La « Retirada » rapproche Pézilla-la-Rivière (66) de la Catalogne sud.
Serge Barba, conférencier.
En une conférence et une expo à la veille de la journée de l’exil du 05 février, les pézillanais se sont replongés dans une des histoires les plus marquantes du département.
La « retirada » est le mot trouvé en catalogne nord pour qualifier cet exil de 500 000 réfugiés espagnols en Février 1939, affluant dans notre département en quinze jours. Un exil spécifique aux Pyrénées orientales, dont on aurait pu ressentir les prémices en 1936 et 1938, avec les premières petites vagues de migration. La France n’a pas accueilli les républicains de son gré, mais par la force des événements, même si les autorités pouvaient prévoir. Ce postulat brièvement posé, le conférencier dernièrement invité par la Médiathèque Ramon Llul, Serge Barba, professeur retraité, né en 1941 à la maternité d’Elne, auteur du livre (*) « De la frontière aux barbelés : les chemins de la retirada 1939», s’est ensuite attaché à relater le quotidien de ses réfugiés au travers de témoignages qui éclairent une grande histoire se jouant des destins familiaux.
La vérité des témoignages
Ainsi, ces intellectuels et parlementaires qui sont passés au mas Perxes d’Agullana avant de rejoindre le Perthus ou ils eurent barrière ouverte. Les soldats sénégalais garde-chiourme-frontière n’avaient pas les mêmes consignes pour tout le monde, et leur présence a profondément marqué les esprits. A Prats de Mollo, les habitants ont aidé comme ils le pouvaient les réfugiés pour ne pas les laisser dans le froid. Au Boulou, le barbier refuse d’encaisser sa prestation auprès d’un exilé, et la nouvelle se répand comme une traînée de poudre : « Au Boulou on rase gratis ». De petits actes de solidarité de la population qui pouvaient difficilement faire face à cet afflux, sans pouvoir compenser le manque d’anticipation des autorités françaises. Passé la frontière, femmes enfants et vieillards ont été séparés des hommes et dirigés sur 77 départements français. Les hommes sont « jetés dans des enclos » , les camps qu’ils doivent construire. A Argelès (100 000), st Cyprien (90 000) Le Barcarès (60 000), les attendent du sable et de la solitude entre mer et barbelés, du pain taillé à la baïonnette : » nous ne sommes plus des hommes, nous sommes une meute affamée » témoigne l’un d’entre eux. Petit à petit la vie va pourtant s’organiser dans les camps, et les correspondances s’échanger avec les familles disséminées un peu partout. On en retrouvera par exemple 72 qu’a adressé Marcelino à son épouse : sa vie au camp, les conseils pour les enfants, en des lettres régulières puis espacées dans le temps. La dernière arrivera du camp de Matthausen : il avait fui le franquisme et a été victime du fascisme.
340 000 réfugiés sont retournés en Espagne après cet épisode. Louis Aragon a ainsi résumé ces périples : « nous sommes traité comme des papiers ». C’est avec une grande justesse, s’appuyant sur quelques photos , que Serge Barba a lu ou évoqué ces témoignages devant une cinquantaine de personnes captivées par ce vécu de l’intérieur. Une approche simple et sans fard qui a su restaurer la réalité des faits dans les esprits.
Une convention avec la Catalogne Sud
Cette réalité, les Pézillanais l’ont approché un peu plus à travers les panneaux de l’exposition » Fam i guerra 1936 1959″ prêtée par la Généralitat de Catalunya, qui traverse la frontière à l’inverse et décrit les conditions épouvantables de vie pendant la guerre civile en Espagne : la genèse d’un exil. Le vernissage qui a eu lieu le lendemain de la conférence, a été l’occasion pour le directeur de la Généralitat de Catalunya Josep Puigbert et Jean Paul Billes le maire de Pézilla de signer une convention de partenariat pour l’organisation conjointe de manifestations destinées à promouvoir la langue et la culture catalane. Au milieu des panneaux d’exposition, le maire a précisé qu’il était important de « transmettre aux jeunes et donner le réconfort ». Lui emboîtant la voix et après avoir mis en perspective la retirada à l’actualité, Josep Puigbert va présenter les trois angles de ces évènements : » La vision du sud : l’exil, des gens qui marchent; la vision du Nord : l’accueil; et la troisième, les effets de la guerre qui sont les mêmes au Nord et au sud ». La conclusion de cette commémoration sera musicale. Les membres du groupe « Llamp te Frigui » Philippe Dourou et Franck Sala, vont ainsi interpréter du Luis Llach, mais aussi « salut à Pézilla » ou encore « Papa Sarda » écrite par Raoul Sala, avant de conclure par l’incontournable « Estaca ». Franck et Raoul Sala sont les fils de Jaume et Carmen Sala que les Pézillanais connaissaient bien et qui ont vécu la retirada alors qu’ils étaient encore enfants.
