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Mémoires croisées

Mémoires croisées : quand une fille de SS et une petite-fille de Franquiste se rencontrent pour partager leurs histoires

Barbara Brix et Loreto Urraca portent toutes les deux une lourde histoire de famille : l’une est fille de SS, l’autre petite-fille de Franquiste. Dans une rencontre ouverte au public, organisée par une librairie de Port-Vendre, elles ont pu partager et croiser leurs vécus.

Transmettre la mémoire, l’histoire de leur famille, pour mieux s’en détacher. Barbara Brix est fille d’un SS, Loreto Urraca petite-fille d’un Franquiste. Toutes les deux ont découvert le lourd passé de leur famille après la mort de leurs aïeux ; elles étaient réunies à Port-Vendre, dans une rencontre ouverte au public organisée par la librairie Oxymore, afin de partager leurs histoires.

Pour Barbara, ancienne professeure de langues et d’histoire, la révélation est venue d’un ami, archiviste et historien. Le père de cette Allemande, maintenant installée à Perpignan, est décédé en 1980. Des années après, en 2006, son ami lui rend visite, et lui demande brusquement : « Barbara, savais-tu que ton père a fait partie des Einsatzgruppen ? »

« Le choc de ma vie »

« D’abord, ça a été le choc de ma vie, se souvient Barbara Brix. Et en même temps, c’était bizarre mais j’avais aussi comme un sentiment de soulagement. Car je me suis rendu compte que pendant les dernières années, j’avais le sentiment qu’il y avait quelque chose de faux dans le narratif familial, on ne parlait presque pas de la guerre. Il y avait un soupçon en moi. »

Le choc de la révélation passé, l’ancienne professeure se met immédiatement à faire des recherches sur le passé de son père, le médecin Peter Kröger. Elle sait qu’il avait été sur le front russe pendant la Seconde Guerre mondiale ; elle découvre vite qu’il s’est porté volontaire, dès septembre 1939, pour faire partie des SS allemands. Il part même avec les Einsatzgruppen, les unités d’extermination du IIIe Reich, et participe à l’invasion de l’Ukraine en 1941.

J’ai mené des recherches pour me confronter à cette terrible vérité. Avant, je n’aurais jamais pu imaginer que mon père soit présent dans un acte d’extermination.

Barbara Brix, fille d’un SS

France 3 Occitanie

« J’ai trouvé un document qui date du procès contre les Einsatzgruppen. Un commandant interrogé racontait qu’à Lviv, il avait reçu l’ordre de fusiller, avec son commando, une centaine de personnes juives, rapporte Barbara Brix. Ce commandant dit qu’il y avait invité le médecin, mon père, pour garantir par sa présence que ça se passe de manière « clean ». Là, j’ai eu la première preuve. »

Barbara découvre ensuite que son père était probablement présent, avec son commando des Einsatzgruppen C, lors du massacre de Babi Yar, à Kiev, en septembre 1941. La Shoah par balle y avait fait 33 771 victimes parmi la population juive.

Mémoire traumatique

Ses recherches ont permis à Barbara Brix de se détacher de l’histoire de son père, en parler permet d’extérioriser cette mémoire traumatique. Loreto Urraca a vécu la même chose avec l’histoire de son grand-père paternel, policier en Espagne pendant la Seconde Guerre mondiale, en réalité « chasseur de Rouges », ces républicains qui avaient fui l’Espagne franquiste.

C’est en lisant le résumé d’une thèse, justement intitulé « Chasseur de Rouges » et paru dans la presse, que Loreto tombe sur la photo et le nom de son grand-père, à sa « grande surprise ». Elle apprend dans ce résumé que son aïeul, en tant que policier, était chargé « de localiser où étaient les plus hauts responsables de la République, pour les capturer et les rapatrier en Espagne. Certains ont été exécutés », résume cette Espagnole, maintenant installée en France.

