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L’orphelinat en Espagne…et puis…la France

L’Espagne des années 1920/1930 était un pays peu industrialisé qui, de plus, comprenait de nombreux analphabètes. Ce début du XXème siècle, pour les espagnols qui ne possédaient rien, était très archaïque et difficile. Ma petite mère est née en 1919 dans la province de Guadalajara, dans un village reculé du monde. Elle avait déjà 2 frères, son papa était muletier, il décéda d’une chute dans un ravin. Sa maman eut une charge si lourde, seule avec 3 enfants, sûrement sans travail, qu’elle mourut de misère, ou de chagrin, peu de temps après son époux. Maman devint donc orpheline dès l’âge de 2 ans.

A cette époque l’un des piliers du pays était l’Église. Le clergé ne comptait pas moins de 5000 couvents, 60.000 religieuses, 31.000 prêtres et 20.000 moines ! Comme il n’y avait personne dans leur famille pour les élever, les 3 enfants furent mis à l’orphelinat, ma mère chez les sœurs, mes oncles chez les frères.

Quelle éducation reçurent-ils pendant cette période, en dehors de l’éducation religieuse ? Ils apprirent tout de même à lire, écrire et compter.

Ma mère nous a conté qu’il y avait toujours quelqu’un qui faisait la lecture de la Bible durant les repas au réfectoire. Elle aimait bien quand c’était son tour car la pitance était meilleure. On aurait dit qu’elle en salivait encore de plaisir, une grande tartine de pain trempée dans de l’huile d’olive ou une grosse pomme de terre cuite au four! Par contre lorsqu’elles étaient punies, un sévère châtiment les attendait. Elles étaient enfermées, parfois plusieurs jours et nuits, dans les toilettes et n’avaient droit qu’à un quignon de pain sec par jour. Je trouvais ce châtiment odieux et méprisable, les pauvres devaient tirer la chasse d’eau pour en attraper un peu avec les mains car elles n’avaient aucun ustensile. C’étaient chez les sœurs de la miséricorde. Que veut donc dire ce mot ? Je n’ai jamais pensé à demander à ma mère comment étaient ces chiottes mais je pense que ce devaient être ceux que l’on appelle «à la turque».

Maman aimait bien participer aux fêtes religieuses, surtout les processions car cela leur permettait de sortir un peu de cet enfer carcéral mais elle aimait surtout «être déguisée» en ange avec de grandes ailes qu’elles confectionnaient. Elle était gamine, n’avait connu que ça, elle s’émerveillait devant toute cette splendeur déployée. Elle en oubliait peut-être pendant ces moments la misère dans laquelle, elle et ses copines, se trouvaient alors que l’Église regorgeait de richesses.

Quand arriva le moment de la puberté, les sœurs ne leur fournissaient pas de protections hygiéniques. Une tenue complète leur était octroyée une fois par semaine. Quelle horreur ce dut être pour ces adolescentes qui devaient rester pendant plusieurs jours dans leur lingerie souillée ! Elles avaient trouvé un système, celui de mettre leur combinaison dans leur culotte.

Le pire fut les journées de lessive à la rivière que les sœurs leur donnaient à faire. En plus de leur propre linge et des draps, elles avaient aussi les protections hygiéniques des sœurs à laver. Quel souvenir atroce elle avait de la rivière rouge ! Ces pauvres gamines devaient en baver pour que le linge en ressorte d’une blancheur éclatante !

Justement, quand elles devenaient adolescentes, certaines avaient remarqué de l’agitation parfois le soir du côté des pièces réservées aux sœurs. Elles sortaient par petits groupes du dortoir, en catimini, sans faire de bruit, et elles allaient en découvrir des choses étranges en regardant par les chatières faites dans les portes. Ces dames à cornettes s’en donnaient à coeur joie avec les curés tenant l’orphelinat des garçons qui n’avaient qu’à emprunter le souterrain qui reliait les 2 couvents. C’était la FIESTA ! On peut dire qu’elles « s’envoyaient en l’air » les bonnes sœurs.

Et puis arriva la guerre civile, le couvent fut assiégé et mis à sac par les républicains. Maman a été sidérée de voir dégringoler une «montagne» de fœtus, de bébés morts, quand ils mirent des coups dans un placard (résultat infâme des rencontres nocturnes entre les sœurs et les curés). Je ne sais pas quel sort fut réservé à ces religieuses et curés, et je peux avouer que je m’en contrefiche. D’ailleurs le dictateur Franco, en bon chrétien qu’il était, n’a sûrement rien trouvé à dire de ces actes.