Il a ainsi flotté comme un air de famille au cours de ces deux jours, oxygéné par un passé commun touchant des proches, de Pézilla ou de Catalogne Sud.
Source :
http://www.lindependant.fr/2017/02/19/la-retirada-rapproche-pezilla-de-la-catalogne-sud,2291952.php
(*) Barba, Serge, De la Frontière aux barbelés, Les chemins de la Retirada 1939, Canet ; Trabucaire, 2009, 255 p.
Une sérieuse référence sur La Retirada. De nombreuses illustrations.
L’afflux brutal des républicains espagnols fuyant la répression franquiste, afflux enregistré entre le 28 janvier et le 13 février 1939, a déjà inspiré de nombreuses études. Cette retraite où Retirada lança sur les chemins de l’exil quelque 500 000 personnes, combattants et civils, valides et blessés, femmes, enfants, vieillards. Rien n’était préparé pour accueillir les réfugiés, bien que les autorités françaises eussent envisagé la possibilité d’un tel exode. Aussi l’accueil, si l’on peut employer ce terme, s’effectua-t-il dans les plus mauvaises conditions : improvisation, méfiance inspirée par les arrivants, brutalité parfois.
Serge Barba, président de l’Association des fils et filles de républicains espagnols et enfants de l’exil (FFREEE), a voulu reconstituer les itinéraires suivis par les réfugiés entre leur passage de la frontière et leur arrivée dans les camps dits alors de « concentration ». Le livre se présente comme une sorte de chronique évoquant la vie quotidienne au long de chaque chemin. Le récit est nourri par de nombreux documents, cartes, rapports officiels, photos d’époque, articles de journaux, témoignages, dessins et œuvres d’art diverses laissés par les acteurs de l’exode.
Le premier lieu de passage se situe à Cerbère où l’on arrivait par mer et surtout par terre. Les témoignages initiaux évoquent une situation qui se renouvellera en chaque point de la frontière : « une population affolée », des « fuyards mal protégés par leurs haillons contre le froid », des lieux d’hébergement improvisés dans « des maisons inhabitées insalubres, des granges, des halles, des prisons désaffectées, d’anciens haras, d’anciens moulins… ». Puis sont passés en revue les autres points de passage, Banyuls, Port-Vendres où furent amenés des navires-hôpitaux, le Perthus, La Vajol-Las Illas, Saint-Laurent-de-Cerdans, Lamanère, Prats-de-Mollo, Py-Mantet, la Cerdagne. Beaucoup de relations mentionnent la brutalité des forces de l’ordre, surtout les Sénégalais et les Spahis, et la bonne volonté des élus locaux ainsi que celle de certains ecclésiastiques comme l’abbé Bousquet, curé de Saint-Laurent-de-Cerdans.
Après avoir été contrôlés, fouillés, désarmés et filtrés, les républicains étaient vivement invités à regagner leur pays. Ceux qui restaient, étudiés dans la deuxième partie du livre, se trouvaient « entre frontière et camp ». Ils étaient rassemblés à Arles-sur-Tech, tête de pont ferroviaire des évacuations, Amélie-les-Bains, Céret, le Boulou, Perpignan où s’installèrent nombre de hautes personnalités de la république espagnole défunte.
La troisième partie est consacrée aux camps, Argelès, Saint-Cyprien, le Barcarès, Collioure, le Vernet d’Ariège, Agde, Rivesaltes… Beaucoup de lieux se révélaient impropres à leur fonction : Argelès où furent enfermées quelque 100 000 personnes était situé sur une plage marécageuse. Des monographies mettent l’accent sur des lieux particuliers ; la maternité d’Elne, le centre spécial de Rieucros en Lozère, le château de Collioure où les réfugiés jugés les plus dangereux étaient rassemblés dans des conditions de détention très dures.
Le livre apporte peu de révélations sur les camps, déjà très étudiés. Mais il reconstitue avec émotion l’expérience douloureuse vécue au quotidien par les Espagnols, les efforts généralement consentis avec humanité par les communes frontalières, l’incurie des autorités supérieures et parfois la brutalité des forces de l’ordre. Ce livre dans son entier constitue lui-même une sorte de témoignage.
Source :
Ralph Schor, « Serge BARBA, De la frontière aux barbelés. Les chemins de la Retirada 1939 », Revue européenne des migrations internationales [En línea], vol. 26 – n°2 | 2010, Publicado el 08 diciembre 2010, consultado el 21 febrero 2017. URL : http://remi.revues.org/5164