Cipriano Mera : Un homme au cœur de la révolution et de la guerre d’Espagne

meraTrès beau témoignage sur le parcours atypique d’un militant anarchiste espagnol devenu, par obligation et non par principe, l’un des généraux les plus célèbres (mais oublié aujourd’hui…) de la Guerre d’Espagne.

Une analyse des forces et des faiblesses du camp républicain, profondément divisé entre soldats de métiers fidèles à la république, miliciens anarchistes de la CNT, communistes du 5e régiment, etc.

A lire absolument…

(22 euros,  COMMANDE à renvoyer à : Le Coquelicot / BP 74078 / 31029 Toulouse cedex, chèques à l’ordre de : Le Coquelicot)

Une réflexion sur « Cipriano Mera : Un homme au cœur de la révolution et de la guerre d’Espagne »

  1. Cipriano Mera, ouvrier maçon anarchiste; Enrique Líster, tailleur de pierre communiste; Juan Modesto, menuisier communiste, ont été de valeureux chefs militaires, des acteurs aux destins singuliers. Et il y en a eu d’autres. Le rôle de Valentín González (« El Campesino ») est plus controversé, un mythe plus qu’autre chose. Entre ces hommes, qui ont combattu sur les mêmes fronts, existait une certaine rivalité de prestige. Mera qualifiait Líster de « napoleoncete », en effet Líster était assez fier de sa personne (il est amusant de voir ses photos, la gorra de plato de côté sur l’oreille, comme signe de coquetterie pas vraiment conforme aux règles militaires…). L’autobiographie de Mera est un intéressant témoignage sur la Guerre Civile mais, à l’instar de celle de Líster (Nuestra guerra. Memoria de un luchador) et de Modesto (Soy del quinto regimiento) ces témoignages ne valent ce que valent les autobiographies… c’est-à-dire qu’il est nécessaire de poser le regard distancié de l’historien et de croiser les sources.
    Mera, reconnu comme fin stratège, a participé aux principale batailles de la guerre, il a ridiculisé les troupes italiennes, pas vraiment organisées il est vrai, lors de la bataille de Guadalajara (1937). Il avait dès 1933 créé le Comité Révolutionnaire de Saragosse avec Bueventura Durruti qui décèdera le 20 novembre 1936 (le 20 novembre….) sur le front de Madrid (il existe 4 versions de sa mort ! Il est est enterré au cimetière de Montjuic à Barcelone).
    Mera a été promu lieutenant-colonel pour faits de guerre en 1938 mais n’a pas atteint le grade de général. Il a commandé le IVè corps d’armée dès 1937, soit environ 35 000 hommes sous ses ordres, ce qui n’est pas rien pour un simple autodidacte. C’était un homme intègre, une sorte de Don Quichotte. Je lui ferais cependant un reproche. En effet j’ai du mal à comprendre son soutien au « coup d’état interne » du colonel Segismundo Casado qui livra, sans résistance, la république aux troupes de Franco. Certes, Casado était viscéralement anti-communiste et Mera ne les tenait pas en grande estime non plus pour des raisons que l’on devine mais comment souscrire aux thèses de Casado et s’opposer au chef du gouvernement. Juan Negrín œuvrait coûte que coûte à résister (certains historiens de la nouvelle génération le comparent à un Churchill ou à un De Gaulle).
    Je reproche aussi le silence de Mera sur la dissolution du Consejo de Aragón le 10 août 1937 par le ministre de la défense Indalecio Prieto (de façon violente par la 11è division de Líster). Le Consejo de Aragón, a été constitué très majoritairement par des anarchistes dans une grande partie de l’Aragon afin de palier aux carences de l’état au début de la guerre. Y furent créées environ 450 collectivités autonomes selon les canons anarchistes. Ces collectivités alimentaient en partie les fronts en victuailles et en matériels divers (vêtements, chaussures, etc.).