Les républicains ont alors organisé un genre de centre laïc pour s’occuper de ces pauvres orphelins. Au fur et à mesure du danger, le directeur de cette «colonie» improvisée les acheminait en lieux plus sécurisés.

C’est ainsi qu’elle se trouva, malheureusement, à Barcelone au moment des pires bombardements. Elle y perdit sa meilleure amie, en fut très affectée, et très rapidement elle connut l’exil en commençant par un long séjour à Argelès/Mer. Elle découvrait la mer, elle avait presque 20 ans, c’était en février, un froid atroce, à même le sable au début, et RIEN.

C’est pendant cette période qu’elle réalisa cette broderie d’une finesse extrême. Je pense qu’elle avait dû apprendre à coudre dans son couvent, qu’elle a même dû y recevoir de bons coups d’aiguilles sur le bout des doigts si le travail n’était pas assez soigné.

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Maman avait gardé un tel mauvais souvenir de sa vie au couvent qu’elle ne remit plus les pieds dans une église, sauf pour les mariages de ces deux fils aînés ayant, à l’époque, voulu faire plaisir à leurs dulcinées car ils n’avaient absolument aucune conviction religieuse.

Voilà pourquoi je ne me suis jamais départie de soutenir la phrase de Karl Marx «La religion est le soupir de la créature opprimée, l’âme d’un monde sans coeur, comme elle est l’esprit de conditions sociales d’où l’esprit est exclu. Elle est l’opium du peuple.»

Maman n’a jamais voulu revoir Argelès, ce devait être trop douloureux. Par contre, en 1976 nous l’avons emmenée dans son cher pays où elle a pu retrouver l’un de ses frères, blessé au combat à Barcelone, qui n’avait donc pas pu connaître la Retirada. Que d’émotions après 37 ans de séparation ! 37 ans que lui-même a été obligé de vivre sous la dictature franquiste, vivant très chichement d’un maigre revenu d’opérateur de téléphonie, il était infirme d’un bras, conséquence de ses blessures à la guerre. Il a fait sa vie là-bas, maman est restée en France, son nouveau pays, celui de la République.

Ce n’est qu’en 2011 que j’ai franchi le pas d’aller voir ce qu’il restait à Argelès comme souvenir de cette terrible tragédie.

A part un monolithe gravé honorant la mémoire des Républicains Espagnols sur la promenade principale longeant une immensité de sable,

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j’ai aussi trouvé cette stèle sur laquelle sont inscrits les noms des espagnols décédés dans le camp.

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Le drapeau républicain étendu ce jour là m’a fait plaisir à voir, il est un tel symbole !

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J’ai appris aussi que nous sommes très nombreux à ressentir ce besoin de mémoire à l’automne de notre vie, que nous avons si peu d’éléments pour reconstruire le «puzzle de notre généalogie». Bien que née sur le sol français je m’interroge car mes racines sont espagnoles. Dans ce pays qui a accueilli mes parents, sans qu’ils ne le désirent, je suis comme un arbre peu enraciné ne possédant que les branches de départ, celles de mon père et ma mère, la seule ascendance que j’ai connue. Je fais partie de cette première génération née sur ce sol français (et non déplacée par une quelconque force, pour l’instant), est-ce pour cela que je me sens mi-française, mi-espagnole ?

Et si la République avait été rétablie en Espagne avant les années 60, qui me dit que mes parents n’y seraient pas retournés, avec la «marmaille» qu’ils avaient constituée de l’autre côté des Pyrénées ?

La blessure de l’exil espagnol

Article de « La Nouvelle république » du 24 mars 2016.
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Mar-y-Luz Cariño-Lopez tient dans ses mains une photo de son père. Ce dernier a été décoré par De Gaulle pour sa participation à la libération de la France.

2016 marque les 80 ans de la guerre d’Espagne. Elle se conclut par l’exil de centaines de milliers de Républicains en France. Témoignage d’une Lochoise, fille d’un exilé qui a combattu aussi les nazis.

Longtemps, elle n’a rien su, ou presque, des épreuves de son père. Simplement qu’il avait déserté l’armée franquiste et fait la Seconde Guerre mondiale dans la 2e DB du maréchal Leclerc. Son père, Angel Rodriguez-Leira, n’en parlait jamais. Mais, en 2010, plus de trente ans après sa mort, Mar-y-Luz Cariño-Lopez en a appris bien davantage grâce à l’historien Robert Coale dans le cadre d’un hommage aux républicains espagnols : « J’ai pris un coup de poing à la figure ».

