Archives de catégorie : Témoignages et récits

RAMON RUFAT LLOP : « DANS LES PRISONS D’ESPAGNE ».

Ramón Rufat Llop (Maella, 28 décembre 1916 – Villanueva et Geltrú, 3 novembre 1993) était un anarchosyndicaliste, agent des services secrets républicains et combattant antifranquiste.

Fils d’un maçon aragonais, sa mère est morte de la grippe de 1918 quand il avait 20 mois. En 1926, il a été envoyé pour suivre l’enseignement gratuit à Calanda (Teruel). Peu avant les élections de février 1936, il adhère à la jeunesse libertaire.

Au début de la guerre civile, il s’est rendu à Barcelone en juillet 1936 pour rejoindre la colonne DURRUTI des miliciens de la Confédération nationale du travail (CNT) avec le projet de libération de Saragosse. Il a été l’un des fondateurs, en octobre 1936, de « Los Fijos de la Nuit » – un groupe spécial devenu en 1937 le Service d’information spéciale périphérique (SIEP) sur les fronts de l’Aragon -, étant l’un des membres les plus éminents.

Entre octobre 1936 et décembre 1938, il a effectué plus de 50 missions de pénétration profonde derrière les lignes ennemies en Aragon et en Catalogne. Il recueille des informations en se faisant passer pour un officier du camp révolté. Petit à petit, il constitue et anime un vaste réseau d’agents. Ses informations ont contribué aux tentatives d’assassinat de Francisco Franco à Salamanque en janvier 1937 et aux funérailles d’Emilio Mola en juin 1937. Sur le front de Levante, les informations qu’il a fournies à l’armée républicaine ont été cruciales pour les offensives de Saragosse (octobre 1936 et août 1937), la bataille de Belchite (septembre 1937), la bataille de Teruel (décembre 1937), l’offensive d’Aragon (mars 1938), puis la Bataille de l’Èbre (juillet 1938).

Il a été dénoncé et capturé par les troupes franquistes alors qu’il traversait le fleuve Turia (Guadalaviar) dans la Sierra de Albarracín au début de l’offensive de Catalogne le 18 décembre 1938.
Le 4 mars 1939, il a été condamné à deux condamnations à mort, l’une pour « espionnage » et l’autre pour « perversité » en raison de son activité politique. En septembre 1940, la Croix-Rouge belge a fourni à l’Espagne un bateau de nourriture en échange d’une liste de 100 personnes à pardonner. Rufat était en haut de la liste et sa sentence a été changée à perpétuité. Après avoir traversé plusieurs camps de concentration tels que Santa Eulalia del Campo, Calatayud, Torrero, Yeserías et exercices d’exécution, Rufat réussit à falsifier son dossier carcéral et à sortir de prison le 10 août 1944.

Le même jour, il s’est rendu directement au Comité national du CNT, avec lequel il avait été en contact pendant son incarcération. Il est immédiatement nommé vice-secrétaire du Mouvement libertaire (ML), organisme de coordination regroupant la Confédération nationale du travail (CNT), la Fédération anarchiste ibérique (FIA) et la Fédération ibérique des jeunes libertaires (FIJL).

Également responsable de la propagande, il a relancé les publications clandestines de la résistance interne du Mouvement libertaire et du CNT, notamment Solidarité Ouvrière, Fragua Sociale et Terre et Liberté, qui avaient été interdites. En juillet 1945, le CNT-ML (intérieur) organise son congrès national à Carabaña (autour de Madrid) avec de nombreux délégués régionaux et réaffirme la ligne d’union antifasciste. Cela se reflète dans sa participation à l’Alliance nationale des forces démocratiques (ANFD) et la désignation d’Horacio Prieto et de José Exposito Leiva comme représentants du CNT au gouvernement républicain en exil de José Giral. C’est l' »âge d’or » de la résistance anarchiste au régime de Franco, avec une large diffusion de la presse clandestine dans toutes les régions, les premières grèves importantes en 1945 à Barcelone puis à Vizcaya, les premières manifestations, puis la reprise de la guérilla urbaine, notamment avec des attaques de banque.

Après l’arrestation de Siegfrido Catalá Tineo, Rufat est élu secrétaire général du CNT. La lutte révolutionnaire dans la clandestinité s’est poursuivie jusqu’à ce qu’il soit arrêté en même temps que la majorité du neuvième Comité national du CNT le 6 octobre 1945 à Madrid par la Brigade Politico-Sociale franquiste.

