebridades.

 

Morada de personalidades, lugar de conmemoraciones

Una de las calles del gigantesco Père Lachaise está dedicada a recordar a las víctimas de los campos de concentración nazis. En medio de un conmovedor silencio y entre los árboles, se alza un monumento por cada campo. Esqueléticas figuras de bronce arrastran un carro con un compañero muerto para conmemorar el sufrimiento en Auschwitz III; dos grandes manos, atadas, recuerdan a las mujeres cautivas y asesinadas en Ravensbrück; un agónica figura, acarreando una piedra por una inacabable escalera, representa el sufrimiento vivido por los deportados de Mauthausen.
Este cementerio es el más visitado del mundo y es la última morada de cientos de celebridades históricas como Molière, Georges Bizet, Frédéric Chopin, Marcel Proust, Oscar Wilde o más contemporáneas como Jim Morrison o Édith Piaf. El que fuera presidente de la República española, Juan Negrín, y la mítica fotoperiodista Gerda Taro, colega y compañera de Robert Capa, también descansan en un rincón de sus más de 40 hectáreas. Difícil imaginar un lugar mejor para que reposen los restos mortales del fotógrafo de Mauthausen.

 

Source :

http://www.eldiario.es/sociedad/Ciudadanos-Gobierno-Francesc-Boix-Mauthausen_0_634487443.html

« LES BASQUES ONT EUX-MEMES BRULÉ GUERNICA »

Publié par Alencontre le 25 – avril – 2017

 

Par Joseph Lang

Le soir du 26 avril 1937, la «Légion Condor» rencontre des conditions météorologiques claires (propices) à la destruction de la ville de Guernica, dans le Pays Basque. Les nouvelles de ce bombardement d’une durée de trois heures circulent rapidement.

En effet, quatre correspondants spéciaux de médias prestigieux – le Times de Londres, le New York Times et l’agence Reuters – se trouvaient par hasard dans la petite ville basque peu avant ou peu après l’attaque aérienne. Leurs rapports détaillés, basés sur des observations directes et de nombreux témoignages avec des survivants, soulèvent une vague d’indignation mondiale.

«Les Basques ont eux-mêmes brûlé Guernica»: seuls quelques titres de presse reprendront ce grossier mensonge. Parmi eux, le Vaterland de Lucerne, conservateur catholique, et la Neue Zürcher Zeitung(NZZ).

 

 

Un «épisode»

Dans un premier temps, ces deux journaux avaient pourtant donné une information correcte. Dans le cas de la NZZ, c’est grâce à son correspondant londonien, qui cite longuement le Times dans un article qui paraît le 29 avril. La rédaction de la NZZ présente elle-même le bombardement comme un fait, dans un article en première page de l’édition du 30 avril, avec pour titre «Guernica». Toutefois le texte vise surtout à relativiser l’événement en le qualifiant d’«épisode», déclarant que celui qui croirait «à une destruction intentionnelle par les avions allemands» serait dans l’erreur. L’utilisation de bombes incendiaires correspond «sans aucun doute aux considérations les plus élémentaires sur les nécessités militaires», écrit la NZZ.

 

 

La Nueva España.

 

Le texte articule en particulier une critique forte par rapport à l’Angleterre, qui entretiendrait «une polémique artificielle» contre l’Espagne de Franco et l’Allemagne. La NZZ soupçonne le gouvernement conservateur de Londres de mener une campagne contre le «bombardement d’une “ville sans défense”» dans le but de justifier ses propres efforts de «réarmement». Un argument qui sera repris et salué par les médias de l’Allemagne nazie.

Les Basques qualifiés d’incendiaires

Face aux réactions indignées, les généraux franquistes font des déclarations diverses et parfois contradictoires. Le soir du 27 avril, Franco commence par nier l’intervention d’une armée de l’air étrangère. Il affirme que ce sont les Basques qui auraient incendié la ville. Et que le lundi en question, les conditions atmosphériques n’auraient pas permis une attaque aérienne. Certaines des déclarations suivantes contestent le bombardement, arguant que le mardi et le mercredi, la bruine typiquement basque appelée «sirimiri» aurait empêché toute intervention aérienne.

 

 

Les Franquistes mettent plusieurs jours à se mettre d’accord sur le jour précis où ils n’ont pas détruit Guernica. En réalité, le bombardement du lundi a eu lieu dans des conditions météorologiques idéales. Ce n’est qu’à partir de mardi que le temps devient nuageux et pluvieux.

 

Jo Lang

 

Propagande autour de dépêches d’agences

Le 29 avril, la NZZ publie, sans commentaire aucun, deux de ces déclarations franquistes sous la forme de dépêches d’agence de presse fortement abrégées. Dans l’édition de midi, le journal cite une déclaration qui confond les dates mais donne correctement le temps qu’il faisait. L’édition du soir se réfère au même communiqué franquiste que le jour précédent, qui indique la bonne date mais falsifie les conditions atmosphériques. Malgré les contradictions évidentes de Franco, et la cohérence des articles des journalistes anglo-saxons, la NZZ remet en question le bombardement de Guernica dans son édition du 2 mai, accusant les «milices basques» de la destruction de la ville. Un nouvel article du 3 mai publie deux photos de ruines, avec un commentaire qui évoque les deux versions tout en présentant celle de Franco comme la plus crédible.

 

 

De son côté, le journal Vaterland est embarrassé: les Basques sont en effet les forces les plus catholiques d’Espagne. C’est probablement pour cette raison que l’édition du 1er mai n’impute pas la destruction de Guernica aux bons chrétiens que sont les Basques, mais aux «dynamiteurs asturiens», c’est-à-dire aux mineurs de gauche. Le 4 mai, le Vaterland fait une lecture fautive d’une dépêche de Reuters évoquant le type d’avion Heinkel 111, et avance ainsi le chiffre improbable de «155 avions» qui auraient participé à l’attaque.

Cette diffusion de «fake news» franquistes s’explique uniquement par un état d’aveuglement idéologique. Dans son édition du 4 mai, le Vaterland défendra la crédibilité du général Franco, expliquant qu’il serait connu pour être «un soldat et un homme d’honneur». Et le 7 mai 1937, le correspondant de la NZZ en Espagne raillera la «malheureuse république naine d’Euskadi».

En réalité, la volonté de détruire l’autonomie et la démocratie basque était le motif principal du bombardement de Guernica. (Article paru dans le quotidien zurichois Tages-Anzeiger du 18 avril 2017; traduction par Karin Vogt)

 

 

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PS. Joseph Lang: «Trois jours après la parution de ce texte dans le Tages-Anzeiger, la NZZ a publié un article intéressant de sa correspondante en Espagne, qui aborde le bombardement de Guernica et les événements de commémoration organisés quatre-vingts ans après les faits. L’édition sur papier ne dit pas un mot du traitement journalistique de Guernica par la NZZ de l’époque. La version en ligne donne quatre liens sur des éditions parues peu après le raid, en omettant celle du 2 mai 1937, qui impute la destruction de la ville aux “milices basques”, et celle du 7 mai, qui ironise sur la république basque. Ne sont pas non plus mentionnés les articles qui se félicitaient de la chute de Bilbao, dans un esprit très éloigné d’une attitude neutre.» (Traduction par Karin Vogt)

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• Joseph Lang avait publié dans Le Temps un article sur le même sujet, en date du 9 mai 2012.

• Joseph Lang a été de 2003 à 2011 membre des Verts et conseiller national. Il a milité, antérieurement, dans les rangs de la Ligue marxiste révolutionnaire (LMR/RML) et du Parti socialiste ouvrier (PSO/SAP). Il fut élu au Conseil communal de Zoug comme membre du PSO. Il sera, en 1986, un des fondateurs du SGA (Alternative socialiste verte de Zoug). Dès 1982, il est un des animateurs du Groupe pour un Suisse sans armée (GSSA). Il est historien de formation. Son intérêt pour la «question basque» date de longtemps. Sa thèse, présentée à l’Université de Zurich en 1980, a été publiée en 1983 par ISP-Verlag (et en 1988 dans une version amplifiée). L’ouvrage a pour titre: Das baskische Labyrinth. Unterdrückung und Widerstand in Euskadi. (Réd. A l’Encontre)

Source :

http://alencontre.org/europe/espagne/histoire-les-basques-ont-eux-memes-brule-guernica.html

LE RÉGIME DE SÉJOUR DU RÉFUGIE ESPAGNOL ET DE L’ETRANGER EN FRANCE (1938-1943)

ÉTRANGES ÉTRANGERS, Jacques Prévert

Kabyles de la Chapelle et des quais de Javel
Hommes de pays loin
Cobayes des colonies
Doux petits musiciens
Soleils adolescents de la porte d’Italie
Boumians de la porte de Saint-Ouen
Apatrides d’Aubervilliers
Brûleurs des grandes ordures de la ville de Paris
Ébouillanteurs des bêtes trouvées mortes sur pied
Au beau milieu des rues
Tunisiens de Grenelle
Embauchés débauchés
Manœuvres désœuvrés
Polacks du Marais du Temple des Rosiers
Cordonniers de Cordoue soutiers de Barcelone
Pêcheurs des Baléares ou du cap Finistère
Rescapés de Franco
Et déportés de France et de Navarre
Pour avoir défendu en souvenir de la vôtre
La liberté des autres.
Esclaves noirs de Fréjus
Tiraillés et parqués
Au bord d’une petite mer
Où peu vous vous baignez
Esclaves noirs de Fréjus
Qui évoquez chaque soir
Dans les locaux disciplinaires
Avec une vieille boîte à cigares
Et quelques bouts de fil de fer
Tous les échos de vos villages
Tous les oiseaux de vos forêts
Et ne venez dans la capitale
Que pour fêter au pas cadencé
La prise de la Bastille le quatorze juillet.
Enfants du Sénégal
Départriés expatriés et naturalisés.
Enfants indochinois
Jongleurs aux innocents couteaux
Qui vendiez autrefois aux terrasses des cafés
De jolis dragons d’or faits de papier plié
Enfants trop tôt grandis et si vite en allés
Qui dormez aujourd’hui de retour au pays
Le visage dans la terre
Et des hommes incendiaires labourant vos rizières.
On vous a renvoyé
La monnaie de vos papiers dorés
On vous a retourné
Vos petits couteaux dans le dos.
Étranges étrangers
Vous êtes de la ville
Vous êtes de sa vie
Même si mal en vivez
Même si vous en mourez.

Vincent Parello (Université Bordeaux Montaigne)

 

A  mon  grand-­‐père  paternel,  réfugié  de  la  guerre civile espagnole, qui me recommandait toujours d’avoir mes papiers en règle !

 

  

 

Résumé : Cet article analyse le régime du réfugié espagnol et de l’étranger en France au cours de la période 1938-­‐1943. Il aborde, plus particulièrement, la carte d’identité d’étranger, la carte d’identité de travailleur, les déplacements et la circulation de l’étranger, ainsi que les modes d’acquisition et de déchéance de la nationalité française.

Resumen : Este artículo analiza el régimen del refugiado español y del extranjero en Francia durante los años 1938-­‐1943.  Aborda,  más  precisamente,  la  carta  de  identidad   de  extranjero,  la  carta  de  trabajador,  los desplazamientos y la circulación del extranjero, así como los modos de adquirir y de perder la nacionalidad francesa.

 

 

 

 

 

Le droit d’asile, hérité de la Révolution française qui, dans sa constitution adoptée le 24 juin 1793 stipule explicitement que le peuple français « donne asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté. Il le refuse aux tyrans »(330), repose sur une contradiction fondamentale inhérente à sa nature même. D’une part, il vise à faire respecter les « droits de l’homme » en portant secours à l’infortune ; d’autre part, il veille à défendre les « intérêts des citoyens et de la nation ». Ainsi, la politique de bienfaisance publique va-­‐t-­‐ elle de pair avec les techniques policières et bureaucratiques mises en place par l’État pour contrôler et surveiller le réfugié.

Dans le contexte de la crise des années trente et avec l’accession au pouvoir des radicaux  en  la  personne  de  Daladier,  la  politique  d’ouverture  et  de  tolérance  vis-­‐à-­‐vis  de l’étranger cède progressivement le pas à une politique de fermeture nationale et à la réapparition d’une violente xénophobie (331). Il ne s’agit plus d’intégrer l’étranger, comme cela était encore le cas après la Première Guerre mondiale, mais de l’exclure de la société en édictant des lois et des mesures discriminatoires et coercitives à son égard. Trois conséquences principales découlent de ce processus de nationalisation en profondeur de la société française. En premier lieu, on renforce les moyens consistant à interdire l’entrée des étrangers sur le sol national et à favoriser leur extradition. En second lieu, on adopte des mesures de type protectionniste, en excluant les étrangers de nouveaux secteurs d’emplois. Finalement, on modifie en 1934 le Code de la nationalité en vigueur depuis 1927 (332). C’est ainsi que le décret-­‐loi du 22 juillet 1940 précise qu’il sera procédé à la révision de toutes les acquisitions de nationalité française intervenues depuis la promulgation de la loi du 10 août 1927, que l’on évince des naturalisés des emplois réservés aux nationaux, que le droit de vote est repoussé à 10 ans et l’exercice des mandats électifs à 20 ans…

Grâce à un recueil de textes administratifs rédigé en 1943 par le préfet de l’Hérault à l’attention de ses personnels subalternes, nous avons pu reconstituer le cadre légal  du séjour du réfugié et de l’étranger en France au cours de la période qui va de la fin de la Troisième République au gouvernement de Vichy pendant la Seconde Guerre mondiale (333). A la lecture de ce document, il apparaît clairement que l’État français entendait encadrer la vie publique et privée de tous ces individus qui se situaient en marge du national, et contrôler  les divers modes d’acquisition et de perte de la nationalité française. Le bon étranger, l’étranger désirable, c’était l’étranger utile à la collectivité nationale, en règle par rapport à  la législation française et à jour de ses papiers administratifs.

 

 

La carte d’identité d’étranger.

 Grâce aux progrès de la technique photographique et au système d’anthropométrie judiciaire mis au point par Alphonse Bertillon, dans les années 1880-­‐1890, l’État français se débarrassa peu à peu du passeport intérieur et du livret ouvrier en vigueur durant toute la période  du  Second  Empire.  En  1912,  le  port  du  carnet  anthropométrique, précédent immédiat de la carte d’identité, fut imposé aux nomades et aux vagabonds. Selon l’article 8 du décret d’application de 1913, ce nouvel instrument de preuve identitaire devait :

(…) recevoir le signalement anthropométrique qui indique notamment la  hauteur de la taille, celle du buste, l’envergure, la longueur et la largeur de la tête, le diamètre bizygomatique, la longueur de l’oreille droite, la longueur des doigts médius et auriculaires gauches, celle de la coudée gauche, celle du pied gauche, la couleur des yeux : des cases sont réservées pour les empreintes digitales et pour les deux photographies (profil et face) du porteur du carnet (334).

En 1917, la carte d’identité devint obligatoire pour tous les étrangers (335). Comme le signale Gérard Noiriel : « A partir de 1917, il faut en effet obtenir une carte d’identité délivrée par la police sur présentation du passeport et qui vaut autorisation de séjour. Dès ce moment, avoir une nationalité est devenu pour un individu aussi vital que le nez au milieu de la figure »(336). En 1921, à l’initiative du préfet de police du département de la Seine, Robert Leullier, l’usage de la carte d’identité se généralisa ; elle était obligatoire pour les étrangers, mais demeurait facultative pour les nationaux. Le 27 octobre 1940, le maréchal Pétain imposa l’obligation de la « carte d’identité de Français » à l’ensemble de la communauté nationale.  Désormais  nationaux  et  non-­‐nationaux  devaient  apporter  la  preuve  de  leur identité, à travers la possession de ce nouvel instrument. A partir de 1943, le numéro d’inscription de chaque carte d’identité fut intégré au répertoire national d’identification des personnes physiques (NIR).

 

Les étrangers qui désiraient séjourner plus de deux mois en France étaient dans l’obligation de se faire établir une carte d’identité. Il fallait en faire la demande auprès du commissariat de police ou à la mairie (337), et prouver :

  • soit  qu’on   était   entré   en   France   d’une   façon   régulière,   c’est-­‐à-­‐dire   en possession d’un passeport valable visé d’un agent diplomatique ou consulaire français et du poste-­‐frontière par lequel on avait franchi la frontière ;
  • soit qu’on résidait en France en qualité de réfugié politique. Selon la définition de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, le réfugié désignait :

(…) toute personne qui craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa  race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social  ou  de  ses  opinions  politiques,  se  trouve  hors  du  pays  dont  elle  a    la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner (338) ;

  • soit qu’on bénéficiait du statut Nansen, en tant qu’étranger apatride (339). Etaient considérées comme apatrides les personnes connues sous le nom de « réfugiés Nansen » (Arméniens, Assyriens, Assyrochaldéens, Caucasiens, Georgiens, Kurdes, Nord-­‐Azerbaidjaniens, Russes, Sarrois, Syriens, Turcs et Ukrainiens) ainsi que les étrangers en mesure de démontrer qu’ils étaient sans nationalité. A la différence de ces étrangers, les réfugiés politiques espagnols, italiens et allemands, n’avaient pas perdu leur nationalité, et continuaient à être ressortissants de leur pays d’origine ;
  • soit qu’on était né en France.

 

 

 

 

 

 

Le dossier type de première demande de carte d’identité devait comprendre les pièces suivantes : une lettre manuscrite sur feuille de papier timbré à 6 francs adressée au préfet, cinq photographies de profil droit, oreille dégagée et sans chapeau, d’au moins 4cm x 4cm, récentes et parfaitement ressemblantes, une fiche blanche et une fiche bulle comportant les empreintes digitales du demandeur, un récépissé postal attestant le versement de la taxe (taxe pleine : 400 francs, taxe réduite : 100 francs), un certificat de nationalité (340) de moins d’un an si la demande émanait d’un Espagnol sollicitant une carte à validité normale (3 ans) ou à validité de plus d’un an, ainsi qu’un certificat sanitaire pour les étrangers ayant résidé moins de 5 ans en France (341).

Il existait à l’époque trois catégories de cartes d’identité qui ne possédaient pas la même durée ni la même extension territoriale. La carte d’identité normale était valable trois ans à compter de la date à laquelle la demande avait été faite ; elle indiquait que le titulaire était domicilié en France et faisait office, en quelque sorte, de permis de séjour illimité. La carte d’identité temporaire d’une validité supérieure à un an (et inférieure à 3 ans) permettait à l’étranger de se déplacer librement sur l’ensemble du territoire national,  tandis que la carte d’identité temporaire d’une validité inférieure à un an limitait considérablement ses possibilités de circulation. Ces cartes temporaires étaient délivrées aux travailleurs pour la durée indiquée par les Services de la main-­‐d’œuvre étrangère, aux ressortissants de pays soumis à la procédure du visa consulaire, aux étrangers venus en France en voyages d’affaires, en visite de famille ou pour y faire des études, aux réfugiés espagnols entrés en France depuis le 17 juillet 1936, et aux réfugiés d’autres nationalités entrés en France depuis le 10 mai 1940 (342). Au sein du collectif des étrangers, les juifs constituaient un groupe à part, fortement discriminé sous le régime de Vichy en raison de leur statut ethnico-­‐religieux. Conformément aux dispositions de la loi du 9 novembre 1942 et de la loi du 11 décembre 1942, les Israélites étaient astreints à résidence sur le territoire de leur commune et devaient porter la mention « Juif » sur leur carte d’identité et leur titre d’alimentation (343). La liberté de déplacement restait somme toute illusoire, dans la mesure où l’étranger ne pouvait se rendre dans les départements de l’Allier, des Alpes-­‐Maritimes et de la Haute-­‐Savoie, les zones réservées ou interdites (344). En outre, le ministre de l’Intérieur pouvait, à tout moment, au nom de la Sûreté nationale, interdire aux étrangers l’accès à tel ou tel département de son choix.

Certaines catégories de personnes étaient dispensées de la carte d’identité d’étranger (345). Il s’agissait des représentants diplomatiques et consulaires munis de la carte consulaire (346), des étrangers titulaires d’une carte de tourisme d’une validité de six mois maximum, des étrangers âgés de moins de 15 ans, des Andorrans (347) et des Monégasques,  des étrangers incorporés dans les Compagnies de travailleurs étrangers (CTE) (348) et des étrangers travaillant sur le territoire du Reich (349).

 

 

La carte d’identité de travailleur.