Cette habitante de Ferrière-sur-Beaulieu porte le prénom que son père avait donné au canon de son tank qui défilera dans Paris libérée. Quant à son nom, Cariño-Lopez, c’est celui que son père s’est choisi, par sécurité, en 1943, en s’engageant dans les corps francs d’Afrique. Il renvoie au village espagnol où il est né en 1914 : Cariño. Dans ce port de Galice, il est marin pêcheur et adhérent au syndicat anarchiste CNT lorsqu’éclate le coup d’Etat nationaliste de Franco en 1936. Il est marié, père d’une petite fille, et son épouse attend un deuxième enfant, qui naîtra après son départ pour la guerre.

«  Continuer la lutte  »

Réquisitionné dans l’armée franquiste fin 1937-début 1938, Angel Rodriguez-Leira déserte et passe du côté des Républicains. Quand Madrid tombe aux mains de Franco fin mars 1939, son seul salut est de fuir l’Espagne par bateau depuis les environs d’Alicante. Avec d’autres Républicains, il traverse la Méditerrannée en chaloupe, à la rame. Accoste en Algérie française. Comme dans l’Hexagone, il va connaître, de l’âge de 25 ans à 28 ans, les camps où la France a parqué les Espagnols exilés. Il s’évade, mais est repris. « On lui a dit : soit vous rentrez dans la Légion étrangère, soit vous retournez chez Franco. » Ce qui signifiait l’envoyer à une mort presque certaine. Ce sera donc la Légion.
Il y reste huit mois, puis déserte une nouvelle fois le 27 juin 1943. Le lendemain, il signe dans les corps francs d’Afrique sous sa nouvelle identité. Rapidement, il intègre, au sein de la 2e DB, « la nueve », une compagnie majoritairement composée de Républicains espagnols. « Ils n’avaient qu’une idée en tête : continuer la lutte. » Et, au bout de la victoire des Alliés, reprendre l’Espagne aux Franquistes. Les espoirs d’Angel Rodriguez-Leira seront trahis. Jamais les alliés n’ont envisagé de renverser Franco pour y réinstaurer la République.
En France, l’exilé espagnol fondera une nouvelle famille, sans jamais oublier la première. Mais il ne reverra pas l’Espagne.

Pierre Calmeilles

FRAGMENTS DE MÉMOIRE 11

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Sont reproduits ici les textes qui ont été mis en voix par la Compagnie Cano López le 20 novembre 2015 au Plessis-Théâtres  à  La Riche (Indre-et-Loire).

Souvenirs perdus.

 C’est en Espagne que ma génération a appris que l’on peut avoir raison et être vaincu, que la force peut détruire l’âme et que, parfois, le courage n’obtient pas de récompense. C’est, sans aucun doute, ce qui explique pourquoi tant d’hommes à travers le monde considèrent le drame espagnol comme étant une tragédie personnelle, la dernière grande cause.

 Ma chère petite maman, voici ce que dénonçait Albert Camus dans l’un de ses textes. Tu as vécu dans ta propre chair cette tragédie quand, dans la rigueur du froid de février 1939, traversant à pied avec tant d’autres la frontière de Cerbère, tu cherchais un refuge, refuge qui sera ton exil, exil qui sera ta patrie. Tu avais 16 ans.

Je sais trop peu de choses sur ton passé, la maladie armée de sa faux m’a privé de ta voix. Tu n’avais pas encore 45 ans. Je vivais alors ma jeunesse dans l’insouciance du présent, dans l’exaltation et la liberté des barricades, je ne pensais qu’à l’avenir, je n’étais pas curieux du passé, TON passé. Aujourd’hui, à l’automne de ma vie, je me retourne, et derrière moi je fouille dans mes souvenirs. Je cherche, en vain, mes racines, je cherche en vain à reconstruire ton histoire, à deviner ton parcours.

De ce petit village d’Aragon où tu es née, Paracuellos de la Ribera, on t’envoie en Catalogne vivre chez une tante car ton père, jeune veuf, ne peut s’occuper seul de ses trois enfants.

Puis la Catalogne tombe sous le feu des troupes rebelles. Vient alors ce que nous appelons la Retirada.

Mais pourquoi étais-tu seule quand tu as traversé la frontière ? Où était ta famille ? Que s’est-il passé ?

Et comment as-tu vécu, seule, cet exode, et qui t’a ensuite recueilli ?

Je n’ai qu’une seule trace de ton passage, celle du 18 octobre 1939, dans un camp pour réfugiés étrangers près de Bourges. Le registre indique ton nom, Carmen Lite Gracia, ta date de naissance et ta profession : « bonne ».

