CRISTINO GARCÍA

Article de la revue Regards n° 31 du 8 mars 1946.

 

La forte émotion nationale provoquée par l’exécution de dix guérilleros le 22 février 1946, parmi lesquels l’ancien résistant Cristino García, a levé ces ambiguïtés et semblé répondre aux attentes de l’exil. Le gouvernement tripartite dirigé par Félix Gouin décida de mettre en œuvre une politique interventionniste contre la dictature péninsulaire : non seulement il l’isola par une quarantaine unilatérale, fermant la frontière pyrénéenne fin février et coupant toutes les communications entre les deux pays, mais il fut à l’origine de l’adoption par l’Assemblée générale des Nations unies, à la fin de cette même année, d’une résolution qui mettait symboliquement au ban le régime franquiste en préconisant son exclusion des institutions et conférences internationales reliées à l’ONU, ainsi que le rappel des ambassadeurs ou ministres plénipotentiaires accrédités. De manière symétrique, un soutien résolu était apporté aux républicains espagnols, dans l’espoir de favoriser une relève démocratique au pouvoir du général Franco. Il faut en effet prendre en compte l’existence de deux Espagne jusqu’en 1977, Paris devenant début 1946 le siège des institutions républicaines en exil. Or, quelques mois suffirent pour mettre en lumière la vanité d’espérer une solution espagnole en raison des déchirements et de la sclérose de l’antifranquisme. Cette faillite privait de sens la politique interventionniste, alors même que la résolution de l’ONU, qui tenait plus de la condamnation morale que d’une pratique d’ostracisme multilatéral, l’avait implicitement désavouée.

Le déclenchement de la guerre froide se greffa sur l’échec patent de la quarantaine unilatérale, inefficace vis-à-vis de l’Espagne et préjudiciable aux intérêts français, pour amener l’exécutif à décider, début février 1948, de rétablir la circulation pyrénéenne. Cette décision, et l’assentiment unanime qu’elle rencontra hors de la mouvance communiste, reflétaient l’effacement des valeurs de la Résistance et de la référence antifasciste qui avaient prévalu dans l’immédiat après-guerre au profit de la priorité anticommuniste, tout en sanctionnant l’incapacité d’une puissance moyenne comme la France à suivre une ligne originale en période de bipolarisation internationale. Après une brève phase d’affrontement avec Madrid, l’heure était donc à l’apaisement, surtout quand la levée des sanctions onusiennes entraîna la normalisation des relations diplomatiques et la promotion du délégué Bernard Hardion au rang d’ambassadeur en janvier 1951 ; la France fut toutefois le dernier pays d’Europe occidentale à présenter une demande d’agrément. La guerre froide conférait en effet une nouvelle légitimité internationale au général Franco, lui permettant de se targuer d’avoir été le « premier adversaire du communisme » et de faire figure d’allié potentiel de la défense occidentale ; il lui fut associé par le biais des accords hispano-américains d’assistance économique et militaire signés en septembre 1953. L’Espagne effectua alors son retour sur la scène mondiale, refermant la séquence de marginalisation ouverte en 1936 ; après l’UNESCO fin 1952, l’admission à l’ONU en décembre 1955 couronna une normalisation qui transparut également dans le peu d’attention accordée à la candidature franquiste par les États membres, soucieux de préserver l’équilibre international en admettant ensemble des pays du bloc soviétique, d’autres du camp occidental et des neutres. Premier bénéficiaire de la guerre froide, le général Franco dut finalement son absolution officielle à la coexistence pacifique des deux Grands.

 

La frontière franco-espagnole fut fermée le 1 mars 1946 et ouverte à nouveau le 10 février 1948.

Source :

http://www.defense.gouv.fr/irsem/publications/lettre-de-l-irsem/les-lettres-de-l-irsem-2012-2013/2012-lettre-de-l-irsem/lettre-de-l-irsem-n-8-2012/enjeux/les-relations-bilaterales-france-espagne-un-survol-historique

 

 

BIOGRAPHIE

Né à Gozón- Sama de Langreo (Asturies) en 1913 – fusillé le 22 février 1946.

Cristino García Granda avait participé à la révolution d’octobre 1934 aux Asturies. En juillet 1936 il était marin et en escale à Séville. Après s’être emparé du navire avec l’équipage il regagnait les Asturies. Incorporé dans l’armée du nord, il était alors responsable d’un groupe de mineurs, dynamiteurs sur les arrières de l’ennemi. A la chute des Asturies, il parvenait à gagner la Catalogne et s’intègrait au XIV Corps d’armée dans le groupe de guerilleros de Domingo Ungria González où il avait le grade de lieutenant.

Passé en France à la fin de la guerre, il était interné en camp puis travaillait comme mineur de charbon dans le département du Gard. Pendant l’occupation il participait à la résistance contre les nazis. Il a été d’abord chef de la Brigade de Tarbes (Hautes Pyrénées), puis entre mars 1943 et janvier 1944 commandant de la 21è Brigade (Gard) de la 3° Division de Guerrilleros Espanoles. Il a été ensuite nommé lieutenant colonel de la 158° Division (Tarbes). Il a été décoré de la légion d’honneur pour son action dans la résistance : il avait en particulier participé à la libération de Foix et à la bataille de la Madeleine (Gard) où il avait fait près de 1300 prisonniers allemands. Il avait participé également le 4 février 1944 à la libération des prisonniers politiques de la prison de Nîmes.