Rufat a été condamné par la cour martiale du 21 mars 1947 à 20 ans de prison. Il a été interrogé et torturé à Madrid puis emprisonné dans les prisons d’Alcalá de Henares, Ocaña, puis 11 ans à El Dueso. Jusqu’à sept comités nationaux successifs du CNT seront simultanément emprisonnés à la prison d’Ocaña. La résistance anarchiste continue de s’organiser de l’intérieur des prisons franquistes. Obtenant sa liberté provisoire en 1958, 20 ans après son arrestation en 1938, il s’est échappé pour commencer une nouvelle vie en France.

En France, il a travaillé pour l’Office des réfugiés politiques (OFPRA) du Ministère des affaires étrangères. A participé à la création des revues Polémica et Anthropos et publié dans plusieurs autres revues en français et espagnol. De retour à Barcelone en 1976, après la mort de Franco, il découvre que selon les archives, il avait été fusillé deux fois, en 1938 et 1940. Il aurait du mal à faire reconnaître aux nouvelles institutions démocratiques qu’il est toujours en vie malgré ses activités clandestines. Cela l’a amené à consacrer la fin de sa vie à écrire « l’histoire des vaincus », notamment en collaboration avec la Bibliothèque internationale de documentation contemporaine (BDIC) de l’Université de Nanterre. Beaucoup de ses manuscrits, textes et mémoires restent inédits ou non traduits, bien qu’il ait remporté le premier prix Juan García Durán en 1986.

1937, la Tchéka stalinienne à l’œuvre en Espagne

À la Prison modèle.

Le dimanche 28 novembre, nous allâmes à la Prison modèle de Barcelone, et présentâmes nos autorisations au directeur de la prison des hommes. Il fut très courtois et nous conduisit chez le médecin de la prison. On nous apprit qu’il y avait dans cette prison 1 500 prisonniers, dont 500 antifascistes, 500 fascistes et 500 délinquants de droit commun.

C’était dimanche, et l’heure des visites, aussi nous nous trouvâmes en présence de 500 à 600 visiteurs demandant à entrer afin de voir leurs amis. Comme il convient, c’était l’aile gauche de la prison qui était attribuée aux prisonniers de gauche !

Nous entrâmes dans une grande salle par une immense porte de fer de 6 mètres de large sur 3,5 mètres de haut. Les prisonniers avaient appris que nous allions venir et nous firent une chaude réception. La difficulté était que c’était à qui nous parlerait le premier des brutalités qu’il avait endurées de la part de la Tchéka avant d’être entré dans cette prison-ci.

Un prisonnier italien nous fit une remarquable description des tortures qui lui avaient été infligées dans une cellule souterraine. Il fut attaché au mur, les mains au-dessus de la tête, avec deux gardes à ses côtés, baïonnette au canon, pendant qu’un jeune officier de la Tchéka tenait des papiers de la main gauche et de la main droite un revolver dirigé sur sa poitrine.

L’officier de la Tchéka le soumit à un interrogatoire du troisième degré prétendant qu’il avait de faux papiers, le sommant de dire où certains de ses camarades pourraient être trouvés, le menaçant de le tuer et de jeter son corps dans un égout qui passait dans la cellule. Cet Italien fut soumis à cette torture, durant cinq à six heures chaque fois, avant d’être finalement transféré à la Prison modèle.
Challaye et moi-même interrogeâmes également un Français, qui appartenait auparavant à l’armée française, et qui avait abandonné sa situation pour venir en Espagne combattre le fascisme. Il avait été nommé officier dans l’armée espagnole gouvernementale et avait combattu sur le front de Madrid pendant plus de cinq mois. La seule raison pour laquelle il se trouvait dans la Prison modèle était qu’il avait franchement exprimé son opinion sur le Comintern et les méthodes de la Tchéka. Il me donna l’impression d’un homme splendide.

Il ressentait comme un outrage effroyable d’avoir été gardé en prison pendant plus de quatre mois ; il insistait sur ceci : « Qu’on me fasse un procès si j’ai commis quelque faute ; sinon qu’on me rende ma liberté ! » Il y avait également un bon nombre de ces prisonniers qui avaient été blessés au cours des combats contre Franco, et cependant on les gardait en prison sous le prétexte qu’ils étaient des alliés de Franco !

Notre délégation fut spécialement bien accueillie par les prisonniers du Poum, et nous passâmes une heure dans la cellule de Gironella. Plusieurs prisonniers étaient d’ailleurs incarcérés dans cette même cellule. C’était une véritable Internationale de prisonniers que cette prison.