Toi ne parlant pas le français, toi analphabète, toi étrangère indésirable, comment as-tu vécu dans la France de Pétain ? 

Puis tu aurais résidé quelques années en Alsace. Pourquoi ?

Et puis ensuite à Paris. Pourquoi ?

A la libération de la France, celui qui sera mon père épouse la belle espagnole, tu étais fière en effet d’avoir gagné un prix de beauté dans une fête locale. Ça, je m’en souviens…

Pourquoi n’ai-je pas été curieux, pourquoi tant de négligence, pourquoi, maman, ne pas m’avoir dévoilé un peu plus de ta vie ? Serait-ce par pudeur, pour ne pas troubler mon innocence ? Papa n’est plus là depuis trop longtemps pour me parler de toi.

Je ne serais pas né sans cette guerre civile, serais-je alors un « enfant illégitime du franquisme » ?

Je sais au moins une chose : la monarchie, imposée par un dictateur, est doublement injustifiable.

 

Et nous avions le rêve illusoire de juger l’imposteur, de lui  demander des comptes !

Mais… le juger, aurait signifié le présumer innocent… il est mort coupable.

 

Maintenant nous réclamons simplement justice et réparation, nous devons recouvrer ce que le peuple espagnol avait choisi librement.

La République, qui fut trahie, poignardée, abandonnée, nous te la devons maman, saches que, contrairement à ce que l’on prétend, nous ne sommes pas vaincus car, comme l’écrivait bien justement le dramaturge Fernando de Rojas : No es vencido sino el que quiere serlo. (*)
« N’est vaincu qui croit l’être. »

 

 Pardonner ??

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********

 

 

 

 

Oui…

 Mais avec la volonté de résipiscence de la part des bourreaux, c’est-à-dire qu’il leur faut reconnaître leur faute et s’amender, c’est le prix de la réconciliation. En effet, il n’y a pas de pardon sans justice et justice n’est pas vengeance car alors de victimes nous deviendrions bourreaux. Oui, la justice existe, sinon quelle serait la différence entre victimes et coupables ? Cependant, nous savons que « le pardon rature, il n’efface pas » (**), seule la vérité reste. Nous veillerons, moi et ma descendance, à  transmettre ta mémoire et celle de tes compatriotes, ces martyrs, ces déracinés et ce, jusqu’à ma fin, c’est un devoir, une mission pour moi, ma résilience, car oublier ce drame signifierait qu’il n’a pas existé.

 

En définitive, que me reste-t-il de toi, maman ?

Des lambeaux de souvenirs, un joli et tendre sourire, de beaux yeux marron attentifs et protecteurs…

La frustration du manque est immense, cruelle, car mes questions resteront à jamais une énigme sans réponses, à JAMAIS.

 

¡ Salud y República !

  

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Je peux vivre ailleurs mais j’aurai toujours la conviction que je suis en exil.
Albert Camus (1913-1960)

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Caminante, son tus huellas
el camino y nada más;
Caminante, no hay camino,
se hace camino al andar.
Al andar se hace el camino,
y al volver la vista atrás
se ve la senda que nunca
se ha de volver a pisar.
Caminante no hay camino
sino estelas en la mar.

Antonio Machado (1875 – Collioure, 22 février 1939)

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Dicen que al morir le hallaron España dentro del pecho.
Juan Rejano (1903-1976)

Jean-Claude Vanhille Lite

 

(*) Fernando de Rojas, La Celestina (Melibée répondant à la Célestine, Acte IV).

(**) Robert Sabatier, Le livre de la raison souriante.

FRAGMENTS DE MÉMOIRE 10

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Sont reproduits ici les textes qui ont été mis en voix par la Compagnie Cano López le 20 novembre 2015 au Plessis-Théâtres  à  La Riche (Indre-et-Loire).

Un  » abric »

Cette histoire m’a été racontée par ma mère  Je ne peux pas donner de date exacte mais je pense que je peux la situer au cours de l’hiver 1940.

« Il fait froid. Les hivers sont rudes en Creuse, très rudes même pour ces jeunes femmes  trimballées d’un camp à l’autre au bon vouloir des autorités

Paquita, (c’est ma maman mais on ne se connait pas encore) marche à pas lents, seule, certainement triste en pensant au petit garçon de 6 ans qu’elle a laissé là-bas, dans sa Catalogne, pour ne pas qu’il souffre dans un voyage improbable. Elle pense aussi à son cher mari, Juan, interné dans un autre camp.