 La  carte  d’identité  ne  se  contentait  pas  de  prouver  la  nationalité  (ou  la  non-­‐ nationalité) du détenteur ; elle indiquait également son statut social et professionnel. L’administration  française  de  l’époque  faisait  la  distinction  entre  les  non-­‐travailleurs,  les travailleurs agricoles ou industriels, et les commerçants et artisans. Les « étrangers du sexe masculin, âgés de 18 à 55 ans, réfugiés en France et en surnombre dans l’économie  nationale » (350), autrement dit, les personnes incorporées dans les Compagnies de  travailleurs étrangers, faisaient l’objet d’un recensement à part.

Figuraient dans la catégorie des non-­‐travailleurs ou des non-­‐salariés, les rentiers, les propriétaires agricoles, les individus exerçant une profession libérale, les touristes, les étudiants, les étrangers sans profession… Les pharmaciens et les médecins devaient fournir la preuve qu’ils étaient habilités à exercer leur activité, faute de quoi la mention « sans profession »   était   apposée   sur   leur   carte   d’identité.   En   dehors   de   la   carte,   les   non-­‐ travailleurs n’avaient pas de pièces particulières à fournir à l’administration.

L’étranger était considéré comme travailleur agricole ou industriel dès lors qu’il occupait « un emploi le plaçant dans une situation de subordination vis-­‐à-­‐vis d’un employeur pour l’exécution de son travail, quelle que soit la nature de cet emploi et indépendamment du mode de rémunération utilisée ou même de l’absence de toute rémunération »(351). Bien qu’ils constituent une sous-­‐catégorie à part entière, les fermiers et métayers entraient dans le groupe des travailleurs agricoles (352). Leurs femmes, leurs ascendants et descendants étaient considérés également comme des salariés de l’agriculture, s’ils aidaient le chef de famille dans ses multiples tâches professionnelles. Pour obtenir sa carte de travailleur, l’étranger devait constituer un dossier spécial –extrêmement lourd !– à la mairie ou au commissariat de police de son lieu de résidence. En voici la composition détaillée :

Le dossier comportera les pièces ci-­‐après :

1° Le récépissé de versement de la taxe de 25 francs que doit acquitter l’employeur à la Trésorerie générale, à la Recette des Finances ou dans une Perception ;

2° Une demande sur feuille de papier timbré à 6 fr. adressée à M. le Ministre Secrétaire d’État au Travail et ainsi conçue : « Je soussigné…de nationalité…demeurant à…rue…ai l’honneur de solliciter de Monsieur le Ministre Secrétaire d’État au Travail, l’avis favorable nécessaire à l’obtention de la carte d’identité de travailleur agricole (ou industriel) pour la profession de…» (Date et signature).

3° Deux exemplaires d’un certificat d’engagement d’une durée de 3 mois minimum n’ayant pas plus d’un mois de date. La signature de l’employeur doit être légalisée par le Maire ou le Commissaire de Police (Annexe IV) ;

4° Deux feuilles de renseignements, couleur orange, intégralement remplies, datées et signées par l’étranger qui doit répondre sans exception et avec précision à toutes les questions posées dans la partie qui lui est réservée.

La partie réservée au contrôle est remplie par le correspondant de l’Office ou, à défaut, par le Maire qui attestera devant chaque rubrique la nature, le numéro,  la date et la durée de validité des pièces présentées, ou indiquera que les déclarations n’ont pu être prouvées, puis datera et signera à l’endroit indiqué et finalement motivera son avis favorable ou défavorable dans la case « Avis de l’Office municipal de placement » (Annexe III).

5° Le ou les certificats de résidence, ou à défaut, toutes pièces justifiant la date d’entrée et le séjour en France du requérant ;

6° S’il s’agit d’un ouvrier agricole, l’employeur devra joindre au dossier une déclaration de la Caisse d’allocations familiales à laquelle il est affilié ;

7° S’il s’agit d’un enfant né en France de parents étrangers, joindre un bulletin de naissance sur papier libre ;

8° S’il s’agit d’étrangers de moins de 18 ans, joindre les certificats de scolarité ;

9° Pour les étrangers comptant moins de 5 ans de séjour ininterrompu en France, il y a lieu de produire un certificat sanitaire délivré par le Préfet. La formule sera fournie sur demande par l’Office régionale du Travail (…);

10° Une enveloppe suffisamment affranchie et portant l’adresse exacte et complète du demandeur ;

11° Un questionnaire rempli, daté et signé par les femmes sollicitant l’obtention de la carte d’identité de travailleur industriel (353).

 

Nul étranger ne pouvait exercer une profession commerciale ou artisanale sur le territoire  français,  à  moins  de  justifier  de  la  possession  d’une  carte  d’identité   spéciale portant la mention « commerçant » (354) . La demande de cette carte devait être faite directement à la préfecture du lieu où l’étranger avait fixé son établissement principal. Elle n’était délivrée que sur autorisation ministérielle et à la suite d’une enquête spéciale prescrite par le préfet. Pour établir légalement un fonds de commerce, il fallait être inscrit au Registre des métiers ou à la Chambre de commerce.

Il existait alors trois types de cartes d’identité de travailleur agricole ou industriel. Les étrangers installés depuis moins de cinq ans en France ne pouvaient prétendre qu’à une carte   d’identité   de   travailleur   de   type   A   (temporaire).   Celle-­‐ci   permettait   d’exercer uniquement la profession mentionnée dans le ou les départements désignés sur la carte et pour la durée fixée. Les étrangers ayant séjourné de façon régulière en France pendant au moins dix ans, ayant obtenu de l’Office départemental du Travail une autorisation à durée normale (3 ans) ou ayant servi sous les drapeaux français, étaient en droit de solliciter une carte d’identité de travailleur de type B (validité normale) qui permettait d’exercer seulement la profession mentionnée, mais dans tous les départements, à l’exception toutefois des zones réservées. Finalement, les étrangers résidant en France depuis plus de quinze ans, mariés depuis au moins deux ans à des Françaises ou père ou mère d’enfants français, les Françaises de naissance mariées à un étranger et n’ayant pas conservé leur nationalité d’origine, les engagés volontaires dans l’armée française ou dans la Légion étrangère,  pouvaient  bénéficier  d’une  carte  d’identité  de  travailleur  de  type  C    (toutes professions) qui permettait d’exercer toutes les professions, tant industrielles qu’agricoles, sur l’ensemble du territoire (départements réservés exceptés) (355).

 

Les déplacements et la circulation de l’étranger

 Comme nous l’avons déjà signalé, l’étranger n’était pas libre de ses mouvements à l’intérieur du territoire national et tous ses déplacements étaient soumis à une étroite surveillance. Ces mesures visant à contrôler la mobilité spatiale des populations immigrées remontaient de fait au XIXe siècle. Dans les années 1830-­‐1840, à une époque où les réfugiés arrivaient par milliers aux frontières, l’État français prit toute une série de mesures à l’encontre des exilés espagnols. Il leur interdit de se concentrer à certains endroits en les disséminant sur l’ensemble du territoire, et de se fixer dans certaines zones, comme Paris et sa  région,  les  départements  frontaliers  du  Sud-­‐Ouest,  les  départements  de  l’Est  et  la frontière avec les Alpes. Dans de nombreux cas, il eut recours à l’assignation à résidence (356). lllustrons notre propos par quelques exemples précis ; en août 1841, suite à la tentative manquée du général O’Donnell en Espagne, tous les officiers supérieurs réfugiés en France furent regroupés dans la ville d’Orléans. En 1843, après la chute de Barcelone, les Catalans furent internés dans quatre départements du Massif Central. Par la loi du 11 juillet 1839, vingt-­‐huit  départements  du  Sud  furent  interdits  aux  carlistes,  etc. (357).  En  1939,  lors  de  la Retirada, les réfugiés espagnols furent victimes de mesures similaires de la part de l’État français. Les soldats de l’armée républicaine furent internés dans des « camps de concentration »  sur  les  plages  du  Roussillon  (Argelès,  Saint-­‐Cyprien,  Barcarès)  ou  dans  six autres structures réparties dans le Midi de la France (Bram, Vernet, Agde, Gurs, Septfonds et Rivesaltes), tandis que la population civile, composée de femmes, d’enfants et d’hommes non combattants, fut dirigée dans 77 départements français où des camps d’hébergement avaient progressivement été aménagés (358).

En vertu du décret du 25 octobre 1940, l’étranger ne pouvait se déplacer librement que sur le territoire de sa commune et celui des communes limitrophes. Cette règle fut assouplie par le décret du 20 mai 1943 qui autorisait tout étranger à circuler librement dans le périmètre déterminé par la validité territoriale de son titre de séjour « sous réserve de   se conformer à la réglementation concernant le franchissement de la ligne de démarcation et aux dispositions relatives aux zones interdites »(359). En effet, aucun étranger n’était admis à franchir la ligne de démarcation en dehors des points de passage suivants : Orthez, Mont-­‐de-­‐ Marsan, Langon, Montpont, La Rochefoucault, Fleure, Jardres, Vierzon, Bourges, Moulins, Digoin,  Paray-­‐le-­‐Monial,  Chalon-­‐sur-­‐Saône,  Pourre-­‐Parcey  et  Coupy (360).  Quant  aux  réfugiés espagnols et aux apatrides, ils devaient, pour franchir ladite ligne, être porteurs d’un laissez-­‐ passer délivré par les autorités allemandes, d’une carte d’identité et d’un sauf-­‐conduit. Par ailleurs, pour se déplacer en dehors du périmètre assigné par la carte d’identité (Allier,

Alpes-­‐Maritimes, Haute-­‐Savoie, zones interdites de la zone Nord, etc.), l’étranger devait être en possession d’un titre de circulation délivré sur l’avis conforme du préfet du lieu de destination. Le sauf-­‐conduit était, en principe, valable quinze jours pour un seul voyage, mais à titre exceptionnel, des cartes de circulation temporaires, valables trois mois, pouvaient être délivrées par le préfet, les officiers de gendarmerie et les commissaires de police :

 

Pour obtenir un titre de circulation, il doit se présenter au Commissariat de  Police le plus proche de sa résidence ou, à défaut, à la brigade de gendarmerie. Il remplit une demande sur un imprimé conforme au modèle ci-­‐joint (Pièce annexe n° VIII) à l’appui de laquelle il produit deux photos 4 x 4 de profil droit, oreille dégagée et sans chapeau, tête d’une hauteur de 2cm au moins, ainsi que, éventuellement, toutes pièces justificatives utiles. L’autorisation concrétisée par un  sauf-­‐conduit  conforme  au  modèle  joint  (Pièce  annexe  n°  IX),  peut  être délivrée sur le champ par le Commissaire de Police ou le Chef de brigade de gendarmerie. Toutefois, si le demandeur fait l’objet de renseignements défavorables ou s’il est signalé comme suspect, l’autorité qui reçoit la demande de titre doit me consulter en me fournissant, le cas échéant, tous  renseignements utiles. Il m’appartient alors de statuer sur la demande (361).

 

Les étrangers incorporés dans des Compagnies de travailleurs étrangers ne pouvaient, quant à eux, circuler que munis d’un ordre de mission ou d’un titre de permission établi par le chef de la formation. Dans ce cas, les services municipaux, de police et de gendarmerie n’avaient pas leur mot à dire.

En marge des sauf-­‐conduits et des cartes de circulation temporaires, les étrangers ne pouvaient changer de domicile sans en faire la déclaration au départ et à l’arrivée auprès du commissariat de police ou de la mairie (362). Les travailleurs devaient fournir un contrat de travail   visé   favorablement   par   l’Office   régional   du   Travail   du   département ;   les   non-­‐ travailleurs, un certificat d’hébergement établi par le maire de la commune où ils  comptaient s’installer. Les personnes qui logeaient ou hébergeaient des étrangers –même à titre gracieux– étaient tenues d’en faire la déclaration aux autorités municipale ou policière (363).

 

 

Les modes d’acquisition et de déchéance de la nationalité française

 La nationalité française s’acquérait de diverses manières : par l’effet de la naissance, par le mariage, par réintégration ou naturalisation, et par participation volontaire aux opérations de recrutement militaire.

Nationalité française par l’effet de la naissance : Selon la loi du 10 août 1927, modifiée en 1934 et 1938, étaient considérés dès leur naissance comme citoyens français à titre définitif (364), les enfants légitimes nés d’un père français en France ou à l’étranger, les enfants légitimes nés en France d’une mère française ou d’un père lui-­‐même né en France, les enfants naturels reconnus, nés en France, si l’un des parents était français, ainsi que  tous

les  enfants  nés  en  France  de  parents  inconnus,  avant  la  promulgation  du  décret-­‐loi  du 12 novembre 1938. Les enfants légitimes nés en France d’une mère étrangère, mais née elle-­‐ même en France, et les enfants naturels nés en France de parents étrangers, étaient également considérés comme Français, mais ils avaient à leur majorité la faculté de répudier leur nationalité au profit de celle de leurs parents. Les enfants nés en France de parents dont ni l’un ni l’autre n’était Français ou né en France, devenaient français de droit à l’âge de 18 ans pour les hommes et de 21 ans pour les femmes, s’ils étaient domiciliés en France et en possession d’une carte d’identité supérieure à un an (365).

Nationalité française par le mariage : Si l’étranger du sexe masculin ne pouvait acquérir la nationalité française que par naturalisation, en revanche la femme étrangère pouvait devenir française à la suite de son mariage avec un Français. Pour cela, il lui fallait en faire la demande à la mairie avant la célébration de l’union matrimoniale. Tant que l’intéressée n’avait pas reçu la notification ministérielle lui accordant la nationalité française, elle continuait à être étrangère, et donc assujettie aux lois régissant le séjour des étrangers en France.

Nationalité française par réintégration : Depuis la loi du 10 août 1927, la Française  qui se mariait avec un étranger conservait sa nationalité d’origine, à moins qu’elle n’ait émis le souhait d’obtenir la nationalité de son mari (366). En cas de décès de celui-­‐ci, de divorce ou de séparation de corps, l’épouse avait la possibilité de recouvrer sa nationalité française   par voie de réintégration (367), à condition toutefois de ne pas avoir acquis par son mariage la nationalité d’un ressortissant d’une nation ennemie (368).

Nationalité française par naturalisation : En période de paix, il fallait, pour être naturalisable, être âgé de 18 ans et résider en France depuis au moins trois ans. La requête de naturalisation devait être adressée au garde des Sceaux, ministre de la Justice et déposée à la préfecture. Pendant la période de guerre, les naturalisations avaient été suspendues, à l’exception de certaines dérogations accordées aux prisonniers et à leurs proches, aux membres des familles d’étrangers morts pour la France, et aux Espagnols installés en France depuis leur plus jeune âge, et qui souhaitaient se soumettre aux obligations militaires.

Nationalité française par participation volontaire aux opérations de recrutement : Au moment du recrutement de sa classe d’âge, l’étranger régulièrement domicilié en France devait souscrire à la mairie une déclaration d’intention dans laquelle il affirmait son désir d’obtenir la nationalité française. Cette première intention devait être confirmée lors de sa comparution volontaire devant le Conseil de révision (369).

Si la loi prévoyait l’acquisition de la nationalité française pour l’étranger, elle envisageait aussi sa perte et sa déchéance (370). Le Français naturalisé à l’étranger, le Français qui avait répudié la nationalité française, la Française qui avait opté pour la nationalité étrangère de son mari, et le Français qui se comportait comme le national d’un pays étranger, étaient déclarés avoir perdu ipso facto la nationalité française par décret prévu à l’article 10 de la loi du 10 août 1927. Quant à la procédure de déchéance, elle était rendue par le Conseil d’État, publiée au Journal officiel et notifiée à l’intéressé par la voie administrative :

 

Cette déchéance sera encourue :

1° Pour avoir accompli des actes contraires à l’ordre public, à la sûreté intérieure, ou extérieure de l’État, ou au fonctionnement de ses institutions ;

2° Pour s’être livré, au profit d’un pays étranger, à des actes incompatibles avec la qualité de citoyen français ;

3° Pour s’être soustrait aux obligations résultant pour lui des lois de recrutement ;

4° Pour avoir, en France ou à l’étranger, commis un crime ou un délit ayant entraîné une condamnation à une peine d’au moins une année d’emprisonnement (….)

Remarques : (…) 2° Les lois des 23 juillet 1940, 10 septembre 1940, 6 février 1941, 28 février 1941, 8 mars 1941 prévoient la déchéance de la nationalité française à l’égard des Français :

  • Qui ont quitté les territoires de la métropole ou d’outre-­‐mer depuis le 10 mai 1940 ;
  • Qui hors du territoire ont trahi les devoirs qui leur incombent en tant que membres de la communauté française ;
  • Qui depuis le 1er décembre 1940 se sont rendus dans une zone dissidente (371).

 

En guise de conclusion, nous dirons que les conditions de séjour de l’étranger en France ne firent qu’empirer entre la fin de la Troisième République et le gouvernement de Vichy, dont la politique raciste et antisémite ne fait aujourd’hui plus aucun doute parmi les historiens. Progressivement, la législation française traça une ligne de partage très nette entre le national et le non-­‐national, et l’étranger devint un être suspect qu’il fallait surveiller de très près. Par le biais de la carte d’identité d’étranger, de la carte de travailleur, du certificat sanitaire, du sauf-­‐conduit, du laissez-­‐passer, etc., les intentions du gouvernement étaient on ne peut plus claires. Le ministère de l’Intérieur était chargé de la surveillance politique des étrangers et de la gestion de la population civile réfugiée, le ministère de la Défense nationale et de la Guerre contrôlait les soldats réfugiés internés dans des « camps de concentration », le ministère du Travail et celui de l’Agriculture s’occupaient de la main-­‐ d’œuvre étrangère et de son reclassement dans l’économie nationale, tandis que le  ministère de la Santé publique apportait une attention toute particulière à la surveillance sanitaire et au soin des étrangers porteurs de maladies infectieuses ou vénériennes. Contrairement au mauvais étranger qui s’était mis volontairement en marge de la loi par« un usage illégitime du statut de réfugié », le bon étranger, était celui dont les papiers étaient en règle et qui faisait montre d’une attitude correcte vis-­‐à-­‐vis de la République et de ses institutions (372). Celui-­‐là seul se montrait digne d’acquérir un jour la nationalité française !

 

 

 

 

Annexe

 

(ADH, 4M1798). Association des amis de la République française

 

Comme en 1914, l’Association des amis de la République française dont le siège se situait à Paris, 12 avenue de la Grande Armée (17ème), se proposa lors de l’entrée en guerre de la France contre l’Allemagne, d’associer les étrangers à la juste cause que la République française entendait défendre par les armes. Sa Commission de défense nationale, présidée par M. Paul Boncour, et sa Commission de collaboration civile, présidée par M. Justin Godart, se chargèrent, en accord avec le gouvernement français, d’organiser les contributions volontaires individuelles sous la forme du service civil ou de l’engagement militaire. Elle fit appel, bien entendu, aux réfugiés espagnols à qui elle envoya un document dans lequel étaient évoquées les  obligations militaires des étrangers en temps de guerre, les règles concernant la circulation à travers le territoire national et les différentes lois sur le travail. Nous reproduisons ci-­‐dessous certains de ces passages rédigés en langue espagnole par le secrétaire de direction Eduard Ragasol.

 

Censo y obligaciones militares

 

El decreto de 12 de abril de 1939 contiene dos disposiciones esenciales : la primera es la que autoriza  a todo extranjero a alistarse, en tiempos de paz, en un Cuerpo del Ejército Francés. Por la segunda, los extranjeros sin nacionalidad y los demás extranjeros beneficiarios del derecho de asilo están sometidos a todas la obligaciones impuestas a los franceses por la ley de 11 de julio de 1939 sobre la organización del país en tiempo de guerra y pueden ser objeto de requisiciones individuales o colectivas, generales o locales, fundamentadas en la nacionalidad, la edad y la profesión.

En virtud del artículo 3 de este Decreto los mismos extranjeros apatrida y los beneficiarions  del derecho de asilo tienen la obligación de asegurar, desde el tiempo de paz, a las Autoridades militares francesas, por igual duración a la del servicio impuesto a los franceses, unas prestaciones cuyos carácter y modalidad de ejecución serán determinadas por Decreto.

El primer Decreto complementario del 12 de abril fue publicado con fecha 20 de julio. En el mismo se instituía un “relevé général” de los extranjeros a que se refiere el artículo 3 del Decreto antes mencionado. En este “relevé” han de estar inscritos todos los extranjeros de 20 a 48 años que no justifiquen nacionalidad ninguna o declaren estar refugiados en Francia y sean admitidos al beneficio del derecho de asilo. Serán inscritos en este “relevé” todos los extranjeros admitidos al beneficio del derecho de asilo y en posesión de una carta de identidad de duración normal o que, de no tener este documento, haga más de dos meses que residan en Francia.

