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RAMON RUFAT LLOP : « DANS LES PRISONS D’ESPAGNE ».

Ramón Rufat Llop (Maella, 28 décembre 1916 – Villanueva et Geltrú, 3 novembre 1993) était un anarchosyndicaliste, agent des services secrets républicains et combattant antifranquiste.

Fils d’un maçon aragonais, sa mère est morte de la grippe de 1918 quand il avait 20 mois. En 1926, il a été envoyé pour suivre l’enseignement gratuit à Calanda (Teruel). Peu avant les élections de février 1936, il adhère à la jeunesse libertaire.

Au début de la guerre civile, il s’est rendu à Barcelone en juillet 1936 pour rejoindre la colonne DURRUTI des miliciens de la Confédération nationale du travail (CNT) avec le projet de libération de Saragosse. Il a été l’un des fondateurs, en octobre 1936, de « Los Fijos de la Nuit » – un groupe spécial devenu en 1937 le Service d’information spéciale périphérique (SIEP) sur les fronts de l’Aragon -, étant l’un des membres les plus éminents.

Entre octobre 1936 et décembre 1938, il a effectué plus de 50 missions de pénétration profonde derrière les lignes ennemies en Aragon et en Catalogne. Il recueille des informations en se faisant passer pour un officier du camp révolté. Petit à petit, il constitue et anime un vaste réseau d’agents. Ses informations ont contribué aux tentatives d’assassinat de Francisco Franco à Salamanque en janvier 1937 et aux funérailles d’Emilio Mola en juin 1937. Sur le front de Levante, les informations qu’il a fournies à l’armée républicaine ont été cruciales pour les offensives de Saragosse (octobre 1936 et août 1937), la bataille de Belchite (septembre 1937), la bataille de Teruel (décembre 1937), l’offensive d’Aragon (mars 1938), puis la Bataille de l’Èbre (juillet 1938).

Il a été dénoncé et capturé par les troupes franquistes alors qu’il traversait le fleuve Turia (Guadalaviar) dans la Sierra de Albarracín au début de l’offensive de Catalogne le 18 décembre 1938.
Le 4 mars 1939, il a été condamné à deux condamnations à mort, l’une pour « espionnage » et l’autre pour « perversité » en raison de son activité politique. En septembre 1940, la Croix-Rouge belge a fourni à l’Espagne un bateau de nourriture en échange d’une liste de 100 personnes à pardonner. Rufat était en haut de la liste et sa sentence a été changée à perpétuité. Après avoir traversé plusieurs camps de concentration tels que Santa Eulalia del Campo, Calatayud, Torrero, Yeserías et exercices d’exécution, Rufat réussit à falsifier son dossier carcéral et à sortir de prison le 10 août 1944.

Le même jour, il s’est rendu directement au Comité national du CNT, avec lequel il avait été en contact pendant son incarcération. Il est immédiatement nommé vice-secrétaire du Mouvement libertaire (ML), organisme de coordination regroupant la Confédération nationale du travail (CNT), la Fédération anarchiste ibérique (FIA) et la Fédération ibérique des jeunes libertaires (FIJL).

Également responsable de la propagande, il a relancé les publications clandestines de la résistance interne du Mouvement libertaire et du CNT, notamment Solidarité Ouvrière, Fragua Sociale et Terre et Liberté, qui avaient été interdites. En juillet 1945, le CNT-ML (intérieur) organise son congrès national à Carabaña (autour de Madrid) avec de nombreux délégués régionaux et réaffirme la ligne d’union antifasciste. Cela se reflète dans sa participation à l’Alliance nationale des forces démocratiques (ANFD) et la désignation d’Horacio Prieto et de José Exposito Leiva comme représentants du CNT au gouvernement républicain en exil de José Giral. C’est l' »âge d’or » de la résistance anarchiste au régime de Franco, avec une large diffusion de la presse clandestine dans toutes les régions, les premières grèves importantes en 1945 à Barcelone puis à Vizcaya, les premières manifestations, puis la reprise de la guérilla urbaine, notamment avec des attaques de banque.

Après l’arrestation de Siegfrido Catalá Tineo, Rufat est élu secrétaire général du CNT. La lutte révolutionnaire dans la clandestinité s’est poursuivie jusqu’à ce qu’il soit arrêté en même temps que la majorité du neuvième Comité national du CNT le 6 octobre 1945 à Madrid par la Brigade Politico-Sociale franquiste.

