Rafael Gomez Nieto : l’antifranquiste de la Nueve et libérateur de Paris

Combattants de la première heure contre le général Franco, les républicains espagnols ont été les premiers à entrer dans Paris et à prendre l’Hôtel de Ville le 19 août 1944, jour de la libération de la capitale.

Publié le 21 août 2024
Article Humanité
Aurélien Soucheyre

Au volant de son autochenille baptisée Guernica qui fonce vers l’hôtel de ville de Paris, Rafael Gomez Nieto pense-t-il déjà à une future libération de Madrid ? En cette soirée du 24 août 1944, les membres de la 9e compagnie de la 2e division blindée de Leclerc font irruption dans la maison du peuple de la capitale française.

La voici officiellement délivrée du joug nazi. La plupart des soldats qui accompagnent Rafael Gomez Nieto sont comme lui, des républicains espagnols qui ont combattu Franco. Ils sont si nombreux que leur troupe, armée par les États-Unis et dirigée par des Français, est surnommée la « Nueve ».

Après la défaite de 1939, de nombreux républicains espagnols traversent les Pyrénées pour poursuivre la lutte

Défaits chez eux en 1939 par les franquistes soutenus par Hitler et Mussolini, Rafael et ses camarades ont franchi les Pyrénées pour poursuivre la lutte partout en Europe. D’abord Paris, puis Berlin, avant de revenir à Madrid ?

« Il fallait en finir avec les nazis bien sûr. Mais, entre nous, il y avait aussi des évocations de retour. On voyait plus loin. On voulait aller en Espagne avec les armes et le matériel. Certains pensaient que les Alliés nous aideraient »,racontait en 2014 Rafael Gomez Nieto, dernier membre de la Nueve encore en vie lors de la célébration des 70 ans de la libération de Paris.

« Je suis né en 1921, en Andalousie. Mon père avait fait partie de la garde du roi Alphonse XIII dans sa jeunesse. C’était un militaire de carrière, fidèle aux institutions de la seconde République dès sa proclamation, en 1931. Il l’a défendue jusqu’au bout, sans état d’âme », témoignait-il alors auprès de l’Humanité.

De l’internement en camp de concentration à l’engagement dans les corps francs d’Afrique

Engagé à 17 ans dans l’armée républicaine espagnole, Rafael participe à la bataille de l’Èbre, funeste affrontement décisif de la guerre d’Espagne. Avec 500 000 républicains, hommes, femmes et enfants, vaincus, il fuit vers la France, lors de la Retirada, et se retrouve parqué par les autorités dans d’immondes camps de concentration.

« Oh, c’était bien ! La plage ! En plein hiver ! On a passé de bonnes vacances ! » ironisait-il, le regard dur et la voix tendue, au sujet de son internement à Argelès-sur-Mer, dans les Pyrénées-Orientales, durant lequel il a connu l’humiliation et la faim.

Il n’en perd pas pour autant sa boussole antifasciste. Réclamé par un oncle basé à Oran, il est libéré et voit la France s’incliner à son tour face aux armées hitlériennes. « Sur un coup de tête, je me suis engagé dans les corps francs d’Afrique après le débarquement allié », se souvenait-il.

La Nueve, véritable « bataillon de choc »

Le voilà qui reprend les armes, intégrant en 1943 la Nueve. Cette compagnie compte alors 160 hommes, dont 146 Espagnols qui rêvent de libérer l’Europe. Lui et ses frères sont même autorisés à arborer le drapeau de la République espagnole sur leur uniforme et à peindre sur leurs véhicules des noms aussi évocateurs que Teruel, Madrid, Don Quichotte et Guadalajara.

« On a débarqué en Normandie. Ensuite, on était toujours en tête. Les combats étaient très durs, avec beaucoup de pertes. Il y avait des tanks, des flammes, mais on ne reculait pas. Jamais. Je crois qu’on a été très utile », mesurait celui qui a rendu coup pour coup à ses ennemis. « Ah ! On a passé du bon temps avec les Allemands ! Et eux avec nous… La guerre… » grondait-il, un éclair dans le regard, avant de baisser les yeux.

Véritable « bataillon de choc », la Nueve reçoit dans les derniers jours de la bataille de Normandie l’ordre de se précipiter sur la mairie de Paris.

Un vent de liberté en Europe souffle mais n’inquiète pas Franco

« Les hommes sont entrés. Moi, je suis resté avec l’autochenille, car j’étais chauffeur », relatait le vétéran. Suivent des jours d’ivresse, de joie et de liesse populaire. La Nueve a même l’honneur d’ouvrir le défilé sur les Champs-Élysées et de protéger en personne le général de Gaulle.

Son épopée se poursuit avec la libération de Strasbourg et s’achève avec la conquête du nid d’aigle de Hitler, à Berchtesgaden, en 1945. « À la fin, on n’était plus qu’une dizaine d’Espagnols en état de se battre. On a été démobilisés. Chacun est parti de son côté », se rappelait Rafael, avec pudeur et une forme de désillusion.

Un vent de liberté souffle alors sur l’Europe. Hitler et Mussolini sont morts. Pétain est emprisonné à vie. Mais ce souffle ne franchit pas les Pyrénées. Les Alliés ne vont pas plus loin. À Madrid, Franco reste au pouvoir. Rafael Gomez Nieto fait alors partie de ces soldats espagnols qui, d’une capitale à l’autre, porte soit l’uniforme du vainqueur, soit le cœur du vaincu.

Mais ce combattant endurci a finalement survécu au général Franco, mort en 1975. Rafael n’en est pas moins resté vivre à Strasbourg, ville qu’il a contribué à libérer. C’est en 2020 qu’il s’est éteint, emporté par l’épidémie de Covid, à l’âge de 99 ans. Quelques jours avant de succomber, il était encore capable de conduire sa voiture sans problème. Comme au temps de la libération de l’Europe.

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