Para el que justifique gestiones para abandonar el territorio francés, la inscripción en este censo será aplazada por tres meses (…) Los extranjeros que, en ocasión de las operaciones de censo declaren que no se consideran como refugiados o que no hayan sido admitidos al derecho de asilo no podrán invocar este derecho si reciben ulteriormente la orden de abandonar el territorio. Tampoco podrán invocar este derecho si no responden en el término de veinte días a las convocatorias que les serán dirigidas.

Sin embargo, si por razón de un nuevo hecho, el extranjero reune ulteriormente las condiciones previstas por el Decreto, será inscrito en el censo. Este censo se efectuará según la edad alcanzada por los interesados a primero de enero del año en curso.

Los extranjeros sin nacionalidad, de 20 a 48 años y los extranjeros beneficiarios del derecho de asilo que tengan de 20 a 27 años serán inscritos en el censo antes del 1° de septiembre de 1939. Los hombres de 27 a 35 años, serán inscritos antes del 1° de enero de 1940 ; los de 35 a 40, antes del 1° de marzo de 1940 ; y los  de 40 a 48 años antes del 1° de octubre del mismo año.

Este censo se confeccionará por los Servicios de la Prefectura en donde residan los extranjeros, que serán inscritos de oficio, a petición de los mismos o de sus padres o representantes legales. El Decreto anuncia también que una disposición complementaria determinará en que condiciones se efectuará la revisión de los extranjeros, fijará las unidades en las cuales servirán y la duración de su servicio (…).

 

 

Trabajo de los extranjeros

 El Journal Officiel de 20 de septiembre de 1939 publica dos Decretos muy interesantes, fechados de 20 de enero 1939 y de 19 de abril del mismo año, respectivamente, en los que se fija la “situación de los trabajadores de nacionalidad extranjera en caso de guerra” y el “empleo, en caso de guerra, de la mano de  obra extranjera por las administraciones públicas y los establecimientos y servicios que funcionan en el interés de la nación”.

El primero de dichos Decretos establece, en su artículo 1°, que está prohibido colocar a ningún extranjero, aunque éste reuna las condiciones fijadas por el artículo 64 del libro II del Código del Trabajo (que determina la obligatoriedad de posesión de la Carta de Identidad de Trabajador), si no se cuenta de antemano con la autorización de la Oficina departamental de Colocación del lugar de trabajo. Esta prohibición no se aplica a los patronos de profesiones agrícolas (Art. 1).

Sin embargo, por el artículo 2 se concede un plazo de quince días a los patronos que ocupan actualmente a trabajadores extranjeros para pedir esta autorización.

Las oficinas departamentales de colocación están autorizadas a colocar a los extranjeros no provistos de la carta de identidad de trabajador. En los ocho días siguientes de la colocación estos extranjero deberán solicitar su carta de trabajador (art. 3).

Cuando un patrono despide a algún trabajador extranjero deberá declararlo a la misma oficina. Esta obligación no rige para los patronos agrícolas (art. 4).

La aplicación de las disposiciones que contingentan la mano de obra extranjera para la protección del trabajo nacional es suspendida (art. 5).

Este Decreto tiende, por tanto, a dar facilidades para la colocación de los trabajadores extranjeros, según las necesidades departamentales y permitirá la legalización de muchos casos individuales, por la obtención de la Carta de trabajador.

La segunda de las disposiciones publicadas en el JO de 20 de septiembre autoriza todas las Administraciones públicas y a los establecimientos y servicios de interés nacional a emplear extranjeros a título precario, en las condiciones prescritas por la ley, según reglas que serán precisadas, según el caso, por orden del Ministro interesado o por disposición prefectural en lo que concierne a las colectividades locales (art. 1).

Estas disposiciones ministeriales o prefectorales deberán determinar los servicios en los que el empleo eventual de la mano de obra extranjera puede ser prevista sin peligro para el orden público y la seguridad nacional (art. 2).

Se prevé, por último, en este Decreto, la concesión de indemnizaciones especiales por conocimiento de lenguas extranjeras, en los servicios que se ocupen de extranjeros (art. 3).

La importancia de esta disposición estriba en que las modalidades de “Servicio civil” previstas por la ASSOCIATION DES AMIS DE LA RÉPUBLIQUE FRANCAISE, como consecuencia de los ofrecimientos voluntarios recogidos en sus oficinas, y a que responden las fichas que se incluyen, podrán ser utilizadas por los diferentes servicios oficiales franceses, a medida de las necesidades, con toda libertad y por simple decisión ministerial.

 

Carte d’identité de Pablo Picasso.

 

 

 

Références bibliographiques

 

Naudin, Charles, 2009, Histoire de l’identité individuelle d’hier et de demain, Paris, Ellipses. Noiriel, Gérard, 1991, La tyrannie du national. Le droit d’asile en Europe (XIXe-­‐XXe siècles), Paris, Seuil.

Noiriel,  Gérard,  1992,  Population,  immigration  et  identité  nationale  en  France  (XIXe-­‐XXe siècles), Paris, Hachette.

Noiriel, Gérard, 1992, Le creuset français. Histoire de l’immigration (XIXe-­‐XXe siècles), Paris, Hachette.

Noiriel, Gérard, 1998, Réfugiés et sans-­‐papiers. La République face au droit d’asile XIXe-­‐XXe siècles, Paris, Hachette.

Parello, Vincent, 2010, Des réfugiés espagnols de la guerre civile dans le département de l’Hérault (1937-­‐1939), Perpignan, PUP.

Piazza, Pierre, 2002, «Sociogenèse du carnet anthropométrique des nomades», Les Cahiers de la sécurité intérieure, n° 48, p. 210-­‐225.

Piazza, Pierre, 2004, Histoire de la carte nationale d’identité, Paris, Odile Jacob. Ponty, Janine, 2004, L’immigration dans les textes. France, 1789- ‐2002, Paris, Belin.

 

 

 


 

 

 

330 Article 120. Cité par Noiriel 1998, 34.

331 Janine Ponty a recensé une centaine de décrets-­‐lois, dont beaucoup concernent les étrangers, promulgués sous le gouvernement Daladier. Ces décrets conféraient au pouvoir exécutif une  grande  rapidité  d’action (Ponty 2004).

332 Comme l’a démontré, entre autres, Gérard Noiriel, le parlement, la presse, l’éducation et l’opinion publique représentent les principaux instruments de cette émergence du sentiment national : Noiriel 1992, 50-­‐70.

333 Archives départementales de l’Hérault (ADH), 2W 614. Régime du séjour de l’étranger en France.

334 Piazza 2002, 213.

335 Naudin 2009; Piazza 2004.

336 Noiriel 1998, 92.

337 Le dossier était ensuite adressé à la préfecture, seule habilitée à délivrer la carte.

338 Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés. Article premier, paragraphe 2.

339 Circulaire du préfet de l’Hérault du 11 juin 1942.

340 Pour les réfugiés espagnols qui ne pouvaient pas fournir de certificat d’identité, la mention «Asilé espagnol» devait figurer de façon apparente sur la chemise du dossier. Circulaire ministérielle n° 387 du 27 septembre 1941.

341 En étaient exemptés les étrangers résidant en France depuis plus de 5 ans, les femmes d’origine française ayant perdu leur nationalité à la suite d’un mariage avec un étranger, les étrangers ayant combattu pendant la guerre comme engagés volontaires ou comme légionnaires, les enfants de travailleurs étrangers âgés de moins de 18 ans et les étrangers au service d’agents diplomatiques ou consulaires  régulièrement  accrédités  en France.

342 Décrets du 14 mai 1938 et du 9 septembre 1938.

343 Circulaire du préfet de l’Hérault des 5 et 14 janvier 1943.

344 Les réfugiés politiques n’avaient pas le droit de résider à Paris et dans sa région.

345 Décret du 14 mai 1938; Circulaires 118 du 2 janvier 1941, 173 du 11 mars 1941 et 646 du 30 décembre 1942. 346 Le personnel subalterne des corps consulaires n’avait pas droit à la carte consulaire. L’administration française lui délivrait gratuitement une carte d’identité normale de non-­‐travailleur (valable 3 ans).

347 Recueil des actes administratifs de l’Hérault n°14 du 10 avril 1943. Les Andorrans avaient été privés de leur nationalité en application des décrets de 1939 pris par les co-­‐princes d’Andorre.

348 ADH, 2W 614. Régime du séjour de l’étranger en France, p. 8: «Mes instructions diverses, notamment celles des 5 et 15 juillet 1942 vous donnent toutes directives en ce qui les concerne. Je vous rappelle qu’une fois incorporés ces étrangers sont munis par les soins du groupe auquel ils appartiennent d’une carte d’identité spéciale. Tout autre titre de séjour qu’ils pourraient détenir doit donc leur être retiré pour être transmis à ma Préfecture».

349 Ces étrangers pouvaient, à chaque permission, séjourner sur le territoire français pendant deux mois, munis soit du passeport national, soit du titre de voyage français, soit du titre de voyage allemand. Ces dispositions n’étaient applicables que pendant la durée de la guerre.

350 ADH, 2W 614. Régime du séjour de l’étranger en France, p. 8.

351 ADH, 2W 614. Régime du séjour de l’étranger en France, p. 9.

352 Instruction ministérielle du 19 juillet 1939.

353 ADH, 2W 614. Régime du séjour de l’étranger en France, p. 12-­‐13.

354 Décret-­‐loi du 12 novembre 1938 (J.O. du 13 novembre 1938).

355 Décret du 14 mai 1938, Article 8. La carte de type C ne pouvait être délivrée qu’après enquête administrative et sous réserve de renseignements favorables à tous les égards.

356 L’assignation à résidence est une décision par laquelle l’administration centrale contraint un étranger à résider dans le lieu qu’elle détermine, l’oblige à se présenter périodiquement aux services de polices et de gendarmerie le privant ainsi de la liberté de circuler librement en France (Parello 2010, 20-­‐29).

357 Noiriel 1998, 50-­‐60.

358 Parello 2010, 30-­‐36.

359 ADH, 2W 614. Régime du séjour de l’étranger en France, p. 20.

360 Les juifs, quelle que soit leur nationalité, n’étaient pas autorisés à franchir la ligne de démarcation, même  aux points de passage prévus.

361 ADH, 2W 614. Régime du séjour de l’étranger en France, p. 22.

362 Décret du 2 mai 1938; Lois des 30 mai 1941et 10 février 1943.

363 Décret-­‐loi des 2 et 14 mai 1938; Circulaire du préfet de l’Hérault du 8 juin 1942.

364 «A titre définitif» signifiait que l’individu n’avait pas la possibilité de répudier sa nationalité française à sa majorité.

365 Ils pouvaient aussi devenir français à leur naissance, à la suite d’une déclaration devant le Juge de Paix souscrite par les parents. Décret-­‐loi du 9 septembre 1939.

366 Décret-­‐loi du 12 novembre 1938. Article 19.

367 Loi du 10 octobre 1939.

368 Cette disposition ne s’appliquait que pour la durée de la guerre.

369 Décret-­‐loi du 12 novembre 1938. L’étranger expulsé ou assigné à résidence ne pouvait pas être inscrit sur les tableaux de recensement.

370 Loi du 16 juillet 1940; Décret-­‐loi du 22 juillet 1940.

371 ADH, 2W 614. Régime du séjour de l’étranger en France, p. 34.

372 Journal Officiel du 3 mai 1938, p. 4967: «(La France) reste toujours aussi largement ouverte à la pensée, à l’idéal persécutés, qui lui demandent asile, à la condition toutefois qu’il ne soit pas fait du titre respectable de réfugié politique un usage illégitime qui serait un abus de confiance, et qu’une conduite exempte de tout reproche, une attitude absolument correcte vis-­‐à-­‐vis de la République et de ses institutions, soient l’inflexible règle pour tous ceux qui bénéficient de l’accueil français. Cet esprit de générosité envers celui que nous nommerons  l’étranger  de  bonne  foi  trouve  sa  contre-­‐partie  légitime  dans  une  volonté  formelle  de  frapper désormais de peines sévères tout étranger qui se serait montré indigne de notre hospitalité. Et tout d’abord, la France  ne  veut  plus  chez  elle  d’étrangers  clandestins,  d’hôtes  irréguliers:  ceux-­‐ci  devront,  dans  un  délai  d’un mois fixé par le présent texte, s’être mis en règle avec la loi ou, s’ils le préfèrent, avoir quitté notre sol».

 

 

Source :

Cahiers d’Études des Cultures Ibériques et Latino-­‐américaines -­‐ CECIL

ISSN  2428-­‐7245.
Numéro 2
-­‐
Année 2016.
Université Toulouse-­‐Jean-­‐Jaurès

Université Paul-­‐Valéry, Montpellier

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LE CHOIX DE LA NATIONALITE CHEZ LES DESCENDANTS DES EXILES ET DES IMMIGRES ESPAGNOLS EN FRANCE

Évelyne RIBERT  (1), Bruno TUR  (2)

CNRS, Centre Edgar Morin, équipe de l’IIAC

CRIIA, Université Paris Ouest Nanterre

 

RÉSUMÉ

Après avoir présenté les droits espagnol et français de la  nationalité, cet article, basé sur des entretiens semi-directifs, analyse les choix des descendants des exilés politiques et des immigrés économiques espagnols, en France, en matière de nationalité. Les descendants des immigrés économiques sont généralement nés espagnols et ont pu ensuite devenir français, alors que les descendants d’exilés, généralement français, ont pu recouvrer ou acquérir la nationalité espagnole suite à l’adoption en Espagne, en 2007, de la « loi sur la mémoire historique ». Il ressort de cette recherche que les motivations et la signification liée à la possession de l’une ou l’autre nationalité diffèrent entre les deux groupes. Si les descendants des immigrés économiques choisissent leur nationalité en partie en fonction du pays dans lequel ils souhaitent vivre, les motivations des descendants d’exilés sont essentiellement symboliques.

 

RESUMEN

Tras presentar el derecho español y francés sobre la nacionalidad y basándose en entrevistas semidirigidas, este trabajo analiza la elección de nacionalidad de los descendientes de los exiliados políticos y de los inmigrantes económicos españoles en Francia. Los descendientes de los inmigrantes económicos nacen generalmente españoles, convirtiéndose posteriormente en franceses. Sin embargo, los descendientes de los exiliados políticos, generalmente franceses, pudieron recuperar o adquirir la nacionalidad española a partir de 2007 gracias a la «ley de memoria histórica». Nuestras investigaciones han puesto de realce las diferentes motivaciones y el significado que constituye poseer una u otra nacionalidad según los grupos estudiados. Si los descendientes de los inmigrantes económicos eligen, en parte, su nacionalidad en función del país donde desean residir, los motivos de los descendientes de los exiliados son esencialmente simbólicos.

 

 

En adoptant la « loi sur la mémoire historique »(3) en 2007, le parlement espagnol a permis aux descendants des exilés d’acquérir la nationalité espagnole que leurs parents ou grands-parents possédaient lorsqu’ils ont quitté l’Espagne, qu’ils l’aient conservée ou non par la suite. En fuyant leur pays à cause de la guerre civile et de la dictature franquiste, bon nombre des exilés se sont installés en France (4). Plus tard, pendant les Trente glorieuses, ils ont été rejoints par des migrants économiques qui, s’ils ne quittaient pas l’Espagne pour des raisons politiques, venaient chercher en France du travail et de meilleurs salaires (5).

Selon les cas et les époques, les descendants des exilés et des immigrés ont pu détenir, obtenir, perdre ou récupérer les nationalités française et espagnole, dans les conditions que nous allons exposer. L’objectif de notre article est non pas de proposer une étude quantitative de cette question, mais de procéder à une analyse des choix faits par les descendants en matière de nationalité, essentiellement à partir d’entretiens, en montrant les motivations des descendants des immigrés économiques et celles des descendants des exilés politiques. Que signifie, pour les uns et pour les autres, la possession de la nationalité française et de la nationalité espagnole ? Quelles logiques président à leur choix ? Celles-ci sont-elles analogues ou s’avèrent-elles différentes ?

Après avoir présenté les droits espagnol et français de la nationalité, qui déterminent le cadre juridique dans lequel les choix s’effectuent, nous analyserons les décisions prises par les descendants d’immigrés économiques et d’exilés politiques en matière de nationalité.

 

L’évolution du droit de la nationalité espagnole

 

La loi espagnole en matière de nationalité privilégiant le jus sanguinis plutôt que le jus soli, les enfants des ressortissants espagnols sont espagnols dès leur naissance, qu’elle ait eu lieu en France ou ailleurs et quelle que soit la période (6). Plus tard, ceux d’entre eux qui sont devenus français possédaient donc déjà la nationalité espagnole au moment de cette acquisition. Si la possession d’une autre nationalité lorsqu’on devient français ne pose pas de problème à l’administration française, en revanche, jusqu’à aujourd’hui encore, la loi espagnole est plus restrictive pour ses ressortissants qui acquièrent une autre nationalité.

En effet, l’Etat espagnol ne permet pas à ses ressortissants d’acquérir une autre nationalité : ceux-ci peuvent perdre leur nationalité espagnole. Du fait de l’importance de l’émigration espagnole transocéanique, l’Espagne a signé divers accords de double nationalité entre 1958 et 1980 qui ne concernent que des pays d’Amérique du Sud (7). Si la Constitution de 1978 réaffirme la possibilité pour l’Etat espagnol d’établir « des traités de double nationalité avec les pays ibéro-américains ou avec ceux qui ont ou qui ont eu un lien particulier avec l’Espagne »(8), aucun accord n’a été signé avec un pays européen, bien que le flux migratoire espagnol se soit essentiellement orienté, dès les années 1950, vers des pays comme la France, l’Allemagne ou la Suisse.

Dans ce contexte, deux remarques importantes doivent être soulevées. La première, c’est que l’acquisition de la nationalité française pouvait et peut entraîner, pour les descendants des exilés et immigrés qui sont nés espagnols, la perte de leur nationalité espagnole d’origine, dans les conditions que nous allons voir. Aussi, en l’absence d’accord de double nationalité entre l’Espagne et la France, il faut donc parler de binationalité plutôt que de double nationalité pour les ressortissants franco-espagnols, car les Espagnols d’origine qui sont devenus ou qui souhaitent devenir français ne bénéficient pas des droits garantis par les accords de double nationalité (9).

Bien que la Constitution espagnole précise qu’ « aucun Espagnol d’origine ne pourra être privé de sa nationalité »(10), la loi prévoit la perte dite volontaire de la nationalité espagnole (11) pour trois motifs : l’acquisition d’une autre nationalité (12) ; l’usage exclusif d’une autre nationalité acquise avant la majorité (13) ; le renoncement à la nationalité espagnole (14).

Ainsi, sous le franquisme comme depuis le retour de la démocratie en Espagne, l’acquisition de la nationalité française peut amener le binational franco-espagnol à perdre sa nationalité d’origine, ce que des associations dénoncent sans que l’Etat espagnol ne règle ce problème. Les binationaux doivent donc, à un moment donné, « manifester leur volonté de demeurer espagnols » et « faire usage de cette nationalité », ce que l’on peut traduire par tenir ses papiers d’identité à jour, faire usage d’un passeport espagnol ou exercer son droit de vote, sans toutefois disposer d’éléments clairs sur cette notion d’usage. Ils s’exposent sinon à une perte de leur nationalité d’origine, malgré ce que dit la Constitution espagnole. Ce flou législatif amène les consulats, comme celui de Paris, à exiger parfois des Franco-espagnols qui souhaitent renouveler leur passeport qu’ils produisent une déclaration écrite stipulant qu’ils renoncent à la nationalité française (15) !

En Espagne, la question de la nationalité des descendants d’Espagnols à l’étranger a été très présente dans le débat public ces dernières années. Mais ce débat concernait plus particulièrement les descendants des exilés, puisqu’il a été amené par le vote des « lois mémorielles » au Parlement. Comme Franco demeurait au pouvoir et que la restauration de la démocratie paraissait de plus en plus improbable, certains exilés, qui avaient conservé leur nationalité espagnole dans l’espoir d’un retour en Espagne, se sont naturalisés lorsqu’ils ont compris qu’ils ne quitteraient pas de sitôt leur pays d’accueil (16). Ils ont donc pu perdre leur nationalité espagnole lorsqu’ils ont pris la nationalité de leur pays de résidence ou, dans le cas des femmes, lorsqu’elles ont épousé un ressortissant français ou étranger. Par ailleurs, d’autres exilés ont pu être privés de leur nationalité par l’Etat franquiste pour cause de déportation (17).