Il y en avait de France, de Grèce, d’Allemagne, d’Italie, d’Autriche, de Belgique, de Hollande, de Suisse et d’Amérique autant que d’Espagne. Tous ces prisonniers nous pressèrent de faire connaître les brutalités de la Tchéka, avec ses tortures, son troisième degré et ses meurtres des militants socialistes combattant en Espagne.

Lorsque nous décidâmes de quitter l’aile antifasciste de la prison, il y eut un rush spontané de tout le monde vers la porte. Les prisonniers chantèrent deux hymnes de la CNT, puis l’Internationale, et terminèrent avec des vivats à l’adresse de la CNT, de la FAI et du Poum.

Le délégué de l’ILP fut spécialement l’objet de la reconnaissance internationale ; enfin il y eut des cris de « À bas la Tchéka du Comintern ! » et, à son adresse, de violents sifflets. C’était une vue très émouvante que celle de ces 500 prisonniers antifascistes, la plupart jeunes, qui remplissaient les galeries, les escaliers et la grande salle, le poing fermé, l’œil brillant, la tête rejetée en arrière en une attitude de défi.

Notre dernière vision fut celle de centaines d’hommes applaudissant, de l’autre côté de l’immense porte de fer. Cette porte de fer était pour nous comme le symbole de la Tchéka du Comintern. C’est par des moyens pareils qu’elle entend supprimer le mouvement révolutionnaire en Espagne afin de substituer au mot d’ordre de « Pouvoir ouvrier » celui de « Démocratie bourgeoise ».

L’Internationale communiste et son organisation d’assassins sont en train de faire naître contre eux une haine formidable. Un jour, la tempête éclatera et détruira leur effroyable gangstérisme. Ce sera un désastre pour tous ceux qui y auront participé.

À la prison secrète de la Tchéka.

Notre dernière visite fut pour la prison secrète de la Tchéka à la place Junta : Adraine Bonanova. Nous avions été avisés de l’existence de cette prison par plusieurs bons camarades. Lorsque nous eûmes monté les marches qui mènent à la prison, nous trouvâmes le chemin barré par deux gardiens, armés de fusils et baïonnette au canon.

Nous présentâmes notre autorisation du directeur des prisons et du ministre de la Justice pour visiter les prisons et un mot fut envoyé à l’intérieur. Alors un officier apparut, qui regarda nos autorisations avec un mépris évident. Il nous informa qu’il ne recevait pas d’ordres du directeur des prisons ou du ministre de la Justice, car ce n’étaient pas là ses patrons.
Nous lui demandâmes alors qui était son patron, et il nous donna une adresse, celle du quartier général de la Tchéka. Son refus de nous permettre de visiter la prison et les prisonniers était total et définitif. Nous allâmes donc au quartier général de la Tchéka, Puerta del Angel 24.

Nous entrâmes dans une cour et par un couloir dans une pièce intérieure qui avait toute l’apparence d’un lieu de détention. Nous remarquâmes qu’il y avait sur la table un grand nombre de livres de propagande russes et de journaux communistes, et aucune autre sorte de livres ou de journaux. Après un court délai, une jeune femme entra, qui nous demanda ce que nous voulions. Elle ne nous cacha pas qu’elle savait qui nous étions, et qu’on l’avait prévenue, de la prison, que nous étions en train de venir. Elle prit les pièces qui nous autorisaient à visiter les prisons.

Ensuite apparurent deux jeunes hommes dont ni l’un ni l’autre n’étaient espagnols. Notre interprète, qui connaît un grand nombre de langues et de pays, fut convaincu par leur accent que l’un était Russe et l’autre Allemand.

Le Russe nous informa que nous ne pouvions ni voir l’intérieur de la prison ni causer avec les prisonniers. Je répondis que nous avions des autorisations du directeur des prisons et du ministre de la Justice, et nous demandâmes si notre interlocuteur était plus puissant que le gouvernement, en ajoutant que si on nous refusait l’entrée, nous serions obligés, comme de juste, d’en tirer des conclusions.

John Mac Govern

Le Monde libertaire n°228 (déc. 1976)

🌄 Sucaina, dignité et mémoire

Ce dimanche nous avons participé au 4ème Hommage au combattants républicains à Sucaina (Alt Millars), un acte plein d’émotion, de conscience et d’engagement pour la mémoire historique.

Se souvenir de ceux qui ont lutté contre le fascisme n’est pas seulement un devoir moral : c’est un acte de justice. Nous sommes réunis pour honorer les combattants libertaires, antifascistes et révolutionnaires qui, avec courage et solidarité, ont défendu la liberté de tous

🛑 Il faut le dire clairement : les restes de la guerre civile ne sont pas des ressources touristiques. Ce sont des espaces de mémoire traumatisante, des lieux qui demandent respect, silence et pédagogie. On ne peut pas banaliser la douleur ou transformer la barbarie en décoration.

