L’antifascisme cultivé en chansons

Musique : Le groupe toulousain El Comunero fait vivre la mémoire des résistances antifascistes, notamment celle du peuple espagnol au franquisme. Un travail au long cours que perpétue un nouvel album gracieux, Raíces y Semillas, dialogue captivant entre passé et présent.

La chanson a cette vertu singulière de tisser un lien entre hier et aujourd’hui en rendant le mémorable mémorable. C’est ce que font depuis quinze ans les Toulousains d’El Comunero, menés par le chanteur et guitariste Tomas Jimenez. Un groupe ? Plus, un projet. Avec pour viatique l’histoire des luttes antifascistes à travers la plus exemplaire qui soit, celle de la résistance du peuple espagnol au franquisme. C’est que le matériel source est sublime. Rarement lutte aura offert autant de chansons admirables, ritournelles de tranchées devenues hymnes internationalistes ou grilles harmoniques pour jazzmen. Après avoir investi ce répertoire dans deux albums fébriles, El Comunero, en 2008, et Sigue Luchando, en 2012, le groupe a exploré le registre des frères lutteurs latino-américains avec Son de la Barricada, en 2017. Ils reviennent aujourd’hui avec Raices y Semillas ( roots and seeds), le quatrième opus dans lequel le groupe s’essaie à la composition. « Il était temps de passer à une autre étape en écrivant nos propres chansons », reconnaît Tomas Jimenez, qui a pourtant souhaité inclure dans cet album deux chansons du poète et musicien communiste argentin Atahualpa Yupanqui et du chanteur espagnol Chicho Sánchez Ferlosio.

S’inscrire dans le monde contemporain

Ses racines, Tomas Jimenez les entretient avec ferveur. Le projet El Comunero germe à la mort de son grand-père. C’est lui, militant communiste et combattant républicain, qui a donné au groupe le nom que lui ont donné ses camarades anarchistes, que l’on pourrait traduire par coco ou communard. Un stigmate sympathique que le petit-fils porte fièrement. Le projet trouve rapidement des prolongements militants : le musicien écrit des nouvelles, fréquente les écoles de Lille à Marseille, va jusqu’à composer la musique d’un documentaire, Opération Boléro-Paprika, sur les arrestations coordonnées par le gouvernement français de communistes en 1950, dont beaucoup d’Espagnols. « J’ai commencé à rencontrer des témoins, à travailler avec des historiens, des auteurs, à rencontrer des maquisards et guérilleros qui m’ont appris de nouvelles chansons, souvent inédites et jamais enregistrées. Un ancien de la colonne Durruti nous a même envoyé trois chants, chantés a cappella, qui n’avaient jamais été conservés. Là, ça a pris une autre dimension. »

Raices et Semillas se précipite avec la promenade de Cara Quemada, une composition subtile où l’accordéon s’entrelace avec la basse de la clarinette basse. La chanson raconte en espagnol le destin de Ramon Vila Capdevila. Ce militant anarchiste, emprisonné avant d’être libéré par le gouvernement du Front populaire, alors engagé contre le franquisme et dans la Résistance française, refusa les honneurs pour revenir hanter les montagnes catalanes et y finir assassiné en 1963. « Il n’y avait jamais eu de chanson sur cette vie difficile qui ressemblait à un western. C’est le guérillero ultime, l’un des derniers à tomber. », se souvient Tomas Jimenez. Dans Rosario Dinamiterale groupe reprend les vers du poète Miguel Hernandez dédiés à Rosario Sanchez Mora, combattante de l’armée républicaine, qui perdra une main au front.

Du côté des semences, la chanson Bienvenue à Guernica raconte, l’auto-organisation d’une banlieue de Buenos Aires face aux spéculateurs pendant la pandémie. « Depuis qu’ils avaient choisi Guernica comme nom du quartier, je me suis dit que cette nouvelle expérience devait être racontée. » Avec Daloy Politseyles musiciens s’indignent en français de l’universalisation de la répression policière. « En faisant appel à un chanteur grec (Andreas Melas), un chanteur espagnol (Vicente Pradal) et un chanteur russe (Mitia Khramtsov), nous avons voulu souligner que cette question est partout prégnante. »

Cet album ne cache-t-il pas une volonté de s’inscrire davantage dans le monde contemporain ? « Cela a toujours été l’objectif du processus.corrige Tomas Jimenez. Quand on voit le virage ultra-réactionnaire en Europe, ou quand on tombe sur des textes qui parlent d’exil et de réfugiés, ça me fait penser à ce qu’ont vécu mes grands-parents. Il y avait l’envie de montrer que cette histoire continue, qu’on la retrouve dans d’autres pays, à d’autres époques. » Cultiver ses racines et planter des graines, une œuvre d’intérêt général sublimée par une musique envoûtante.

Humanité du 30 décembre 2022

Clément Garcia

Laisser un commentaire