Quand je lis l’article, j’ai un fort sentiment de honte. La honte de me savoir petite-fille d’un bourreau tortionnaire, capable d’attraper des personnes en sachant qu’elles allaient être exécutées.

Loreto Urraca, petite-fille de Franquiste

France 3 Occitanie

En 2008, au moment de sa découverte, son grand-père est mort depuis longtemps, en 1989, et elle n’entretient que peu de liens avec sa famille paternelle. Pourtant, Loreto Urraca ne se lance pas tout de suite, comme l’avait fait Barbara Brix, dans la recherche de vérité. « Je n’ai pas su assumer à ce moment-là. Je ressentais plus de la rage, parce que ce nom de famille n’est pas très commun en Espagne, et quelqu’un pouvait faire un lien très facilement entre ce bourreau et moi-même. »

Ce lien, une journaliste le fait, « quelque temps plus tard », en demandant à Loreto de participer à un reportage. « Elle me donnait la possibilité de donner mon impression, c’était mon premier acte de dénonciation publique. J’ai ressenti le besoin de défier ce tortionnaire. »

« Chasseur de Rouges » et agent nazi

Cet événement sert de déclencheur, et Loreto Urraca se met à consulter une série d’archives pour en apprendre plus. Elle découvre peu à peu « une deuxième facette de [son] grand-père : il n’était pas seulement un « chasseur de Rouges », mais aussi un agent nazi. » Pedro Urraca est soupçonné, notamment, d’avoir facilité la capture de Jean Moulin par les nazis. En 1948, il est d’ailleurs condamné en France à la peine de mort par contumace.

Durant ses recherches, Loreto Urraca se rend aussi compte que le sujet de l’exil républicain et de l’implication de l’Espagne dans la Seconde Guerre mondiale n’est que très peu abordé dans le pays. « Ce qui était terrible pour moi, c’est qu’on aurait dit que j’étais la seule à faire des recherches. C’est un parcours solitaire, ingrat. »

Je ne ressentais pas de la culpabilité, mais de la responsabilité : je devais donner une valeur à toutes les informations que j’avais, c’était mon seul moyen de réparer, à ma façon, tout le malheur.

Loreto Urraca, petite-fille de Franquiste

France 3 Occitanie

Loreto se lance alors dans l’écriture d’un roman, mêlant l’histoire à la fiction, pour finaliser le « trajet de dé-filiation » avec son grand-père paternel. Comme des hyènesPortrait de famille sur fond de guerre paraît en décembre 2023. Une véritable volonté de transmettre, pour celle qui n’avait « jamais eu de transmission de mémoire » dans sa famille.

Encore une belle chanson du grand Leny

Cette chanson m’émeut beaucoup parce qu’elle me fait penser à la « petite mère » que j’avais. J’aimerais tellement que tu sois là…ma petite mère…pour t’écouter parler de cette terrible guerre que nous avons si peu évoquée en famille. Il me manque tellement de morceaux de ce que tu as vécu, tu me manques. Je cherche, j’ai trouvé des bribes très intéressantes mais ce n’est pas suffisant, alors je continue de chercher. Il est tellement important de ne pas oublier, jamais oublier, et perpétuer la mémoire et les valeurs de ce peuple espagnol dont je suis issue, et si fière.

La violence extrême de la dictature de Franco

Trois jours de colloque sur le franquisme et une grande expo à Toulouse : « C’est exceptionnel en Europe »

Mercredi 20 mars 2024 à 21:41

Par

  • France Bleu Occitanie

Jusqu’à vendredi, des historiens participent à Toulouse à un colloque sur le franquisme, la dictature de Franco en Espagne, de 1939 à 1977. Une grande exposition suivra ensuite à partir du 4 avril. Avec un écho particulier à Toulouse, qui fût capitale de l’exil des Républicains espagnols.