Rufat a été condamné par la cour martiale du 21 mars 1947 à 20 ans de prison. Il a été interrogé et torturé à Madrid puis emprisonné dans les prisons d’Alcalá de Henares, Ocaña, puis 11 ans à El Dueso. Jusqu’à sept comités nationaux successifs du CNT seront simultanément emprisonnés à la prison d’Ocaña. La résistance anarchiste continue de s’organiser de l’intérieur des prisons franquistes. Obtenant sa liberté provisoire en 1958, 20 ans après son arrestation en 1938, il s’est échappé pour commencer une nouvelle vie en France.

En France, il a travaillé pour l’Office des réfugiés politiques (OFPRA) du Ministère des affaires étrangères. A participé à la création des revues Polémica et Anthropos et publié dans plusieurs autres revues en français et espagnol. De retour à Barcelone en 1976, après la mort de Franco, il découvre que selon les archives, il avait été fusillé deux fois, en 1938 et 1940. Il aurait du mal à faire reconnaître aux nouvelles institutions démocratiques qu’il est toujours en vie malgré ses activités clandestines. Cela l’a amené à consacrer la fin de sa vie à écrire « l’histoire des vaincus », notamment en collaboration avec la Bibliothèque internationale de documentation contemporaine (BDIC) de l’Université de Nanterre. Beaucoup de ses manuscrits, textes et mémoires restent inédits ou non traduits, bien qu’il ait remporté le premier prix Juan García Durán en 1986.

Archives OFPRA : ouverture anticipée des fiches des exilés espagnols

La publication au Journal officiel de l’arrêté du 3 juillet 2025 marque une avancée décisive dans l’accès aux archives des réfugiés espagnols. Ce texte autorise la consultation et la reproduction par toute personne intéressée d’environ 200.000 fiches individuelles conservées par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Ces fiches concernent les ressortissants espagnols ayant sollicité la protection de la France entre le 30 mai 1945 et le 29 décembre 1978, date de l’entrée en vigueur de la Constitution espagnole, tournant symbolique de la sortie de la dictature franquiste.

Jusqu’à présent, une partie de ces fiches n’était pas communicable en raison de la présence d’informations administratives sensibles, notamment sur la délivrance de titres de séjour ou les engagements politiques des intéressés. Le droit français imposait un délai de cinquante ans à compter du dernier document présent dans chaque dossier, ce qui repoussait souvent l’échéance à 2031, voire au-delà. Il fallait obtenir une dérogation pour pouvoir les consulter.

Dès mars 2023, Aline Angoustures, cheffe de la mission Histoire et Exploitation des archives à l’Ofpra, évoquait dans une interview à la Revue française de Généalogie la nécessité d’une dérogation générale, soulignant l’absence de risques pour les descendants et l’intérêt mémoriel de ces documents. Elle rappelait que de nombreux réfugiés espagnols avaient participé à la Résistance, et que leurs parcours relevaient d’une mémoire démocratique européenne, au-delà de la seule histoire espagnole.

L’arrêté du 3 juillet répond ainsi à une double ambition : satisfaire une demande croissante d’accès à ces archives pour des recherches historiques, généalogiques ou universitaires, et s’inscrire dans le cadre de la loi espagnole du 19 octobre 2022 sur la mémoire démocratique. Ce texte garantit un droit d’accès libre, gratuit et universel aux archives relatives à la dictature franquiste et à l’exil.

L’ouverture des fiches françaises complète le vaste chantier lancé par l’OFPRA en partenariat avec le ministère de la Culture espagnol, dans le cadre d’une convention signée en juin 2024. Ce programme prévoit la numérisation, l’indexation et à terme la mise en ligne de milliers de dossiers constitués à l’arrivée des exilés espagnols en France. La consultation en ligne de de cette masse d’archives considérable sera possible avant la fin de l’année 2025, la numérisation étant toujours en cours.

Récemment, l’OFPRA a signé une convention avec les Archives de France qui l’autorise à conserver et à gérer ses archives, sans être obligés de les verser aux Archives nationales.

https://www.rfgenealogie.com/infos/archives-ofpra-ouverture-anticipee-des-fiches-des-exiles-espagnols?sfnsn=scwspwa&fbclid=IwdGRzaANa-yFjbGNrA1r7AWV4dG4DYWVtAjExAAEebzcLmanE_nM_t1zeG5kAyF8D26JBIrA78VvAWrjtUuQ1EsYxGlDaf-xtmRM_aem_HgYMDPuCkeumuWSDGXKKwQ&sfnsn=scwspmo

À Paris, un centre mémoire sur l’Espagne républicaine, antifasciste et libertaire va bientôt voir le jour

Ça y est les travaux ont débuté au 33 rue des Vignoles

Des travaux de grande ampleur ont commencé afin que les nouveaux locaux correspondent aux normes actuelles d’isolation thermique et phonique, d’accueil du public, de sécurité incendie etc.