En marchant, elle s’est approchée des limites du camp et voit un brave homme qui la regarde gentiment et la salue et tente de communiquer avec elle. Pas facile quand on ne parle pas la même langue. Elle finit par comprendre que cet homme lui apportera une brique pour qu’elle puisse se réchauffer les pieds.

Toute contente elle s’en va le dire à ses compagnes, Juana Font et la « mallorquina « ,

Le lendemain elle retrouve le bon monsieur qui lui remet un paquet entouré de papier journal.

Déception. C’est une brique.

En catalan un « abric » signifie manteau. »

Cette anecdote pas vraiment guerrière m’a toujours amusé et si tu peux en faire  quelque chose je serai ravi.

 Tony Torne

FRAGMENTS DE MÉMOIRE 9

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Sont reproduits ici les textes qui ont été mis en voix par la Compagnie Cano López le 20 novembre 2015 au Plessis-Théâtres  à  La Riche (Indre-et-Loire).

Emilio

 

C’était une photo prise sur la sierra, à quelques encablures de Saragosse. Deux jeunes servants posant à l’ombre d’un canon.

Ces hommes appartenaient à la colonne Ortiz, une formation de miliciens anarchistes, qui marchait avec ceux de la colonne Durutti en direction de Belchite afin de tenter d’écraser les troupes franquistes qui s’étaient emparées de la région et qui en profitaient pour exécuter, par milliers, les militant-e-s ouvriers qui tombaient sous leur coupe.

Une soixantaine d’années après, j’ai rencontré un de ces deux là. Emilio, à peine sorti de l’adolescence, s’était rué, comme une grande partie du peuple d’Espagne dans la révolution naissante, ce bref été de l’anarchie, qui va bousculer l’ordre établi durant quelques mois et faire entrevoir la possibilité d’un monde nouveau, ouvert au possible, émancipé des totalitarismes et de l’oppression.

De ces quelques mois, qui l’ont marqué à vie, il en gardait la flamme qui pétillait dans ses yeux lorsqu’il me parlait de ces instants magiques, des ses combats contre les fascistes et les staliniens,  de la beauté de l’Espagne libertaire.

Et puis, il s’assombrissait soudainement, lorsqu’il invoquait l’exil, les camps de concentration de la France républicaine, la dureté du camp du Vernet, les compagnons qui  avaient  disparu morts de canonnades,  de maladies, de trahisons, d’exil et de désespoirs…

Et pourtant la geste libertaire qui l’avait fait basculer dans la grande histoire le tenait toujours debout, humble et joyeux d’avoir vécu tout cela et désirant toujours l’écrire à l’encre du possible.

 Eric Sionneau

FRAGMENTS DE MÉMOIRE 8

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Sont reproduits ici les textes qui ont été mis en voix par la Compagnie Cano López le 20 novembre 2015 au Plessis-Théâtres  à  La Riche (Indre-et-Loire).

Un curé révolutionnaire !

Quand j’étais jeune (8-12 ans), j’ai eu l’occasion d’aller quelques fois en Espagne, en Catalogne, avec ma mère et ma sœur voir quelques membres de sa famille qui étaient restés là-bas à la fin de la guerre civile et qui continuaient à avoir quelques contacts avec ma mère.

Nous y allions sans mon père, ancien de la CNT marqué « d’une croix rouge » qui ne pouvait s’y rendre sans prendre le risque de représailles certaines.

Ma mère, Sofia, était catalane originaire de Rubi près de Barcelone. Elle avait un oncle curé (le frère de sa mère, ma grand-mère maternelle, l’avia en catalan) qui vivait à Vilasar-de-Mar, une station balnéaire un peu au nord de Barcelone.

Il s’appelait Monseigneur Jean Rebull (Mosèn Joan en catalan).

Il habitait une assez jolie maison blanche, en centre-ville, avec un petit jardin qui comportait en son centre un puits et une sorte de fontaine recouverte de plantes et de mousse d’où coulait un filet d’eau permanent.

Contrairement à la plupart des ecclésiastiques espagnols, Mosèn Joan, qui avait une forte et virulente personnalité, avait pris le parti de défendre la République dès le début de la guerre civile, et avait caché et défendu des républicains.

Cela lui valut d’être emprisonné dans une prison de la banlieue de Barcelone, torturé et condamné à mort par les franquistes.

Un jour, appelé à donner l’extrême onction à un prisonnier qui mourrait, il a réussi à s’évader de la prison.