📚 Pour cette raison, sans pédagogie il n’y a ni mémoire ni démocratie. Si nous n’expliquons pas ce qui s’est passé, si nous ne mettons pas des noms, des voix et du contexte aux événements, nous sommes condamnés à les répéter. Ce n’est qu’avec une mémoire critique que nous pouvons construire un avenir juste.

Merci aux organisations, famille et collègues qui rendent cet acte nécessaire possible chaque année. La mémoire est une tranchée qui doit encore être défendue.

✊ Ni oublier ni pardonner. Mémoire, dignité et combat.

#MemòriaHistòrica #Sucaina #MontañasDeLibertad #SensePedagogiaNoHiHaDemocràcia #EspaisDeMemòria #Antifeixisme
@montanasdelibertadzucaina

La Maleta Mexicana

L’association 24 août 1944 vous invite

à la projection

du documentaire :

La Maleta Mexicana

Un film de Trisha Ziff (2011, 86’, VOST)

le jeudi 26 juin 2025

à 19h.

Pour notre dernière séance avant l’été :

La Valise mexicaine est le nom que l’on donne à un ensemble de trois boîtes contenant environ 4 500 négatifs de photographies de la Guerre civile espagnole prises par Robert Capa, Gerda Taro et David Seymour.

Les pellicules disparaissent à Paris en 1939. Elles ont vraisemblablement été rangées dans les trois boîtes avant le départ de David Seymour le 23 mai pour le Mexique à bord du SS Sinaia, un navire embarquant des réfugiés espagnols. En octobre de la même année, Capa lui-même part pour New York et laisse les négatifs dans son studio parisien du 37, rue Froidevaux, à la garde d’un compatriote hongrois, photographe également, Emérico Weisz alias Csiki. Dans une lettre de 1975, Weisz déclarera les avoir confiés à un Chilien rencontré dans la rue afin qu’il dépose le paquet à son consulat. Leur trace se perd alors pendant plus d’un demi-siècle.

C’est en 1995, à Mexico, lors d’une exposition consacrée à la Guerre civile espagnole, que le cinéaste Benjamin Tarver adresse à Jérald R. Green, professeur à Queens College, une lettre contenant la description détaillée de deux mille images figurant dans une collection de négatifs hérités de sa tante ; cette dernière les a elle-même reçus d’un parent, le général Aguilar Gonzalez, ambassadeur mexicain à Vichy en 1941-1942.

En 2006, l’espoir d’y retrouver le négatif de la célèbre photographie Mort d’un soldat républicain, dont l’authenticité fait polémique, pousse Richard Weelan, spécialiste de Capa, et Brian Wallis, conservateur en chef de l’International Center of Photography, à convaincre Tarver de les leur transmettre.

Le contenu des trois boîtes peut alors être inventorié : la verte et la rouge contiennent du film enroulé ; la troisième, brune, abrite des enveloppes refermant des pellicules coupées. La collection complète est rendue en 2007 au frère de Robert Capa, Cornell ; Cynthia Young, conservatrice des Archives Robert et Cornell Capa, l’a présentée au public dans une exposition internationale, The Mexican Suitcase. The Rediscovered Spanish Civil War Negatives of Capa, Chim and Taro, inaugurée à New York en septembre 2010.

Et bien sûr toujours notre petite table de presse pour vous présenter nos ouvrages, et susciter votre soutien à nos activités. Cette fois-ci nous aurons le grand plaisir de vous présenter le catalogue de notre exposition : Républicains espagnols, premiers déportés de France et la FEDIP

Le tout suivi d’un débat.

Le jeudi 26 juin 2025 à 19h

Paris’Anim ; Centre Place des Fêtes

2/4 rue des Lilas

75019 Paris

Entrée gratuite

Pour ceux qui ont assisté à la dernière projection sur Himmler, Didier, notre conférencier avait promis une liste d’ouvrages à lire sur le sujet. Vous la trouverez ci-joint. Même ceux qui n’étaient pas là peuvent la consulter : https://www.24-aout-1944.org/newsletter/Livres-sur-les-nazis.pdf

Les humiliations dans le patronage franquiste des femmes pour lesquelles l’Église demande pardon

Des survivantes et des chercheurs réclament justice et réparation de la part du gouvernement pour dénoncer les abus commis au sein d’une organisation, le Women’s Trust, du ministère de la Justice, qui a fonctionné entre 1941 et 1985.

