Archives de catégorie : Histoire

ROMANCERO DES OMBRES


« Et un matin tout était en flamme
et un matin les foyers sortaient de terre dévorant les vivants,
et dès lors ce fut le feu,
ce fut la poudre dès lors, et dès lors ce fut le sang
. »
Pablo Neruda

En cette année qui marque le quatre-vingtième anniversaire de la
Retirada (l’exil de 500000 républicains espagnols en France), en
ces temps où une Europe nauséabonde renaît de ses cendres, le
«Romancero des ombres» est un geste artistique nécessaire pour
continuer à vivre debout.

Deux matériaux sont au cœur de cette création :

un film documentaire (Compañeras) et le témoignage de Manuel
Cano Lopez (En remontant le temps lointain), le père du metteur.
Compañeras, le film de Jean Ortiz et de Dominique Gautier,
donne la parole à des femmes « courage » qui racontent leur rôle,
effacé de la mémoire collective espagnole, dans la défense de la
République espagnole et dans l’anti-franquisme.

Depuis leur condition d’avant l’avènement de la République,
en 1931, jusqu’à nos jours, elles évoquent leurs espoirs et leurs
souffrances.

En remontant le temps lointain est composé d’une dizaine de
pages, que Manuel Cano Lopez écrivit à la demande de son fils.
Un récit émouvant des souvenirs d’un enfant de onze ans perdu
dans le tourbillon de la guerre civile en Andalousie.

Les témoignages de ces femmes et le récit de ce petit garçon
s’entrelacent étroitement et nous renvoient avec force les douleurs
passées mais toujours vivaces.

Partager aussi ce qui a été profondément enfoui, et nous permettre
ainsi de mieux penser (panser) et vaincre nos incertitudes et nos
peurs d’aujourd’hui.

RÉSERVATIONS ET RENSEIGNEMENTS
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 » UNE LONGUE MARCHE DE LA RÉPRESSION FRANQUISTE AUX CAMPS FRANÇAIS « 

Albino GARRIDO SAN JUAN : « UNE LONGUE MARCHE DE LA REPRESSION FRANQUISTE AUX CAMPS FRANÇAIS ». Publié aux EDITIONS PRIVAT .

 » Une longue marche – De la répression franquiste aux camps français  » retrace le parcours d’Albino Garrido San Juan, jeune journalier de Castille, pris dans le tourbillon de la guerre d’Espagne. Agé d’à peine 17 ans il s’enrôle dans la colonne des milices populaires du colonel Julio Mangada puis dans la 34ème Brigade Mixte et lutte pour défendre la République, dans la Sierra, aux confins des provinces d’Avila et de Madrid. Démobilisé au printemps de 1937, il s’engage alors dans l’aviation. Affecté à plusieurs aérodromes à l’arrière du front, la fin de la guerre le surprend en Estrémadure. Dans des conditions particulièrement dramatiques il est fait prisonnier par les troupes franquistes et est interné dans le terrible camp de concentration de Castuera dans la province de Badajoz. Après plus de huit mois de réclusion dans un univers où l’arbitraire, les privations et la brutalité des vainqueurs règnent en maîtres, il parvient à s’évader accompagné de cinq camarades.

Commence alors, au coeur de l’hiver, une longue et périlleuse marche à travers l’Espagne. Se déplaçant de nuit, s’aidant d’un petit manuel de géographie pour tracer leur route, s’orientant lorsque le temps le permet à l’aide de l’étoile polaire, il réussit avec trois camarades à atteindre le 22 mars 1940 la frontière française à Urdos. Son périple a duré 79 jours.

