EXPOSITION : À l’occasion de la panthéonisation de Missak et Mélinée Manouchian,
le mémorial de la Shoah présente une exposition
pour célébrer l’engagement des étrangers dans la Résistance.
Au cœur du mémorial de la Shoah, au pied de l’escalier qui mène à l’exposition, gît la « tache de sang », comme l’appelait Louis Aragon. L’Affiche rouge, haute de près d’un mètre, accueille le visiteur. Les visages des combattants de « l’armée du crime » y sont présentés comme autant de cibles « terroristes » abattues par les nazis. Une propagande qui dès ses origines « n’a pas fonctionné », rappelle la commissaire d’exposition Renée Poznanski.
Placardée partout sur les murs de Paris et dans plusieurs formats, elle avait pour but de désigner les ennemis : tous des étrangers coupables d’attentats contre les Français. Faux, leurs actions étaient ciblées et ne tuaient que des occupants allemands. Leur assignation à résidence communautaire est « un anachronisme déjà pour l’époque ». « Ces résistants étaient traversés par une convergence ou une polyvalence identitaires. » Juifs, Hongrois, Polonais, Arméniens, Italiens, Espagnols, communistes… Ces identités ne rentraient pas en concurrence, ne se hiérarchisaient pas. Ce qui prévalait, c’était leur volonté de libérer la France. Le dénominateur commun de leur combat : l’idéal des Lumières contre le fascisme et le nazisme.
L’Arménien, apatride, aura vu par deux fois son souhait de devenir français rejeté
La présentation érudite, composée essentiellement d’archives de la préfecture de police et de textes façonnés par les historiens et commissaires de l’exposition, Renée Poznanski et Denis Peschanski, met en évidencela grande part prise par les étrangers dans la Résistance française alors que la majorité des Français n’ont choisi ni la Résistance ni la collaboration, mais plutôt l’inaction. La lumière est mise sur le groupe Manouchian, à l’occasion de l’entrée au Panthéon de Missak et de Mélinée.
Le mémorial de la Shoah rappelle que la grande majorité de ces résistants immigrés étaient communistes et pour la plupart ouvriers, intégrés à l’organisation des Francs-tireurs et partisans-Main-d’œuvre immigrée (FTP-MOI). Le rôle du PCF dans l’accueil des étrangers dès les années 1920 et l’engagement des militants dans la lutte armée sont ainsi rendus à leur juste véracité historique.
Des documents inédits sont présentés. Comme la seconde demande de naturalisation de Missak Manouchian, « finalement trouvée dans les archives, il y a moins d’un an », précise Denis Peschanski. L’Arménien, apatride, aura vu par deux fois son souhait de devenir français rejeté, avant de mourir pour la France. Les actes produits par la police de Vichy, à laquelle l’occupant nazi avait délégué la traque des « communo-terroristes », provoquent des haut-le-cœur.
Méthodiquement, les brigades spéciales ont mené des opérations de filature pour démanteler l’ensemble du réseau des FTP-MOI. Pièces maîtresses de l’exposition, quatre graphiques correspondant aux différents groupes tissent la toile de leurs réseaux respectifs. Sur l’un d’eux, au milieu de traits reliant des noms de code figure celui de « Bourg ». Il renvoie à la fiche de renseignement numéro 18. Identification : Missak Manouchian. Ils étaient 23 face à 200 professionnels de la traque, 23 étrangers morts pour la France.
Article de Scarlett Bain
Paru dans l’Humanité du 7 février 2024 sous le titre « Vive les étrangers, Vive la France libre ! »
L’exposition peut se voir jusqu’au 20 octobre, au Mémorial de la Shoa, Paris(4ème)