Un groupe de femmes internées. Archives d’Andalousie.

« Ils m’ont mise là parce que je suis rouge », dit avec force Paca Blanco, la Brava, lors d’une conversation téléphonique. Elle est l’une des survivantes du Patronato de Protección a la Mujer, une organisation au nom sarcastique – dont la présidente était Carmen Polo, la Collares, épouse du dictateur – rattachée au ministère de la Justice et gérée par des ordres religieux, de religieuses, qui, de 1941 à 1985, date de sa dissolution, s’est consacrée à opprimer les femmes et à leur imposer les valeurs du catholicisme national dans un pays dévasté.

« Elle aurait pu être avocate, journaliste, présidente du gouvernement… Je ne suis pas croyante, et la vie que j’ai eue, ils l’ont reproché d’essayer de faire de moi ce que je n’étais pas. Je suis un idéaliste », ajoute La Brava.

Les méthodes utilisées dans de nombreux cas par les religieuses, sous la direction et les ordres de l’État franquiste – et même, à partir de 1978, de l’État constitutionnel – ont impliqué des humiliations que l’on appellerait sans doute aujourd’hui des violations des droits de l’homme, comme les survivantes l’ont exposé et comme l’ont confirmé différents chercheurs et universitaires dans plusieurs volumes.

« Heureusement, au cours des trois dernières années, nous avons fait beaucoup de progrès dans la recherche, dans les actions et dans la diffusion. Aujourd’hui, nous en savons assez pour savoir qu’il y avait une institution du ministère de la Justice, fondée sur des raisons d’application d’une morale sexuelle aux jeunes femmes, dans laquelle les adoptions forcées, le vol de bébés, [les naissances sans garanties de santé] une pédagogie correctionnelle était appliquée, il y a des manuels avec ce terme, [qui impliquait] l’humiliation, la punition et l’emprisonnement sans procès ni condamnation. dénonce Pilar Iglesias, auteur de l’ouvrage Policies of repression and punishment of women : The Laundries of the Magdalena of Ireland and the Patronato de Protección a la Mujer de España (Ed. Círculo rojo).
L’Église catholique, le bras armé de la dictature franquiste

Palau résume : « Il y avait de la violence institutionnelle. Tout dépendait du ministère de la Justice. Il y avait l’éducation religieuse, le travail forcé. Il a été cousu, tissé, des tapis ont été fabriqués. Il y avait aussi des entreprises privées qui bénéficiaient, expliquent Palau et Iglesias, du travail de ces femmes.

« Le mécénat vient d’avant, d’institutions qui contrôlent le corps des femmes et des attitudes dont on peut parler dans de nombreux contextes temporels et territoriaux », explique María Palau Galdón, auteure, avec Marta García Carbonell, du livre Indignas hijas de su Patria (Editorial Institució Alfons el Magnànim-Centre Valencià d’Estudis i d’Investigació).

Le Conseil d’administration a pour antécédent le Conseil royal pour la répression de la traite des Blancs, créé par décret royal du 1er juillet 1902 et lié au ministère des Grâce et de la Justice. Ce conseil d’administration a été dissous en 1931 et ses pouvoirs ont été temporairement transférés à une Commission centrale provisoire pour la protection des femmes. La même année, le Conseil de la protection de la femme est créé, qui est à son tour dissous en 1935, tous ses pouvoirs étant assumés par le Conseil supérieur de la protection des mineurs.

« Le patronage – explique Palau – est devenu l’un des nombreux outils de la dictature pour contrôler la population féminine, quiconque contredisait le modèle de l’épouse, de la mère et de la chrétienne exemplaire imposé par la dictature. Des personnes âgées de 16 à 25 ans sont enfermées, bien qu’on ait aussi vu des filles de 12 ans, [et c’est fait] pour les raisons [les plus bizarres] : marcher dans la rue en tenant la main d’un garçon, exprimer une idéologie contre le régime, être lesbienne ou avoir l’air de l’être, avoir des relations sexuelles hors mariage ou même être violée par un membre de la famille.

