« L’AFFAIRE Michel del Castillo », UNE CAMPAGNE DE PROTESTATION CONTRE LES MAISONS DE REDRESSEMENT ESPAGNOLES (1957-1959)

 

 

En 1957, Michel del Castillo publie son premier roman, Tanguy, dans lequel il raconte les trois années d’horreur qu’il a passées dans la principale maison de redressement barcelonaise, l’Asilo Durán. La parution de l’ouvrage en France entraîne la naissance, en Espagne, d’une campagne de presse aigüe et circonscrite dans le temps (hiver 1958-1959). Ce mouvement de protestation est impulsé par une avocate féministe et pourtant proche du régime franquiste,  Mercedes Fórmica ; cette dernière donne la parole à del Castillo ainsi qu’à des spécialistes réformistes de l’enfance irrégulière, qui critiquent vigoureusement des méthodes et des établissements qu’ils jugent archaïques. Unique dans l’histoire de la prise en charge de l’enfance irrégulière en Espagne de 1939 à 1975, cette « affaire del Castillo » fait grand bruit mais n’a qu’une postérité limitée. Elle contribue cependant, à plus long terme, à noircir l’image déjà sombre des maisons de redressement espagnoles et de la plus sinistre d’entre elles, l’Asilo Durán.

Source :

https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01213457/document

 

La critique que dresse Michel del Castillo de l’Asilo Durán s’articule, autour de quatre points : la faim, le travail, la violence et la sexualité.

 

Tanguy 

 

 

Courant 1955, un jeune homme ténébreux et timide de vingt-deux ans apporte son manuscrit aux éditions Julliard. Il n’est en France que depuis peu. Le texte qu’il a écrit, Tanguy, du nom de son personnage central, est à la fois terrible et bouleversant. Terrible par ce qu’il raconte : l’histoire d’un enfant perdu dans les guerres, interné dans des camps, abandonné par sa mère et repoussé par son père ; bouleversant par la simplicité de la forme narrative, par l’absence de haine, par la tristesse désespérée du ton. A l’état civil, l’auteur s’appelle Michel Janicot, né de père français et de mère espagnole. Il a vu le jour à Madrid, où il est resté jusqu’à l’âge de cinq ans. Ensuite, il a vécu en France, puis, après le départ de sa mère — il avait alors neuf ans —, il a été emmené en Allemagne, où il a été détenu dans divers camps de concentration. Il a été renvoyé en Espagne après la seconde guerre mondiale et il y a séjourné, d’abord à Barcelone, dans une maison de redressement pour fils de républicains et jeunes condamnés de droit commun, dont il s’est évadé ; ensuite à Ubeda, dans un orphelinat tenu par des jésuites ; puis à nouveau en Catalogne et en Aragon. Sa langue quotidienne, celle de ses lectures, de ses études, de sa vie ordinaire, est l’espagnol. Pourtant, lorsqu’il se met à écrire, il le fait en français. En revanche, il abandonne son patronyme français pour signer du nom espagnol de sa mère : del Castillo. Lorsque Tanguy paraît, deux ans plus tard (1957), l’accueil est unanime. Un écrivain est né.

Tanguy est bien plus qu’un premier roman réussi, traduit dans le monde entier et désormais prescrit dans les écoles, c’est un livre fondateur, la pierre sur laquelle Castillo va bâtir son œuvre. Tout l’univers de l’écrivain y est inscrit plus ou moins explicitement. Tous les thèmes qu’il développera de livre en livre, jusqu’à aujourd’hui, y sont abordés. Lors de la réédition de Tanguy aux éditions Gallimard, Castillo commente ainsi son projet implicite d’alors, dont il n’a pris conscience qu’en continuant à creuser le pré carré de sa mémoire : « Je ne romançais pas ma vie, je biographais le roman. » Castillo n’écrit pas pour raconter ni se raconter, il écrit pour comprendre, pour que les mots lui donnent cette cohérence indispensable que la vie lui a toujours refusée. De l’écriture comme art de recoller les morceaux. Morceaux d’existence, certes, mais surtout morceaux de soi. L’œuvre de Castillo est une lente et patiente reconstruction de l’homme. Il faut la lire comme on regarde les fragments reconstitués d’une mosaïque qui, malgré des trous, des blancs, finissent par recomposer un paysage. Ici, le paysage est intérieur, et c’est celui d’un homme.