Cette réhabilitation gardera la mémoire de l’Espagne républicaine, on y reviendra, mais aussi celle de ce quartier faubourien où les ateliers industriels étaient nombreux jusqu’aux années 70 du siècle passé. En effet les travaux menés par la Ville de Paris, propriétaire des lieux, en accord avec l’association Les Pas Sages, porteuse du bail, permettront de garder l’esprit du lieu, industriel, ouvrier, révolutionnaire.

En effet, l’état d’esprit sera conservé aussi parce que les anciens occupants reviendront. L’association Flamenco en France, les artistes, la CNT de France, les tout derniers exilés de Février 1939 et leurs descendants, seront renforcés par l’arrivée de l’association 24 Aout 1944, en charge de réaliser ce Centre mémoire.

La tâche est immense. Car si nous avons beaucoup de choses en tête, il va falloir les transformer concrètement, pour qu’un public large, néophyte ou connaisseur puisse trouver des informations, des textes, des photos, des objets, des personnages, des organisations et associations qui témoignent de la vigueur de cet exil exceptionnel par sa combativité et sa longévité forcée malgré les vents contraires permanents qu’il a dû subir entre 1939 et 1975.

Il s’agira surtout d’évoquer l’exil car le Centre est à Paris. Comme pour tout exil l’évocation du pays d’origine et les évènements qui y sont liés seront évoqués.

Paris, la libération de Paris, avec « La Nueve » sera inévitablement au centre de ce centre. Mais parce que les républicains espagnols ont participé au combat antinazi aussi dans la résistance et au camp de Mauthausen, une partie de l’espace devrait s’intituler : « Les républicains espagnols dans la Seconde Guerre mondiale ».

L’autre partie concernera la longue bataille inégale que les dizaines de milliers réfugiés livrèrent pour continuer le combat contre Franco de 1945 à 1975. Leurs organisations politiques et syndicales, leurs multiples activités culturelles et de solidarité, leur mémoire de la guerre d’Espagne et de la révolution libertaire, leurs efforts pour construire une nouvelle vie… et bien d’autres thèmes encore.

Comme vous pouvez vous en rendre compte, notre ambition est importante. Nous ne pouvons à nous seuls entreprendre une telle démarche. Dans cette entreprise, nous sommes entourés par les nombreux amis de la mémoire de la Nueve et de l’exil républicain en général.

Mais dans le fond, vous, lectrice ou lecteur de ces lignes, avez peut-être des photos, des objets, des journaux, des affiches que vous verriez bien illustrer la vie de vos parents et grands-parents exilés et qui pourraient trouver leur place dans ce centre (originaux ou reproductions que nous pouvons réaliser). N’hésitez pas à rentrer en contact avec nous pour en parler.

Ce centre verra le jour vraisemblablement fin 2026. Il reste un peu plus d’un an pour aboutir à ce que la mémoire de l’exil républicain espagnol continue de vivre contre vents et marée.

Association 24 Aout 1944.

Spanish Bombs

Spanish Bombs est une chanson du groupe britannique The Clash, parue en 1979 sur l’album London Calling. Le morceau composé par Mick Jones et Joe Strummer fait allusion à la guerre d’Espagne qui fit rage de 1936 à 1939. Il s’agit d’une des nombreuses chansons à teneur politique enregistrée par le groupe au cours de sa carrière.

Spanish Bombs traite de la guerre d’Espagne, un conflit important qui dévasta l’Espagne du 17 juillet 1936 au 1er avril 1939. Elle a été écrite lors d’un trajet des studios Wessex jusque chez eux quand Joe Strummer parlait avec Gaby Salter de l’ETA, l’organisation armée séparatiste basque fondée en 1959.

La chanson loue l’héroïsme des républicains et des anarchistes en particulier, durant cette période.

Beaucoup de lieux et d’acteurs associés à la guerre civile espagnole sont mentionnés dans les paroles de la chanson :

l’Andalousie, qui fut une des premières régions de l’Espagne à être prise par les rebelles militaires en 1936, avec les lignes « Spanish songs in Andalucia, the shooting sites in the days of ’39 »,

Federico García Lorca, nommé dans « Federico Lorca is dead and gone », était un poète républicain originaire d’Andalousie qui a été tué pendant la rébellion.

la Garde civile (en espagnol « Guardia civil »), qui est une police militaire sous le contrôle tant du Ministère d’Intérieur que du Ministère de la Défense.