Itinéraire approximatif suivi par Albino Garrido et ses compagnons lors de leur évasion du camp de concentration de Castuera. Leur pérégrination à travers l’Espagne dura 79 jours, du 4 janvier au 22 mars 1940. Elle les conduisit jusqu’à Canfranc puis Urdos, en France

Interné dans le camp de concentration de Gurs puis dans celui d’Argelès sur Mer il réussit à en sortir et travaille dans l’agriculture dans le département de l’Hérault. Après l’entrée des troupes allemandes à Paris il s’enfuit et rejoint Marseille. Commence alors une vie d’errance. Emprisonné à Aix en Provence pour défaut de papiers d’identité il rejoint les Groupements de Travailleurs Etrangers afin de régulariser sa situation. Passant d’un GTE à l’autre pour se soustraire aux réquisitions des autorités de Vichy qui veulent le mettre au service de l’organisation Todt, il quitte le midi de la France pour rejoindre Royan en juillet 1943. Il s’y trouve à la fin de la guerre. La longue nuit de la dictature franquiste anéantit tout espoir de retour en Espagne. Il fonde une famille et s’établit définitivement en France.

Ce récit a été traduit par son fils Luis qui, s’appuyant notamment sur des recherches dans différents services d’archives tant en Espagne qu’en France, l’a enrichi de nombreuses notes pour l’éclairer aussi bien sur le plan général de la guerre et de ses conséquences, que sur celui de ce parcours si particulier.

Le livre d’Albino GARRIDO sera présenté par son fils Luis qui parlera et debattra du système concentrationnaire franquiste et du combat pour la mémoire le : Samedi 13 Octobre de 14 h 30 à 18 heures

Salle 121 aux Halles à Tours

COMPTE RENDU 24 août 1944 – 24 août 2018 « Qui étaient ces soldats de la liberté ? »

Plus de 250 personnes se sont rassemblées ce vendredi 24 août pour rendre hommage aux antifascistes espagnols de la Nueve.
Anne Hidalgo, maire de Paris était accompagnée d’Evelyne Zarka pour la mairie du 4e, de Catherine Vieu-Carrier élue chargée de la mémoire combattante et de la représentante nationale du PSOE, du Directeur de la Mémoire historique d’Espagne Monsieur Fernando Martinez, de l’ambassadeur espagnol à l’OCDE et de l’ambassadeur espagnol à l’UNESCO, pour annoncer le décret de déplacement des cendres du dictateur et la volonté du gouvernement espagnol d’oeuvrer pour une véritable reconnaissance des crimes franquistes.

Le 23 août 2018, vers 19h, sont arrivés tranquillement les descendants des hommes de la Nueve, qui devaient intervenir le lendemain lors de l’hommage rendu à leur parent.

Nous étions au 33 rue des Vignoles, dernier lieu historique parisien de l’exil libertaire espagnol et surtout lieu vivant et populaire en passe d’abriter, entre autres, le centre mémoriel du mouvement libertaire français et espagnol en exil.

Nous sommes une bonne trentaine, réunis dans la grande salle, où trônent les portraits peints par Juan Chica-Ventura.
Une partie des gens se connaissent, contents de se retrouver autour de cette table amicale, d’autres font connaissance et tout le monde est heureux de saluer la famille Campos, Teresa la fille de Miguel Campos, et ses enfants : Isana, Mundi, Luis-Miguel.

Colette Flandrin Dronne, fille du capitaine Dronne est venue également, pour honorer cette famille qui cherche depuis 1945 ce qu’est devenu leur père et grand-père.

Les conversations vont bon train, historiques, politiques, amicales, et bien entendu… gastronomiques.

On rit, on pleure, on chante, enfin on évoque surtout l’empreinte de ce peuple, bâtisseur d’une société nouvelle, sur leurs héritiers biologiques et idéologiques. On se sépare tard dans la nuit.

24 août 2018, 16h30, nous sommes concentrés devant le jardin des combattants de la Nueve, 3 rue de Lobau.