Il s’est ensuite caché dans sa propre maison, au fond de son puits, pendant un mois.

N’imaginant pas qu’il soit retourné chez lui, la guardia civil ne l’a pas trouvé.

Des habitants du village lui apportaient en cachette de la nourriture.

Le temps passant, il a réapparu et a réussi à bénéficier d’une sorte d’amnistie. Il faut dire qu’il était également diacre au célèbre monastère de Montserrat et qu’il jouissait d’une certaine notoriété.

Quand nous allions le voir, dans les années qui précédèrent la mort de Franco, pour bien marquer sa liberté de penser, il ouvrait grand les fenêtres de sa maison et il mettait à fond la musique de « La Santa Espina », sardane emblématique des Catalans, interdite sous les dictatures de Primo de Rivera et de Franco.

Sa vieille servante se mettait alors à le disputer car elle craignait toujours des représailles de la guardia civil.

 

Georges Pares

 

La Santa Espina :

https://www.youtube.com/watch?v=48_yGM4e164

https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Santa_Espina

Une rue de Vilasar-de-Mar porte le nom de Mosen Juan Rebull.

 

 

FRAGMENTS DE MÉMOIRE 7

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Sont reproduits ici les textes qui ont été mis en voix par la Compagnie Cano López le 20 novembre 2015 au Plessis-Théâtres  à  La Riche (Indre-et-Loire).

Sur la plage d’Argelès-sur-Mer

Je suis une fille de la « retirada », la retraite ou l’exode des espagnols qui fuyaient le fascisme à la fin d’une guerre civile de près de 3 ans. Je suis fière d’avoir du sang espagnol qui coule dans mes veines, sang mêlé de celui d’un « rouge », mon père, et celui d’une petite orpheline, élevée chez les sœurs à cornettes, ma mère, orpheline dès l’âge de 2 ans.

Rien n’était fait pour qu’ils se rencontrent, sauf, hélas, qu’une guerre civile n’éclate en Espagne, leur pays, et ne se termine que par un exil forcé, ici en France, où ils se « trouvèrent ».

Ma mère était une jeune fille de 20 ans lorsqu’elle a « échoué », comme des centaines de milliers de ses compatriotes, sur la plage d’Argelès-sur-Mer. Les autorités françaises avaient « prévu » leur accueil sur cette plage en la délimitant par des fils de fer barbelés, la mer représentant un côté « naturel », le tout sous surveillance policière armée très importante. Ils ont été parqués dans ce camp de concentration à partir du mois de février 1939, un hiver qui fut particulièrement rigoureux. Ils étaient « logés » à même le sable si froid, rien n’avait été prévu pour l’hygiène, les soins médicaux…

C’était inhumain au possible, il y eut beaucoup de morts, surtout des enfants.

Papa, bien entendu, va se battre avec ses compagnons d’infortune, pour tenter de libérer son pays du joug fascisant, il fallait empêcher qu’il ne revienne entre les mains de ce dictateur, Franco.

Les « rouges » assiégeaient les églises, couvents… tout ce qu’ils haïssaient car, pour eux, cela représentait de grandes richesses qui n’étaient pas distribuées aux pauvres. Nombreux étaient anticléricaux  et leur souhait, ou leur idéal, était d’obtenir davantage de justice sociale. Maman qui était élevée dans un couvent se souvenait bien de l’arrivée de ces « rouges » qui saccageaient tout mais l’image la plus marquante pour elle fut celle de fœtus qui étaient entassés dans un placard (et oui il y avait de temps en temps des petites soirées libertines organisées entre les sœurs et les curés du monastère voisin qui empruntaient le souterrain reliant les 2 endroits).

Comme dans toute révolte, cela s’est fait dans le sang, Picasso en a rendu l’un de ses tableaux fort célèbre « Guernica ». Des poètes, des écrivains, des « internationaux » prenaient parti pour leur lutte qu’ils trouvaient juste. Franco les traquait, les torturait, les emprisonnait, ou les tuait froidement, tout en récitant ses prières matinales.

Franco avait fait alliance avec Hitler et Mussolini, les appels des républicains espagnols ne furent pas entendus par la France et la Grande-Bretagne. Pourtant, c’était bien là le signal d’une grande guerre qui devint mondiale et la création de camps d’extermination en masse, par la folie d’un autre dictateur qui voulait se créer un Empire, Hitler.