    Résumons :
    Le 27 février 1939 France et Grande Bretagne reconnaissent le régime de Franco en échange de sa neutralité dans l’inévitable conflit mondial qui interviendra 6 mois après, pacte ayant pour but de contenir Hitler. On sait ce qu’il en est advenu. Azaña démissionne le jour même et se réfugie (c’est le bon terme) en France, le président du Conseil, le docteur Negrín, l’accompagne en voiture à la frontière du Perthus puis retourne à Valence. Le dernier message d’Azaña est connu comme étant « les trois P » : « Paz, Piedad, Perdón ! », celui de Negrín, « les trois R » : « resistir, resistir, resistir », « con pan o sin pan, resistir » et pour moi il avait raison, on ne se rend pas car on n’a pas à le faire quand on est légitime. L’honneur et le respect au peuple qui les a élus. Negrín (éminent intellectuel, polyglotte, chercheur en médecine reconnu, totalement dévoué à son pays) socialiste, mais communiste par opportunisme car seule la Russie pouvait fournir armes et matériel à la république, voulait sauver l’Espagne à tout prix en retardant la guerre dans l’espoir que le conflit mondial change la donne en faveur de l’Espagne. Le coup d’état interne du colonel Casado du 5 mars (il forme le Consejo Nacional de Defensa de Madrid) , une guerre civile dans la guerre civile, pro-communistes contre anti-communistes, met fin à la guerre. Bilan : plus de 2000 morts entre républicains. Quel gâchis ! Casado espérait naïvement qu’une reddition « entre militaires » s’inspirant « del abrazo de Vergara », souhaitant une paix « honorable », « sans vainqueur », mais ne libérant pas les communistes qu’il a fait emprisonner à Madrid, les offrant ainsi à l’ennemi vainqueur, signe de « bonne volonté » et de soumission à Franco?… Pourtant Franco a toujours exigé une reddition totale et inconditionnelle… Le 9 février 1939 il publie en effet la Ley de Responsabilidades Políticas, qui rend responsable politiquement les personnes impliquées dans les troubles de l’ordre public du 1er octobre 1934 (la « Révolution des Asturies ») jusqu’au 18 juillet 36, loi à effet rétroactif, c’est tout dire de ses intentions. Comment Casado et notamment Julián Besteiro, le vieux sage socialiste, ont-ils pu se laisser berner de la sorte ? Negrín avait essayé, en vain, dès mai 1938 (juste avant la bataille de l’Ebre), de proposer une paix à Franco afin de réconcilier les espagnols et d’éviter d’autres morts (« los trece puntos de Negrín »). Ayant essuyé un refus total, lui au moins avait compris que l’issue était sans illusion. Le 28 mars les troupes franquistes entrent sans aucune résistance dans Madrid, le Consejo de Defensa s’est envolé : Casado, Mera, les généraux Rojo et Miaja fuient, seul Besteiro reste à son poste. Il mourra de maladie en prison un an plus tard. Negrín quitte l’Espagne par le port de Gandía le 1er avril a destination de Londres, la France ayant refusé de l’accueillir pour y résider (il restera en Angleterre; tant mieux pour lui quand on sait ce qu’il est advenu de Companys sous Pétain). Negrín reviendra cependant en France où il mourra en 1956 (sa tombe est cimetière du Père Lachaise).
    http://www.appl-lachaise.net/appl/article.php3?id_article=431

    Mera est enterré au cimetière de Boulogne sur Seine, une vidéo de ses obsèques existe sur Dailymotion.
    http://www.dailymotion.com/video/x6pt9k_enterrement-de-cipriano-mera-sanz_news

    A lire, pour mieux comprendre cette histoire complexe et confuse, surtout dans les derniers mois du conflit :

    Ángel Bahamonde Magro, Madrid 1939. La conjura del coronel Casado, 2014.

    Luis Español Bouché, Madrid 1939, del golpe de Casado al final de la guerra civil, 2003.

    Puis l’ouvrage écrit par l’un des grands spécialistes de la Guerre Civile, Gabriel Jackson : Juan Negrín, médico, socialista y jefe del gobierno de la II república española, 2008.

    Jean-Claude Vanhille Lite

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