La mairie comme chaque année depuis 2014, a fait disposer des fleurs aux couleurs de la République espagnole, un pupitre et une sono pour les intervenants et des chaises pour ceux qui viennent écouter. Inutile de dire que malgré leur nombre, elles seront insuffisantes et beaucoup devront rester debout pour assister à l’ensemble des prises de parole.
De notre côté, nous avons amené nos grilles d’exposition et nous les disposons le long des murs qui entrourent le jardin. Nous y accrochons les portraits des hommes qui seront évoqués ce jour. Nous tendons, de l’autre côté du portail du jardin, notre immense banderole qui doit être visible depuis les étoiles, tant elle est grande.

Comme tous les ans, le maire du 4e arrondissement, qui nous accueille sur son territoire, nous souhaite la bienvenue, à travers les mots chaleureux et amicaux de Madame Evelyne Zarka, première adjointe à la mairie et indéfectible soutien à notre action.

Le large trottoir se couvre spontanément des couleurs rouge et noir, jusque là indésirables si près de la maison des élus et mainenant saluées par eux…

L’hommage commence sous les yeux attentifs de plus de 250 personnes. Nous voulons évoquer cette année, ces hommes dans leur humanité, leur quotidien d’être humain, de père, de grand-père et de passeurs de l’expérience sociale qui fut la leur.

Notre association a présenté le cadre des interventions :
« En 2018, nous voulons donner la parole aux descendants des hommes de la Nueve de la 2e DB. Elles et ils nous invitent à partager leurs souvenirs des hommes que furent leur père ou leur grand-père. Les traces qu’ils ont laissées en eux et en nous, puisque nous sommes aujourd’hui ce qu’ils ont semé hier par leur opiniâtreté à défendre la justice et la liberté. » (voir document « introduction » )

Le ton était donné.

Nous avons lu une lettre de Rafaël Gomez, dernier survivantde cette compagnie, qui voulait saluer ce rassemblement sans pouvoir se déplacer :

« Un combat pour la liberté au cours duquel tombèrent beaucoup de nos compagnons. (…) Je crois que La Nueve fut une compagnie unique (…). Malgré la distance qui nous sépare aujourd’hui, je vous assure que je suis près de vous. »

Carmen Góngora évoque son grand-père, José Góngora Zubieta, comme un lointain souvenir et la découverte en 2015 seulement qu’il avait été un des hommes de la Nueve. C’est alors que commence sa quête :

« Grande émotion ! Mon grand-père, un héros ! J’ai voulu en savoir plus, partant ainsi vers une quête laborieuse mais passionnante à partir d’une photo et d’un article de journal. (…) »

C’est Agnès Pavlowsky, notre secrétaire, qui prêtra sa voix à César Vázquez à sa fille Marianne pour évoquer leur père et grand-père, Joaquin Tejerina Vázquez : « Antifranquiste jusqu’au bout des ongles, il a combattu dès son adolescence le fascisme et le racisme. Parcours étonnant et extraordinaire que celui de cet homme idéaliste et généreux, quelque part un Don Quichotte des temps modernes (…), en quête constante de liberté, de vérité et toujours à l’écoute des autres. Pourtant(…), c’était un modeste, refusant tous les honneurs (…) disant que ce qu’il avait fait était tout à fait normal. »

Les frères Solé, Miguel et Pedro sont évoqués par Juan Chica-Ventura & Ramon Pino ; Miguel qui survit à son frère au bout de tant de danger, sera poursuivi par la justice militaire, affublée d’œillères, pour désertion de la Légion Étrangère : « C’est proprement incroyable, mais un mandat d’arrêt contre moi court depuis le 28 février 1945. Il émane du tribunal militaire d’Oran. Le 26 septembre 1946, je suis arrêté à mon domicile de Saint-Denis. Il faudra l’intervention du directeur de la Maison des anciens de la 2e DB, rappelant mes états de services dans l’armée Leclerc, pour que je sois définitivement relaxé, en octobre 1946. J’étais abasourdi par cette mésaventure, qui n’aura pas touché que moi, car nous étions nombreux dans ce cas, les Espagnols : inculpés et décorés à la fois. »