Partant, la démarche du romancier consiste à reprendre les uns après les autres les personnages et les lieux qui sont à l’origine de sa vie et de ses bouleversements. A mener l’enquête, à chercher derrière les figures plus ou moins familières, derrière les souvenirs et les apparences, quelque chose qui n’est pas la vérité — qu’est-ce que la vérité ? —, mais qui, dans la logique du roman, s’approche de la vraisemblance. Dans L’Adieu au siècle, journal de l’année 1999, écrit pour les éditions du Seuil, Castillo écrit : « Autobiographie ? Ecrire la vie de soi. Le mot s’applique mal. Quelle vie aurais-je pu écrire quand j’ignorais ce que j’avais vécu ? Je ne dis pas la vérité, je la fais. »

Faire la vérité. On peut lire cette phrase de bien des manières. Prenons-en deux, qui sans cesse cohabitent dans l’œuvre de Castillo : inventer la vérité ou faire la lumière sur la vérité.

Quelles que soient les métamorphoses qu’il fait subir à son personnage, Castillo ne traque qu’une seule et même vérité, la sienne. Qu’ils s’appellent Jean-Pierre Barjac dans Une Femme en soi, Alain Mavon dans Le Démon de l’oubli, Sandro dans La Gloire de Dina, Xavier dans Rue des archives, ils sont tous frères et étrangement jumeaux, à la recherche d’une enfance perdue, d’une mère défaillante, d’une identité. Ils veulent comprendre pour pouvoir vivre ou mourir, et pour cela ils doivent élucider le mystère de leur génitrice.

Car la mère est la figure centrale, celle autour de laquelle tout tourne, ou plus exactement celle à cause de qui le monde s’est un jour arrêté de tourner. Qu’il la nomme Dina, Fina ou Candida, elle est celle que l’enfant aime passionnément, dont il partage parfois la couche, dont il attend, seul et dans l’angoisse, le retour dans une chambre obscure, une salle de cinéma, une salle de classe, alors qu’à l’extérieur le monde est hostile et menaçant. Passion amoureuse d’un gamin sans père présent pour celle qui, séductrice plus que mère, veut être admirée par les yeux de « son petit homme ». La crainte est toujours présente qu’elle ne revienne pas, qu’elle se perde, qu’on l’emmène. De fait, un jour, la mère disparaît. L’enfant a neuf ans. Plus rien ne lui importe que ce sentiment de vide qui l’habite. Il n’existe plus. En un sens, il est mort et il le restera jusqu’au jour où, par l’écriture, il renaîtra des cendres de sa vraie vie. Janicot est né en 1933, Castillo en 1957. Il est le fils de ses livres. Partant, hors des livres, point de salut.

La lecture, les livres, le besoin de lire sont indissociables de la figure de la mère. Livre fondateur, mythique, qui résume à lui seul tous les livres lus dans l’enfance et ceux écrits à l’âge adulte : Les Mille et une nuits. A l’âge de six ans, le jeune Michel reçoit en cadeau Les Mille et une nuits. Soixante ans plus tard, il écrit dans L’Adieu au siècle : « J’étais ébloui. Je fus encore plus bouleversé par la cause de ces récits fabuleux. Une nuit après l’autre, la jeune favorite sauvait sa tête en récitant ses fables ; de mon côté j’écoutais sa voix alors que je sentais partout autour de moi planer la menace de la mort. Elle parlait pour retarder sa mort et je lisais pour survivre » (c’est moi qui souligne). Plus tard, Castillo écrira à son tour pour survivre.