Le passage « They sing the red flag, they wore the black one » (Ils chantent le drapeau rouge, ils ont utilisé le noir) est une référence au drapeau rouge, symbole de la lutte des ouvriers, et au drapeau noir, celui des anarchistes. La confédération nationale du travail (CNT), le syndicat anarcho-syndicaliste grandement responsable du succès initial du côté républicain contre l’insurrection fasciste de général Francisco Franco, a aussi utilisé le drapeau rouge et noir de l’anarcho-communisme.

Combattants oubliés : volontaires anarchistes américains dans la guerre civile espagnole

Bien que beaucoup ait été écrit sur le bataillon Abraham Lincoln et les Brigades internationales (BI), un groupe de combattants volontaires dans la guerre civile espagnole a été presque entièrement négligé : les quelque 2 000 à 3 000 anarchistes étrangers qui ont rejoint les milices espagnoles ou les unités de l’IB. Parmi ceux-ci, entre 100 et 200 se sont rendus en Espagne en provenance des États-Unis, et ont souvent jamais regagné leur retour. Leurs motivations et leurs expériences différaient nettement de celles de la plupart des autres volontaires. Ils soulignent la nature multiforme du conflit espagnol ainsi que les réseaux transnationaux du mouvement anarchiste d’avant la Seconde Guerre mondiale.

Dans les années 1930, l’anarchisme – un mouvement socialiste anti-autoritaire qui visait à abolir à la fois le capitalisme et l’État – était en déclin dans une grande partie du monde, y compris aux États-Unis. En Espagne, cependant, il atteignait son apogée ; au déclenchement de la guerre civile, il y avait plus d’un million de membres enrôlés dans la confédération anarcho-syndicaliste de la Confédération nationale du Trabajo (CNT), la plus grande confédération ouvrière du pays. Lorsque les nationalistes ont lancé leur tentative de coup d’État en juillet 1936, des militants armés du CNT ont mené la résistance à Barcelone et dans d’autres parties du pays. Avec le gouvernement et l’économie espagnole dans le chaos dans les premiers mois de la guerre, les membres du CNT ont repris les usines et les fermes et les ont collectivés sous le contrôle des travailleurs, ont commencé à produire pour l’effort de guerre, ont formé et dirigé des milices pour freiner la marée fasciste. À Barcelone, en Aragon, et ailleurs, les anarchistes étaient de facto contrôlés. Ils ont tenté d’organiser à la fois l’économie et les milices de manière démocratique et horizontale, conformément à leurs idéaux.

Pour les camarades du CNT à l’étranger, il est apparu qu’en pleine guerre civile, l’Espagne subissait également une véritable révolution sociale. Beaucoup ont déclaré les deux entreprises inséparables, faisant valoir que le succès de cette révolution était la clé pour mobiliser les ressources et le moral nécessaires pour vaincre les forces de Franco. Les anarchistes aux États-Unis et ailleurs se sont précipités pour aider le CNT dans sa lutte contre le fascisme et son plaidoyer en faveur de la révolution – mais avec insistance à ne pas défendre le gouvernement espagnol du Front populaire, qu’ils considèrent comme au mieux incompétent, et au pire une menace pour la transformation révolutionnaire en cours.

Les événements dramatiques en Espagne ont revitalisé le mouvement anarchiste moribond de l’Amérique. L’anarchisme américain a toujours été un mouvement composé principalement d’immigrants. Il avait décliné depuis son époque du début du siècle face à la Première Guerre mondiale, à la peur Rouge d’après-guerre, aux restrictions à l’immigration et à la montée du communisme. Pourtant, il compte encore des milliers d’adeptes et de partisans, ont organisé environ des dizaines de groupes et des journaux multilingues dispersés dans tout le pays. Au début de la guerre civile espagnole, beaucoup de ces organes se sont réunis pour former les United Libertarian Organizations ou ULO, dans le but de soutenir les luttes des anarchistes en Espagne. (Le mot « libertaire » n’avait pas encore été approprié par les défenseurs de l’économie de marché de droite.) En août 1936, l’OLO a lancé le journal Spanish Revolution, avec un tirage qui a rapidement atteint 7 000 exemplaires, afin de collecter des fonds et de la connaissance des réalisations du CNT. Une « grande révolution libertaire est en préparation », écrit le journal ; « une révolution rompant avec tous les précédents et dépeignant une nouvelle voie pour l’humanité… La révolution espagnole prend rapidement une portée internationale. Son front de bataille s’étend à toutes les parties du monde. »