Le colloque se déroule dans l'hémicycle départemental.
Le colloque se déroule dans l’hémicycle départemental. © Radio France – Mathieu FERRI

« C’est le début d’un cycle scientifique et mémoriel » résume François Godicheau. L’historien toulousain spécialiste de la guerre d’Espagne et de ses suites, est l’organisateur de « Anatomie du franquisme » : un colloque jusqu’à vendredi au Conseil départemental de Haute-Garonne, et une grande exposition qui débutera le 4 avril au musée départemental de la Résistance et de la Déportation, à Toulouse. Il y en aura une deuxième en 2025.

« C’est exceptionnel à Toulouse, en France et en Europe. C’est le premier colloque de synthèse sur l’histoire du franquisme après trois décennies de recherche intense » insiste François Godicheau. Pour ces échanges en langue espagnole, les meilleurs historiens de l’autre côté des Pyrénées sont présents pour exposer leurs travaux sur la dictature du général Franco, qui a régné sur l’Espagne de la fin de la guerre civile en 1939 jusqu’à sa mort en 1975. Le régime a perduré jusqu’en 1977.

« Une dictature d’une violence extrême »

Ces historiens réunis à Toulouse viennent des universités de Madrid, de Barcelone, de Saint-Jacques-de-Compostelle, de Valence, etc. Leur but : faire mieux prendre conscience les horreurs de cette dictature aux Français. Car pour François Godicheau, il y une ignorance sur le sujet : « Dans les consciences en Europe, ce régime était certes autoritaire, mais finalement paternaliste sur la fin, etc. Non, c’était une dictature d’une violence extrême ! (…) Il y a une condamnation morale absolue du fascisme et du nazisme dans la conscience européenne, mais elle n’a pas touché le franquisme. C’est donc extrêmement important de rétablir ce qu’a été cette dictature et de comprendre sa nature et comment elle a duré 40 ans« .

Toulouse, capitale de l’exil républicain… mais qui l’oublie

Et le choix de Toulouse n’a rien d’un hasard : la ville a été la « capitale de l’exil » des républicains espagnols. Des familles qui ont fuit les combats en 1936-1939 et qui ont refusé la dictature de Franco. En 1945, 10% de la population de Toulouse était ainsi d’origine espagnole. La ville a aussi accueilli le siège de plusieurs partis politiques, et notamment du PSOE (Parti Socialiste Ouvrier Espagnol).

Parmi les spectateurs de ce colloque, Placer Marey-Thibon. Cette fille de réfugiés est présidente du CTDEE, le Centre Toulousain de Documentation sur l’Exil Espagnol. Avec le temps, et la progressive intégration en France, difficile de maintenir une identité et de transmettre la mémoire des Espagnols exilés à Toulouse. Mais Placer Thibon espère que ce colloque et cette expo vont donner « un nouveau souffle » et « une prise de conscience« .

Pas de projet de musée à l’horizon

Placer Marey-Thibon rêve aussi d’un musée, mais pour l’instant aucune collectivité, Ville, Département ou Région, ne semble intéressée : « Toulouse se revendique ville capitale de l’exil républicain, mais je pense qu’il y a beaucoup de gens qui ne savent même pas ce que cela signifie« .

« On a l’impression d’être parfois ignoré et c’est un peu douloureux. Si on a fondé cette association en 2008, c’est pour essayer de perpétuer cette mémoire. On essaie de récupérer beaucoup de choses, mais c’est aussi très frustrant parce qu’on se dit la mémoire va être perdue, que nous sommes les derniers des Mohicans… »

Elle insiste aussi sur l’héritage : « La plupart des enfants de réfugiés ont compté dans la vie toulousaine, dans la vie culturelle, scientifique, etc. Alors c’est dommage de l’oublier. Nos parents ont eu un rôle. Nous, on continue à avoir un rôle. Peut-être que ces journées vont être un déclencheur« .

Notamment pour l’avenir du CTDEE : le centre doit être délogé de son local au faubourg Bonnefoy, rue des cheminots. Il est hébergé par la mairie, mais le quartier est en démolition et en transformation. Le CTDEE va devoir déménager, mais à ce jour, il n’a pas de point de chute.

