Sont reproduits ici les textes qui ont été mis en voix par la Compagnie Cano López le 20 novembre 2015 au Plessis-Théâtres à La Riche (Indre-et-Loire).
Sur la plage d’Argelès-sur-Mer
Je suis une fille de la « retirada », la retraite ou l’exode des espagnols qui fuyaient le fascisme à la fin d’une guerre civile de près de 3 ans. Je suis fière d’avoir du sang espagnol qui coule dans mes veines, sang mêlé de celui d’un « rouge », mon père, et celui d’une petite orpheline, élevée chez les sœurs à cornettes, ma mère, orpheline dès l’âge de 2 ans.
Rien n’était fait pour qu’ils se rencontrent, sauf, hélas, qu’une guerre civile n’éclate en Espagne, leur pays, et ne se termine que par un exil forcé, ici en France, où ils se « trouvèrent ».
Ma mère était une jeune fille de 20 ans lorsqu’elle a « échoué », comme des centaines de milliers de ses compatriotes, sur la plage d’Argelès-sur-Mer. Les autorités françaises avaient « prévu » leur accueil sur cette plage en la délimitant par des fils de fer barbelés, la mer représentant un côté « naturel », le tout sous surveillance policière armée très importante. Ils ont été parqués dans ce camp de concentration à partir du mois de février 1939, un hiver qui fut particulièrement rigoureux. Ils étaient « logés » à même le sable si froid, rien n’avait été prévu pour l’hygiène, les soins médicaux…
C’était inhumain au possible, il y eut beaucoup de morts, surtout des enfants.
Papa, bien entendu, va se battre avec ses compagnons d’infortune, pour tenter de libérer son pays du joug fascisant, il fallait empêcher qu’il ne revienne entre les mains de ce dictateur, Franco.
Les « rouges » assiégeaient les églises, couvents… tout ce qu’ils haïssaient car, pour eux, cela représentait de grandes richesses qui n’étaient pas distribuées aux pauvres. Nombreux étaient anticléricaux et leur souhait, ou leur idéal, était d’obtenir davantage de justice sociale. Maman qui était élevée dans un couvent se souvenait bien de l’arrivée de ces « rouges » qui saccageaient tout mais l’image la plus marquante pour elle fut celle de fœtus qui étaient entassés dans un placard (et oui il y avait de temps en temps des petites soirées libertines organisées entre les sœurs et les curés du monastère voisin qui empruntaient le souterrain reliant les 2 endroits).
Comme dans toute révolte, cela s’est fait dans le sang, Picasso en a rendu l’un de ses tableaux fort célèbre « Guernica ». Des poètes, des écrivains, des « internationaux » prenaient parti pour leur lutte qu’ils trouvaient juste. Franco les traquait, les torturait, les emprisonnait, ou les tuait froidement, tout en récitant ses prières matinales.
Franco avait fait alliance avec Hitler et Mussolini, les appels des républicains espagnols ne furent pas entendus par la France et la Grande-Bretagne. Pourtant, c’était bien là le signal d’une grande guerre qui devint mondiale et la création de camps d’extermination en masse, par la folie d’un autre dictateur qui voulait se créer un Empire, Hitler.
L’exil est le plus souvent forcé pour la plupart des peuples, il n’est jamais fait avec plaisir. Mes parents l’ont adopté de force puisque le Général Franco a dirigé de façon atroce l’Espagne jusqu’en 1975, papa étant décédé 10 ans auparavant. Il n’a jamais pu revoir sa « mère-patrie », il savait très bien que s’il remettait les pieds en Espagne, il risquait de se retrouver en prison, torturé ou assassiné.
J’ai vécu, petite, les sarcasmes des camarades de classe, comme quoi je mangeais le pain des français, ce que je ne comprenais pas à l’époque. Aujourd’hui encore je suis une indignée, je ne supporte pas les relents racistes extrémistes, j’ai même honte des prises de position politique de certains de mes frères et sœur actuellement.
J’ai atteint l’âge auquel papa est parti pour toujours, il me reste un manque énorme de lui. En effet je n’avais que 15 ans et à cet âge je n’avais pas ressenti ce besoin de parler avec lui de sa vie d’avant l’exil, de son Amour pour l’Espagne, de sa lutte contre le fascisme, là-bas, ou ici en France.
De lui, je me souviens d’énormes jurons espagnols, souvent anticléricaux et de chants comme « Ay Carmela » quand un groupe d’amis étaient réunis et que l’anisette coulait si joyeusement dans leurs gosiers. J’ai l’impression d’avoir des racines peu profondes car je n’ai jamais connu de grands-parents. C’est la 1ère fois cet été où j’ai foulé les terres aragonaises qui l’ont vu naître, travailler la terre, connaître la République, malheureusement fragile, et quitter son pays après avoir lutté avec peu de moyens pour la Liberté. Je n’ai retrouvé aucune trace familiale mais j’ai parfois entendu les jurons qu’il avait tendance à prononcer assez souvent, jurons toujours en vigueur. Je n’ai pu que me rendre compte de l’hostilité de cette région si aride et m’imaginer comme la vie devait y être bien difficile. Que pouvaient faire ces pauvres bougres lors des combats contre l’armée de fascistes, très équipée ?
Je dis un grand MERCI à Papa et à Maman pour tout ce qu’ils ont fait pour nous après avoir subi tant d’horreurs.
Mirabelle