Article du 24 janvier 2023 de Adéla LOBO du journal PÚBLICO traduit par mes soins : pour ne pas oublier !
Luis
Dans la nuit du 24 janvier 1977, des nervis armés d’extrême droite ont fait irruption dans un cabinet d’avocats du travail situé au numéro 55 de la rue Atocha. Les assaillants ont tué cinq personnes. Quatre autres ont été blessés.
MADRID
24/01/2023
ADÉLA LOBO
Le récit de la transition comme pacifique et exemplaire se poursuit dans l’imaginaire social malgré les meurtres commis alors que Francisco Franco était déjà mort. Les événements de ce qu’on appelle la Semaine tragique de la Transition en sont exemplaires.
Le 23 janvier 1977, un membre de la guérilla paramilitaire de Cristo Rey assassine l’étudiant Arturo Ruiz lors d’une manifestation pro-amnistie.
Le lendemain, lors du rassemblement pour sa mort, María Luz Nájera Julián est décédée des suites de l’impact d’un fumigène lancé par la police anti-émeute. Cette même nuit, un groupe d’ultra-droitiers a attaqué le cabinet d’avocats du travail situé au numéro 55 de la rue Atocha.
C’est arrivé le 24 janvier 1977. Trois fascistes armés ont fait irruption dans ce bureau. Ils cherchaient Joaquin Navarro, dirigeant du syndicat des transports des Commissions Ouvrières. Alors que le célèbre syndicaliste était parti plus tôt et n’était plus au bureau, les militants d’extrême-droite ont tiré sur les personnes présentes. Ils ont tué trois avocats du travail, un étudiant en droit et un agent administratif. Quatre autres personnes ont été blessées
Le chercheur Carlos Portomeñe a publié Le Massacre d’Atocha et autres crimes d’État, un ouvrage qui traite du terrorisme d’extrême droite à la fin du franquisme et pendant la Transition.
Le travail de recherche de Portomeñe montre que l’État et des groupes de l’extrême droite italienne qui faisaient partie de l’Internationale Noire ont été impliqués dans le massacre d’Atocha.
« Nous parlons d’Italiens qui ont commis les attentats les plus sanglants, qui étaient recherchés dans leur pays et qui vivaient tranquillement en Espagne sous la protection des services de renseignement et de l’État », a expliqué Portomeñe à Público.
L’enquête de Carlos Portomeñe indique que Stefano Delle Chiaie, le chef de l’Internationale Noire, a été impliqué dans les événements de Montejurra, un autre crime d’État, selon les documents auxquels ce journal a eu accès. Le fasciste italien a également participé au meurtre d’Arturo Ruiz. « Delle Chiaie faisait partie du groupe de cinq personnes qui étaient présentes lors de l’assassinat d’Arturo Ruiz.
Et dans ce groupe se trouvait Fernández Cerra, qui le lendemain est l’un de ceux qui assassinent les avocats d’Atocha », précise Portomeñe. Tout cela prouve que les événements de la semaine tragique n’étaient pas le fruit du hasard mais étaient fortement liés les uns aux autres.
La nuit du 24 janvier
L’œuvre de Portomeñe recueille le témoignage de Miguel Sarabia, blessé lors de la fusillade : « Nous étions assis dans le salon lorsqu’un individu qui tenait une arme nous a dit de nous lever et de mettre les mains en l’air. » Les assaillants ont demandé si Joaquín Navarro se trouvait ici et les avocats ont répondu qu’il n’était plus dans ce bureau. Mais les nervis fascistes étaient certains qu’il était à cet endroit. Malgré l’absence du syndicaliste, ils ont tiré à bout portant.
Carlos García Juliay, José Fernández Cerra sont les assaillants qui ont appuyé sur la gâchette. Un troisième, Fernando Lerdo de Tejada, n’a jamais pu entrer dans le bureau. « Il était derrière la cloison vitrée qui se trouvait dans le bureau d’Atocha, il n’avait pas de balles dans son arme, mais il portait un énorme pistolet », a déclaré Alejandro Ruiz-Huerta, le seul avocat qui a subi cette attaque et qui est actuellement toujours en vie.
Les trois mis en cause sont entrés en prison en mars 1977. « Tous les 24 janvier, ils célébraient leur séjour en prison et la mort qu’ils avaient causée en réclamant un plateau de fruits de mer », révèle Ruiz-Huerta. Les militants syndicaux ont appris cette nouvelle par l’intermédiaire de leurs avocats et des responsables de la surveillance pénitentiaire. « Ils ne l’ont pas regretté à cet instant et ne l’ont jamais regretté », dit-il.
Défense du mouvement ouvrier
Les avocats du travail étaient dans le collimateur des groupes d’ultra-droite. Non seulement en raison de ses liens avec le CCOO et le PCE, mais aussi en raison de leur engagement pour la démocratie et de leur travail inlassable pour améliorer les conditions de travail des travailleurs.
« La tension a été très forte en janvier, entre autres évènements, parce que la grève des transports a été organisée ce mois-là », explique Ruiz-Huerta. « Entre nous, nous avions l’habitude d’accompagner nos collègues en voiture chez eux et nous attendions jusqu’à ce qu’ils rentrent », raconte-t-il.
Le bureau contre lequel ils ont mené l’attaque dans la nuit du 24 janvier 1977 était l’extension d’un autre similaire situé au numéro 49 Rue Atocha, qui était resté un peu à l’étroit en raison de sa grande activité. Tous deux appartenaient à un réseau de cabinets créés dans les années 1960 par le PCE pour défendre le mouvement ouvrier.
Les avocats effectuaient les démarches avec les administrations, recevaient dans leurs cabinets et se rendaient aux procès.
L’un des nombreux exemples du travail acharné des avocats du travail est la consultation qu’ils menèrent depuis leur balcon du cabinet. « Au moment où on a dit « au suivant’ » tous les salariés d’une entreprise sont entrés, ils avaient tous été licenciés », raconte Ruiz-Huerta. « Nous avons dû mener la concertation depuis le balcon pour parler aux 250 travailleurs », poursuit-il. C’était toute une entreprise du secteur chimique dont les ouvriers n’avaient pas touché leurs salaires depuis 2 mois. Finalement, ils ont réussi à gagner le procès.
Ce 24 janvier, les nervis d’extrême-droite ont assassiné Javier Sauquillo Pérez del Arco, Luis Javier Benavides Orgaz, Enrique Valdelvira Ibáñez, Serafín Holgado de Antonio et Ángel Rodríguez Leal. Que leurs noms ne soient pas oubliés !