​ En Espagne, le combat de Javier Moreno ​ pour faire éclater la vérité ​ sur les crimes de la dictature franquiste

Le militant espagnol Javier Moreno se bat pour faire exhumer les corps des 6 000 fosses communes disséminées aux quatre coins du pays et exiger la reconnaissance des crimes de la dictature franquiste. Une démarche entreprise pour rendre hommage à son grand-père anarchiste, fusillé dans la capitale pendant la guerre.

Publié le 4 décembre 2025
Madrid (Espagne), envoyé spécial Humanité.
Antoine Portoles

Le rendez-vous est fixé à quelques encablures de la station de métro Goya, du nom du maestro de l’art romantique. Nous quittons le centre de la capitale espagnole sous une pluie battante, direction le cimetière de la Almudena. « Plus de 3 000 personnes ont été fusillées là-bas, lance Javier Moreno, au volant de sa voiture. On ne sait pas où se trouvent leurs restes. »
Ce constat macabre raisonne partout en Espagne. Cinquante ans après la mort de Franco, le pays aux 6 000 fosses communes est loin d’avoir achevé sa quête de reconstruction mémorielle. Le militant madrilène au béret gris vissé sur la tête fut un temps président du Foro por la memoria democratica, une association qui se bat pour faire exhumer des charniers et identifier les dizaines de milliers de républicains – syndicalistes, communistes, socialistes, anarchistes, régionalistes – victimes du franquisme.

Il a parcouru toute la péninsule de l’Andalousie aux Asturies, en passant par Castille-La Manche, pour honorer ces oubliés. Parmi eux, Joaquin Moreno Tormos. Son grand-père anarchiste, exécuté sommairement le 31 octobre 1939, à Madrid. « Il était militant à la CNT-FAI. Avant et pendant la guerre, il travaillait pour l’opérateur Telefonica. Nous ne l’avons jamais retrouvé. »

​ Un hommage attendu depuis huit décennies

Le 31 octobre 2025, quatre-vingt-six ans après sa disparition, son petit-fils lui a rendu hommage lors d’une cérémonie spéciale. À ses côtés, le ministre espagnol de la Mémoire démocratique, Angel Victor Torres, a convoqué sur scène le souvenir « de l’homme assassiné par les fascistes ». 

Le nom de Joaquin est désormais inscrit sur une lettre d’adieu, glissée avec tant d’autres – dont un poème de Miguel Hernandez – à même les troncs de plusieurs arbres calcinés, couchés par terre et entreposés au pied d’un monument aux morts, à la Almudena. Structure brutaliste un brin sinistre. 
Nous traversons les deux couloirs en pierre qui la composent dans un silence profond. Les innombrables épitaphes qui les recouvraient semblent avoir disparu mystérieusement. « Ce lieu a été bâti par l’ancienne majorité municipale de gauche, des socialistes et des communistes emmenés par Manuela Carmena. Mais il n’a jamais été inauguré, peste Javier. Lorsque la droite est revenue au pouvoir avec José Luis Martinez-Almeida, tous les noms inscrits ont été retirés. »

​ La droite prête à effacer la mémoire des victimes

Voilà un exemple criant de la fourberie à laquelle s’adonne le Parti populaire, celui-là même qui gouverne au côté du parti d’extrême droite Vox dans certaines communautés autonomes.Ces héritiers du franquisme bloquent tout processus de reconstruction de la mémoire historique, quitte à cracher au visage des familles de victimes. 
Dans la capitale, il suffit de se remémorer les cris d’orfraie qu’ils ont poussés lorsque le gouvernement socialiste de Pedro Sanchez a décidé de transférer la sépulture de Franco d’el Valle de los Caidos – renommé Valle de los Cuelgamuros – au cimetière du Pardo. Preuve que, cinquante ans après la disparition du Caudillo, son fantôme et ses idées mortifères continuent de planer sur le pays. Pourtant, comme le rappelle Javier Moreno, « il me paraît normal que la mémoire ne soit pas considérée comme une revanche, mais comme un acte démocratique ».

Le militant exige que toute la lumière soit faite sur les crimes commis par les phalangistes durant la guerre de 1936-39, les trente-six ans de règne de terreur de Franco, puis la transition. « Il n’y a pas de justice. Les tribunaux n’interviennent pas. Les lois mémorielles participent au rétablissement de la vérité et à la réparation, mais lorsque nous exhumons des corps, même si nous les identifions eux et leurs familles grâce à l’ADN, aucun juge n’intervient pour établir la véracité de ces assassinats. »
La pluie a cessé de tomber au-dessus des tombes. Nous poursuivons notre chemin vers un autre monument, érigé sur le mur d’enceinte en briques rouges du cimetière, dédié à las Trece Rosas (les Treize Roses), treize résistantes âgées de 18 à 29 ans, fusillées ici même le 5 août 1939 par les franquistes. 

Une plaque commémorative devenue lieu de recueillement

La plupart de ces sœurs d’armes étaient membres des Jeunesses socialistes unifiées, organisation née de la fusion entre l’Union des jeunesses communistes de l’Espagne du PCE et les Jeunesses socialistes du PSOE. Javier Moreno a longtemps milité pour le Parti communiste espagnol et en reste très proche aujourd’hui.

Il se recueille face à la plaque commémorative ornée de fleurs aux couleurs chaudes et entourée de tags symbolisant le drapeau rouge, jaune et violet ; celui de la République espagnole. 
Une phrase y est inscrite en exergue, prononcée par l’une de ces femmes qui se sont battues pour la liberté : « Que mon nom ne soit pas effacé de l’histoire ».

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