Consuelo García del Cid, qui, avec son œuvre Les filles bannies d’Eve, a donné l’un des premiers coups pour une enquête sur ce qui s’est passé dans les maisons de correction et dans le mécénat, se souvient que les menaces les plus typiques de ces années-là étaient : « Quand tu étais petite, le croquemitaine et quand tu étais adolescente, je vais t’emmener chez les religieuses, à une maison de correction. « Oui », ajoute-t-il. La Brava se souvient de la même chose :

« Dans de nombreux cas, ce sont les familles elles-mêmes qui ont dénoncé ces filles.
Dans certains cas, trompés, ils pouvaient croire qu’on allait leur apprendre un métier, ils n’étaient pas conscients de la réalité de ces maisons de correction et ils pouvaient perdre l’autorité parentale », ajoute Palau.

Ce fut le cas de Paca La Brava, que sa famille a essayé de redresser, surtout après la mort de son père, alors qu’elle avait 16 ans. Avant, « à 11 ans, je ne peux plus aller à l’école, parce qu’ils nous expulsent de San Cristóbal de los Ángeles et qu’il n’y a pas d’écoles. Je suis censée apprendre à broder, à frotter et à faire ces choses pour aider ma mère.

« Je me suis tout de suite impliqué, pas dans la politique professionnelle, mais j’ai été, se souvient La Brava, un rouge conséquent. Il a été dans toutes les grèves, Marconi, Telefunken, il y a participé. J’étais un rebelle avec une cause. Ma famille ne l’a pas bien vu. Entre la politique et la révolution musicale, entre le rock and roll et tout le reste, ma famille avait peur. Un jour, je suis allé aux fêtes de quartier, et je suis revenu à trois ou quatre heures du matin. C’était le déclic, il y avait des voitures à la porte. Ils m’ont emmené dans une maison de correction à Collado Villalba. Ma propre famille avait regardé l’établissement.

C’est là qu’a commencé un voyage qui l’a conduite à un centre de patronage, celui de Peñagrande, géré par les Servantes de la Vierge Douloureuse et plus tard par les Croisades évangéliques. Il est documenté qu’il y avait une salle d’accouchement où les détenues accouchaient et qu’elle était fréquentée, entre autres, par le gynécologue Eduardo Vela, lié aux adoptions irrégulières pendant la dictature.

La Brava, elle-même enceinte, se souvient d’un épisode terrible : les cris, la douleur, une femme qui meurt, la famille qui prend son cadavre : il y a ceux qui se souviennent aussi des suicides. « J’ai 77 ans et j’en avais 17. Ce qui m’horrifia le plus, c’était ceci. J’ai nettoyé un couloir, un couloir. Là-bas, nous avons été exploités misérablement, il y a eu des mauvais traitements, des insultes, des punitions physiques et psychologiques… Il a nettoyé le couloir qui menait aux salles d’accouchement, [il y avait] un Christ de dimensions énormes et un lit. Quand j’avais mal, les femmes étaient enfermées là-bas, on les traitait de pécheresses, de putes. C’était l’esprit qui nous a permis d’accoucher à 17 ans », raconte-t-elle à Público.

Pétition de pardon

Lundi prochain, la Confédération des religieux d’Espagne, qui regroupe 403 instituts de vie consacrée, fera une demande publique de pardon pour les abus, les humiliations et les barbaries commises. Consuelo García del Cid et son travail ont été décisifs pour la tenue de cet événement, prévu ce lundi.
Dans la déclaration, les religieux définissent le Conseil d’administration de la manière suivante : « Il s’agissait d’une institution publique espagnole créée en 1941 et encadrée par le ministère de la Justice (jusqu’en 1985). Son objectif officiel était la protection et l’éducation des femmes considérées comme étant moralement en danger. Cette institution a signé des accords avec des centres gérés, dont certains, par des congrégations religieuses.

Le pardon se présente comme suit : « Après avoir écouté l’expérience de nombreux survivants et fait des recherches dans les congrégations, la douleur et les blessures conduisent la [Confédération] à demander pardon pour les dommages causés. Nous savons qu’il y a beaucoup de femmes qui appréciaient ces centres, mais tant qu’une seule d’entre elles a été endommagée, les congrégations religieuses demandent pardon.
Puis, ils ajoutent : « Au nom de la vie religieuse, de l’Église, nous voulons promouvoir cet acte. Notre désir collectif est de reconnaître le passé, d’honorer la vérité et de construire un avenir basé sur la justice et le bon traitement.

Pilar Iglesias souligne : « L’expérience individuelle… Il y avait des filles qui ne savaient même pas comment signer qu’elles devaient mettre les empreintes digitales. Le monde de l’injustice [dans lequel les gens vivaient dehors] était tel que, de toute évidence, certains apprenaient à lire ou mangeaient un peu plus au centre. Cela ne veut pas dire qu’il ne s’agissait pas d’une structure oppressive. Ils l’écrivent comme si c’était une minorité qui était touchée. Beaucoup de femmes ne vont jamais réclamer quoi que ce soit, certaines parce qu’elles sont déjà mortes et d’autres peut-être parce qu’elles n’osent jamais réclamer même si un plan de réparation est mis en place.