On ne peut pas lire l’œuvre de Castillo sans regarder du côté de ses lectures. A défaut de foyer, il a une bibliothèque ; à défaut de parents, il a des amis, des compagnons d’encre et de papier. L’image de Shéhérazade, envoûtante et fragile, se superpose volontiers à celle de sa mère qui, elle aussi, journaliste et républicaine dans l’Espagne franquiste, se bat avec des mots. La narratrice des Mille et une nuits et Fina-Dina-Candida ont en commun le courage, la conscience du pouvoir de la fiction, le sens des mots.

Michèle Gazier.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Mich%C3%A8le_Gazier

 

Source de l’article :

Gazier Michèle, « Michel del Castillo. L’écriture, c’est la vie », Études, 1/2001 (Tome 394), p. 93-101.

http://URL : http://www.cairn.info/revue-etudes-2001-1-page-93.htm

 


 

Article similaire en espagnol 

Tanguy. Historia de un niño de hoy.

Autor: Michel del Castillo

Título: Tanguy. Historia de un niño de hoy

Edita: Ikusager. Vitoria-Gasteiz, 2004

En 1957, Michel del Castillo escribe Tanguy, una novela de carácter autobiográfico donde relata la vivencia de bandono y desarraigo de un niño en el marco de la Guerra Civil Española, la Segunda Guerra Mundial y la posguerra en la España franquista.

Todo empieza cuando Tanguy tiene que huir a Francia con su madre desde Valencia, en el momento en que el ejército rebelde está muy cerca de entrar en la ciudad. Llegados a Francia, la madre lo abandona y el padre, que ha iniciado otra relación, no se hace cargo de él. Tanguy es detenido y concentrado en el tristemente famoso Velódromo de Invierno (estadio donde el régimen colaboracionista de Vichy encerró en 1942 a unas 7000 personas que, posteriormente, serían deportadas a los campos de concentración nazis). Es enviado a un campo de concentración y después de una estancia de tres años en él, es devuelto a España, donde lo internan en el asilo Toribio Durán de Barcelona. La estancia en esta institución representa una experiencia dramática por la crueldad del sistema asilar. Huye hacia Madrid y, finalmente, termina en Úbeda, en otra institución que, pese a seguir un modelo tradicional de protección, es donde por primera vez encuentra a alguien que realmente se preocupa de él. Después de la estancia en Úbeda regresa a Barcelona y, finalmente, a Francia donde reencuentra al padre y a la madre, con los que mantendrá unas dificiles relaciones. A pesar de no ser específicamente una novela pedagógica, tiene suficientes elementos para ser leída en clave de la educación social. Básicamente, podemos remarcar los siguientes aspectos:

 

En primer lugar, el análisis de la vida institucional de los centros de protección de la España franquista. En principio, se presentan dos modelos. Por un lado, la vertiente más dura, represiva, siniestra y antieducativa representada en la permanencia en el asilo Toribio Durán (y que también ha sido muy bien representada en clave humorística por los cómicos de Carlos Jiménez en la serie Paracuellos del Jarama).

 

La rééducation des jeunes déviants dans les maisons de redressement de l’Espagne franquiste (1939-1975), page 293. Cf infra.

 

La segunda está representada por la estancia en Úbeda, donde se aplica un modelo tradicional pero respetuoso con el interno al que realmente se le da apoyo para que pueda iniciar una vida lo más autónoma posible. Las dos instituciones están muy contrastadas y muestran claramente las dos caras del modelo tradicional de protección.

En segundo lugar, en esta obra pueden analizarse las características de la relación educativa. Mientras que en el asilo Durán ésta es prácticamente inexistente (si pensamos estrictamente en acciones educativas), en Úbeda, Tanguy recibirá el apoyo del padre Pardo, un jesuita que lo orientará en el proceso de tomar decisiones para orientar su vida. La relación que establecen se basa en el respeto, en la no imposición, en la orientación y en la comprensión que el adulto es capaz de hacer respecto a los sufrimientos del adolescente. También es el reconocimiento consciente de las limitaciones de las instituciones: « me hubiese gustado poderte ofrecer más. Pero esto, pese a todo, sólo es un colegio. Tú necesitabas un hogar, un verdadero hogar… i Y yo tengo que ocuparme de todos! . Mientras que en el primer recurso Tanguy termina huyendo, del segundo marchará con el soporte de la institución.

