Bande dessinée. Une vie de combat contre le franquisme

Une biographie dessinée est dédiée à la mémoire du communiste Miguel Nuñez.

Résistant pendant la guerre d’Espagne, il connaît de longues années de détention, la torture et la clandestinité. Le scénariste Pepe Galvez, lui aussi rescapé des geôles franquistes et le dessinateur Alfonso Lopez ont conçu leur œuvre comme un présent à leur ami Miguel.

MILLE VIES DE PLUS, MIGUEL NUÑEZ,

Pepe Galvez, Alfonso Lopez

Éditions Otium

« Le changement qu’appelle le moment présent, pour qu’il soit un succès, exige, en quelque sorte, des retrouvailles avec nous-même mais sous des formes inédites. » Ces mots ont été écrits par Miguel Nuñez, communiste toute sa vie, dans La Révolution et le Désir. Cette bande dessinée réalisée avec tout le savoir-faire de la coopérative ouvrière Envie de lire, du nom de la librairie ivryienne où il a été conçu, vient s’ajouter aux autres chefs-d’œuvre du 9e art que la guerre d’Espagne a inspirés. Aux côtés de Christin et Bilal, de Bertrand Galic, Kris et Cuvillier, et de l’immense Carlos Gimenez et de son Paracuellos, il faut désormais ajouter cette biographie dessinée de Miguel Nuñez. Seule la couverture affiche les trois couleurs du drapeau républicain, rouge, jaune et violet, couleurs mythiques d’une seconde république dont l’effondrement annonça la catastrophe de la Seconde Guerre mondiale. Le reste de l’ouvrage, superbement dessiné par Alfonso Lopez, offre des noir et blanc d’une grande élégance, sobre, parfaitement à l’unisson du titre. Lopez est un grand artiste et n’impose jamais son style, mais le fond toujours au récit de Nuñez, scénarisé par Galvez et qui valut au livre de recevoir le prix national de la culture en Catalogne, avant de se voir enrichi de 38 planches pour l’édition française. Poétique, strident, expressif, suggestif, réaliste, cauchemardesque, le dessin évoque les lignes du destin de cet homme, entre la clandestinité et l’enfermement les plus sombres, ou bien la liberté et les jours de victoires les plus lumineux. Né en 1920, Miguel était déjà un combattant de Madrid encerclé, et participa à la bataille au corps à corps livré dans la Cité universitaire au mois de novembre 1936, symbole de la résistance héroïque du peuple de gauche d’Espagne face aux armées de Franco.

Pour Miguel Nuñez, la guerre ne s’est pas terminée en 1939, mais en 1975 avec la mort du dictateur. Pendant toutes ces années, entre cachettes en France, planques à Barcelone, entrecoupées de dix-sept années de prison, jamais Miguel ne rendit les armes ni ne faiblit dans sa résistance au franquisme. Les planches sont superbes, celles de la torture sont d’une justesse à peine soutenable, mais essentielles pour comprendre comment s’est forgée la volonté de cet homme, et comment s’est construite sa force à endurer la douleur et narguer ses bourreaux. C’est dans l’enfer carcéral franquiste que se scellent les amitiés pour toujours.

Il y a aussi des instants de bonheur, empreints d’une grande sérénité dans le trait. Et puis la libération avec la mort du sinistre vieillard et la renaissance en 1977 du Parti communiste d’Espagne. Miguel Nuñez est même élu député, mais la politique n’est pas son métier et il s’en détache en 1982 pour aider le Nicaragua. Jamais inactif, il fonde en 2002 l’association Mémoire sociale et démocratique pour faire revivre l’histoire des combattants de l’ombre. Quant aux dernières planches qui racontent le grand départ à 88 ans, après mille vies, le lecteur se retrouve dans une féerie entre un conte lumineux de Saint-Exupéry et toute la poésie du vent, celle de l’exil espagnol, de Rafael Alberti à Arturo Serrano. Toute violence a été bannie. Miguel Nuñez peut partir tranquille. Il a accompli son destin. Derrière cette existence d’un petit Madrilène devenu catalan de cœur, par-delà ce parcours individuel, il est rendu hommage aux 192 000 prisonniers qui moururent dans les geôles de Franco, aux 150 000 disparus dans les fosses encore à découvrir, et aux dizaines de milliers de réfugiés dont le rêve républicain fut brisé. Le dossier offre un complément remarquable pour s’y reconnaître dans l’ensemble des petits partis anarcho-syndicalistes, socialistes et communistes des années 1930 du XXe siècle, pour éclairer les biographies, pour expliquer les événements tournants de cette vie, avec une bibliographie commentée qui permettra d’aller toujours plus loin dans la connaissance de cette guerre d’Espagne dont le fantôme n’a pas fini de hanter l’histoire des révolutions et des républiques avortées… À Miguel Nuñez la conclusion, lucide et combative de cet ouvrage remarquable : « Car l’humanité, à défaut de transformer radicalement le système qui la gouverne, court inéluctablement vers son autodestruction. »

Mardi 23 Février 2021

Pierre Serna

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