L’exil est le plus souvent forcé pour la plupart des peuples, il n’est jamais fait avec plaisir. Mes parents l’ont adopté de force puisque le Général Franco a dirigé de façon atroce l’Espagne jusqu’en 1975, papa étant décédé 10 ans auparavant. Il n’a jamais pu revoir sa « mère-patrie », il savait très bien que s’il remettait les pieds en Espagne, il risquait de se retrouver en prison, torturé ou assassiné.

J’ai vécu, petite, les sarcasmes des camarades de classe, comme quoi je mangeais le pain des français, ce que je ne comprenais pas à l’époque. Aujourd’hui encore je suis une indignée, je ne supporte pas les relents racistes extrémistes, j’ai même honte des prises de position politique de certains de mes frères et sœur actuellement.

J’ai atteint l’âge auquel papa est parti pour toujours, il me reste un manque énorme de lui. En effet je n’avais que 15 ans et à cet âge je n’avais pas ressenti ce besoin de parler avec lui de sa vie d’avant l’exil, de son Amour pour l’Espagne, de sa lutte contre le fascisme, là-bas, ou ici en France.

De lui, je me souviens d’énormes jurons espagnols, souvent anticléricaux et de chants comme « Ay Carmela » quand un groupe d’amis étaient réunis et que l’anisette coulait si joyeusement dans leurs gosiers. J’ai l’impression d’avoir des racines peu profondes car je n’ai jamais connu de grands-parents. C’est la 1ère fois cet été où j’ai foulé les terres aragonaises qui l’ont vu naître, travailler la terre, connaître la République, malheureusement fragile, et quitter son pays après avoir  lutté avec peu de moyens pour la Liberté. Je n’ai retrouvé aucune trace familiale mais j’ai parfois entendu les jurons qu’il avait tendance à prononcer assez souvent, jurons toujours en vigueur. Je n’ai pu que me rendre compte de l’hostilité de cette région si aride et m’imaginer comme la vie devait y être bien difficile. Que pouvaient faire ces pauvres bougres lors des combats contre l’armée de fascistes, très équipée ?

Je dis un grand MERCI à Papa et à Maman pour tout ce qu’ils ont fait pour nous après avoir subi tant d’horreurs.

 Mirabelle

FRAGMENTS DE MÉMOIRE 6

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Sont reproduits ici les textes qui ont été mis en voix par la Compagnie Cano López le 20 novembre 2015 au Plessis-Théâtres  à  La Riche (Indre-et-Loire).

Nous ne pouvons oublier…

 « Españoles, Franco ha muerto » Arias Navarro l’annonçait ainsi à la Télévision Espagnole le 20 novembre 1975. Les radios, les journaux du monde entier s’en faisaient l’écho.

Dans tous les foyers de Républicains Espagnols exilés la nouvelle fut accueillie comme un grand soulagement, l’anis coulait à flot, l’espoir pouvait enfin renaître. Dans le même message télévisé, celui qui fut ministre de l’intérieur et le dernier président du gouvernement franquiste, présentait aussi le successeur désigné par Franco, le futur roi, Juan Carlos 1er.  Trois chefs d’Etat assistaient à ses obsèques, le Prince Rainier III de Monaco, le roi Hussein de Jordanie et le dictateur chilien Augusto Pinochet, une belle brochette !

Deux jours après, devant les Cortes, le parlement espagnol, dans une cérémonie d’intronisation Juan Carlos prononçait ces mots « Un personnage exceptionnel entre dans l’Histoire. Le nom de Francisco Franco sera dorénavant  une référence dans la vie de l’Espagne et un fait historique qu’il faudra continuer de rappeler  pour comprendre les clefs de notre vie politique contemporaine. Je veux, avec respect et gratitude, évoquer le souvenir de ce personnage qui durant tant d’années à assumer la lourde responsabilité de conduire la direction de l’Etat. Je puiserai dans son souvenir les exigences, nécessaires à l’action et à la loyauté, pour assumer les fonctions au service de la Patrie. Ce sont les peuples grands et nobles qui savent se souvenir de ceux qui ont consacré leur vie au service d’un idéal. L’Espagne ne pourra jamais oublier celui qui comme soldat et Homme d’Etat, a consacré toute sa vie à son service. »

J’ai découvert ce discours, en espagnol, il y a seulement quelques semaines, envoyé par un de mes frères qui écrit un livre sur l’histoire de nos parents. J’ai cherché vainement sur internet une traduction française de ce texte. Rien ! Ces extraits, que je vous ai traduits, aident à mieux comprendre ce qui s’est passé par la suite. Certes pour ceux qui ont connu la période franquiste, et je suis de ceux là, il nous faut reconnaître que Juan Carlos, les différents partis politiques ont réussi à imposer un système démocratique, où les libertés individuelles et collectives ont été respectées, rien à voir avec le franquisme, je suis le premier à le dire. Mais il y a aujourd’hui de grandes remises en cause de ces libertés.