Gérard Salinas, réservé, vient nous parler de son papa, Manuel Salinas qu’il a si peu connu : « (…) Peut-être en a-t-il découvert les réalités aux côtés de ses compagnons républicains, communistes et anarchistes de la Nueve. Pour ma part, je n’en retiens que le courage physique et moral de ces hommes venus de loin pour combattre une idéologie totalitaire, dans un pays qu’ils ne connaissaient pas. Manuel, mon père, m’aura permis de découvrir l’épopée des hommes de la Nueve et de ne pas oublier leurs souffrances. »

Daniel Pinos, membre de notre association, a débusqué, pour nous un air de guitare tout particulier avec le récit du témoignage de Victor Baro alias Juan Rico : « Anarchiste espagnol ! Je suis l’un des seize survivants de ceux qui sont entrés les premiers dans Paris. J’étais le plus jeune et j’avais une guitare. Le capitaine Dronne m’a dit : « Rico, ce n’est pas le régiment des mandolines. » J’ai caché ma guitare sur le tank. Il n’était pas commode, nous non plus. C’est le seul qui a voulu de nous, … et nous de lui. Il parlait espagnol, nous on se débrouillait en français mais le cœur y était. »

Notre ami et cinéaste Richard Prost avait la charge de parler de Manuel Lozano, dont il est, comme beaucoup d’anarchistes, l’héritier de son expérience menée à bien en Espagne et défendue jusqu’à son dernier souffle. Richard, sous son parapluie rouge et noir, nous explique ce que furent les réalisations sociales des anarchistes en Espagne et combien ils avaient mille fois raison, en avance sur leur siècle. Il dénonce aussi la falsification de l’histoire et les légendes qui viennent se substituer aux faits réels, laissant derrière elles une amertume mensongère : « C’est bien Manuel Lozano qui avait raison, si on l’avait écouté lui et ses camarades hommes et femmes, on ne parlerait pas aujourd’hui de changements climatiques. (…) C’est pourquoi Je m’adresse avec Manuel Lozano aux jeunes de l’assistance : Ne vous laissez pas guider par la façade de la connaissance et les recherches faciles. Cherchez toujours la vérité avant de faire vos choix personnels. » (lire l’article sur le lien suivant http://www.globalmagazine.info/2018…)

Madame Colette Flandrin Dronne nous a offert un exercice sans filet sur son papa, le Capitaine Raymond Dronne, commandant de la Nueve et cette compagnie qui fut la famille de sa famille, un belle émotion : « La Nueve a combattu avec gloire et courage pendant toute la campagne, souvent en première ligne, toujours plus unie (malgré la mosaïque des opinions), toujours plus soucieuse d’obtenir la victoire, et toujours avec l’espoir d’un retour au pays après la chute de Franco.
Mon père est parti, à la demande de Leclerc, un an en Indochine. La 9 dans sa presque totalité ne l’a pas suivi. « Les jaunes ne m’ont rien fait » disaient-ils. Démobilisés, ils ont eu l’immense amertume de découvrir que les alliés s’accommodaient du régime franquiste. (…)
Ils étaient des civils dans l’âme. Ils étaient courageux. Ils ont participé à tous les moments marquants de notre vie. Ils étaient ma famille. Quand mon père leur écrivait, c’était à « mon cher camarade » ou « cher ami ». Ils ont toujours été ses camarades. »

Marie-José Cortès, timide et craintive, a pris son courage à deux mains pour honorer la mémoire de José Cortès, son papa : « le 24 au soir, papa entre dans Paris avec ses compagnons. Il participe à la bataille de Paris. Le 25 août, en avançant dans la rue des Archives (4e arrondissement), il est touché par un tireur isolé (aujourd’hui, on dirait un snipper) par trois balles explosives. Une infirmière n’est pas insensible à son charme ibérique et à son aura de vainqueur. Elle lui prodiguera tous les soins possibles, émue par cet homme jeune aux portes de la mort. Ils se marièrent très vite. Après guerre, il retrouve son compagnon Martín Bernal, à Choisy le Roi qui lui apprend le métier de cordonnier… »