 

L’Espagne toujours déchirée face à la mémoire du franquisme

 

“Franco n’a pas été jugé et ne le sera jamais” : c’est le point de départ de la réflexion de l’historienne Sophie Baby, et peut-être le début de la malédiction de l’Espagne lorsqu’elle se confronte à sa mémoire.

Copiez le lien ci-dessous dans la barre de recherche

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-enjeux-internationaux/l-espagne-toujours-dechiree-face-a-la-memoire-du-franquisme-2830860

 

 

 

 

 

Dans la suite du florilège, une belle chanson de Salvatore Adamo

« Manuel » raconte l’histoire d’un journaliste espagnol, victime de représailles du régime franquiste et torturé en prison. « Manuel » se veut un hommage aux martyrs de la guerre civile. Près de 50 ans après sa sortie, la chanson reste d’ailleurs censurée en Espagne – « Manuel » cuenta la historia de un periodista español, víctima de represalias del régimen franquista y torturado en prisión. « Manuel » pretende ser un homenaje a los mártires de la Guerra Civil. Casi 50 años después de su lanzamiento, la canción sigue censurada en España. »

Le camps de femmes de Rieucros et Michel del Castillo

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« CES CAMPS FURENT TRÈS REPRÉSENTATIFS DU MERDIER FRANÇAIS »

Michel del Castillo

« Mon souvenir le plus fort, c’est l’obscurité. Enfant, cela vous terrifie. Il devait y avoir une ou deux ampoules de 25 watts pour toute la baraque. On arrivait au bout du monde, on ne savait plus où on était et, dans ce magma de femmes espagnoles dépenaillées, j’étais une crevure qui allait de pneumonie en pneumonie. Je ne bougeais plus, collé contre ma mère, je lisais des partitions de musique. Le froid, la faim, bien sûr, inutile d’en parler. J’allais surtout dans la baraque des Allemandes, les Espagnoles n’arrêtaient pas de se hurler dessus. L’enfermement concentre des gens qui n’ont rien en commun, socialement, politiquement. Ma mère est arrivée avec un beau manteau, très maquillée, on l’a regardée méchamment. Des femmes seules, confinées, sans contact avec les hommes, ne restent pas longtemps gentilles. Mais, chez les Allemandes, tout était propre, c’était des communistes cultivées, qui lisaient, écrivaient, dessinaient, me racontaient des histoires. J’avais besoin d’une loi, elles avaient cette discipline qui leur avait permis de tenir en Allemagne.

On avait été chassés d’Espagne en 1939 et on m’avait dit que la France était un pays où l’on mange bien, où l’on est poli. Le plus triste pour moi, c’est que mon père, qui nous avait dénoncés, était français. Je trouvais ça scandaleux, je n’arrêtais pas de répéter : je ne suis pas espagnol.

C’est à Rieucros que j’ai commencé à écrire. Des petits contes. L’un d’eux parlait d’un des sept nains qui avait très froid dans une baraque… Ils ont été affichés à l’exposition organisée à Mende par le maire : il était furieux contre ce camp, dont les habitants croyaient au départ qu’il ne renfermait que des droits communs et, pour les obliger à prendre en compte les détenues, il avait exposé des objets qu’elles avaient fabriqués. Certaines prisonnières sont venues à Mende, les Français les regardaient, ils étaient gentils, ils essayaient de comprendre. Le dimanche, ils venaient se promener autour du camp, le vallon de Rieucros ayant toujours été un lieu de villégiature. Certaines détenues se livraient à la prostitution, derrière le camp.

Ces camps furent très représentatifs du merdier français. Cela aurait pu être bien pire : on aurait pu être livré, battu, tué. Moi-même, je pouvais aller à l’école à Mende. On pataugeait dans l’improvisation, on nous laissait avoir froid, avoir faim, un climat étrange où se mêlaient la débâcle, la peur de l’étranger et une gentillesse foncière. Quelque chose de bizarre, d’un peu merdique. «