Nous ne pouvons oublier les tentatives de criminalisation de l’activité syndicale, avec la LEY MORDAZA, à forte connotation franquiste,  qui  imposera des amendes de 30.000 euros aux citoyens qui refusent de présenter les documents d’identité à la police, ou encore à ceux manifestant en soutien pour s’opposer aux expulsions de domicile  ou alors à celui qui prendrait et  montrerait sur le web des vidéos de violences policières… voilà le niveau de l’intention de cette loi.

Nous ne pouvons oublier que cette transition démocratique a tenté et continue d’effacer les crimes franquistes. 19 criminels de guerre franquistes devraient être jugés actuellement par le Tribunal de Buenos Aires en Argentine et le gouvernement Rajoy s’oppose à leur extradition, avec la bénédiction du roi Felipe VI, qui n’a pas ouvert la bouche sur cette question… qui ne dit mot, consent.

Nous ne pouvons oublier, Monsieur Felipe VI, que, si vous vous exhibiez à l’inauguration du jardin de la Nueve le 3 juin 2015 à Paris vous faisiez aussi interdire, un an plus tôt, le drapeau de la République espagnole lors de votre proclamation le 19 juin 2014 à Madrid, faisant procéder à plusieurs arrestations pour trouble à l’ordre public, par la seule présence de ces drapeaux, les faisant décrocher des balcons madrilènes. Des associations de Républicains vous l’ont dit haut et fort.

   – Ne pas oublier ! Tel est le maître mot qui a conduit à la création de notre association RETIRADA 37, pour faire vivre toutes les mémoires de ceux qui ont combattu le franquisme.

Merci à Lydie Salvayre, fille de Républicains, qui avec le prix Goncourt « Pas Pleurer » nous a fait revivre de drôles de souvenirs. Merci pour son mail envoyé à ma fille journaliste « Saluez votre père de ma part et dites-lui que tous les enfants de républicains que je rencontre à l’occasion de la sortie de Pas Pleurer me disent tous qu’ils ont toujours le poing serré. » Soyons rassemblés et gardons bien haut le poing serré pour que revive l’Espoir, pour que revive la República. ¡NO PASARAN !                                           

Luis Lopez

FRAGMENTS DE MÉMOIRE 5

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Sont reproduits ici les textes qui ont été mis en voix par la Compagnie Cano López le 20 novembre 2015 au Plessis-Théâtres  à  La Riche (Indre-et-Loire).

« Tuntún ¿Quién llama a la puerta ? »

 

Comptine chantée dans les cours d’école (années 40) « Tuntún ¿Quién llama a la puerta ? Es la policía … Tuntún ¡me van a matar ! »

 

Pendant les bombardements, elle a pris le train avec sa sœur aînée et sa mère pour se réfugier en France. Comme elle était la plus petite, mon grand-père avait dissimulé des billets dans sa chaussette pour que sa famille ait un peu d’argent. Quand ma grand-mère a trouvé les billets elle était furieuse car il était interdit de sortir des billets d’Espagne et elles auraient risqué une arrestation. De toutes façons, les franquistes une fois au pouvoir, ont décrété que la monnaie républicaine n’aurait plus cours et ne valait plus rien.

Elles ont passé la guerre à Bezons (banlieue parisienne) chez des amis communistes (mes grands-parents étaient anarchistes). Là-bas, les amis René et Marcelle ont publié dans un journal (communiste je crois) le témoignage « de deux petites réfugiées de la guerre d »Espagne » que ma mère et ma tante avaient rédigé (Elles avaient entre 9 et 10 ans). Le but de cet article était de sensibiliser la population française à ce qu’il se passait en Espagne.

La République de 1931 avait permis que les élèves apprennent le catalan à l’école. Je conserve encore un livre d’alphabet de cette époque. Après la guerre, le catalan était interdit à l’école.

Dans le quartier de mes grands-parents il y avait un aviateur qui avait participé aux bombardements de Barcelone sous les ordres de Franco. Il avait bombardé le quartier de Gracia et du Guinardó. La guerre terminée il avait continué d’habiter près de la Sagrada Familia. Mais il ne sortait guère de sa maison car les gens savaient ce qu’il avait fait, et même s’il était dans le camp des vainqueurs,  il y avait de l’animosité contre lui.

 Sylvie Dulos