Si la première de ces lois (2005) accordait une pension aux « enfants de la guerre » –c’est-à-dire aux enfants espagnols que les républicains avaient évacués à l’étranger (en Europe et en Amérique du Sud), où beaucoup étaient restés – sans aborder la question de leur nationalité (18), la loi suivante (2006), qui concernait le statut des Espagnols (quel que soit le motif du départ) résidants à l’étranger, annonçait une réforme de la nationalité « dans les six mois »(19) qui, pour les descendants des immigrés, se fait encore attendre. Mais c’est surtout le texte connu sous le nom de Loi de la mémoire historique (20)

(2007) sur les victimes de la guerre civile espagnole et de la dictature qui intéresse le droit de la nationalité espagnole, puisqu’il reconnaît aux descendants des exilés – ces exilés qui ont été espagnols d’origine – la possibilité de récupérer ou d’acquérir, selon les cas, la nationalité espagnole (21). Concrètement, les enfants dont l’un des deux parents était espagnol d’origine, ainsi que leurs petits-enfants (22), pouvaient acquérir la nationalité espagnole, si l’ascendant exilé avait quitté l’Espagne entre le 18 juillet 1936 (début de la Guerre civile) et le 31 décembre 1955 (23). Pour faire valoir ce droit, les descendants ont pu déposer leur dossier de demande d’acquisition de la nationalité espagnole entre le 29 décembre 2008 et le 27 décembre 2011.

 

L’évolution du droit de la nationalité française

 

En France, le code de la nationalité se fonde, depuis plusieurs siècles, sur une combinaison du droit du sang et du droit du sol. Ainsi, l’enfant né d’au moins un parent français est français de naissance, y compris s’il est né à l’étranger (jus sanguinis), tout comme l’enfant né en France d’au moins un parent qui y est lui-même né, quelle que soit la nationalité de celui-ci (jus soli). Toujours en vertu du droit du sol, l’enfant né en France de parents étrangers devient français de plein droit à sa majorité s’il remplit certaines conditions de résidence. La nationalité française peut également s’acquérir à raison du mariage et par naturalisation.

Depuis le début des années 1980, le droit de la nationalité française a connu un durcissement sous l’effet de la montée du Front national, dont certains des thèmes ont été repris par la droite. L’immigration a été présentée comme une menace pour l’identité nationale, notamment en raison de son origine extra-européenne. Les pouvoirs publics ont accrédité cette analyse (24). Différentes lois ont été adoptées qui visaient à rendre plus difficile l’accès à la nationalité française afin de lutter contre la fraude et de s’assurer de l’intégration et du partage des valeurs républicaines des candidats à la nationalité. « Ces mesures ont eu pour effet de conforter l’idée qu’un doute planerait sur l’intégration ou la volonté de s’intégrer [de ces derniers] »(25). La création d’un Ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Co-développement par Nicolas Sarkozy en 2007 est venue encore conforter l’idée que l’immigration mettrait en péril l’identité nationale.

La première offensive, en 1986, a concerné le droit du sol, notamment l’obtention automatique de la nationalité française à 18 ans par les jeunes nés en France de parents étrangers, qu’il s’agissait de remplacer par une démarche volontaire à la majorité.

Précisons que si les jeunes acquéraient alors automatiquement la nationalité française, ils avaient la possibilité de la décliner dans l’année précédant leur majorité avec l’accord de leurs parents. Le présupposé sous-tendant cette proposition de réforme était que l’intégration des étrangers se ferait plus difficilement que par le passé et que dès lors la naissance et la résidence en France ne suffiraient plus à la garantir. Il faudrait y ajouter l’expression de la volonté. Il serait ainsi possible de s’assurer du désir des jeunes de devenir français et de raffermir leur sentiment d’appartenance à la France, en instituant un rite de passage (26). Après de longs débats et rebondissements, une réforme a été adoptée le 22 juillet 1993 (27). Alors que, depuis 1945, les jeunes nés en France de parents étrangers devenaient automatiquement français à la majorité, à condition d’habiter sur le territoire et d’y avoir résidé au cours des 5 dernières années et qu’en outre, leurs parents pouvaient réclamer pour eux à n’importe quel âge cette nationalité, moyennant une condition de résidence analogue, la loi Méhaignerie instaura une manifestation de volonté à effectuer entre 16 et 21 ans. Passés 18 ans, l’intéressé pouvait se voir refuser la nationalité française s’il avait fait l’objet de certaines condamnations. Avec le retour de la gauche au pouvoir en 1997, la loi fut abrogée. La loi Guigou du 16 mars 1998 (28), toujours en vigueur, rétablit l’obtention automatique de la nationalité française à la majorité, avec possibilité de décliner la nationalité française dans les 6 mois précédant la majorité et dans l’année qui suit, tout en assouplissant la condition de résidence.

L’intéressé doit désormais justifier d’une résidence « en France pendant une période continue ou discontinue d’au moins 5 ans, depuis l’âge de 11 ans »(29). La nationalité française peut également être acquise par déclaration dès 13 ans avec l’autorisation des parents et à condition d’avoir résidé en France au cours des 5 dernières années. La possibilité de devenir français avant 13 ans n’a en revanche pas été rétablie. Rien ne peut enfin s’opposer à l’acquisition de la nationalité française par l’enfant mineur, alors que des possibilités d’opposition existent en cas de condamnations pénales pour l’enfant majeur.

Dans les années 1993 et surtout 2000, ce sont les règles d’acquisition de la nationalité française à raison du mariage et par naturalisation qui ont été peu à peu durcies, avec l’augmentation progressive du délai au bout duquel un étranger marié à un ressortissant français peut devenir français par déclaration, porté à 4 ans en 2006 (30), ainsi que l’introduction de conditions liées à la connaissance de la langue (31), de l’histoire et de la culture françaises (32). L’acquisition de la nationalité française a également été solennisée avec l’instauration de « cérémonies d’accueil »(33). Jusqu’en 1993, le conjoint étranger d’un ou d’une Française pouvait devenir français par déclaration 6 mois après le mariage, à condition que la communauté de vie n’ait pas cessé entre les époux et que le gouvernement ne s’y oppose pas pour indignité ou défaut d’assimilation (34). La loi du 9 janvier 1973 avait instauré l’égalité entre époux et épouse, alors qu’auparavant la femme étrangère se mariant avec un Français devenait automatiquement française, même si elle pouvait dans certains cas décliner cette nationalité, alors que l’époux étranger ne pouvait devenir français que par naturalisation. La naturalisation, attribuée de façon discrétionnaire par les pouvoirs publics, en fonction d’éventuels critères d’opportunité, pouvait quant à elle être demandée après 5 ans de résidence en France et était subordonnée à des conditions de bonnes vie et mœurs, ainsi qu’à l’assimilation de l’intéressé en France, notamment à une connaissance suffisante, selon sa condition, de la langue française. Précisons enfin que la France autorise ses ressortissants à avoir la plurinationalité, mais ne la reconnaît pas, puisqu’elle ne considère que la qualité de Français de l’intéressé : un binational possédant la nationalité française est considéré par la France comme son ressortissant exclusif, quelle que soit son autre nationalité (35). Lorsqu’un Français acquiert une autre nationalité, la loi française n’exige pas qu’il renonce à sa nationalité française. Et lorsqu’un étranger devient français, il peut conserver sa nationalité d’origine.

 

Les descendants des immigrés et des exilés en France et le choix de la nationalité

 Les descendants des immigrés économiques

 

La question du choix de la nationalité chez les descendants des immigrés économiques espagnols en France (36) est pour l’instant mieux connue que celle des rapports à la nationalité chez les descendants des exilés, grâce en partie à deux recherches que nous avons menées dans le passé et dont les conclusions ont été publiées (37). Si, pour l’étude comparative menée par Evelyne Ribert, seuls quelques descendants d’Espagnols avaient été rencontrés, principalement au milieu des années 1990, parmi ceux d’autres nationalités, la recherche dirigée par Laura Oso Casas portait spécifiquement sur les descendants des immigrés espagnols à Paris. Pour le rapport final, trente entretiens individuels approfondis (38) avaient été réalisés avec des personnes majeures, principalement à Paris, mais aussi en Espagne, entre mars et juin 2007, ainsi qu’un entretien de groupe avec des parents espagnols à Paris (39). Le livre paru est une version remaniée de ce rapport, remis au Ministère espagnol du Travail et des Affaires Sociales en 2007, à un moment où l’Espagne semblait redécouvrir son histoire migratoire (40). Les deux études ont permis de distinguer chez les descendants des immigrés trois groupes, aux projets de résidence différents, qu’il est important de présenter avant d’aborder la question du choix de la nationalité.

Le premier groupe est celui où les enfants s’identifient au pays des parents. Ceux qui le composent ont pour objectif de s’installer en Espagne. Le deuxième groupe comprend ceux qui rêvent d’un retour en Espagne, sans toutefois proposer un projet concret. Ils entretiennent avec l’Espagne une relation plutôt affective et sentimentale. Le troisième groupe est composé par ceux qui ont l’habitude de vivre en France et n’envisagent guère de s’installer en Espagne. L’appartenance à l’un ou l’autre de ces groupes n’implique donc pas les mêmes besoins administratifs. En dehors de cas exceptionnels, les personnes ayant participé aux entretiens ont pu choisir de posséder l’une ou l’autre des nationalités espagnole ou française, voire les deux, puisqu’il est possible, une fois la nationalité française acquise, de conserver sa nationalité espagnole si on manifeste cette volonté et si cette nationalité est utilisée.

Nous pourrions penser que le choix s’est fait en fonction de l’appartenance à l’un des trois groupes présentés ci-dessus et que, par exemple, ceux qui s’identifient au pays des parents n’ont que la nationalité espagnole. Pourtant, ce n’est pas le cas. En effet, chez ceux qui n’ont que la nationalité française, on trouve des personnes qui souhaitent également obtenir la nationalité espagnole. Au moment des entretiens, certains avaient d’ailleurs entamé des démarches administratives dans ce but. Néanmoins, la majorité de ceux qui n’ont que la nationalité française n’envisage absolument pas d’acquérir l’espagnole, non par rejet, mais parce qu’ils n’en voient pas l’utilité puisque leurs « papiers » français leur permettent d’aller et de venir entre la France et l’Espagne quand ils le souhaitent. Chez ceux qui n’ont que la nationalité espagnole, on observe trois cas de figure. D’abord, on trouve ceux qui sont retournés vivre en Espagne, avec leurs parents, lorsqu’ils étaient petits. Hormis une exception, ils ne sont plus revenus vivre en France et nous les avons interviewés en Espagne. Ils n’ont donc pas acquis automatiquement la nationalité française et n’ont pas pu manifester leur volonté de l’acquérir une fois majeurs, puisqu’ils ne résidaient plus en France. On trouve aussi ceux qui sont arrivés adolescents en France, avec leurs parents migrants, et qui n’ont pas fait les démarches nécessaires pour obtenir la nationalité française par naturalisation. Enfin, il y a ceux qui ne se sentent pas français, bien qu’ils soient nés en France et qu’ils y vivent encore parfois. Ils utilisent leur carte d’identité espagnole (Documento nacional de identidad, DNI), ainsi qu’une carte de séjour française. Généralement, ils souhaitent s’installer en Espagne, comme le montre le témoignage de Teresa Gomez (41), qui y vit déjà, mais n’a quitté Paris qu’à 26 ans :

Pourquoi aurais-je voulu la nationalité française ? Moi, ce que je voulais, c’était retourner en Espagne, l’important, c’était d’avoir la nationalité espagnole. Mes parents ont évoqué la nationalité française, mais j’ai dit que je n’en voulais pas. J’avais déjà mon DNI et mon passeport espagnols, c’était suffisant. En France, j’utilisais la carte de séjour. Mais après, pour les Espagnols, ça n’était plus obligatoire de l’avoir.

Il est intéressant de noter que les descendants parlent de « retour » en Espagne, bien qu’ils n’y aient majoritairement jamais vécu. Ils ont en fait assimilé l’idée de retour véhiculée par les parents, une idée fondamentale pour la migration espagnole des années 1960, puisque l’émigration espagnole vers un pays européen devait théoriquement s’achever par un retour rapide. Les parents, bien qu’ils aient prolongé leur séjour à l’étranger, ont tout de même élevé leurs enfants en les préparant à cette idée du retour (42).

Enfin, le fait de posséder les deux nationalités ne résulte pas toujours d’une décision personnelle mûrement réfléchie. Certains sont espagnols de naissance et ont acquis la nationalité française avant leur majorité suite aux démarches administratives effectuées par leurs parents. D’autres souhaitent posséder les deux nationalités. Majoritairement, ces derniers vivent en France. Pour certains, la carte d’identité française est en cours de validité, mais les passeports ou DNI espagnols sont périmés. D’autres ont tous leurs papiers à jour car ils veulent utiliser leur carte française lorsqu’ils sont en France et leur DNI lorsqu’ils sont en Espagne. Le choix de prendre ou non la nationalité française peut répondre à des motivations purement stratégiques. Bien que vivant en France où il est né de parents espagnols, Jaime Muñoz explique qu’il n’a pas souhaité acquérir la nationalité française pour contourner l’obligation de service militaire. En effet, les hommes binationaux ont dû répondre aux obligations militaires, en France comme en Espagne, jusqu’à la professionnalisation des armées des deux pays respectivement en 1997 et en 2001. On peut remarquer que les binationaux qui ont choisi de faire leur service en Espagne avaient le projet de s’y installer. Mais la grande majorité de ceux qui ont dû faire leur service l’ont fait en France, avant tout pour des raisons pratiques puisqu’ils y résidaient. La loi espagnole prévoyait cette possibilité en considérant qu’un Espagnol résidant à l’étranger n’avait plus d’obligation de service militaire en Espagne s’il l’avait accompli dans un pays avec qui elle avait signé un accord, ce qui était le cas de la France (43). Les ressortissants espagnols résidant en France, qu’ils soient binationaux ou non, pouvaient demander des dérogations d’incorporation aux autorités militaires espagnoles, au motif qu’ils poursuivaient leurs études ou qu’ils ne résidaient pas en Espagne (44). En ne prenant pas la nationalité française, Jaime Muñoz n’était donc tenu de faire le service militaire qu’en Espagne. Mais comme il vivait en France, il pouvait demander des reports d’incorporation (45).

Les parents interviennent parfois pour que leurs enfants conservent la nationalité espagnole. Cette intervention n’est pas toujours motivée par l’identification au pays. Marta Ferrer, par exemple, a conseillé à son fils, de nationalité française, de prendre également la nationalité espagnole : « Si un jour il hérite de notre appartement en Espagne, s’il est espagnol, il ne paiera pas d’impôts de succession, contrairement a quelqu’un qui n’a qu’une nationalité étrangère »(46). Pour ceux qui vivent en France, la possession de la nationalité espagnole peut contenir une forte charge symbolique. Chez les binationaux, le fait d’utiliser les documents espagnol ou français a beaucoup à voir avec le regard de l’autre. Les entretiens montrent que, lorsqu’ils sont en séjour en Espagne, les insinuations sur le fait qu’ils sont plus français qu’espagnols les agacent, comme en témoigne Matthieu Vazquez :

En Espagne, je ne ressens pas le même besoin de dire que je suis français, mais en France j’ai besoin de dire que je suis espagnol… Tu vois ? De dire que c’est un orgueil d’être espagnol. En Espagne, je ne cache pas que je suis français, mais je ne le mets pas en avant. Là-bas, quand on me dit franchute, je sors mon passeport et je réponds «eh bien non, je suis espagnol comme toi !». Je sors mon passeport et je le montre.

Contrairement à Matthieu, Pere Teran a grandi en France, mais est rentré vivre en Espagne avec ses parents. S’il aimerait avoir un document d’identité français, c’est « pour les souvenirs, pour qu’on sache que je suis français, que j’y suis né ». Les deux exemples précédents montrent comment la matérialisation de la nationalité par le papier peut symboliser l’identification ou l’attachement à l’un des deux pays. Les cartes nationales et les passeports permettent de montrer que l’on est seulement ou également espagnol ou français, dans des contextes particuliers. Au-delà de la problématique politico-administrative de la nationalité, il faut donc noter que le fait d’être descendant d’immigrés espagnols en France implique ou a impliqué des questionnements sur l’identité personnelle de chacun, et plusieurs personnes rencontrées en 2007 le disent au cours des entretiens, principalement celles nées avant les années 1980. Les descendants se sont parfois sentis « coupés en deux » avant de choisir l’un ou l’autre pays, ou les deux. Mar Navarro, qui vit en France et qui est binationale, dit qu’elle a parfois « l’impression de se sentir étrangère en France (…). Je ne peux pas me sentir complètement française, parce qu’il y a mes origines espagnoles ». Cependant, une fois devenus adultes, beaucoup tranchent ces questions, comme Miguel Lopez : « Avec cette double culture, il y a toujours un moment où tu te demandes si tu es une chose ou l’autre. Avec le temps, je me suis dit que je suis l’une et l’autre ».

Pour les ressortissants espagnols ou binationaux vivant en France, les relations avec l’administration consulaire et l’ambassade d’Espagne sont rares et, parfois, inexistantes. Si la majorité des personnes interviewées a été, à un moment donné, inscrite au Registre civil consulaire, peu d’entre elles ont mis à jour cette inscription en signalant, par exemple, une nouvelle adresse. Si le passeport peut être délivré ou renouvelé tant en Espagne que dans les consulats espagnols, il n’en va pas de même pour le DNI, puisque les démarches pour l’obtenir doivent obligatoirement se faire en Espagne, ce que regrette Matthieu :

J’aurais aimé [avoir le DNI], mais c’est toute une gestion, au consulat d’abord (47), puis dans mon village en Espagne, ça me fatigue. Mais ça m’aurait aidé. […] Par exemple sur Internet, dans les forums… dans le forum de Marca (48), si tu veux laisser un message ils te demandent le numéro de DNI. Sans lui, tu ne peux pas. (…) Ce sont des petits détails, mais bon. Et [en Espagne], dès que tu as besoin d’un document, on te le demande. Je devrais le faire faire, mais c’est compliqué.

En ce qui concerne les pratiques électorales, nous savons que le taux d’inscription sur les listes électorales françaises des descendants d’Espagnols est plus élevé que pour les descendants d’autres nationalités de l’immigration (49), ce que les entretiens réalisés confirment. En revanche, les binationaux résidant en France ne votent pas toujours aux élections espagnoles, alors que ceux qui n’ont que la nationalité espagnole semblent plus impliqués. Les binationaux affirment qu’ils ne reçoivent aucune information des partis politiques espagnols. Lorsqu’ils votaient aux municipales avant que la loi soit modifiée, ils le faisaient parce que, disaient-ils, ils connaissaient les représentants politiques du village. Par contre, s’ils ne votent pas aux élections autonomiques ou nationales, c’est parce qu’ils ne sauraient pas à qui donner leur voix. On peut observer que ceux qui votent en France et en Espagne le font pour les mêmes courants d’idées. Aussi, les binationaux ne votent pas forcément deux fois, comme ils pourraient le faire, aux élections européennes, puisqu’ils se contentent de voter en France. Au-delà des réticences personnelles, il faut noter que la loi espagnole rend difficile l’exercice du vote à ses ressortissants vivant à l’étranger, d’une part parce qu’ils sont désormais exclus des municipales, d’autre part parce que la procédure pour voter aux autres élections depuis l’étranger est souvent lourde : les citoyens espagnols souhaitant voter doivent préalablement être inscrits au CERA (50), qui recense les Espagnols résidant à l’étranger ; ils doivent ensuite adresser au bureau électoral dont ils dépendent, par courrier et avant une certaine date, une demande d’autorisation de voter. Ils reçoivent ensuite les documents nécessaires pour exercer le droit de vote et peuvent ensuite voter soit au consulat, soit par courrier.

 

Les descendants des exilés politiques

 

Pour les descendants d’exilés, la décision, depuis la « loi sur la mémoire historique » de 2007, de recouvrer ou d’acquérir cette nationalité obéit à une logique partiellement différente. Il ne s’agit pas ici de faire une comparaison entre les deux populations, différentes à maints égards (âge, date d’arrivée de la famille en France, statut socioprofessionnel, etc.) mais simplement de mettre en regard la signification hétérogène conférée à l’appartenance nationale dans l’un et l’autre cas. D’après les informations fournies par le ministère espagnol des Affaires Etrangères et de la Coopération, 503.439 demandes auraient été déposées dans 183 bureaux consulaires, 94,84% (477.462) d’entre elles l’ayant été en Amérique du Sud. 92,34% des requérants sont des enfants de père et/ou mère espagnole d’origine et 6,32% des petits-enfants de personnes ayant perdu ou renoncé à leur nationalité espagnole.