A l’automne 1944 Cristino Garcia Granda prenait part à l’opération d’invasion du Vall d’Aran dans le cadre de Reconquista de España. Après l’échec de l’opération il avait été mis à la disposition du Parti communiste. Santiago Carrillo Solares le choisissait alors pour une délicate opération d’épuration du Parti à Madrid. En avril 1945, accompagné de trois guérilleros, il passait en Catalogne puis gagnait Madrid où il remplaçait José Vitini Flores qui venait d’être arrêté et prenait en charge l’appareil d’information et l’organisation des guerilleros. Il était alors responsable de la 5° Agrupación de Guerrilleros Centro-Extremadura (Tolède, Ciudad Real, Badajoz, Caceres, Jaen et Cordoba). Pendant tout le mois de septembre son groupe allait opérer plusieurs attaques contre des établissements bancaires. Antonio Nuñez Balsera, qui en avait reçu la consigne de la bouche même de Santiago Carrillo et de Dolores Ibárruri à Toulouse en juin 1945, lui transmettait alors l’ordre d’exécuter le vieux militant communiste Gabriel León Trilla, qualifié de provocateur. Cristino García, se considérant comme « un révolutionnaire et non un assassin », aurait refusé d’exécuter personnellement Trilla, mais désignera un de ces hommes, Francisco Esteban Carranque Sánchez qui dans la nuit du 6 septembre 1945 assassinait Trilla. Le 15 octobre son groupe exécutait Alberto Pérez Ayala Cesar, un vieil ami de Trilla. Peu après cette nouvelle exécution, Critino García Granda et son groupe étaient arrêtés. Traduit devant un conseil de guerre qui s’ouvrait le 22 janvier 1946 contre dix sept membres du groupe, Cristino García Granda était condamné à mort le 9 février avec Manuel Castro Rodríguez, Francisco Esteve, Luis Fernández Avila, Francisco Esteban Carranque Sánchez, Gonzalo González González, Eduardo González Silván, Antonio Medina Vega El Canario, Joaquin Almazán Alonso et Eduardo Fuente. Le 21 ou 22 février étaient fusillés Cristino García Granda, Diego Luque Molina, Manuel Castro Rodríguez, Candido Mañanas Servant, Alfredo Ilias Pereira, José Martínez Gutiérrez, Pedro Cordero Bazaga, Luis Fernandez de Avila Nuñez, Francisco Esteban Carranque Sanchez, José Antonio Cepas Silva et Alfonso Diaz Cabezas.

Après l’éxécution de Cristino García, c’est Pablo Sanz Prades Paco El Catalán qui prit le commandement des groupes urbains communistes appelés « cazadores de ciudad ».

Source :

https://losdelasierra.info/spip.php?article2900

 

 L’Espagne est admise à l’UNESCO en 1952. Albert Camus, pressenti pour une mission au sein de l’UNESCO,  démissionne. Sa lettre.

Monsieur le Directeur Général,

Par une lettre du 30 mai, l’Unesco a bien voulu me demander de collaborer à une enquête qu’elle entreprend concernant la culture et l’éducation. En vous priant de bien vouloir faire part de mes raisons aux organismes directeurs de l’institution, je voudrais vous dire brièvement pourquoi je ne puis consentir à cette collaboration aussi longtemps qu’il sera question de faire entrer l’Espagne franquiste à l’Unesco.

J’ai appris, en effet, avec nouvelle avec indignation. Je doute qu’il faille l’attribuer à l’intérêt que l’Unesco peut porter aux réalisations culturelles du gouvernement de Madrid ni à l’admiration que l’Unesco a pu concevoir pour des lois qui régissent l’enseignement secondaire et primaire en Espagne (particulièrement les lois du 20 septembre 1938 et du 17 juillet 1945, que vos services pourront utilement consulter). Je doute encore plus encore qu’elle s’explique par l’enthousiasme avec lequel ledit gouvernement reçoit les principes dont l’Unesco prétend s’inspirer. En fait, l’Espagne franquiste, qui censure toute expression libre, censure aussi vos publications.

Je mets, par exemple, au défi vos services d’organiser à Madrid l’Exposition des droits de l’homme qu’ils ont fait connaître dans beaucoup de pays. Si déjà l’adhésion de l’Espagne franquiste aux Nations unies soulève de graves questions, dont plusieurs intéressent la décence, son entrée à l’Unesco, comme d’ailleurs celle de tout gouvernement totalitaire, violera par surcroît la logique la plus élémentaire. J’ajoute qu’après les récentes et cyniques exécutions de militants syndicalistes en Espagne, et au moment où se préparent de nouveaux procès, cette décision serait particulièrement scandaleuse.

La recommandation de votre conseil exécutif ne peut donc s’expliquer que par des raisons qui n’ont rien à voir avec les buts avoués de l’Unesco et qui, dans tous les cas, ne sont pas ceux des écrivains et des intellectuels dont vous sollicitez la sympathie ou la collaboration. C’est pourquoi, et bien que cette décision soit en elle-même, je le sais, de mince importance, je me sens cependant obligé de refuser, en ce qui me concerne, tout contact avec votre organisme, jusqu’à la date où il reviendra sur sa décision, et de dénoncer jusque-là l’ambiguïté inacceptable de son action.

Je regrette aussi de devoir rendre publique cette lettre dès que vous l’aurez reçue. Je le ferai dans le seul espoir que des hommes plus importants que moi, et d’une manière générale les artistes et intellectuels libres, quels qu’ils soient, partageront mon opinion et vous signifieront directement qu’ils sont décidés eux aussi à boycotter une organisation qui vient de démentir publiquement toute son action passée.

Avec mes regrets personnels, je vous prie de croire, Monsieur le Directeur Général, à mes sentiments bien sincères.

Albert Camus.

___________________________________________________________

 

Revue Regards n°36 du 12 avril 1946, numéro spécial « Anniversaire de la République Espagnole ».

 

La presse française reste mobilisée contre Franco.

 

 

 

 

 

Laisser un commentaire