Au milieu de la Grande Dépression, l’OLO et des initiatives anarchistes similaires ont recueilli plus de 100 000 dollars pour le CNT. Ils ont également tenté d’aider les anarchistes espagnols à acquérir des armes désespérément nécessaires face au pacte de « non-agression » des puissances occidentales. La dernière cargaison d’armements pour quitter les États-Unis avant l’entrée en vigueur de l’embargo sur l’Espagne a été transportée à bord du Mar Cantobrico, qui a navigué le 6 janvier 1937. Sa cargaison comprenait également cinq immigrants anarchistes espagnols de retour. Cependant, la marine de Franco capture le navire et exécute l’équipage et les anarchistes à bord. Un autre effort a été entrepris par Bruno « l’americano » Bonturi, un anarchiste italien qui a vécu pendant de nombreuses années aux États-Unis et en Espagne. Après avoir servi dans une milice du CNT près de Grenade dans les premières semaines de la guerre, Bonturi est envoyé à New York pour tenter sans succès d’obtenir des armes des États-Unis. Certaines sources anarchistes, cependant, font allusion à des opérations à petite échelle qui ont introduit clandestinement des munitions d’Amérique à travers la France.

Pendant ce temps, des dizaines d’anarchistes se sont introduits clandestinement de l’autre côté de l’Atlantique et en Espagne. Mes recherches ont identifié 37 par leur nom, mais les sources indiquent qu’ils appartenaient à un groupe plus large de 100 à 200 volontaires. En Espagne, ils rejoignent des centaines d’autres combattants issus du mouvement anarchiste international. Les chiffres précis et les fichiers sont difficiles à établir, car ces volontaires ont voyagé en secret pour éviter d’éventuelles accusations en vertu de la loi sur la neutralité ou d’être empêchés de se réinstaller aux États-Unis. En outre, beaucoup ont évité les Brigades internationales contrôlées par les communistes en faveur des milices du CNT, au sujet desquelles il n’existe que peu de résultats. Néanmoins, le nombre de volontaires a été remarquable étant donné la détérioration de l’état des mouvements anarchistes de la plupart des pays et le fait que le CNT lui-même a découragé des volontaires étrangers de se joindre à la guerre, considérant qu’ils sont plus utiles en tant que défenseurs en son nom dans leur pays d’origine.

Les premiers volontaires anarchistes étrangers à arriver en Espagne étaient des exilés italiens en France, qui ont atteint Barcelone quelques jours après le soulèvement nationaliste et ont formé la section italienne de la colonne Ascaso du CNT. Parmi eux se trouvait Michele Centrone, âgé de 57 ans, un vétéran de la scène anarchiste de San Francisco avant sa déportation des États-Unis en 1920. Centrone est également l’une des premières victimes étrangères de la guerre civile espagnole, abattue lors du premier engagement de la section italienne le 28 août 1936, au Monte Pelado. Un éloge écrit par un autre volontaire et publié dans la presse anarchiste italienne a noté que Centrone n’était pas mort pour la défense de la République espagnole mais « était allé en Espagne pour se battre pour la Révolution sociale ».

Environ 50 anarchistes italiens américains ont suivi l’exemple de Centrone, y compris à la fois des résidents américains de longue date et des récents réfugiés d’Italie fasciste – de nombreux de ces derniers vétérans de la résistance armée à Mussolini. Un nombre inconnu, mais probablement similaire, d’immigrants espagnols, comme ceux à bord du Mar Cantobrico, sont également retournés dans leur pays d’origine (où ils sont pratiquement impossibles à distinguer des autres Espagnols dans les registres existants). Seulement deux douzaines de volontaires anarchistes « américains » étaient natifs, et la plupart appartenaient aux travailleurs de l’industrie du monde (IWW), un syndicat révolutionnaire qui tenait beaucoup en commun avec le CNT et, comme l’anarchisme en général, était très diminué par rapport à son ère de la Première Guerre mondiale. Un autre membre de l’IWW, l’immigrant irlandais Patrick Read, est devenu renommé au sein du bataillon Abraham Lincoln pour sa bravoure à la tête de son unité de transmissions.

Certains de ces volontaires sont arrivés quelques mois avant que les brigades internationales se soient matérialisées, y compris les Américains d’italien qui ont rejoint la colonne d’Asocho (Bruno Bonturi parmi eux). D’autres se sont joints au Groupe international de l’anarchiste Durruti Column, qui a pris part à la défense de Madrid. L’anarchiste de 19 ans, Douglas Clark Stearns, âgé de 19 ans, a été recruté par une unité organisée par le Parti travailliste indépendant alors qu’il suivait une école préparatoire en Angleterre, et a servi dans la même unité de milice que l’écrivain George Orwell avant de transférer au Batallin de la Muerte (battale de la mort) au sein de la colonne Ascaso du CNT, et a survécu à l’annihilation de cette unité. Au cours de l’hiver 1937, un groupe d’anarchistes italiens et espagnols dans l’État de New York a secrètement commencé une formation au vol en réponse à un appel du CNT pour les pilotes qualifiés, mais la moitié d’entre eux sont partis pour l’Espagne avant d’avoir terminé leurs leçons. Les informateurs du gouvernement italien ont également rapporté que Maria Giaconi, une anarchiste active dans la communauté minière italienne de Jessup, en Pennsylvanie, a passé plusieurs mois en Espagne à se battre avec une milice, ce qui ferait connaître sa seule Américaine à le faire.