Pour Iglesias, il est très important de souligner ceci : le système de réparation. Et il rappelle que le Conseil d’administration n’est pas seulement une responsabilité de l’Église, mais fondamentalement de l’État. « Tout d’abord », dit le chercheur à Público, « je veux qu’il soit très clair que cela ne se serait pas produit si on n’en avait pas parlé et sans l’action de Consuelo et d’autres chercheurs [il y a, entre autres, Carmen Guillén Lorente, Andrea Momoitio…]. Cet acte aurait dû venir après l’essentiel : je suis très clair sur pourquoi ces processus s’appellent vérité, justice et réparation. [Il s’agit] de reconnaître les responsabilités.

« La première chose que les ordres religieux auraient dû faire avec l’État est d’offrir une collaboration maximale pour une enquête approfondie et de mettre en service toutes les archives. De là viennent les actes de réparation.

Il est essentiel que ce système de vérité, de justice et de réparation soit donné. Cela dépendra du ministère de la Justice. C’est une obligation de l’État d’assumer ce type de processus. Cela aurait dû commencer différemment. Cela dit, soit [l’acte de confédération], bien que cela dépende de la façon dont il se déroule. Cela n’enlève rien à la partie fondamentale que sont l’enquête, la justice et la prise de responsabilités. Les premiers doivent être les survivants.

Palau affirme : « Cette douleur s’est enracinée et complètement oubliée. Même pendant la transition, nous étions pressés de faire des milliers de choses. Il est important qu’ils obtiennent justice et réparation. Je pense aussi que nous ne savons pas quelles seront les paroles exactes de ce pardon, mais d’un autre côté, s’ils vous demandent pardon, c’est parce que vous n’avez rien fait de mal. Toutes ces femmes qui sont à la maison, peut-être qu’elles le voient et pensent tant d’années plus tard : « Je comprends que je n’ai rien fait de mal. Ce sont d’autres qui l’ont fait ». Il y a beaucoup de femmes derrière ce mouvement, que ce soit en tant que survivantes, en tant que membres de la famille ou en tant que chercheuses. Nous pensons que l’État doit également présenter des excuses et ouvrir une enquête.

Combien de femmes sont passées par le conseil d’administration ? « Il est très difficile de donner un chiffre, car nous manquons de beaucoup de documentation pour compléter le puzzle », explique Palau. « 1952, la plus sanglante, selon les souvenirs du Conseil d’administration, un total de 41 335 filles et adolescentes ont été enfermées. Ce chiffre n’a pas été atteint tous les ans. Ils ne commettaient pas de crimes, même selon la législation franquiste. Le conseil d’administration pourrait être leur premier arrêt ou non, de l’institutionnalisation, puis ils pourraient vous envoyer dans un hôpital psychiatrique. C’était le cas des lesbiennes ou de celles que les religieuses décidaient être lesbiennes : « Vous pourriez être considérée comme lesbienne à cause d’une démonstration d’affection avec un partenaire. »

« Si vous voulez écrire, je veux que vous mettiez ceci », dit La Brava. « Le fait », réfléchit-elle, « c’est que la famille appelle le conseil d’administration, parce qu’elle est convaincue que c’est son obligation si elle veut des femmes comme Dieu le veut. Dans ce maelström, comme vous n’avez pas d’aide dans la famille, vous la cherchez à l’extérieur et demandez à un petit ami de vous aider, et vous tombez enceinte.

À l’époque, nous n’étions pas des femmes préparées aux contraceptifs ou à quoi que ce soit d’autre et vous vous retrouviez dans une maison de correction qui est le musée des horreurs. Il y avait même des gens qui avaient été violés par leur père, et au lieu d’emprisonner le père, la fille a été emprisonnée. La plupart d’entre nous n’avaient commis aucun crime.

« Dans les années 60, ajoute La Brava, une révolution musicale et de liberté a éclaté. Cela effraie totalement les parents qui ont subi la guerre ou la répression : ‘que va-t-il arriver à ces filles, quel mauvais chemin elles prennent’ ».

Pour La Brava, il est important qu’ils soient reconnus comme des « victimes du franquisme ». Sur le pardon qu’elle demande à la confédération des religieux, elle est critique : « C’est mon opinion personnelle. C’est un lifting. Je n’oublie ni ne pardonne. Il y a des femmes qui ont été laissées dans la poussière, qui se sont suicidées, des femmes qui n’ont pas dit à leurs maris et à leurs filles qu’elles avaient été dans le Patronato. C’est encore en partie caché.

