CHACÓN, Dulce, La Voz dormida. Madrid : Alfaguara, 2002, 376p.
Il a été question des femmes espagnoles lors de la conférence de David Garcia à La Riche, il en sera question en juin dans le film de Jean Ortiz, Compañeras… Il en est aussi question dans ce très beau livre dont je veux vous parler maintenant.
La voz dormida est un roman historique de Dulce Chacón paru en 2002 et qui a remporté de nombreux prix littéraires. Dulce Chacón a écrit ce livre comme un devoir personnel de mémoire, la nécessité de connaître l’histoire de l’Espagne, et elle est allée à la rencontre de ces femmes victimes du franquisme dont elle a recueilli les témoignages. Elle dit avoir dû adoucir l’horreur de ces témoignages, la fiction littéraire étant, selon elle, impuissante à faire vivre dans sa réalité exacte l’horreur de ce que ces femmes ont vécu. Et pourtant aujourd’hui encore, ces femmes, malgré tout ce qu’elles ont subi, restent fidèles à leurs idéaux républicains et leur loyauté à l’égard des « compañeras » reste intacte. Dulce Chacón se sent en quelque sorte responsable du silence de la mémoire qui entoure l’histoire des Républicains, et de ces femmes héroïques en particulier, et qui les condamne finalement encore tant d’années après les faits. Elle écrit :
« Somos los hijos del silencio. Un silencio que, a su juicio (celui des femmes rencontrées), ha sido una condena impuesta que se ha prolongado demasiado tiempo. Ellas pueden entender los silencios anteriores pero un silencio en democracia no lo pueden entender. »
La première partie du livre se déroule en 1939 après la victoire de Franco dans la sinistre prison madrilène pour femmes de Las Ventas. Le lecteur découvre l’horreur des lieux dans lesquels vivent ces femmes emprisonnées en même temps qu’il apprend leur histoire et les liens qui se tissent entre elles.
Le personnage central du livre est sans nul doute Hortensia et d’ailleurs la deuxième partie du livre lui est entièrement consacrée. Hortensia est enceinte quand tombe l’annonce de sa condamnation à mort. Sa petite sœur, Pepita, deuxième personnage central du livre, écrit à Franco et obtient qu’Hortensia puisse mettre au monde son enfant avant de mourir. Ce sera une petite fille, du nom de Tensi, que Pepita va élever. Tous les jours Pepita vient à la prison avec le bébé dans les bras jusqu’au jour où, un mois et demi plus tard, Hortensia est fusillée. De sa mère Tensi gardera un sac à couture avec deux cahiers bleus qui la conduiront à s’engager politiquement sur les traces de ses parents.
D’autres femmes gravitent autour de ce personnage central, Elvira, Tomasa, Reme, Sole, Doña Celia…dont la solidarité est infaillible et dont Dulce Chacón raconte les destins. Des mauvaises aussi, La Veneno, Sor María de los Serafines, qui dirige d’une main de fer la prison… Des hommes aussi, ne les oublions pas, le médecin de la prison, Don Fernando, Jaime Alcántara, l’amoureux de Pepita qui ne la retrouvera que des années plus tard… et d’autres encore.
Dans la troisième partie, le temps s’écoule plus rapidement puisque nous découvrons ce que fut la vie et le sort de tous ces personnages jusqu’en 1963. Le livre se clôt sur l’image de Pepita et Jaime enfin réunis marchant ensemble dans une manifestation à Cordoue.
Ce roman reflète fidèlement ce que vécurent ces femmes, leurs souffrances quotidiennes, la torture de ne jamais savoir quel serait leur sort final dans cette prison livrée à l’arbitraire et à l’injustice, leur loyauté infaillible entre elles, plutôt mourir, plutôt être battues ou torturées, que dénoncer, la perte irrémédiable de tous les droits que la République leur avait octroyés, leur courage et leur abnégation… Dans la prison et aussi à l’extérieur, une fois la liberté retrouvée pour certaines, jamais elles ne renieront les idéaux auxquels elles avaient tout sacrifié.
Ce roman, si tant est que l’on puisse parler de roman, le dernier livre de Dulce Chacón, donne la parole à celles que certains aimeraient bien voir se taire définitivement dans une société où le silence de la mémoire a force de loi.
Benito Zambrano a porté le livre à l’écran en 2011 sous le même titre, La voz dormida. Le film a été tourné dans l’ancienne prison de Huelva.
Il existe aussi une traduction française du livre, Voix endormies, paru en poche aux éditions 10-18.
Oh comme tu m’as rappelé l’excellent souvenir de la lecture de ce livre qui se dévore comme un roman ! Au fur et à mesure de ton résumé je me disais que je connaissais cette histoire de femmes espagnoles si éprouvées, même une fois la guerre terminée. Ces horreurs se sont passées sous la dictature de Franco, avec sa bénédiction. Merci Cathy