Malgré leur aversion pour l’autoritarisme des communistes, d’autres anarchistes ont rejoint les brigades internationales, dont le recrutement était organisé par l’Internationale communiste, souvent parce que c’était leur seul moyen de se rendre en Espagne. Au moins cinq s’enrôlent dans le bataillon Abraham Lincoln, dont Patrick Read et le marin italien Guerrino Fonda, qui est parmi le premier groupe de volontaires de Lincoln à quitter New York en décembre 1936. Trois marins nés aux États-Unis se sont identifiés comme étant des anarchistes – Victorl Morris, Harry Owens et Raymond Elvis Ticer, tous membres de l’IWW – ont également signé. Les anarchistes italiens américains, en revanche, étaient plus confortables à s’inscrire dans le bataillon de Garibaldi, dont le commandant n’était pas communiste mais plutôt un antifasciste républicain qui entretenait de bonnes relations avec les anarchistes de son unité. Le bataillon Garibaldi participe également à la défense de Madrid, joue un rôle décisif dans la défaite des forces italiennes fournies par Mussolini à la bataille de Guadalajara, et combat dans la bataille de l’Ebre, où l’anarchiste italien américain Alvaro Ghiara est décoré pour bravoure. En outre, le marin anarchiste Giuseppe Esposito, qui a fui l’Italie fasciste aux États-Unis en 1925, a servi dans une unité médicale de l’IB, et un nombre inconnu de femmes anarchistes américaines ont servi d’infirmières sur les champs de bataille espagnols.

À certains égards, ces anarchistes ressemblaient aux volontaires américains du bataillon Lincoln. Les travailleurs maritimes, parmi lesquels l’anarchisme et le syndicalisme persistent dans les années 1930, ont été dominés par les deux groupes, et les travailleurs employés dans d’autres formes de travail mobile ou irrégulier étaient également bien représentés dans les deux. Mais la prépondérance des immigrants, y compris un certain nombre d’exilés antifascistes, parmi les anarchistes contrastait fortement avec le bataillon Lincoln, dont les membres étaient pour la plupart nés aux États-Unis. La domination des immigrants italiens et espagnols parmi les anarchistes a également fortement divergé de la démographie des Lincolns, parmi lesquels les enfants d’immigrants juifs d’Europe de l’Est étaient surreprésentés. Sans surprise, étant donné le succès du Parti communiste à attirer de jeunes radicaux, les anarchistes ont également faibli plus loin ; l’anarchiste moyen (entre ceux qui peuvent être identifiés) était dans son (ou son) à la fin de la trentaine et plusieurs étaient dans la cinquantaine. En revanche, près d’un cinquième des volontaires du bataillon Lincoln étaient des étudiants.

Les expériences des anarchistes en Espagne ont également considérablement divergé de celles d’autres volontaires américains. Les milices qu’ils préfèrent sont souvent jugées durement par les historiens pour leur désorganisation relative, leur manque d’expérience et de discipline, et un excès de démocratie apparent : il n’y avait pas de hiérarchie des officiers, pas de salutation, et les troupes ont élu leurs commandants et voté sur les tactiques à poursuivre (bien qu’une fois engagées dans la bataille, les miliciens étaient censés obéir aux ordres de leurs dirigeants élus). Cette structure était incompréhensible pour les observateurs militaires expérimentés et comportait un certain nombre de lacunes. Mais il a également incarné les idéaux du CNT en matière d’égalité, de liberté et de prise de décision collective de bas en haut, créant, comme George Orwell l’a observé dans Homage à la Catalogne, « une sorte de modèle de travail temporaire de la société sans classes ». Et quelles que soient leurs lacunes, ces milices étaient tout ce qui se situait entre Franco et la victoire pendant plus d’un an. Ce sont des milices anarchistes qui ont repris la moitié de l’Aragon pendant les premiers jours de la guerre dans ce qui était de prouver l’un des contre-offensives les plus réussis de l’ensemble du conflit.

