Luis Royo Ibáñez, un de la Nueve

Issu d’une modeste famille d’origine aragonaise, Luis Royo Ibáñez est né le 14 novembre 1920 dans le quartier de l’Ensanche à Barcelone. Son père qui était cordonnier avait des idées anarchistes et souhaitait que son fils reçoive une éducation gratuite. Il avait coutume de lui dire que seule l’éducation le rendrait libre de décider de sa vie. Alors qu’importe si ce sont des religieux qui proposent une école gratuite, il inscrit son fils chez les Maristes !

Luis arrête ses études vers l’âge de 16 ans pour devenir ouvrier dans les Arts Graphiques. La guerre éclate l’année suivante et il s’engage dans l’Armée Républicaine. À 17 ans, il fait partie des 30 000 jeunes engagés de « la quinta del biberón » (la classe du biberon) ainsi que les avait surnommés Federica Monseny, ministre de la Santé du gouvernement Républicain.

La guerre d’Espagne et la Retirada, c’est Luis Royo lui-même qui les raconte : « J’ai commencé la guerre avec l’offensive de Balaguer, qui a été un échec parce qu’on n’avait pas de moyens et qu’il est clair qu’on ne pouvait se battre avec un balai contre un canon. Malheureusement, cela a toujours été comme ça dans le camp Républicain. Dans de nombreuses batailles, on a combattu en jetant des pierres et des grenades. J’ai participé à toute la bataille de l’Ébre et au remplacement des Brigades Internationales à Tortosa. J’ai vu beaucoup de morts, beaucoup de blessés graves, quelques-uns sans jambes ou sans bras. C’était très dur de ne pouvoir rien faire pour eux…

Le front a été enfoncé en décembre 1938 après Noël, et, de Tortosa, on est partis vers l’Ampourdan. Là, on a commencé la retraite à pied. On est passés par Berga, Olot, Figueres, et on est arrivés à la frontière de Prats-de-Mollo le dimanche 12 février 1939, vers cinq heures de l’après-midi. On était cinq amis de la même division, avec des mules et un cheval. Il faisait encore jour. L’aviation franquiste bombardait près de Ripoll, à quelques trois kilomètres. Avant de franchir la frontière, on nous a tous désarmés. J’avais un « naranjero » (fusil-mitrailleur) et plutôt que le donner, j’ai préféré le briser et jeter les morceaux dans le fossé. Ensuite, on a passé la frontière avec le Général Hernández à notre tête, son état-major et un groupe de musiciens. On était une soixantaine de militaires. On est entrés en formation, avec les musiciens jouant l’Himno de Riego (hymne de la République espagnole). J’avais 18 ans. »

Après son entrée en France, Luis Royo est interné sur place, puis envoyé au camp d’Agde. Deux de ses tantes installées dans la région apprennent sa présence au Camp et réussissent à le faire sortir. Il travaille dans un domaine viticole jusqu’à l’Armistice. Le 18 juin 1940, tandis qu’avec ses cousines il recherche une station de radio, il tombe par hasard sur Radio Londres. L’appel du Général de Gaulle qu’il entend alors le décide de rejoindre ceux qui refusent de subir le nazisme et le fascisme. Il s’engage dans la Légion et part pour Marseille. Avec 15 autres espagnols il est expédié à Oran puis au Maroc.

Dès que l’occasion se présente, il déserte de la Légion et rejoint la 2ème division blindée placée sous le commandement du Général Leclerc, rallié aux Forces Françaises Libres. Les Républicains espagnols étaient tellement nombreux dans la 9ème Compagnie qu’elle a été surnommée la « Nueve » (9 en espagnol). Installée à Rabat, la Compagnie reçoit des véhicules américains, notamment des half-tracks que les Espagnols s’empressent de baptiser avec des noms de villes espagnoles comme Madrid, Guernica ou encore Santander. Plus facétieux, un half-track est dénommé « les pingouins » en référence à « espingouins », surnom donné aux Espagnols par les soldats français, et la jeep de contrôle est appelée « mort aux cons ». Et, à leur grande joie, les Espagnols sont autorisés à peindre le drapeau républicain espagnol sur les blindés.