Notre analyse de la signification de l’acquisition de la nationalité espagnole dans ce cas se fonde sur 16 entretiens approfondis réalisés avec des réfugiés et descendants de réfugiés, rencontrés par le biais d’une exposition « Portraits de migrations, un siècle d’immigration espagnole en France », présentée en octobre 2007 dans des locaux associatifs espagnols à Saint-Denis, en région parisienne, et à laquelle l’un des membres de leur famille s’était rendu. Au sein d’une même famille, différentes générations ont été interrogées. Au total, 20 personnes issues de l’exil, appartenant à 10 familles, ont été rencontrées en 2007 et 2008, au cours d’entretiens individuels ou à plusieurs : précisément un réfugié (51) ayant combattu pendant la Guerre civile, deux personnes arrivées enfants en France entre 1945 et 1950, quatre enfants nés en France d’au moins un réfugié ayant défendu la République, six enfants d’exilés qui étaient enfants pendant la Guerre civile (52), six petits-enfants d’au moins un grand-père combattant, enfin un petit-enfant dont les grands-parents sont arrivés enfants en France. L’enquête portait sur la transmission (ou l’absence de transmission) de l’histoire migratoire familiale au sein de la famille. Aucune question n’était posée sur l’éventuelle acquisition de la nationalité espagnole, mais 8 personnes en ont parlé spontanément. Deux d’entre elles avaient obtenu la nationalité espagnole une dizaine d’années auparavant, une venait de déposer une demande en ce sens et quatre autres s’interrogeaient ou s’étaient interrogées sur la décision à prendre. À partir des propos recueillis, et sans prétention aucune à l’exhaustivité, en raison du nombre réduit de personnes ayant évoqué cette question, il s’agit ici de mettre en évidence quelques-unes des logiques qui président à la demande d’acquisition de la nationalité espagnole de la part de descendants d’exilés nés en France et d’exilés. Dans presque tous les cas, la demande de nationalité espagnole répond à des raisons symboliques. Seule fait exception une dame arrivée enfant en France qui l’a acquise pour des raisons pratiques alors qu’elle était engagée dans la rénovation de la maison familiale en Espagne. On peut distinguer deux logiques. L’envie ou la décision de prendre la nationalité espagnole peuvent d’abord être liées, en particulier pour ceux qui sont nés en France, enfants et petits-enfants confondus, à un sentiment de perte ou à la recherche de l’histoire de leurs ascendants. Ce sentiment peut naître de l’impression de ne rien connaître du passé des parents ou grands-parents qui n’ont pas souhaité relater ce qu’ils avaient vécu et ont recherché avant tout l’intégration. Le cas d’Albert Uritziar, proche de la soixantaine, paraît assez exemplaire. Interrogé sur ce que ses parents et grands-parents lui ont raconté, il répond :

Très très peu de choses. (rires) Mes parents étaient assez jeunes pendant la Guerre d’Espagne. […] Mon grand-père maternel, qui était très impliqué, était anarchiste et maire de son village. En 39, il a quitté l’Espagne et est passé par Perpignan, comme la plupart des Espagnols, avec les camps de concentration […] et ma mère et ma grand-mère sont restées en Espagne. Elles sont venues, elles, après la Deuxième Guerre Mondiale en 47 et elles ont eu beaucoup, beaucoup de mal à trouver mon grand-père qui ne voulait pas être retrouvé (rires) en clair. Ça, c’est une histoire qui a été cachée très très longtemps. En fait, ma mère ne m’avait jamais parlé de ça, absolument jamais et elle est morte très jeune […]. Ma grand-mère est morte dans la foulée, donc je n’en ai pas discuté avec elle et avec mon grand-père, c’était hors de question (rires). Mon père lui, il était très jeune pendant la guerre civile, il a participé un petit peu […] en portant des trucs aux combattants. Je ne sais pas trop. Il m’en a très peu parlé, ils en parlaient très peu entre eux de ce qu’ils ont fait. En fait, ils ont tiré un trait sur leur passé quand ils sont venus en France. Mon père est venu en 47-48, […] il était déserteur de l’armée espagnole. […]

Ils ont tiré un trait avec le passé, par le fait même que — nous étions trois enfants —ils ne nous ont jamais parlé en espagnol […]. Ils sont devenus français rapidement, ils ont voulu une intégration maximum […], donc l’usage de la langue, l’oubli du passé, enfin l’oubli, je ne pense pas qu’ils l’aient oublié mais ils n’en parlaient pas ou très rarement. […] Les problèmes avec mon grand-père — je suis le tout petit de la famille — j’ai su ça par mon frère aîné qui n’est plus.

Albert Uritziar, très ému au cours de l’entretien, regrette de ne pas mieux connaître le passé familial. En outre, plus personne ne peut le renseigner, ses parents étant décédés jeunes, son grand-père une douzaine d’années auparavant et son grand frère dernièrement. Il ne reste que la sœur de sa mère, qu’il n’a pas vue depuis l’enterrement de son grand-père et qui, née en 1939, ne pourra pas lui parler de la Guerre Civile. Albert Uritziar est « en train d’acquérir la nationalité espagnole » pour « retrouver [ses] racines » :

C’est comme ça, parce que je veux savoir aussi… C’est mes racines. Donc je veux retrouver un peu mes racines quand même. En même temps, j’ai fait quelques recherches généalogiques, essayé de retrouver le reste de ma famille… Du côté de ma mère, je ne connais absolument personne en Espagne, personne ! Du côté de mon père, j’ai connu un petit peu, parce que quand j’étais gamin, 12, 13 ans, nous sommes allés dans sa famille.

Pour Albert Uritziar, la décision de demander la nationalité espagnole semble liée à un sentiment de perte, qui paraît lui-même déclenché par le décès de son frère ainsi que par la visite de l’exposition sur l’immigration espagnole, à laquelle il a appris qu’il lui était possible de réclamer la nationalité espagnole. Peut-être un effet d’âge ou de cycle de vie joue-t-il également ? L’envie d’acquérir la nationalité espagnole semble procéder du même ressort chez Victor Hernandez, la vingtaine, petit-fils de Mario Hernandez, dont le père a été fusillé par les franquistes avant sa naissance et qui est arrivé avec sa mère en France en 1949 à l’âge de 10 ans. Il invoque, entre autres raisons :

Je me sens aussi un peu… de ce côté-là [espagnol] et pour moi, c’est très important de garder ce côté, d’autant plus que l’histoire familiale est assez… Pour moi, elle est importante et c’est des choses qui ne doivent pas se perdre, comme la mémoire de la shoah, de tout ça. […] J’ai envie de renouer justement, comme mon père a un peu pris ses distances avec ça. Il parle couramment espagnol, il y va quand même assez régulièrement, mais lui […], son but, c’était quand même plus, pas l’acculturation, mais il a vraiment essayé de s’intégrer le plus possible dans la société française. Et moi c’est vrai que, du coup, je repars un peu dans le mouvement inverse, je ne sais pas si c’est parce que j’ai toujours fait l’inverse de mon père.

Victor Hernandez, qui regrette de n’être pas bilingue, aimerait passer un an en Espagne et n’exclut pas un jour de s’y installer. Il évoque cette question de nationalité juste après avoir parlé de la vente de la maison familiale en Espagne par ses grands-parents qui lui a fait beaucoup de peine et le prive de tout point d’attache dans ce pays, l’obligeant désormais à s’y rendre en touriste. On peut faire l’hypothèse que l’acquisition de la nationalité espagnole serait une façon de compenser cette perte. Devenir espagnol peut ensuite être une façon de « se réconcilier » avec l’Espagne, comme pour Mario Hernandez, qui a récupéré sa nationalité d’origine il y a une dizaine d’années.

Pendant une période, on rejetait l’Espagne. On en a voulu à l’Espagne […]. On est arrivé avec la faim […]. Au point qu’on avait demandé la nationalité française […] et la vraie réconciliation, elle est toute toute récente, […] c’est quand on a demandé la double nationalité : de récupérer notre nationalité espagnole. Pour moi, personnellement, ça a été ma façon de me réconcilier avec l’Espagne, parce que malgré tout, […] c’est quand même nos origines, on a toujours un attrait, […] on veut toujours en savoir plus. […] Le rejet de l’Espagne, c’était …[…] on faisait un peu l’enterrement du retour en Espagne. C’est de dire : ce pays qui n’a pas voulu de nous, moi, à la limite, je n’en veux plus non plus […]. Et puis c’est vrai qu’on est retourné en Espagne dès qu’on a pu, surtout quand on a eu la nationalité française, […] voir la famille en vacances, etc. C’était encore le franquisme. […] Il y a la mort de Franco, l’avènement du nouveau régime en Espagne […] et moi ce qui m’a le plus réconcilié avec l’Espagne, c’est… On est allé une année chez moi et un cousin m’a dit : « Tu as vu ce qu’ils ont fait au cimetière ? » Non. Il dit : « Ils ont fait un mémorial pour les fusillés ». Je suis allé voir. Effectivement. Sur 2 murs comme ça, il y a 3000 noms de personnes fusillées jour par jour. Et le 3 juillet 1938, mon père qui y figure (Long silence). Et ça me réconcilie. Il y a eu un changement. Il n’y a pas de raison que moi je ne participe plus à ce changement. Ça m’a poussé à un moment donné à demander la double nationalité. On est électeur en Espagne.

Parmi les personnes devenues espagnoles ou qui envisagent de le devenir, la possibilité de voter en Espagne est une motivation fréquemment évoquée, alors que les descendants d’immigrés économiques, on l’a vu, ne participent pas toujours aux élections espagnoles. Les exilés et leurs descendants souhaitent prendre part à l’avenir du pays. Le vote est par exemple la première raison avancée par Victor Hernandez. La décision d’acquérir la nationalité espagnole a aussi souvent une portée symbolique familiale. Ce qui est très frappant, quand des entretiens ont été menés avec différents membres de la lignée, est que soit aucun n’évoque la question de la nationalité, soit plusieurs ou tous en parlent. Cela s’explique bien sûr par la diffusion, au sein de la famille, de l’information concernant la possibilité de devenir espagnol. Mais là n’est pas la seule raison. En général, les parents et grands-parents qui ont connaissance de cette possibilité en parlent à leurs enfants et petits-enfants et leur demandent s’ils seraient intéressés. La réponse semble fréquemment positive. Quand les parents entreprennent des voyages en Espagne dans les villages de leurs familles, ils y vont aussi souvent accompagnés de leurs enfants adolescents ou jeunes adultes. Beaucoup ont également le projet, à partir d’informations glanées auprès de leurs ascendants ou de recherches bibliographiques et archivistiques, de rédiger, pour leurs enfants, un recueil racontant l’histoire des parents ou grands-parents. À travers l’acquisition de la nationalité espagnole, il semble s’agir, symboliquement, de réenraciner la lignée en Espagne, de retisser un lien avec le passé familial espagnol, quand bien même les liens n’ont pas été coupés avec ce pays, les séjours en famille y étant fréquents et la culture espagnole valorisée. La rédaction d’un livret narrant l’histoire des ascendants semble quant à elle s’apparenter à une forme de refondation de l’héritage, comme s’il s’agissait, pour les enfants, de parvenir enfin à reconstituer l’histoire de leurs parents ou grands-parents pour pouvoir la transmettre à leurs propres enfants, tout en essayant d’alléger un petit peu le poids parfois énorme de ce passé. Ayant souffert de l’absence de transmission, les personnes concernées semblent vouloir éviter cette situation à leurs enfants, en leur proposant un récit qui, par la médiation de l’écrit, puisse peut-être mettre un peu à distance les souffrances entourant cette histoire. Dans ce contexte, acquérir la nationalité espagnole semble souvent une décision prise en partie par rapport aux enfants, comme si ce statut allait appuyer la transmission de l’héritage familial espagnol et d’une partie du passé familial. Les propos de Victor Hernandez, qui n’a pas encore d’enfants, sont à cet égard particulièrement significatifs. Outre le vote et le désir de sauvegarder la mémoire, il évoque, alors qu’il est interrogé sur les raisons pour lesquelles il a envie de prendre la nationalité espagnole, la possibilité d’une transmission :

Je sais par exemple que mon fils ou ma fille n’y échapperont pas, ça c’est sûr… Mes enfants, […] je les emmènerai en Espagne chaque année, je leur parlerai espagnol : c’est pour ça aussi que je veux être bilingue absolument. Je ne sais pas. Je ressens ce besoin de connaître un minimum l’Espagne, d’aller y passer un an ou 2 ou 3, de parler totalement espagnol et d’avoir la nationalité espagnole. […] Je pense que c’est très important pour moi en tous cas que mes enfants le sachent. C’est des valeurs qui me tiennent beaucoup à cœur et que j’ai envie de transmettre.

Demander la nationalité espagnole semble être aussi pour les descendants d’exilés une façon de se réinscrire dans la lignée, quand bien même cette décision, pour certains, prend le contre-pied de celle, à l’époque, de leurs parents qui leur avait fait acquérir la nationalité française. Le contexte bien sûr a changé : l’Espagne est devenue une démocratie. En outre, il ne s’agit pas, en prenant la nationalité espagnole, de perdre la nationalité française, mais d’avoir les deux nationalités. Pour autant, certains, comme Florencia Lucio, 49 ans, née en France d’un père arrivé dans l’Hexagone en 1947 à 24 ans, hésitent :

Je ne sais pas trop, parce que je suis un peu partagée avec le fait que nos parents aient décidé, quand on était enfants, de nous déclarer françaises et je me dis : après tout c’est un choix qu’ils ont fait pour nous. Aujourd’hui, revenir sur ce choix, même si on est dans un autre contexte, je ne sais pas encore … […]. Je suis un peu partagée (rires). Mais je trouve bien, en même temps, qu’il y ait une loi qui propose aux enfants et petits-enfants espagnols de pouvoir réintégrer la nationalité de leurs parents.

Florencia Lucio avait déclaré auparavant que son père, lui, « n’avait jamais voulu prendre la nationalité [française] ». Eric Fernandez, 29 ans, dont le père s’interroge sur le fait de demander ou non la nationalité espagnole, dit aussi de son grand-père qu’il n’a jamais envisagé de devenir français, comme si acquérir la nationalité espagnole était une forme de fidélité à l’héritage, alors même qu’il insiste également, comme les autres personnes rencontrées, sur l’intégration de ses grands-parents, pour lesquels, dans le contexte de l’Espagne franquiste, il n’y avait d’autres options que la France. Quant à Victor Hernandez, on l’a vu, s’il acquérait la nationalité espagnole, il prendrait la même décision que son grand-père. En raison de la forte volonté d’intégration des ascendants, soulignée par tous, du refus souvent aussi de transmettre la langue espagnole, enfin du choix de rester en France après l’avènement de la démocratie en Espagne, il ne va pas de soi que demander la nationalité espagnole soit une démarche fidèle à l’héritage, a fortiori quand les parents ou grands-parents ont acquis la nationalité française. Cette situation, d’après Geneviève Dreyfus-Armand et Florence Guilhem, n’est certes pas très fréquente, les réfugiés conservant en général leur nationalité espagnole, mais elle existe. Les naturalisations ont en revanche été nombreuses chez ceux qui sont arrivés enfants en France (53). Dans certains cas, les descendants doivent donc composer avec l’héritage de leurs ascendants pour faire de leur choix une forme de fidélité à l’héritage et se réinscrire ainsi dans la lignée. Notons enfin que, d’après la presse, certains renonceraient à acquérir la nationalité espagnole en raison du serment de fidélité au roi et à la constitution qu’ils doivent effectuer, qui revient pour eux à trahir les idéaux de leurs parents (54).

Cette rapide présentation de quelques-unes des logiques présidant à l’envie ou à la décision de demander la nationalité espagnole n’est pas, on l’a dit, exhaustive. D’autres logiques doivent exister. On peut penser par exemple qu’acquérir la nationalité espagnole peut aussi être perçu comme une façon d’obtenir la reconnaissance des parents ou grands-parents républicains ou avoir valeur de revanche.

 

Conclusion

 

On constate qu’au moment de choisir sa ou ses nationalité(s), les motivations ne sont pas les mêmes chez les descendants des exilés et des immigrés. Les descendants des immigrés économiques ont plutôt pris en compte l’aspect pratique de la nationalité, souvent choisie en fonction de celui des deux pays où ils souhaitent vivre. Chez ceux d’entre eux qui possèdent les deux nationalités, on peut observer une identification forte à l’Espagne. Les descendants des exilés politiques ont quant à eux plutôt demandé la nationalité espagnole pour des raisons symboliques, en lien avec l’histoire espagnole du XXe siècle et celle de leur propre famille. Ici, la nationalité permet, d’une certaine façon, de retrouver le passé de la famille en Espagne, mais aussi de se réconcilier avec ce pays où les exilés, désormais, ne sont plus considérés comme des vaincus.

Si les ressortissants français, descendants d’exilés, ont pu acquérir la nationalité espagnole dans le cadre de la « loi de la mémoire historique » sans que la France ne les force à renoncer à leur nationalité française, le code de la nationalité espagnole est plus restrictif pour les Espagnols acquérant la nationalité française. En permettant aux descendants des exilés d’acquérir la nationalité espagnole, les parlementaires ont souhaité, en quelque sorte, réintégrer dans la nation les familles des Espagnols qui avaient dû fuir le pays. En revanche, en limitant cette possibilité aux personnes dont un parent avait quitté le pays avant 1956, l’Espagne a écarté de ce droit et les descendants des personnes parties pour des raisons politiques entre 1956 et 1975, date de la mort de Franco, et les descendants des migrants économiques : pourtant, ces Espagnols qui ont quitté le pays à partir de 1956 ont aussi pu perdre ou dû renoncer à leur nationalité espagnole d’origine. Force est de constater qu’à ce jour, malgré l’article 11 de la Constitution espagnole, qui stipule qu’un Espagnol d’origine ne peut être privé de sa nationalité, la loi n’a toujours pas entièrement réglé la question de la perte de la nationalité pour les personnes parties d’Espagne sous le franquisme ainsi que pour leurs descendants.

 

1 Axes de recherches : migrations, mémoires, relations entre générations, appartenance nationale. Contact : ribert@ehess.fr

2 Axes de recherches : immigration espagnole en France, stéréotypes et représentations. Contact : tur.bruno@yahoo.fr

3 Loi 52/2007.

4 A la fin de la Guerre civile espagnole (1936-1939), quelque 500.000 personnes quittent l’Espagne en traversant les Pyrénées pour se réfugier en France. Le plus grand nombre va soit retourner en Espagne dans les mois ou années suivantes s’ils n’ont rien à craindre du régime, soit quitter la France pour s’exiler dans un autre pays, comme le Mexique, soit mourir au combat pendant la Deuxième Guerre mondiale ou en déportation. Les autres vont demeurer en France et y faire souche, puisqu’ils ne pourront revenir en Espagne sans risquer d’être inquiétés par les autorités franquistes. En France, d’après les recensements de population, les Espagnols passent de 254.000 en 1936 à 302.201 en 1946. En 1951, F. Guilhem dénombre 112.266 réfugiés espagnols en France (L’obsession du retour. Les républicains espagnols, 1936-1975, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2005, p. 56). En 1968, suite à l’arrivée des migrants économiques, les Espagnols forment la communauté étrangère la plus nombreuse en France : au 31 décembre, ils sont 668.060, dont 8% sont des réfugiés (F. Guilhem, ibid. p. 61). D’après le recensement de la population française de 2006, 134.000 personnes résidant en France possédaient la nationalité espagnole.

5 Nous distinguons donc les descendants des « exilés politiques » ayant quitté l’Espagne, essentiellement, pendant la Guerre civile ou le premier franquisme, des descendants des « immigrés économiques », arrivés en France – principalement à Paris et dans sa région – dans les années 1956-1974. Une première vague migratoire espagnole vers la France avait eu lieu dans l’entre-deux Guerres mondiales. Pour un aperçu général, doublé d’un état de la question, voir N. Lillo, « L’immigration espagnole en France : une histoire à approfondir », Regards, n° 14, 2010, p. 17-40.

6 Ils sont donc « espagnols d’origine », d’après le terme employé en Espagne, ce qui veut dire « espagnols de naissance ». Notons que jusqu’à la Constitution espagnole de 1978, les femmes étaient particulièrement discriminées par le droit espagnol de la nationalité. D’abord, c’est le père qui transmettait aux enfants la nationalité espagnole. Donc, un enfant de femme espagnole et de père possédant une autre nationalité, prenait la nationalité de celui-ci et ne devenait pas espagnol. Il devenait espagnol seulement si le père étranger ne le reconnaissait pas. Ensuite, si une femme espagnole épousait un étranger, elle perdait sa nationalité espagnole d’origine. La grande majorité des enfants d’immigrés nés en France a des parents tous deux espagnols. Il n’en demeure pas moins que des femmes n’ont pu transmettre à leurs enfants leur nationalité espagnole d’origine par le jus sanguinis.