Après que le gouvernement républicain s’est réaffirmé et a prescrit l’incorporation des milices dans l’armée régulière, avec une structure de commandement centralisée et une discipline militaire, les anarchistes étrangers étaient parmi ses adversaires les plus féroces, menaçant souvent de se retirer du front s’ils étaient soumis au nouveau système. Les étrangers avaient également tendance à être la plus critique vocale de la décision controversée du CNT d’entrer officiellement dans les gouvernements de Catalogne et de Madrid, abandonnant essentiellement son engagement en faveur de l’anti-statisme pour le bien de l’unité antifasciste, protégeant ses gains révolutionnaires et obtenant des armes adéquates pour ses troupes. La plupart des 200 membres italiens de la colonne Ascaso ont quitté le front pour protester en avril 1937 – mais seulement après avoir accepté de participer à une opération offensive au cours de laquelle neuf de ses membres ont péri et 43 blessés. La plupart étaient toujours prêts à se battre, mais selon leurs propres conditions. Après avoir atteint Barcelone, les membres de ce groupe forment une nouvelle unité anarchiste, le bataillon international de choc de la 26e thdivision (l’ancienne colonne de Durruti). Ses membres comprenaient Armando « Amerigo » Vecchietti, l’un des pilotes potentiels de New York, qui a été tué au combat en juin 1937 près de Teruel.

Au cours de l’époque de ce groupe à Barcelone, cependant, un conflit armé a éclaté au sein du camp républicain, dans une série d’événements connus sous le nom de May Days. Les tensions entre les anarchistes et le Parti communiste espagnol – qui augmentaient en taille et en influence en raison de l’aide de l’Union soviétique à l’Espagne républicaine – s’étaient rapidement intensifiées au cours de la première année de la guerre, tandis que le gouvernement de Catalogne s’est déplacé pour contenir l’influence du CNT. Lorsque les membres du CNT ont résisté à un effort de police pour les expulser du central téléphonique de Barcelone, les alliances intenables du Front populaire ont explosé dans les combats de rue, au cours desquels des anarchistes étrangers comme Vecchietti ont tenu les barricades dans un effort désespéré pour « défendre la révolution ». Les commandants du bataillon Garibaldi refusent même l’ordre de marcher sur Barcelone pour réprimer les anarchistes. Cinq jours de violence ont fait au moins 400 morts et sapé fatalement le CNT, dont les représentants ont été expulsés. Dans la vague de répression qui a suivi, les troupes de l’armée républicaine ont commencé à dissoudre les collectifs de CNT et des milliers de dissidents présumés et de provocateurs ont été arrêtés – certains volontaires américains parmi eux, y compris Bruno Bonturi. La révolution espagnole qui a suscité les espoirs des anarchistes à l’étranger n’est plus.

Les échos de cette purge ont atteint les brigades internationales, où les jours de mai ont été imputés aux agents fascistes parmi le CNT et ses alliés « trotskytes ». Patrick Read a été expulsé du bataillon de Lincoln pour avoir critiqué ses dirigeants communistes, et Virgil Morris a été discipliné à plusieurs reprises et emprisonné pour son attitude négative envers le commandement communiste et pour avoir tenté de déserter. Des rapports non étayés ont circulé aux États-Unis que d’autres anarchistes du bataillon Lincoln ont été exécutés ou tués après avoir été intentionnellement ordonnés dans des positions exposées. Cependant, Raymond Elvis Ticer, membre de l’IWW, anti-communiste, est promu sergent avant d’être blessé à Quinto.

Quoi qu’il en soit, la marée de la guerre s’était déjà retournée contre la République, et les anarchistes étrangers commençaient à quitter l’Espagne. Beaucoup ont été enfermés dans les camps de réfugiés français, plus tard pour être internés après l’occupation allemande. Au moins trois anarchistes italiens américains internés – Piietro Deiana, Alvaro Ghiara et Armando Rodriguez – ont été envoyés dans des camps de concentration nazis en Europe de l’Est, bien que tous les trois aient survécu jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Cependant, Rodriguez a dû fuir ses libérateurs soviétiques par peur de faire face au Goulag en tant qu’anarchiste et a fait son chemin vers l’Italie, tandis que Deiana a finalement fait son chemin vers les États-Unis.

D’autres, cependant, ont été empêchés de revenir en raison des statuts de l’immigration interdisant les anarchistes. Il s’agissait notamment de Bruno « l’americano » Bonturi, qui a été arrêté par les services de l’immigration et s’est finalement rendu au Chili avant de demander au gouvernement de Mussolini d’être autorisé à rejoindre sa femme et son enfant en Italie. Guerrino Fonda, l’un des premiers volontaires du bataillon Lincoln, s’échappe en interne en France et s’inclina sur un navire à New York en 1939, avant d’être détenu à Ellis Island pendant six mois avant de trouver refuge en Argentine. Quelques autres se sont introduits clandestinement par le Canada avec l’aide de faux passeports cubains fournis par des camarades. Mais même ceux qui le sont en retour n’ont pas nécessairement quitté le champ de bataille espagnol derrière eux ; le survivant de la Muerte Douglas Clark Stearns est retourné à New York en 1937, mais a souffert de dépression et d’anxiété qui a culminé avec le suicide.

