Ces femmes qui ont pris les armes pendant la guerre d’Espagne

 Qu’elles aient été écartées de la ligne de front ou rayées des mémoires, on savait jusqu’ici peu de choses sur les militantes espagnoles entre 1936 et 1939. Une lacune que viennent heureusement combler deux récents ouvrages.

La participation des femmes à  la guerre civile espagnole  entre 1936 et 1939 demeurait un angle encore peu étudié par  les chercheurs . Comme une représentation de la misogynie de la société masculine de l’époque. S’ajoutent à cela les particularités des combats en  Espagne , des milices transformées en armée régulière jusqu’à l’interdiction totale de la présence des femmes sur le front le 1er décembre 1936. Si Ken Loach avait, dans son film  Land and Freedom , évoqué cet aspect, peu d'éléments permettaient d’en comprendre réellement les enjeux et l’importance. Deux ouvrages viennent utilement combler cette lacune.

«Les Combattantes», la puissance des femmes espagnoles

Les Combattantes , de Gonzalo Berger et Tània Balló est un livre passionnant, écrit par deux spécialistes de  la participation des femmes  dans la guerre civile espagnole. Leur propos est centré sur  la Catalogne , dans une remarquable synthèse des informations existantes.

L’historien et l’autrice commencent par analyser l’organisation de femmes libertaires espagnoles  Mujeres libres . Ce groupe, fondé en 1933, était d’abord une structure féministe avant de se transformer, en 1936, après la victoire du Frente Popular, en organisation politique. Son but était d’obtenir  l’émancipation des femmes par l’alphabétisation  –l’Espagne comptait alors plus de 50% d’illettrées– par la dénonciation du  capitalisme, la lutte contre  la prostitution  et, enfin, par la recherche de  l’égalité  entre les sexes.

Particulièrement active en Catalogne et à Madrid, l'organisation a également appelé à rejoindre le front et à combattre. Mais cet espoir égalitaire a été de courte durée: lors de la militarisation  des groupes de volontaires en octobre 1936 , elles ont été renvoyées à l’arrière. Le groupe Mujeres libres n’a jamais été reconnu comme l’un des noyaux centraux du mouvement libertaire espagnol.

Les deux spécialistes se penchent ensuite sur la participation des femmes à  la bataille de Barcelone  (du 29 juin au 3 juillet 1642), faisant apparaître le caractère quasi légendaire de certaines combattantes,  à l'image de Marina Ginestà , immortalisée le fusil à l’épaule, dominant Barcelone.

Exhumant le poids des femmes dans les familles politiques, Gonzalo Berger et Tània Balló passent en revue les quelques dizaines de  communistes  engagées: des figures comme la sous-lieutenante Rosa Domènech ou la combattante Maricruz Carrasco, les 160 combattantes de  la colonne Durruti  en Catalogne, ou les 109 militantes du  Parti ouvrier d’unification marxiste (le POUM)  de Barcelone. Ils évoquent enfin les femmes victimes de la répression franquiste  fusillées à Montjuïc , la prison militaire de Barcelone, en 1939.

«¡Solidarias!», portraits des internationales militantes

Cette  lecture  peut être complétée par celle de  ¡Solidarias! , ouvrage coordonné par l'historien Édouard Sill. Le livre est né d’un colloque consacré aux volontaires étrangères et à la solidarité internationale féminine durant la guerre d’Espagne, organisé par les  Amis des combattants en Espagne républicaine . Il privilégie quatre thèmes: le retour sur l’histoire et le traitement de la question de la présence féminine; la place des volontaires; la solidarité féminine à l'étranger; et le rôle des intellectuelles. Les contributions rassemblées se penchent sur ce champ méconnu du soutien à la République espagnole.

L’engagement des femmes dans la solidarité internationale –dans les organisations de soutien  aux anarchistes  ou au groupe marxiste du POUM, sur un plan numérique (un peu plus de 600 engagées sur quelque 40.000 volontaires), recouvre plusieurs aspects.

La division sexuée du conflit faisait que les femmes étaient renvoyées à des métiers spécifiques comme celui d’infirmière . La consultation du  Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français , fondé par l’historien Jean Maitron, montre que sur 9.000 Français partis en Espagne, il y avait 96 femmes. L’immense majorité était présente à l’arrière; seules quelquesmilitantes, surtout dans les premiers mois, ont participé aux  combats .

Ce cas de figure se retrouve également chez les volontaires américaines: dans  la Brigade Abraham Lincoln , les femmes étaient surtout vouées au rôle d’infirmière. C’est  Fredericka Martin , infirmière de formation, qui coordonnait l’envoi puis le placement des 116 volontaires (sur les quelque 3.000 combattants nord-américains) dans les dispensaires. Il en est de même pour les Pays-Bas: sur plus de 700 volontaires, 22 femmes se sont rendues en Espagne, principalement pour travailler en tant qu’infirmières. Et sur les 3.500 volontaires italiens, 55 femmes ont participé aux soins.

La photographe Gerda Taro, compagne de Robert Capa, a porté une attention toute particulière à l’engagement
des combattants.

L’ouvrage souligne également que  les femmes  avaient des qualifications plus élevées que leurs homologues masculins, appartenant pour le quart d’entre elles à des groupes sociaux privilégiés, ce qui a conduit à les écarter du front pour qu’elles servent ailleurs –dans le domaine médical déjà évoqué, ou au sein de services de traduction ou de rédaction.

La solidarité internationale organisée depuis l’étranger est aussi analysée. L’étude de l’organisation libertaire  Solidarité internationale antifasciste  et de celle contrôlée par le Parti communiste français,  le Secours rouge , vient souligner la faible visibilité des femmes, à l’exception de quelques figures souvent mises en avant dans ces organisations:  Paula Feldstein  pour la maison d’enfants de la Solidarité internationale antifasciste; et Agnès Dumay  dans le cas du Secours rouge, devenu populaire, morte sous les bombes franquistes en décembre 1938, alors qu’elle organisait le départ d’enfants.

Le rôle des intellectuelles et des  artistes  parties en Espagne est également abordé dans ¡Solidarias! L’engagement de  la photographe Gerda Taro , alors compagne de  Robert Capa , est mis en valeur, l’ouvrage soulignant  l’attention toute particulière  qu’elle a portée à l’engagement des combattants. Certaines de ses photos sont aujourd’hui devenues iconiques. Sa mort près de la ligne de front en 1937 a encore renforcé la légende.

De même, l’article portant sur la reporter de guerre  Martha Gellhorn souligne l’importance du  journalisme  dans cette guerre civile. Son itinéraire, de l939;Espagne jusqu’en 1939;au Panama,  où est intervenue l’armée américaine en 1989 , en passant par la Pologne  occupée par l’URSS  en 1939, vient souligner la continuité de son combat pour la reconnaissance des droits humains.

D’autres femmes se détachent, comme la philosophe  Simone Weil, partie combattre , mais qui, victime d’un accident et en raison de sa myopie, a étéobligée d’être rapatriée précipitamment.

Il est possible d’observer une constante dans tous ces récits: les divisions dans le camp républicain entre socialistes,  anarchistes  et poumistes, et communistes en troisième lieu, sont particulièrement marquées, perceptibles dans tous les articles. L’exemple de l’aide médicale est particulièrement révélateur: d’un côté, il y avait  la Centrale sanitaire internationale , organisée par le Komintern (l’Internationale communiste); de l’autre, les socialistes et les membres de la  Fédération syndicale internationale  organisaient leur propre hôpital; et c’était également ce que faisaient les libertaires et les marxistes du POUM.

Sylvain Boulouque  

Édité par Natacha Zimmermann

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