En tercer lugar, es interesante analizar el sentimiento de desarraigo y soledad del protagonista. Los diferentes personajes que desfilan por la vida del protagonista van desapareciendo de forma absoluta. Su amigo Fermín, el padre Pardo, Sebastiana… todos van quedando atrás, perdidos en el pasado. Tanguy es un ser solitario que no tiene ataduras. Sabe relacionarse con las personas (no es un antisocial) pero su lógica vital es la soledad. Además, es joven, pero anifiesta una especie de cansancio existencial profundo. Como le dice el padre Pardo (que irónicamente explica que su mejor amigo es Filiston, un esqueleto que tiene en su despacho), « lo que hace envejecer una persona, tenla por seguro, son los adioses; cuantos s adioses has dado durante tu vida más viejo eres. Envejecer es dejar a alguien o algo

Te sentirás viejo… Quizá no te entenderán del todo ». La vida de Tanguy es una permanente separación, una pérdida constante que seguramente le hace adoptar una posición de observador distante de las personas, como si fuera un mecanismo de protección frente a estas rupturas (como el protagonista de la novela de Delibes, La sombra del ciprés es alargada, cuando afirma que lo mejor para no perder es no llegar a tener).

Seguramente, éste es un aspecto muy interesante de tener en cuenta en el trabajo educativo con personas vulnerables; analizar hasta que punto las experiencias más traumáticas de exclusión social posibilitan o impiden el desarrollo del sentimiento de prosocialidad, más allá de lo más simple estar correctamente socializado.

Como se puede ver, Tanguy puede leerse en clave literaria pero también se puede leer en clave pedagógica. De hecho, aun siendo una obra relativamente desconocida en nuestro país, en otros países ha sido un texto utilizado en la ormación de los educadores y educadoras.

Jesús Vilar Educación Social 34

 

 

PHOTOS DE L’ASILE DURÁN, Barcelone.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Pour approfondir :

La rééducation des jeunes déviants dans les maisons de redressement de l’Espagne franquiste (1939-1975).

Thèse d’Amélie Nuq, soutenue en 2012. Université Aix-Marseille. Directeur de thèse : Gérard CHASTAGNARET

 

Ce travail de thèse porte sur le destin des enfants et des adolescents envoyés en maisons de redressement (reformatorios) de 1939 à 1975. Il confronte la norme produite par l’État franquiste en matière de déviance juvénile aux réalités de la prise en charge des mineurs dans trois institutions particulières : l’Asilo Durán de Barcelone, la Colonia San Vicente Ferrer de Valence et, dans une moindre mesure, la Casa tutelar San Francisco de Paula de Séville. L’histoire heurtée et le caractère archaïque des reformatorios révèlent les carences de l’État espagnol (manque structurel de moyens, place considérable de l’Eglise catholique). Dans le domaine de la prise en charge de la déviance juvénile, le franquisme n’invente rien ou presque : il se contente d’abroger les réformes limitées mises en place par la Seconde République pour en revenir au dispositif de la Dictature de Primo de Rivera. Les pensionnaires de maison de redressement sont internés pour deux motifs principaux : le vol et l’indiscipline. Ils ne viennent pas majoritairement de quartiers populaires dans lesquels une population ouvrière est installée depuis longtemps : c’est plutôt le déracinement, lié à la guerre et aux mutations profondes de la société espagnole, qui provoque la fragilité et favorise la déviance. Il apparaît que les enfants de « rouges » ne représentent qu’une minorité des pensionnaires de l’Asilo Durán et de la Colonia San Vicente Ferrer. Néanmoins, les reformatorios constituent un des maillons de la chaîne répressive, de contrôle social et de bienfaisance mise en place par la dictature franquiste avec l’appui de l’Eglise catholique.

https://hal.archives-ouvertes.fr/tel-01213642/document

Laisser un commentaire