Du Maroc, la Nueve part en Grande-Bretagne avec l’objectif de débarquer en France. Le 1er aout 1944, Luis Royo et ses 10 compagnons du half-track « Madrid » qu’il conduit débarquent sur la plage d’Omaha Beach. Ils participent à des combats dans l’Orne, et notamment à la bataille d’Écouché, une des plus dures de Normandie mais aussi une des plus grandes victoires de la Nueve contre les nazis. Puis, le 24 août, le Général Leclerc, surnommé « el patrón » par les Espagnols, donne un ordre : « Objectif Paris ! ». Ils parcourent alors les 200 kms qui les séparent de la capitale et, guidés par les FFI, entrent dans Paris par la Porte d’Italie. Près de l’École Militaire, ils échangent des tirs avec des miliciens français et atteignent enfin l’Hôtel de Ville.

Quelle fierté pour ces combattants espagnols d’être les premiers à libérer Paris ! D’ailleurs, Leclerc disait d’eux : « Je commande une troupe de rouges, mais quel courage ! ».

Le lendemain, la Nueve assaille l’Hôtel Meurice et fait prisonnier le général Von Choltitz, gouverneur militaire allemand. Le 26 août, le Général de Gaulle honore la Nueve en remettant aux combattants la croix de Lorraine, symbole de la France libre. En ce jour mémorable, les Espagnols arborent fièrement cette décoration placée sur leur insigne aux couleurs de la République espagnole.

Mais la guerre n’est pas finie pour autant et, après avoir libéré Paris, la Nueve continue à combattre les nazis dans la Haute-Marne et en Alsace. Les Espagnols passent de l’autre côté du Rhin et arrivent en Allemagne. Leur dernière bataille sera celle de Berchtesgaden, ville des Alpes bavaroises où Hitler s’est retranché dans son « nid d’aigle ».

Après la guerre, Luis Royo s’est installé à Cachan dans la région parisienne. Ouvrier chez Citroën, il a mené une vie simple mais a toujours gardé en lui cette fierté d’avoir libéré Paris.

Il a fallu l’aube des années 2000 pour que l’épopée de l’héroïque Nueve sorte enfin des limbes de l’Histoire : en 2004, Luis Royo et d’autres rares survivants ont été honorés par le gouvernement espagnol et, en 2005, la France leur a remis la Légion d’Honneur. Cette même année, la Ville de Paris a balisé un itinéraire mémoriel de 11 plaques ponctuant le parcours des half-tracks de la Nueve.

Suite à ces hommages, Luis Royo est sollicité pour de nombreux témoignages. À un journaliste qui lui demandait à quoi il pensait après tant d’années, il répondit : « À mes dix camarades du half-track  » Madrid  » que je conduisais. Ils ont tous disparu. Je pense à mon chef de section Moreno, à ces dix Espagnols vaincus par les franquistes soutenus par les nazis et les fascistes italiens. Lorsque l’ordre nous a été donné par Leclerc de  » foncer sur Paris « , nous étions ivres de joie et de bonheur. Nous allions participer, aux premières loges, à la libération de Paris, nous allions chasser les Allemands et surtout prendre notre revanche sur ceux qui avaient assassiné la République espagnole que nous défendions à l’époque avec des tromblons datant de la guerre 1914-1918. En débarquant en France, en combattant dans l’Orne, en pénétrant dans la capitale de la France, nous disposions d’un armement américain moderne. Je pense à mon half-track  » Madrid « , à sa vitesse, à sa puissance de feu. Nous étions déterminés, bien armés et entraînés, bien commandés, bien guidés par les FFI. Les Allemands n’avaient, cette fois, qu’à bien se tenir. »

En 2014, Luis Royo, malade, n’a pu participer à la commémoration des 70 ans de la Libération de Paris ni à l’inauguration d’un parc en mémoire de sa Compagnie. Il s’est éteint à l’âge de 96 ans le 23 août 2016, la veille du jour où, 42 ans auparavant, il libérait Paris. C’était le dernier survivant de la Nueve.

https://www.herault-tribune.com/articles/168132/agde-association-pour-la-memoire-du-camp-detrsquo%3Bagde-etlaquo%3B-ils-sont-passes-par-le-camp-etraquo%3B/

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