7 Argentine (1969), Bolivie (1961), Chili (1958), Colombie (1980), Costa Rica (1964), Equateur (1964), Honduras (1966), Nicaragua (1961), Paraguay (1959), Perou (1959) et République Dominicaine (1968). Ces accords permettaient l’acquisition de la nationalité du pays concerné sans entraîner la perte automatique de la nationalité espagnole. http://extranjeros.empleo.gob.es/es/NormativaJurisprudencia/Internacional/ConveniosBilaterales/

8 Constitución española de 1978, art. I.11.3.

9 Les Espagnols d’origine qui prennent la nationalité de l’un des pays ayant signé un accord de double nationalité avec l’Espagne ne perdent pas leur nationalité espagnole. Ces accords règlent aussi la question des obligations militaires pour les pays n’ayant pas professionnalisé leurs armées, ou en cas de guerre. Ils définissent également la protection consulaire dont peuvent bénéficier les ressortissants lorsqu’ils ne se trouvent dans aucun des deux pays dont ils possèdent la nationalité.

10 Constitución española de 1978, art. I.11.2.

11 En matière de nationalité, le Code Civil espagnol (art. 24 et 25) distingue la perte volontaire (lorsqu’un Espagnol majeur acquiert volontairement une autre nationalité ou ne fait usage que de l’autre nationalité acquise lorsqu’il était mineur) et la perte par sanction (par une condamnation de justice ; pour avoir pris les armes ou mené des activités politiques dans un Etat étranger malgré l’interdiction du Gouvernement espagnol ; pour utilisation exclusive, pendant trois ans, d’une nationalité à laquelle on a déclaré renoncer en acquérant la nationalité espagnole. Cela ne s’applique pas aux Espagnols d’origine.) Ces cas de perte volontaire ne concernent pas les pays ayant signé un accord de double nationalité, ni ceux cités dans ce même article du Code Civil : l’Andorre, les Philippines, la Guinée Equatoriale et le Portugal.

12 A condition que la personne soit majeure et qu’elle réside à l’étranger, qu’elle acquière volontairement l’autre nationalité et qu’elle n’ait pas manifesté sa volonté de conserver sa nationalité espagnole dans les trois ans qui suivent l’acquisition de l’autre nationalité, ou dans les trois ans qui suivent la majorité si le ressortissant espagnol a acquis l’autre nationalité en étant mineur.

13 Dans le cas d’un mineur résidant habituellement à l’étranger, qui utilise exclusivement l’autre nationalité et qui n’a pas manifesté sa volonté de conserver sa nationalité espagnole dans les trois ans suivant sa majorité.

14 Ce qui est possible si la personne est majeure, réside à l’étranger et possède une autre nationalité.

15 Ce qui n’a aucun effet puisque cette déclaration ne peut entraîner la perte de la nationalité française.

16 Une minorité de réfugiés espagnols semble avoir fait le choix de la naturalisation. Voir F. Guilhem, L’Obsession du retour…, op. cit., p. 71-78.

17 Le 23 septembre 1940, Hitler, Himmler et Heydrich rencontrent Ramón Serrano Suñer, ministre de l’Intérieur de Franco. Ils décident que les Républicains espagnols déportés au camp de Mauthausen porteront le triangle bleu des apatrides, marqué d’un S pour Rot Spanier, rouge espagnol, puisque Franco a décidé de les déchoir de leur nationalité. Cependant, à Mauthausen comme dans les autres camps, tous les Espagnols n’ont pas été recensés de cette façon : à Ravensbrück, les Espagnols portaient le triangle rouge des prisonniers politiques.

18 Loi 3/2005.

19 Loi 40/2006, art. 31.

20 Loi 52/2007.

21 Notons qu’elle accorde aussi la nationalité espagnole aux volontaires des Brigades internationales sans qu’il leur soit demandé de renoncer à leur nationalité antérieure (52/2007, art. 18.1). Puisque cette précision est faite pour les Brigadistes, on comprend donc que les autres bénéficiaires, descendants d’exilés, doivent théoriquement renoncer à leur autre nationalité, ou du moins ne pas en faire un usage exclusif. Il sera donc intéressant de voir, dans quelques années, si des personnes ayant acquis la nationalité espagnole dans le cadre de cette loi ont pu la conserver.

22 Seuls les petits-enfants ont dû prouver l’exil de l’un de leurs grands-parents, avec l’un des documents suivants : un justificatif montrant que le grand-parent a perçu une pension de l’Etat espagnol en tant qu’exilé ; un justificatif émanant des Nations Unies ou de l’OFPRA ; des certificats établis par des partis politiques, des syndicats ou toute entité ou institution publique ou privée reconnue par les autorités espagnoles ou par celles du pays d’accueil, ayant un lien avec l’exil. Il fallait en outre que ce grand-parent ait quitté l’Espagne entre le 18 juillet 1936 et le 31 décembre 1955.

23 Cette date du 31 décembre 1955 pose question, car les législateurs ne l’ont pas justifiée. Elle écarte d’emblée les personnes ayant quitté l’Espagne au moment de l’émigration économique des années 60, bien que la loi 40/2006 les considère également victimes de la dictature franquiste. Par ailleurs, des personnes menacées par le régime ont continué de quitter l’Espagne après 1955, certes en moins grand nombre qu’en 1939, mais en perdant aussi leur nationalité si elles optaient pour celle du pays d’accueil. Notons que l’Institut Espagnol d’Emigration (I.E.E.) a vu le jour en 1956 : peut-être les législateurs considéraient-ils que toute émigration postérieure ne revêtait qu’un caractère économique et que plus personne, à l’étranger, n’a perdu sa nationalité espagnole d’origine ? Il s’agirait là d’une erreur. Précisons que toute personne ayant quitté l’Espagne entre ces deux dates, même pour des raisons d’émigration économique, est désormais présumée exilée.

24 Pour plus d’éléments sur la montée de ce discours, voir : E. Ribert, Liberté, égalité, carte d’identité. Les jeunes issus de l’immigration et l’appartenance nationale, Paris, La Découverte, 2006.

25 E. Ribert, « Une tendance larvée, depuis 20 ans, à une certaine «ethnicisation» de l’identité national », Journal des Anthropologues, hors série « Identités nationales d’État », 2007, p. 143-156.

26 Projet de loi n°444 portant réforme du code de la nationalité française, Assemblée nationale, 12 novembre 1986, exposé des motifs reproduit dans : Hommes et Migrations, n°1099, janvier 1987.

27 Pour plus de détails sur la genèse de cette réforme, voir P. Weil, Qu’est-ce qu’un Français? Histoire de la nationalité française depuis la Révolution, Paris, Grasset, 2002, p. 170 et s.

28 Loi n°98-170 du 16 mars 1998.

29 Article 21.7 du Code Civil.

30 Loi du 24 juillet 2006, Article 21-2 du Code Civil.

31 Loi n° 2003-1119 du 26 novembre 2003.

32 Loi n° 2011-672 du 16 juin 2011. Article 21-24 du code civil.

33 Loi du 24 juillet 2006.

34 Nous ne mentionnons ici que les conditions principales.

35 A une nuance près : lorsqu’un binational réside dans l’autre Etat dont il possède la nationalité, il ne peut y faire prévaloir sa nationalité française et y bénéficier d’une protection diplomatique française. De la même façon, cet Etat étranger ne peut apporter de protection diplomatique au binational lorsqu’il se trouve sur le territoire français.

36 Nous entendons par là les immigrés espagnols arrivés en France dans les années 1960 principalement.

37 L. Oso Casas (Dir.), K. Lurbe i Puerto, B. Tur, Transciudadanos. Hijos de la emigración española en Francia, Madrid, Fundación Largo Caballero, 2007 ; E. Ribert, Liberté, égalité, carte d’identité. Les jeunes issus de l’immigration et l’appartenance nationale, Paris, La Découverte, 2006 et « La France par habitude, l’Espagne comme éventualité : regards d’enfants de migrants espagnols », Migrance, hors-série, 2007, p. 100-109.

38 Ces entretiens individuels approfondis, dont la durée moyenne était de deux heures, abordaient plusieurs points comme les études, le travail, la famille, les loisirs, la santé. Notons que la question du choix de la nationalité n’apparaissait pas spontanément.

39 Pour contacter les personnes ayant pris part à l’étude, nous avons eu recours aux associations espagnoles parisiennes, au réseau de la mission espagnole de la rue de la Pompe (Paris 16eme), à l’ambassade d’Espagne à Paris et à des contacts rencontrés au cours de recherches précédentes. La seule condition pour répondre à notre enquête était d’être descendant d’un immigré espagnol, qu’il s’agisse du père ou de la mère, ou des deux. Les parents des descendants rencontrés étaient majoritairement arrivés en France entre 1956 et 1986. L’échantillon ainsi composé ne prétend pas être représentatif de la population issue de l’immigration espagnole en France, même s’il est diversifié en ce qui concerne l’âge, le niveau d’études et la catégorie socioprofessionnelle.

40 Cette recherche a donc été financée par le Ministère espagnol du Travail et des Affaires Sociales et par la Fundación Francisco Largo Caballero.

41 Tous les noms cités dans cet article sont des pseudonymes.

42 Sur l’importance du retour dans l’éducation des descendants des immigrés espagnols, voir B. Tur, « Les vacances au village. Les séjours en Espagne des descendants des immigrés espagnols en France », Regards, n° 14, 2010, p. 109-123.

43 Alors qu’aucun traité de double nationalité n’existe entre les deux pays, l’Espagne et la France ont curieusement signé une convention en 1969 sur le service militaire des « doubles nationaux » ! Le binational devait effectuer le service militaire dans celui des deux pays où il résidait habituellement au cours de l’année précédant sa majorité. Ensuite, il était considéré comme ayant accompli ses obligations militaires par l’autre Etat. Voir le décret n° 70-756, paru au Journal Officiel du 25 août 1970. Par ailleurs, l’Espagne et la France ont signé la Convention sur la réduction des cas de pluralité de nationalités et sur les obligations militaires en cas de pluralité de nationalité (Strasbourg, 6 mai 1963).

44 Ces démarches s’effectuaient au consulat espagnol, où il fallait donc être inscrit. Le fait de poursuivre des études leur permettait aussi de demander leur report d’incorporation pour le service militaire français.

45 Bien sûr, s’il avait pris la nationalité française, il aurait dû accomplir son service militaire dès la fin de ses études.

46 Les Espagnols résidents fiscaux à l’étranger doivent cependant, dans le cadre d’une succession en Espagne, payer un impôt étatique (Loi 29/1987), contrairement aux résidents fiscaux en Espagne, soumis à un impôt autonomique que la plupart des Communautés autonomes ont d’ailleurs supprimé.

47 L’Espagnol résidant à l’étranger doit au préalable obtenir une attestation de domicile consulaire pour demander le DNI en Espagne.

48 Quotidien d’information sportive.

49 J.-L. Richard, Partir ou rester ? Destinées des jeunes issus de l’immigration, Paris, PUF, 2004.

50 Censo Especial de Residentes Ausentes en el Extranjero.

51 Sur le statut des exilés, voir A. Angoustures, « L’exil espagnol et le statut de réfugié », in Les réfugiés en France et en Europe. Quarante ans d’application de la Convention de Genève, 1952-1992, Paris, OFPRA, 1992, p. 187-207.

52 Quand l’un des parents était combattant et l’autre enfant pendant la Guerre civile, la personne rencontrée a été classée comme d’au moins un parent combattant. Le même principe s’applique aux petits-enfants.

53 G. Dreyfus-Armand, L’exil des républicains espagnols en France, de la Guerre civile à la mort de Franco, Paris, Albin Michel, 1999, p. 299, 334 et s. ; F. Guilhem, L’Obsession du retour…, op. cit., p. 71-78.

54 « Les enfants d’exilés de la guerre civile veulent devenir espagnols », La Croix, 14/01/2009. http://www.la-croix.com/Actualite/S-informer/Monde/Les-enfants-d-exiles-de-la-guerre-civile-veulent-devenir-espagnols-_NG_-2009-01-15-529958

 

BIBLIOGRAPHIE

 

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OFPRA, 1992, p. 187-207.

xxDREYFUS-ARMAND, Geneviève, L’exil des républicains espagnols en France, de la Guerre

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xxGUILHEM, Florence, L’obsession du retour. Les républicains espagnols, 1936-1975, Toulouse,

Presses universitaires du Mirail, 2005, 220 p.

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xxOSO CASAS, Laura (Dir.), LURBE I PUERTO, Kàtia, TUR, Bruno, Transciudadanos. Hijos de

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xxRIBERT, Evelyne, « La France par habitude, l’Espagne comme éventualité : regards d’enfants

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xx——————, « Une tendance larvée, depuis 20 ans, à une certaine «ethnicisation» de l’identité

nationale », Journal des Anthropologues, hors série «Identités nationales d’État», 2007,

  1. 143-156.

xxRICHARD, Jean-Luc, Partir ou rester? Destinées des jeunes issus de l’immigration, Paris,

PUF, 2004, 258 p.

xxTUR, Bruno, « Les vacances au village. Les séjours en Espagne des descendants des immigrés

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xxWEIL, Patrick, Qu’est-ce qu’un Français? Histoire de la nationalité française depuis la

Révolution, Paris, Grasset, 2002, 651 p.

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ENFANCES EN GUERRE. Témoignages d’enfants espagnols

ENFANCES EN GUERRE. Témoignages d’enfants sur la guerre

« Espagne que nous avons perdue, ne nous perds pas ».
L´histoire de l´exil écrite par les « niños de Rusia »
VERONICA SIERRA BLAS

Espagne que nous avons perdue, ne nous perds pas ;
Garde-nous en ton front abattu,
Conserve en ton flanc le vide encore chaud
De notre amère absence,
Car un jour nous reviendrons, plus véloces,
Sur le dos solide et puissant
De cette mer, les bras ondoyants
Et les remous de la mer dans la gorge i.

 

 

Inés Millán Romeo. 13 años. [Vida antes de la guerra] Francia. Colonia Infantil de Bayona. « Esta escena representa la alegría que sentíamos  cuando mi papá (viajante) volvía a casa. Mi hermano y yo corríamos a abrazarle y a registrarle los bolsillos, para ver lo que nos traía de otras ciudades ».

 

 

 

Enfance, guerre et évacuations

 

C´était l´été 1936. C´était un juillet bleu, teinté d´ors violents. C´était la moisson et les baignades dans la rivière et le ciel étoilé sur nos têtes. […]. C´était l´été en Castille. Je me souviens qu´il faisait chaud, très chaud […].
Soudain, un matin la catastrophe éclata. Le monde s´écroula. Autour de nous, tout commença à s´effondrer et nous, les enfants, nous assistâmes épouvantés à la fin de notre enfance ii.

Les bombes, les sirènes et les courses vers les abris ; l’interdiction de jouer dans la rue sans autorisation ; les maladies résultat du manque de médicaments et de l’insalubrité ; la faim que ne parviennent pas à rassasier les aliments obtenus lors des distributions de rationnement ; la séparation d’avec les êtres chers comme conséquence des évacuations, des incorporations pour le front, des disparitions inexplicables, des morts… Tout cela a été le quotidien des enfants espagnols lors de l’été torride de 1936.
Si une chose est évidente après les nombreux travaux effectués sur les enfants durant le conflit armé espagnol, c’est qu’ils subirent la guerre sous toutes ses formes, comme les adultes. Ils en furent les victimes directes. Rien qu’en 1937, plus de 36 000 enfants de moins de 14 ans ont péri, ce qui correspond à 28% des morts cette année-là iii . La majorité de ces décès sont enregistrés comme conséquence de maladies (surtout de type infectieux) mais aussi des bombardements. Ces derniers sont le motif de nombreux dessins d’enfants et ils constituent également l’un des thèmes les plus récurrents de leurs écrits, comme on peut le noter, par exemple, dans les mémoires de María Álvarez del Vayo, de 10 ans, qui habitait à Prague, où elle et sa famille s´étaient déplacés en octobre 1936 parce que son père travaillant pour la Légation espagnole dans la capitale tchèque. Il était interdit à María de lire le courrier et la presse qui arrivaient quotidiennement chez elle. Un jour, elle ne put réprimer sa curiosité et lut un tract intitulé « Le crime de Guernica » où était décrit le bombardement de la ville basque.

Je ne voulais pas regarder mais du coin de l’œil j’ai tout vu. Des enfants déchiquetés, les vêtements en lambeaux, couchés en ligne, les uns à côté des autres, les yeux fermés avec un petit écriteau accroché au cou. Ces images resteront gravées pour toujours, comme le sera le titre du tract : « Le crime de Guernica ». Au moment de m’endormir, le secret me submerge. Ces enfants, comme moi : que faisaient-ils étendus sur le sol avec un écriteau au cou ?
– Ils sont au ciel – m’explique maman sans me gronder.
J’ai cru pendant longtemps que pour aller au paradis les enfants devaient porter un écriteau, afin qu’on les laisse entrer si on ne connaissait pas leur nom iv.

 

 

 

23 May 1937, Southampton, Hampshire, England, UK — A clergyman points towards the English coast as the ocean liner draws into dock carrying some 4,200 Basque children who have been evacuated from war-torn Spain. — Image by © Hulton-Deutsch Collection/CORBIS

25 de mayo de 1937. 4200 niños vascos (la mayoría bilbaínos) llegan al puerto de Southampton a bordo del navío « Habana ».

 

 

 

En plus d´être victimes, les enfants espagnols furent la cible privilégiée de la propagande de guerre. Les enfants étaient non seulement un moyen pour les deux camps d’obtenir des soutiens au niveau mondial, mais ils étaient aussi considérés comme les héritiers des principes idéologiques pour lesquels on luttait sur le champ de bataille. Ils devaient, le moment venu, reprendre le flambeau laissé par leurs aînés, afin de consolider le triomphe de la République ou d’obtenir la légitimation de l’Espagne nationale et catholique. Faire participer les enfants au conflit a ainsi été l’un des objectifs principaux de la propagande républicaine et franquiste.
Les stratégies ont été nombreuses pour parvenir à l’acculturation et à la socialisation de guerre de l’enfance. Une des plus efficaces fut la représentation des enfants comme victimes de guerre sur des affiches, des tracts, des timbres et d’autres supports de la propagande. Un autre moyen utilisé fut la fabrication de jouets guerriers. Ces jouets susciteront le développement de jeux inspirés par la guerre, de jeux où se reflète à la perfection le processus d’acculturation guerrière de l´enfance. On peut également citer la diffusion de revues, de contes et de livres pour enfants remplis de consignes idéologiques, comme nous pouvons le voir dans la collection de contes publiée par le Ministère de l’Instruction publique entre 1936 et 1937 sous le titre « Contes pour les enfants antifascistes », qui contenait des messages prosélytiques et des dessins de combattants signés par l’un des principaux propagandistes républicains, José Bardasano v.
Mais c’est surtout la transformation de l’école en une école belligérante qui a été la stratégie la plus efficace vi. En effet, expliquer et faire comprendre la guerre aux enfants était une des missions principales des instituteurs, comme le démontrent beaucoup de dessins, de cahiers et d’exercices scolaires conservés. Par exemple, dans l´école de Hostafranchs, à Lérida, l’institutrice demande aux enfants de raconter, dans une lettre adressée à la famille qui est loin, ce qu’ils ont vécu de la guerre.

Hostafranchs, 10 novembre 1936.
Chère sœur,
Je suis désolé à cause de toutes les calamités qui ont eu lieu durant ces quatre mois de guerre. Les fascistes ont détruit l´Espagne. Je ne sais pas quand finira cette guerre civile qu´ils ont commencée. Ta famille sait ce qu´est la souffrance. Ton mari est combattant, il est un de nos défenseurs de la République, notre gouvernement légal. Tu dois avoir de la patience. Je crois que si nous travaillons ensemble sur le front et aussi à l’arrière, nous pouvons obtenir la victoire et éradiquer le fascisme de notre pays.
Salut et Vive la République !
Ton frère, José vii.

 

 

 

 

 

Une des conséquences les plus importantes de la guerre sur les enfants, outre ce processus de socialisation guerrière, a sans doute été leur évacuation des zones à risque. Ce phénomène a pris une dimension particulière durant la Guerre Civile espagnole. En fait, les évacuations des petits Espagnols – souvent suivies d’exil – constituent l’un des exodes infantiles les plus importants du XXe siècle viii.
Dès les premiers mois de la guerre, entre septembre et octobre 1936, le gouvernement républicain organisa plusieurs évacuations d’enfants vers des zones éloignées des fronts, comme la région de Valence ou la Catalogne. L’objectif étant de les protéger, les nourrir et d’assurer la continuité de leur scolarisation, que ce soit dans des colonies construites à cet effet ou dans des maisons d’accueil particulières ix.
Plus tard, à mesure que les troupes franquistes s’emparaient du Nord de l’Espagne, le gouvernement républicain décida d’envoyer les enfants hors du pays, sous le contrôle permanent de la Délégation Centrale des Colonies (DCC), organisme dépendant du ministère de l’Instruction publique, créé le 1er mars 1937, et du Conseil National de l’Enfance Évacuée (CNIE), mis en place le 28 août de la même année. De nombreux pays se proposèrent d’accueillir les enfants espagnols, mais les plus actifs furent la France, la Belgique, l’Angleterre, la Russie, le Mexique, la Suisse et le Danemark x.