Raúl Bocanegra. Rédacteur en chef de Público en Andalousie depuis avril 2018. Professeur agrégé de rédaction journalistique à l’UOC. Séville-06/06/2025 in « Publico ».

Le catalogue de l’exposition est paru : Les Républicains espagnols premiers déportés de France & La FEDIP

Durant la Seconde Guerre mondiale, il y eut près de 10.000 Républicain(e)s espagnol(e)s déporté(e)s dans les camps nazis. Ils y subirent les traitements inhumains réservés aux déportés qui ne devaient pas sortir vivants de ces camps. Il y en eut dans tous les camps : Auschwitz, Dachau, Buchenwald, Neuengamme, Oranienburg, Stutthof, (Pologne) Natzwiller-Le Struthof (Alsace), Sachsenhausen, Ravensbrück, Mauthausen et tous leurs kommandos…

Nous avons choisi pour parler de leur déportation d’évoquer le camp de Ravensbrück car c’était la destination principale des femmes déportées dont les Espagnoles.

Et celui de Mauthausen pour les hommes espagnols. Ce camp est communément appelé camp des Espagnols puisque ce sont eux qui l’on construit dans sa forme définitive. Dans nul autre camp qu’à Mauthausen, les Espagnols n’ont pu se constituer en groupe. Ils y sont trop disséminés parmi les autres nationalités. Souvent arrêtés en tant que résistants français, ils portent le triangle rouge des politiques et la lettre « F » de Français, tandis que d’août 1940 à avril 1941 les Espagnols déportés sont massivement envoyés à Mauthausen. Ils y portent le triangle bleu des apatrides et la lettre « S », pour Spanien. Ils y sont plus de 7200, seul 1/3 en sort en mai 1945.

Ils y constituent une véritable organisation clandestine de résistance, ils forcent l’admiration des autres groupes nationaux par leur cohésion et leur sens de la solidarité.

Edmond Michelet[1] dit à leur propos :

« Les déportés peuvent différer de point de vue dans le jugement qu’ils portent sur les groupes nationaux étrangers. Mais tous sont d’accord pour dire que les Espagnols réussirent le tour de force de faire l’unanimité dans la sympathie et l’admiration. »

Le bon de commande : https://www.24-aout-1944.org/newsletter/BDC-Repu-Ep-deportes.pdf

[1] Edmond Michelet (1889-1970), un des créateurs de « Combats » en 1941, chef régional des Mouvements unis de la résistance (MUR) en 1942, arrêté par la Gestapo en février 1943, est déporté à Dachau. Il sera compagnon de la libération, et successivement ministre des Anciens combattants et Victimes de guerre (1958), puis ministre de la Justice (1959-1961). Membre du Conseil constitutionnel, il succède à André Malraux en 1969 sous la présidence de Pompidou, comme ministre des Affaires culturelles.

Lucio Urtubia, maçon honnête, anarchiste sincère, et faussaire d’exception.


Il y a des destins faits de mille vies, de mille histoires, comme celui de Lucio Urtubia. Il a été à la fois un ouvrier dévoué, dur à la tâche, et travailleur comme peu, et un faussaire qui a fait plier l’une des plus grosses banques mondiales.

Il a été à la fois le défenseur des plus pauvres, et le protégé de personnes illustres.
Il a été braqueur de banques, qui ne gardait pour lui qu’un reliquat de la somme volée. Il était aussi pourvoyeur de faux papiers pour les révolutionnaires du monde entier.

Il a été tout cela, et bien plus encore. Raconter Lucio Urtubia, c’est raconter un combat acharné contre l’injustice du monde, la dictature franquiste. C’est entendre une voix anarchiste et approcher la quête utopique d’un homme, à mi-chemin entre Robin des bois et Don Quichotte. Lucio Urtubia croyait qu’un homme se définit par ce qu’il fait, pas parce ce qu’il dit. Et il a fait beaucoup, parce que maçon ou faussaire, Lucio avait une valeur cardinale : le travail. Et le travail, sur des chantiers ou dans des imprimeries clandestines, devait être bien fait. Très bien fait, même.

A écouter ici :

Un autre son de cloche : Lucio : l’esbrouffe illégaliste au risque du mouvement social.

Déconstruire un mythe…

A lire ici : https://demainlegrandsoir.org/spip.php?page=article&id_article=3063