Les luttes et les destin des volontaires anarchistes fournissent une perspective unique sur la guerre civile espagnole. Ils nous rappellent que le conflit n’a jamais été qu’il s’agit de combattre le fascisme ou de protéger la République espagnole, et que son contexte international, y compris les réseaux anarchistes transnationaux ainsi que la jockeion de l’Union soviétique et d’autres puissances dans la perspective de la Seconde Guerre mondiale. Le conflit espagnol s’est avéré être la dernière grande campagne du mouvement anarchiste américain, qui avait vu ses rêves d’un nouveau monde commencer à se matérialiser, même s’enfuyant, dans les champs d’Aragon et des usines de Barcelone, donnant à bon nombre de ses membres de bonnes raisons de risquer leur vie sur le sol étranger.

Par M. Kenyon zimmer

P.-S : Kenyon est professeur associé d’histoire à l’Université du Texas à Arlington et est l’auteur de « The Other Volunteers : American Anarchists and the Spanish Civil War, 1936-1939 », dans le Journal for the Study of Radicalism (Fall 2016) et le livre Immigrants against the State : Yiddish and Italian Anarchism in America (2015).

« Bluff », le dessinateur fusillé pour ses caricatures de Franco.

Le 28 juin 1940, le dessinateur Carlos Gómez Carrera « Bluff » a été fusillé, avec 30 autres condamnés, près du mur du cimetière de Paterna. Son crime : ses caricatures de Franco et ses dessins satiriques contre les insurgés.

Un auteur qui est aujourd’hui réhabilité (l’année dernière, une rue a été baptisée en son honneur à Valence), mais que la plupart d’entre nous continuons à ignorer. C’est pourquoi le livre « Bluff » est si intéressant. La mort d’un dessinateur (El Nadir), qui, en plus de retracer sa biographie, rassemble certaines de ses meilleures vignettes et caricatures. Son auteur, René Parra.

« Bluff » (1903-1940) était l’un des dessinateurs les plus remarquables de l’Espagne républicaine, raconte René. Il est l’auteur de célèbres caricatures contre Franco et le camp des insurgés, publiées dans l’hebdomadaire satirique La Traca.

À la fin de la guerre, il a été emprisonné et fusillé avec l’éditeur du magazine, Vicent Miguel Carceller. Depuis quelques années, le sujet a été étudié et diffusé, mais il me semblait qu’il restait des aspects de l’histoire de Bluff à expliquer et à clarifier.

« Avec cet essai », poursuit l’auteur, « je souhaitais retracer l’ensemble de sa carrière, contextualiser ses positions politiques et décrire en détail le processus judiciaire auquel il fut soumis, notamment la manière dont l’accusation fut fabriquée, le dépeignant comme un prisonnier subversif méritant d’être puni. Il me semblait nécessaire d’approfondir son cas particulier, la terrible injustice qu’il a subie, tout en justifiant son œuvre graphique, insuffisamment connue dans son ensemble. »

Il continua à écrire des blagues dans le journal de la prison.

En avril 1939, Bluff fut emprisonné et, dans le cadre du programme de rééducation des prisonniers, il publia ses blagues dans le seul journal accessible aux détenus, Redención, où il publia son personnage de Don Canuto, le citoyen Peso Bruto et d’autres caricatures qui devinrent très populaires auprès des prisonniers. Jusqu’à ce que l’une de ces caricatures faillisse lui coûter la vie.

« Le conseil de guerre qui le condamna à mort », raconte René, « le condamna pour ses caricatures contre Franco et les généraux de la “Sainte Croisade”, mais aussi pour ses bandes dessinées à double sens parues dans l’hebdomadaire de la prison, auxquelles il avait été contraint de contribuer après son arrestation. L’une de ces bandes dessinées représentait deux pêcheurs dont les hameçons étaient pris par le même poisson, et pour la possession desquels ils finissaient par se disputer.

Quelques semaines avant le procès, à la prison d’Alicante, deux informateurs avaient signalé que les détenus avaient donné une interprétation politique de la bande dessinée : les deux pêcheurs représentaient un Requeté et un Phalangiste en lutte pour le pouvoir ; il s’agissait d’une allégorie symbolisant « le triomphe des Rouges sur une Espagne nationaliste désunie ».

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