 


Les départs et les installations des enfants dans les pays d’accueil étaient toujours précédés d’importantes campagnes de propagande et de slogans tels que « Aidez les enfants d’Espagne » ou «Sauvez l’enfance espagnole » qui eurent un très fort retentissement dans le monde entier. Ils créèrent un consensus émotionnel en faveur de ces évacuations qui devenaient ainsi des preuves évidentes de l’aide internationale reçue par la République.
Pour Franco, au contraire, ces évacuations organisées par le gouvernement républicain pour sauver les enfants de ses bombardements et de ses actions offensives étaient une source de grande inquiétude. En effet, elles donnaient, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, une image très négative de son armée. Le « Caudillo » corrigea rapidement cette mauvaise image en mettant en doute la légitimité et les méthodes du gouvernement républicain, accusant celui-ci d’utiliser non seulement les départs comme un instrument de propagande mais aussi de réaliser ces évacuations d’enfants sans le consentement des parents. La représentation graphique ou littéraire d’enfants tristes, affamés et désemparés transforme l’enfance en victime de la politique républicaine, comme on peut le voir dans l’extrait de ce tract propagandiste publié après l´évacuation d´une clinique pour enfants à Górliz (Plentzia) :

L’Espagne rouge et défaite t’a enlevé ton enfant. L’ESPAGNE DE FRANCO TE LE REND. Eux et nous, avons des desseins bien distincts. Ils détruisent la famille. Nous, nous bâtissons la société sur elle. Cet émouvant baiser venu du fond de ton cœur que tu déposes sur le front de ton fils est le fruit de l’émotion chrétienne. Il possède une valeur éternelle que ne peuvent pas comprendre les âmes obscures qui ordonnèrent ces dramatiques évacuations dictées par Moscou xi.

 

25 de septiembre de 1937: un grupo de niñas y niños vascos, refugiados de la Guerra Civil, están de pie sobre el mar frente al Campamento de Verano St Mary’s Bay en New Rommey, Kent. Están siendo alojados en Gran Bretaña a la espera de que termine la guerra para volver a España.

 

Mais, une fois achevées les évacuations infantiles massives et après s’être assuré du contrôle d’une large partie des fronts, Franco change de stratégie. Le rapatriement des enfants devient son objectif prioritaire. Beaucoup d’enfants évacués à l’étranger rentreront en Espagne par le biais de la Délégation Extraordinaire du Rapatriement de Mineurs (DERM), dépendant du ministère des Affaires étrangères, puis, à partir de 1954, par celui du Service Extérieur de la Phalange xii. Ces rapatriements ne concerneront pas les enfants qui se trouvaient en Russie et au Mexique. Les gouvernements de ces pays s’opposèrent alors à cette « politique du retour ».

Les « niños de Rusia »

 

 

 

De toutes les expéditions infantiles organisées par le gouvernement républicain durant la Guerre Civile, celles vers la Russie furent les plus controversées, en raison de la lutte idéologique acharnée que se livraient le fascisme et le communisme à cette époque non seulement en Espagne, mais également dans toute l’Europe.
La Russie respecta dans un premier temps le traité de non-intervention. Cependant, la participation allemande et italienne dans le conflit aux côtés des insurgés fit changer Staline d’opinion. Les Russes envoyèrent en Espagne des armes, des vivres, des médicaments et du matériel sanitaire. Ils mirent à la disposition de la République d’importants experts politiques et militaires. Ils accueillirent également dans leurs écoles des aviateurs républicains, aidèrent à la création des Brigades Internationales et reçurent plusieurs expéditions d’enfants.
Près de 3.000 enfants, entre 3 et 15 ans, furent évacués en URSS entre le 17 mars 1937 et la fin du mois d’octobre 1938 ; dates des première et quatrième expéditions officielles organisées par la République xiii. Les difficultés du voyage, l’accueil chaleureux lors du débarquement, les attentions reçues pendant les premiers jours du séjour, le processus d’adaptation à leur nouvelle vie et à leur nouvelle patrie, le quotidien au pays du prolétariat, tout cela a été consigné dans les quelque deux cents lettres que les enfants enverront à leur famille et à divers organismes de secours lors des premiers mois en URSS. Ces lettres, aujourd’hui conservées au Centre Documentaire de la Mémoire Historique de Salamanque, constituent un véritable trésor documentaire. Elles nous permettent, en effet, de reconstituer cette évacuation particulière qui, à la différence d’autres restées temporaires, finit par devenir, contre toute attente, un exil permanent.
Certaines de ces lettres écrites par des enfants peuvent être lues comme des journaux de bord, car les enfants y racontent tous les détails du voyage, convaincus de vivre une grande aventure et de jouer un rôle important dans un fait historique sans précédent. Ils racontent, par exemple, comment s’effectue l’embarquement dans les ports espagnols (Carthagène, Valence, Bilbao, Barcelone, Gijón), comment se déroulent les adieux, comment ils sont traités à bord, les repas servis sur le bateau, le peu d’espace disponible, les maladies dont ils souffrent ainsi que les différentes escales. La lettre que le petit Lucio Rueda écrit à son frère Victoriano, combattant républicain, offre un excellent exemple :

A présent, je vais te raconter le voyage que nous avons fait. Quand nous sommes partis de Bilbao, et que nous avons fait nos adieux à maman et à vous tous, nous sommes montés à bord du bateau Habana. Nous y sommes restés jusqu’au lendemain. À quatre heures du matin, on a levé les amarres et on a commencé à naviguer. Nous n’avons pas vu la terre pendant une journée entière puis nous sommes arrivés en France.
Avant d’arriver, nous avons aperçu le navire traître Cervera, mais comme nous étions escortés par 5 bateaux français, il a cru que c’étaient des bateaux républicains et il est parti. Nous ne l’avons plus vu.
Ensuite, nous sommes arrivés en France, à Bordeaux. Nous y sommes restés deux jours, toujours à bord du bateau et le dernier jour, on nous a donné un paquet de bonbons, de biscuits et un petit pain et encore d’autres choses. Puis, nous sommes descendus et nous sommes allés à la gare de France. Après, le bateau Sontay est arrivé et nous avons embarqué de nouveau. Au bout de deux heures, nous avons pris la direction de l’URSS. En chemin, nous avons vu beaucoup de pays : la Hollande, la Belgique. Un peu plus tard, nous sommes entrés dans les eaux allemandes qui semblent aussi méchantes qu’eux, car il y a eu de très grosses vagues.
Ensuite, nous avons vu la Suède et encore d’autres nations. Un peu plus tard, nous avons vu de navires de guerre avec des grues et d’autres choses. Puis un autre bateau identique et après un bateau des garde-côtes s’est approché et son capitaine est monté à bord et ils nous ont filmés. Ensuite, de loin, nous avons vu une partie de l’URSS et en chemin beaucoup de bateaux de commerce. En nous rapprochant de l’URSS, nous avons vu beaucoup de bateaux de guerre russes et 5 sous-marins arrêtés. Un peu plus tard, environ deux heures, nous sommes arrivés à Leningrad et nous nous sommes arrêtés au port xiv.

 

 

L’arrivée en Russie restera inoubliable pour les enfants. Ce fut, sans aucun doute, un des souvenirs les plus gais de cette période marquée par le déracinement et la séparation. Les débarquements ont été filmés et photographiés de très nombreuses fois. Ils ont fait la Une de beaucoup de journaux nationaux et internationaux. Chaque fois qu’une expédition infantile entrait dans le pays, le peuple russe décorait de fleurs et de guirlandes les ports de Leningrad et de Yalta ainsi que les différentes gares traversées par les petits évacués. Ces derniers étaient également accueillis par de la musique et des danses traditionnelles. Comme le décrit le petit Emiliano Aza dans la lettre à sa famille, les enfants étaient reçus, et je cite ses propres mots, «comme si nous étions des héros revenant de la guerre et comme si nous avions réalisé des exploits extraordinaires » xv.
À peine arrivés, les enfants étaient l’objet de nombreux égards et de soins : un bon bain, un examen médical, de nouveaux vêtements (des uniformes pour tous) et des repas succulents – avec même du caviar au menu. Avant de découvrir leur nouvelle maison, ils faisaient même un séjour dans un sanatorium pour se reposer de leur périple. C’est ce que raconte la lettre du petit Marcos Alcón adressée à ses parents le 24 juin 1937 :

En arrivant à l’infirmerie, nous avons pris une douche et nous avons mangé deux gâteaux de pain avec du beurre et du fromage, du pain avec de la confiture, un gâteau et du chocolat. On nous a donné des chaussettes, un pantalon long, un maillot de corps, un caleçon mauve qui ressemble à un pagne, et une chemise verte identique à celles qui sont jaunes, mais plus légère et avec des manches longues pour être portée avec une cravate xvi.

 

 

Les seize Maisons d’Enfants, que le Narkompros (le Commissaire du peuple pour l’Enseignement Soviétique) avait créées spécialement dans différentes provinces de la Fédération Russe et en Ukraine pour les enfants espagnols évacués, ont été de véritables oasis de bonheur. D’ailleurs, la majorité des enfants qui ont écrit leurs mémoires et leurs autobiographies consacrent toujours un chapitre à la description des Maisons où ils vécurent, comme par exemple, Bernardo Clemente del Río, qui habitait à la Maison numéro 7 de Moscou :

Notre maison d’enfants de Moscou se trouvait à l’angle des rues Bolshaya Piragóvskaya et Alsufelskaya. C’était un ancien bâtiment restauré et transformé avant notre arrivée […]. Par le passé, ce devait être la demeure d’un grand de Russie. Au rez-de-chaussée, se trouvaient l’entrée, la penderie pour les manteaux, les bonnets et les sabots. Il y avait une petite fontaine de marbre avec des poissons de couleurs, le petit bureau de la comptabilité, trois grands dortoirs pour les garçons, les toilettes, les douches, une pièce destinée au rangement du linge de maison, des draps et des vêtements, la grande salle du réfectoire et la cuisine.
On accédait au premier étage par un large escalier de marbre blanc. À cet étage, il y avait le bureau de la directrice et du zampolit (directeur adjoint chargé de l’éducation politique), deux grands dortoirs pour les filles et leurs toilettes, une grande salle de conférences avec une scène, un rideau en velours rouge et un piano à queue. Dans cette salle, nous faisions notre gymnastique du matin, mais aussi des fêtes et des réunions, etc. À cet étage, il y avait les pièces pour faire les devoirs de l’école xvii.

 

Une fois installés dans leur nouveau foyer, les enfants bénéficiaient d’égards particuliers. Il régnait dans ces maisons une sorte de « microclimat espagnol ». Sur un total de plus de 1 000 personnes chargées d’encadrer les petits, 111 étaient espagnoles xviii. Les enfants suivaient des cours d’espagnol ; des manuels scolaires russes furent même traduits en castillan pour eux. Ils participaient à des groupes de danse, de théâtre, de musique ou de littérature espagnole. Ils gardèrent également le contact avec de nombreux dirigeants du Parti Communiste qui les considéraient comme le futur de l’Espagne et qui leur faisaient croire qu’ils étaient destinés à diriger le pays une fois que tout serait terminé et que la République aurait gagné la guerre. Cet espoir se manifeste clairement dans les choix des études entreprises après l’école. Dans leur grande majorité, ils se sont dirigés vers des carrières de pilotes, de marins, de médecins et d’infirmières.
Les enfants apprirent aussi le russe, non sans quelques difficultés. Ils participèrent à de nombreuses activités et fêtes avec des enfants soviétiques. Ils firent partie du mouvement des pionniers, et ainsi profitèrent de multiples excursions à travers tout le territoire qui leur permirent de mieux connaître et apprécier leur nouvelle patrie et de se familiariser avec les mœurs du peuple russe. Tout ceci se reflète dans les lettres, qui peuvent être lues comme une chronique de la vie quotidienne de ces jeunes au cours de leurs premières années en Union Soviétique, mais aussi dans d’autres documents qui ont été conservés, telles les rédactions scolaires, comme celle que nous pouvons voir de la petite Amelia de Quirós, écrite à l’École de Moscou en janvier 1938 :

Je dois raconter ce qui me plaît le plus. Nous vivons actuellement à Moscou. Depuis 5 mois que nous sommes installés dans la capitale de l’URSS, nous avons vu plein de choses intéressantes, par exemple la parade du 7 novembre pour le XXe anniversaire de l’URSS. J’ai aussi été très émue de voir le mausolée de Lénine. Mais ce qui m’a le plus impressionnée de tous les monuments de Moscou, c’est le métro. C’est une chose que je n’avais jamais vue de toute ma vie, surtout la station [Kievskaya], construite en un an par les jeunesses communistes. C’est la plus belle. J’ai beaucoup aimé aussi le Kremlin car c’est un monument très ancien, mais à mon avis c’est le métro qui est le plus extraordinaire xix.

 

Malgré tout, les enfants n’oublièrent jamais que leur pays était alors en guerre et que leurs parents et leurs proches couraient de grands périls chaque jour. Beaucoup se souviennent encore de l’angoisse, du désespoir et de la tristesse de ne pas recevoir de nouvelles des leurs.
Des mois entiers pouvaient s’écouler avant que les enfants ne reçoivent des lettres de chez eux. La censure, la désorganisation du courrier due à la situation de guerre, la perte de missives et le perpétuel changement d’adresse des proches (certains sur le front, d’autres réfugiés ou encore emprisonnés, disparus ou morts), tous ces facteurs rendaient difficile le maintien d’une correspondance suivie.
Le silence de leurs parents les rendait malades, à tel point qu’ils pouvaient écrire des phrases comme celle de la petite Visitación Urquijo à la fin d’une de ses missives : « maman, écrivez-moi, parce que si vous ne m’écrivez pas, je crois que vous êtes morts » xx . Les enfants ne renonçaient pas à joindre leurs êtres chers même lorsque le fil des nouvelles s’était interrompu. C’est ce que montrent, par exemple, les demandes de recherche adressées à plusieurs organismes républicains, comme celle du petit Ignacio Ruano, qui écrit au « camarade » Joaquín Bustos, chargé de la Délégation d’Assistance Sociale d´Euzkadi, dans le but de localiser ses parents et son frère :

Cher camarade Joaquín Bustos, je vous écris cette lettre en tant qu’enfant espagnol qui se trouve en Russie à cause de la guerre en Espagne. Cela fait un an que je suis parti et que je réside en Russie, depuis lors je n’ai pas pu découvrir l’endroit où sont mes parents et j’espère que vous pourrez m’aider. Ma mère s’appelle Magdalena Pajares. Mon père Daniel Ruano et j’ai un frère de 16 ans, Alejandro Ruano. Retrouvez le domicile d’un des trois.
Ici, nous sommes très heureux. Nous avons de tout, on s’occupe de nous très bien. Nous sommes dispersés dans différentes villes. Moi, j’habite à la ville de [Jarkov]. Grâce à votre aide, beaucoup d’enfants ont pu retrouver l’adresse de leurs parents. Dans l’attente de vous lire, un élève espagnol qui n’oublie jamais l’Espagne xxi.

 

 

Les parents, ainsi que les autorités républicaines, étaient persuadés que la séparation ne serait que temporaire. Une fois que les hostilités cesseraient en Espagne, les enfants rentreraient chez eux. Personne ne pensait évidemment en une possible défaite et encore moins à l’impossibilité du retour provoqué par l’éclatement de la Seconde Guerre mondiale. Cette dernière donna l’occasion aux enfants espagnols, devenus alors adolescents, de pouvoir montrer leur reconnaissance au peuple russe. La Grande Guerre Patriotique marqua la fin de l’enfance perdue des Enfants de Russie. Ils virent là non seulement un moyen de déclarer leur amour au pays qui les avait sauvés des bombes, mais aussi l’opportunité de reprendre le flambeau dans la lutte contre le fascisme.
Quand Hitler envahit l’Union Soviétique le 21 juin 1941, la majorité des enfants espagnols avaient entre 10 et 15 ans. Toutes les Maisons d’Enfants étaient situées sur l’axe de l’invasion allemande et durent donc être abandonnées. Les enfants furent évacués, une fois encore, vers des zones plus sûres xxii . La petite Ariadna Pascual se souvient, dans ses mémoires encore inédites, de cette nouvelle évacuation et note même l’heure à laquelle elle apprit la nouvelle par un des instituteurs espagnols de la Maison d’Enfants de Moscou où elle habitait et de laquelle elle fut évacuée vers Kuibyshev dans la nuit du 15 octobre 1941 :

Le 22 juin 1941 : à 4:00 du matin l’Armée d’Hitler a traversé la frontière. J’avais seulement huit ans, mais je me souviens parfaitement de ce dimanche-là. Nous étions en train de faire la fête dans la salle de conférences de la Maison, nous jouions et nous dansions. Comme toutes mes camarades, je portais une robe bleue et des collants jaunes. Soudain, un de nos professeurs espagnols est brusquement entré dans la pièce en nous disant que la fête était finie. La guerre avait commencé ; elle nous poursuivait où que nous allions xxiii.

 

 

La plupart des jeunes espagnols participèrent activement à la Seconde Guerre mondiale : travaillant dans les usines pour satisfaire les besoins matériels de la guerre, collaborant aux tâches de l’arrière, participant aux moissons des nombreux kolkhozes disséminés sur tout le territoire soviétique ou rejoignant l’Armée Rouge comme infirmières ou comme combattants.
C’est le cas du capitaine Francisco Gullón, qui écrit ceci dans son journal :

[Juin, 1942] Gavrilovo, région de Smolensk. Je suis de nouveau sur le front. Je suis ici avec deux camarades espagnols, Alberca et Uztarro, dans un régiment de soldats rouges […]. Actuellement je suis capitaine de l’Armée Rouge. On m’a assuré que l’on me donnera bientôt un bataillon. Il est indispensable de lutter, de lutter comme jamais. On dit que nous vivons la situation la plus difficile de toute la guerre. Je tiens à écrire aujourd’hui ce que je pense d’elle afin de lire mes notes à la fin de la guerre […]. J’ai vingt-deux ans et le plus grand désir de vivre […]. Je veux encore revoir ma chère ville de Madrid. Je veux rentrer en Espagne xxiv.

 

Entre 50 et 65 « enfants de Russie » perdirent la vie sur les champs de bataille. Plus de 500 moururent de froid ou de faim, de manque de médicaments ou lors de bombardements xxv. Les survivants durent affronter les difficultés de l’après-guerre. Ce fut un changement brutal avec leur vie antérieure. Les Maisons d’Enfants avaient disparu et chacun devait prendre sa vie en main. Le moment était venu de s’intégrer à la société soviétique dans toutes ses dimensions : académique, professionnelle, politique, économique ou familiale. Les destins furent variés, mais le désir et l’espoir du retour ne disparurent jamais.
Dès la fin de la Guerre et jusqu’à la mort de Staline en 1953, peu d’enfants purent rentrer en Espagne. Ce ne fut qu’en 1956-1957 que les autorités russes et espagnoles leur offrirent la possibilité de rentrer dans leur pays natal. Jusqu’à sept expéditions officielles de retour furent mises sur pied. La première, composée de 667 « enfants », arriva à bord du Crimea au port de Valence, le 28 septembre 1956.
Cependant, la moitié d’entre eux retournèrent peu de temps après en Russie en raison de la difficulté à vivre paisiblement dans l’Espagne franquiste : familles brisées, retrouvailles frustrées, problèmes pour trouver du travail et pour obtenir l´homologation de leurs diplômes russes, non reconnaissance de leurs mariages civils, interrogatoires constants de la police, persécutions, emprisonnements xxvi, etc. L´histoire des retours est, en réalité, une histoire de silences, de méprises et de promesses flouées.
Aux rapatriements officiels des années 50, succéderont ceux organisées pendant la Guerre Froide.
Le retour continua après le mort de Franco en 1975, mais il faudra attendre les années 90 pour que le nouveau paysage politique et économique de l’ancienne URSS oblige de nombreux « enfants » à émigrer de manière forcée et précipitée, non seulement pour fuir une Russie qu’ils ne reconnaissent plus mais également pour rentrer en Espagne et accomplir un dernier souhait : celui de mourir chez eux.

Les enfants espagnols évacués vers la Russie en 1937 et 1938 ont partagé durant leur enfance et leur adolescence beaucoup d´événements qui ont marqué leur vie adulte et ils ont tissé d´importants réseaux de solidarité et de relations sociales et familiales qui les maintiennent toujours unis. Leur identité collective a été construite historiquement, au long du temps et contre le temps. Cette construction a été possible grâce aux lieux de mémoire qu´ils ont créés, aux nombreux actes qu´ils ont célébrés, aux associations qu´ils ont fondées xxvii, grâce aussi à la lutte infatigable pour la reconnaissance publique de leurs droits et pour la préservation de leur histoire.

Nous, nous avons toujours été différents, partout. Pour les Russes, nous étions à vie des Espagnols […], pour les Espagnols, quand nous y allions, nous étions des Russes […]. Il me semble que la guerre a gâché toute notre vie. Toute notre vie d’enfants à penser à l´Espagne, à penser que nous étions des Espagnols, à penser à rentrer en Espagne. De même pour l´adolescence. Plus tard, quand nous nous sommes rendus compte de cela, nous étions déjà vieux, et nous sommes les enfants de la guerre, et de toutes façons […], nous sommes toujours en train de penser à faire nos valises xxviii.
(Article traduit par THOMAS BOSC)

 

 

 

 

i Pedro GARFIAS, « Entre España y México. A bordo del Sinaia », Poesías completas, Madrid, Alpuerto, 1996, p. 297.
ii Josefina RODRÍGUEZ ALDECOA, El semanal, 11 août 1996, s.p.
iii Tomás VIDAL BENDITO, Joaquín RECAÑO, « Demografía y Guerra Civil », Historia 16, nº 14, 1987, p. 68.
iv María ÁLVAREZ DEL VAYO, Los últimos días. Recuerdos y reflexiones de una niña del exilio, Madrid,
Fondation Pablo Iglesias, 2003, p. 35.
v Jaime GARCÍA PADRINO, Libros y literatura para niños en la España contemporánea, Madrid, Fondation Germán Sánchez Ruipérez, 1992.
vi Alejandro MAYORDOMO, Juan Manuel FERNÁNDEZ SORIA, Vencer y convencer. Educación y política. España,
1936-1945, Valence, Université de Valence, 1993.
vii Cahier de roulement de l´école de Hostafranchs (Lérida). Exercice épistolaire de l´écolier José Vila, 10 novembre 1936. Dossier de ‘purge’ de la maîtresse Ramona Albareda Escudé. Archives Générales de l´Administration (AGA), Alcalá de Henares. Fonds Ministère d´Éducation et Culture (MEC), dossier 235, nº 49.800.
viii Alicia ALTED, « Las consecuencias de la Guerra Civil española en los niños de la República : de la dispersión al exilio », Espacio, tiempo y forma. Revista de la Facultad de Geografía e Historia de la UNED, série V, nº 9, 1996, pp. 207-228.
ix José Ignacio CRUZ, « Colonias escolares y Guerra Civil. Un ejemplo de evacuación infantil », in A pesar de todo dibujan. La Guerra Civil vista por los niños, Madrid, Bibliothèque National d´Espagne, 2006, pp. 41-52 ; et Cristina ESCRIVÁ MOSCARDÓ, Rafael MAESTRE MARÍN, De las negras bombas a las doradas naranjas. Colonias escolares, 1936-1939, Valence, l´Eixam Éditions, 2011.
x Pour une bibliographie plus exhaustive voir Alicia ALTED, Roger GONZÁLEZ, María José MILLÁN (eds.), El exilio de los niños. Catálogo de la exposición, Madrid, Fondation Pablo Iglesias, Fondation Francisco Largo Caballero, 2003 ; et Verónica SIERRA BLAS, Palabras huérfanas. Los niños y la Guerra Civil, Madrid, Taurus, 2009.
xi Un episodio de la guerra española. Evacuación y repatriación del Sanatorio de Górliz, Bilbao, Publications de la Députation Provinciale de Biscaye, Imprimerie Provinciale de Biscaye, 1937, p. 23.
xii Alicia ALTED, « Le retour en Espagne des enfants évacués pendant la Guerre Civile espagnole : la Délégation extraordinaire au rapatriement des mineurs (1938-1954) », in Enfants de la guerre civile espagnole. Vécus et représentations de la génération née entre 1925 et 1940, Paris, L´Harmattan, Fondation Nationale des Sciences Politiques, 1999, pp. 47-59.
xiii Sur les évacuations vers la Russie voir Enrique ZAFRA, Rosalía CREGO, Carmen HEREDIA, Los niños
españoles evacuados a la URSS (1937), Madrid, Éditions de la Torre, 1989 ; Marie Jose DEVILLARD, Álvaro PAZOS, Susana CASTILLO, Nuria MEDINA, Los niños españoles en la URSS (1937-1997) : narración y memoria, Barcelone, Ariel, 2001 ; Alicia ALTED, Encarna NICOLÁS, Roger GONZÁLEZ, Los niños de la guerra de España en la Unión Soviética. De la evacuación al retorno (1937-1999), Madrid, Fondation Francisco Largo Caballero, 1999 ; Susana CASTILLO, Mis años en la escuela soviética. El discurso autobiográfico de los niños españoles en la URSS, Madrid, Los libros de la Catarata, 2009 ; et Immaculada COLOMINA LIMONERO, Dos patrias, tres mil destinos : vida y exilio de los niños de la Guerra de España evacuados a la Unión Soviética, Madrid, Cinca Éditions, Fondation Francisco Largo Caballero, 2010.
xiv Lettre du Lucio Rueda à son frère Victoriano. Odessa, 12 février 1938. Centre Documentaire de la Mémoire Historique, Salamanque (CDMH). Fonds Politique et Social (PS) de Santander, série O, boîte nº 51, dossier nº 7, documents nº 83-89.
xv Lettre d’Emiliano Aza à ses parents et frères. Odessa, 31 janvier 1938. CDMH, PS Santander, série O, boîte nº 51, dossier nº 7, document nº 6.
xvi Lettre du Marcos Alcón à ses parents. Leningrad, 24 juin 1937. CDMH, PS Bilbao, boîte nº 5, dossier nº 11, document nº 6.
xvii Bernardo Clemente DEL RÍO SALCEDA, 20.000 días en la URSS. Recuerdos, descubrimientos y reflexiones de un niño de la guerra, Madrid, Fondation Francisco Largo Caballero, Entrelíneas, 2004, pp. 46-47.
xviii Cf. Susana CASTILLO, Memoria, educación e historia : el caso de los niños españoles evacuados a la Unión Soviética durante la Guerra Civil española, Madrid, Université Complutense de Madrid, 1999, p. 280.
xix Rédaction écrite par Amelia B. de Quirós. École de Moscou, 13 janvier 1938. CDMH, PS Barcelone, boîte nº 87, dossier nº 17, document nº 1.
xx Lettre de Visitación Urquijo à ses parents et à sa soeur. Misjor, 9 septembre 1937. CDMH, PS Santander, série O, boîte nº 51, dossier nº 7, document nº 124.
xxi Lettre d’Ignacio Ruano adressée à Joaquín Bustos, chargé de la Délégation d’Assistance Sociale d’Euzkadi. Jarkov, 5 juillet 1938. CDMH, PS Bilbao, boîte nº 206, dossier nº 8, document nº 19.
xxii Nosotros lo hemos vivido. Homenaje de los « Niños de la Guerra Española » al Pueblo Ruso, Madrid, Ministère des Affaires Sociales, Imprimerie Garso ; Clinique Le Retour, 1995, p. 32.
xxiii Extrait du journal d´Ariadna Pascual, Moscou, 22 juin 1941, cf. Dorothy LEGARRETA, The Guernica Generation. Basque Refugee Children of the Spanish Civil War, Reno, Université de Nevada, 1984, pp. 266-267.
xxiv Extrait du journal de Francisco Gullón, juin 1942, cf. Eusebio CIMORRA, Isidro R. MENDIETA, Enrique
ZAFRA, El sol sale de noche. La presencia española en la Gran Guerra Patria del pueblo soviético contra el nazi-fascismo, Moscou, Progreso, 1970, pp. 66-67.
xxv Rafael MIRALLES, Españoles en Rusia, Madrid, Éditions et Publications espagnoles (EPESA), 1947, pp. 201-202 ; et En memoria de los combatientes y niños españoles muertos junto al pueblo ruso con motivo de la Segunda Guerra Mundial, 1941-1950, Madrid, Fondation Nostalgia, 2000, s.p.
xxvi Carmen GONZÁLEZ MARTÍNEZ, « El retorno a España de los “Niños de la Guerra Civil” », Anales de Historia Contemporánea, nº 19, 2003, pp. 75-100.
xxvii Jesús J. ALONSO CARBALLÉS, « Las organizaciones de memoria de “los niños del exilio” : de la memoria a la historia », Amnis, nº2, 2011 [http://amnis.revues.org/1501].
xxviii Macrina García Santana : entrevue réalisée par Roger González Martell, La Havane (Cuba), décembre 1998, cf. Alicia ALTED, La voz de los vencidos. El exilio republicano de 1939, Madrid, Aguilar, 2005, p. 197.

Source :
Enfance Violence Exil
par Catherine MILKOVITCH-RIOUX et Rose DUROUX
CELIS, Université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand
Colloque international
ENFANCES EN GUERRE. Témoignages d’enfants
sur la guerre
Université Blaise Pascal – Clermont-Ferrand (CELIS)
Université d’Amiens (CHSSC)
7-8-9 décembre 2011
UNESCO
Programme ANR Enfance Violence Exil
enfance-violence-exil.net

CRISTINO GARCÍA

Article de la revue Regards n° 31 du 8 mars 1946.

 

La forte émotion nationale provoquée par l’exécution de dix guérilleros le 22 février 1946, parmi lesquels l’ancien résistant Cristino García, a levé ces ambiguïtés et semblé répondre aux attentes de l’exil. Le gouvernement tripartite dirigé par Félix Gouin décida de mettre en œuvre une politique interventionniste contre la dictature péninsulaire : non seulement il l’isola par une quarantaine unilatérale, fermant la frontière pyrénéenne fin février et coupant toutes les communications entre les deux pays, mais il fut à l’origine de l’adoption par l’Assemblée générale des Nations unies, à la fin de cette même année, d’une résolution qui mettait symboliquement au ban le régime franquiste en préconisant son exclusion des institutions et conférences internationales reliées à l’ONU, ainsi que le rappel des ambassadeurs ou ministres plénipotentiaires accrédités. De manière symétrique, un soutien résolu était apporté aux républicains espagnols, dans l’espoir de favoriser une relève démocratique au pouvoir du général Franco. Il faut en effet prendre en compte l’existence de deux Espagne jusqu’en 1977, Paris devenant début 1946 le siège des institutions républicaines en exil. Or, quelques mois suffirent pour mettre en lumière la vanité d’espérer une solution espagnole en raison des déchirements et de la sclérose de l’antifranquisme. Cette faillite privait de sens la politique interventionniste, alors même que la résolution de l’ONU, qui tenait plus de la condamnation morale que d’une pratique d’ostracisme multilatéral, l’avait implicitement désavouée.

Le déclenchement de la guerre froide se greffa sur l’échec patent de la quarantaine unilatérale, inefficace vis-à-vis de l’Espagne et préjudiciable aux intérêts français, pour amener l’exécutif à décider, début février 1948, de rétablir la circulation pyrénéenne. Cette décision, et l’assentiment unanime qu’elle rencontra hors de la mouvance communiste, reflétaient l’effacement des valeurs de la Résistance et de la référence antifasciste qui avaient prévalu dans l’immédiat après-guerre au profit de la priorité anticommuniste, tout en sanctionnant l’incapacité d’une puissance moyenne comme la France à suivre une ligne originale en période de bipolarisation internationale. Après une brève phase d’affrontement avec Madrid, l’heure était donc à l’apaisement, surtout quand la levée des sanctions onusiennes entraîna la normalisation des relations diplomatiques et la promotion du délégué Bernard Hardion au rang d’ambassadeur en janvier 1951 ; la France fut toutefois le dernier pays d’Europe occidentale à présenter une demande d’agrément. La guerre froide conférait en effet une nouvelle légitimité internationale au général Franco, lui permettant de se targuer d’avoir été le « premier adversaire du communisme » et de faire figure d’allié potentiel de la défense occidentale ; il lui fut associé par le biais des accords hispano-américains d’assistance économique et militaire signés en septembre 1953. L’Espagne effectua alors son retour sur la scène mondiale, refermant la séquence de marginalisation ouverte en 1936 ; après l’UNESCO fin 1952, l’admission à l’ONU en décembre 1955 couronna une normalisation qui transparut également dans le peu d’attention accordée à la candidature franquiste par les États membres, soucieux de préserver l’équilibre international en admettant ensemble des pays du bloc soviétique, d’autres du camp occidental et des neutres. Premier bénéficiaire de la guerre froide, le général Franco dut finalement son absolution officielle à la coexistence pacifique des deux Grands.

 

La frontière franco-espagnole fut fermée le 1 mars 1946 et ouverte à nouveau le 10 février 1948.

Source :

http://www.defense.gouv.fr/irsem/publications/lettre-de-l-irsem/les-lettres-de-l-irsem-2012-2013/2012-lettre-de-l-irsem/lettre-de-l-irsem-n-8-2012/enjeux/les-relations-bilaterales-france-espagne-un-survol-historique

 

 

BIOGRAPHIE

Né à Gozón- Sama de Langreo (Asturies) en 1913 – fusillé le 22 février 1946.

Cristino García Granda avait participé à la révolution d’octobre 1934 aux Asturies. En juillet 1936 il était marin et en escale à Séville. Après s’être emparé du navire avec l’équipage il regagnait les Asturies. Incorporé dans l’armée du nord, il était alors responsable d’un groupe de mineurs, dynamiteurs sur les arrières de l’ennemi. A la chute des Asturies, il parvenait à gagner la Catalogne et s’intègrait au XIV Corps d’armée dans le groupe de guerilleros de Domingo Ungria González où il avait le grade de lieutenant.

Passé en France à la fin de la guerre, il était interné en camp puis travaillait comme mineur de charbon dans le département du Gard. Pendant l’occupation il participait à la résistance contre les nazis. Il a été d’abord chef de la Brigade de Tarbes (Hautes Pyrénées), puis entre mars 1943 et janvier 1944 commandant de la 21è Brigade (Gard) de la 3° Division de Guerrilleros Espanoles. Il a été ensuite nommé lieutenant colonel de la 158° Division (Tarbes). Il a été décoré de la légion d’honneur pour son action dans la résistance : il avait en particulier participé à la libération de Foix et à la bataille de la Madeleine (Gard) où il avait fait près de 1300 prisonniers allemands. Il avait participé également le 4 février 1944 à la libération des prisonniers politiques de la prison de Nîmes.

A l’automne 1944 Cristino Garcia Granda prenait part à l’opération d’invasion du Vall d’Aran dans le cadre de Reconquista de España. Après l’échec de l’opération il avait été mis à la disposition du Parti communiste. Santiago Carrillo Solares le choisissait alors pour une délicate opération d’épuration du Parti à Madrid. En avril 1945, accompagné de trois guérilleros, il passait en Catalogne puis gagnait Madrid où il remplaçait José Vitini Flores qui venait d’être arrêté et prenait en charge l’appareil d’information et l’organisation des guerilleros. Il était alors responsable de la 5° Agrupación de Guerrilleros Centro-Extremadura (Tolède, Ciudad Real, Badajoz, Caceres, Jaen et Cordoba). Pendant tout le mois de septembre son groupe allait opérer plusieurs attaques contre des établissements bancaires. Antonio Nuñez Balsera, qui en avait reçu la consigne de la bouche même de Santiago Carrillo et de Dolores Ibárruri à Toulouse en juin 1945, lui transmettait alors l’ordre d’exécuter le vieux militant communiste Gabriel León Trilla, qualifié de provocateur. Cristino García, se considérant comme « un révolutionnaire et non un assassin », aurait refusé d’exécuter personnellement Trilla, mais désignera un de ces hommes, Francisco Esteban Carranque Sánchez qui dans la nuit du 6 septembre 1945 assassinait Trilla. Le 15 octobre son groupe exécutait Alberto Pérez Ayala Cesar, un vieil ami de Trilla. Peu après cette nouvelle exécution, Critino García Granda et son groupe étaient arrêtés. Traduit devant un conseil de guerre qui s’ouvrait le 22 janvier 1946 contre dix sept membres du groupe, Cristino García Granda était condamné à mort le 9 février avec Manuel Castro Rodríguez, Francisco Esteve, Luis Fernández Avila, Francisco Esteban Carranque Sánchez, Gonzalo González González, Eduardo González Silván, Antonio Medina Vega El Canario, Joaquin Almazán Alonso et Eduardo Fuente. Le 21 ou 22 février étaient fusillés Cristino García Granda, Diego Luque Molina, Manuel Castro Rodríguez, Candido Mañanas Servant, Alfredo Ilias Pereira, José Martínez Gutiérrez, Pedro Cordero Bazaga, Luis Fernandez de Avila Nuñez, Francisco Esteban Carranque Sanchez, José Antonio Cepas Silva et Alfonso Diaz Cabezas.

Après l’éxécution de Cristino García, c’est Pablo Sanz Prades Paco El Catalán qui prit le commandement des groupes urbains communistes appelés « cazadores de ciudad ».

Source :

https://losdelasierra.info/spip.php?article2900

 

 L’Espagne est admise à l’UNESCO en 1952. Albert Camus, pressenti pour une mission au sein de l’UNESCO,  démissionne. Sa lettre.

Monsieur le Directeur Général,

Par une lettre du 30 mai, l’Unesco a bien voulu me demander de collaborer à une enquête qu’elle entreprend concernant la culture et l’éducation. En vous priant de bien vouloir faire part de mes raisons aux organismes directeurs de l’institution, je voudrais vous dire brièvement pourquoi je ne puis consentir à cette collaboration aussi longtemps qu’il sera question de faire entrer l’Espagne franquiste à l’Unesco.

J’ai appris, en effet, avec nouvelle avec indignation. Je doute qu’il faille l’attribuer à l’intérêt que l’Unesco peut porter aux réalisations culturelles du gouvernement de Madrid ni à l’admiration que l’Unesco a pu concevoir pour des lois qui régissent l’enseignement secondaire et primaire en Espagne (particulièrement les lois du 20 septembre 1938 et du 17 juillet 1945, que vos services pourront utilement consulter). Je doute encore plus encore qu’elle s’explique par l’enthousiasme avec lequel ledit gouvernement reçoit les principes dont l’Unesco prétend s’inspirer. En fait, l’Espagne franquiste, qui censure toute expression libre, censure aussi vos publications.

Je mets, par exemple, au défi vos services d’organiser à Madrid l’Exposition des droits de l’homme qu’ils ont fait connaître dans beaucoup de pays. Si déjà l’adhésion de l’Espagne franquiste aux Nations unies soulève de graves questions, dont plusieurs intéressent la décence, son entrée à l’Unesco, comme d’ailleurs celle de tout gouvernement totalitaire, violera par surcroît la logique la plus élémentaire. J’ajoute qu’après les récentes et cyniques exécutions de militants syndicalistes en Espagne, et au moment où se préparent de nouveaux procès, cette décision serait particulièrement scandaleuse.

La recommandation de votre conseil exécutif ne peut donc s’expliquer que par des raisons qui n’ont rien à voir avec les buts avoués de l’Unesco et qui, dans tous les cas, ne sont pas ceux des écrivains et des intellectuels dont vous sollicitez la sympathie ou la collaboration. C’est pourquoi, et bien que cette décision soit en elle-même, je le sais, de mince importance, je me sens cependant obligé de refuser, en ce qui me concerne, tout contact avec votre organisme, jusqu’à la date où il reviendra sur sa décision, et de dénoncer jusque-là l’ambiguïté inacceptable de son action.

Je regrette aussi de devoir rendre publique cette lettre dès que vous l’aurez reçue. Je le ferai dans le seul espoir que des hommes plus importants que moi, et d’une manière générale les artistes et intellectuels libres, quels qu’ils soient, partageront mon opinion et vous signifieront directement qu’ils sont décidés eux aussi à boycotter une organisation qui vient de démentir publiquement toute son action passée.

Avec mes regrets personnels, je vous prie de croire, Monsieur le Directeur Général, à mes sentiments bien sincères.

Albert Camus.

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Revue Regards n°36 du 12 avril 1946, numéro spécial « Anniversaire de la République Espagnole ».

 

La presse française reste mobilisée contre Franco.