Mar y Luz nous a émus aux larmes en parlant de son père, Ángel Cariño López : « Il n’a jamais renoncé à ses valeurs ; il ne les inculquait pas, mais il les vivait.
Il avait un total désintérêt pour les biens matériels. La maison était toujours ouverte. Certains sont passés pour une simple visite, un repas. Lui qui n’était pas croyant : c’était pourtant un peu « la maison du bon Dieu » pour les gens et les animaux. D’autres venaient pour de l’aide pour des papiers ou des courriers… Mon père, s’il a eu la joie de disparaître après Franco, n’est jamais retourné en Espagne. Ce qui lui manquait le plus, c’était sa Galice, la mer et la pêche. »

Et elle lie la personnalité de son père à la résistance des exilés d’aujourd’hui : « Alors que je vous lis ces lignes, sur les bords de la Méditerranée d’autres exilés partent : eux aussi ont des familles, eux aussi fuient des dictatures, eux aussi veulent tout simplement survivre. Alors oui : dans les circonstances actuelles, comment voudrait-on que je ne pense pas à mon père et à tous ses combats ? »

Pour la première fois en France et en Espagne, nous allons entendre le témoignage déchirant de la famille de Miguel Campos, El Canario de la Nueve et disparu durant la campagne d’Alsace. Séparée dès son plus jeune âge de son père qu’elle ne revit jamais, Teresa fut jetée en prison avec sa maman dès juillet 1936. Ils ne se revoient pas mais Miguel écrit, jusqu’en 1942 où sa trace est définitivement perdue, jusqu’à ce documentaire qui fait sauter Luis-Miguel le petit-fils : « documentaire à la télévision publique espagnole, intitulé La Nueve, les oubliés de la victoire, d’Alberto Marquardt, dans lequel il raconte l’histoire de 150 républicains espagnols et où les témoins évoquent Miguel Campos. (…) C’était aussi très émouvant de lire le nom de mon père sur le mémorial Leclerc. Ce voyage fut l’une des choses les plus exaltantes que j’ai jamais vécues. J’ai obtenu beaucoup d’informations sur la vie de mon père. Grâce à M. Coale, nous avons appris que le capitaine Dronne parle de lui dans ses Carnets de route. »
Aimable Marcellan, secrétaire adjoint l’association, terminera ce « Marathon » évocateur avant que la Maire de Paris, Anna Hidalgo, prenne la parole.

Tout en rappelant les raisons de l’existence de l’association, il remercie la mairie de Paris pour l’avancée des travaux prévus pour le Centre mémoriel du mouvement libertaire espagnol en exil. Quoique la surveillance ne se relâche pas autour des locaux à transformer, au 33 rue des Vignoles. Un petit tour d’horizon sur la destination prestigieuse de ce lieu d’histoire populaire et parisienne, liée à l’exil, nous conduit à l’évocation des personnalités passées au 33 mais aussi des luttes qui y furent mener sans concession : « Nous savons, et les générations qui nous ont précédés nous l’ont montré, que rien n’est jamais acquis, que la mémoire comme la vie sont des combats de tous les jours, tournés vers l’avenir. Ces combats, nous les poursuivrons ! » (voir document Conclusion )

Nous avons terminé cette journée par l’intervention de Madame la Maire de Paris qui après s’être rejouie de parler ainsi, depuis plusieurs années maintenant, face à une forêt de drapeaux rouge et noir, a affirmé que la mémoire du peuple espagnol devait être mise au grand jour et qu’elle ne cesserait jamais de porter cette ambition : remettre le fleuve Histoire dans son lit de vérités, loin des falsifications, officielles ou autres.

Accompagnée tout au long de cet hommage par des officiels de l’État espagnol, (ambassadeur à l’OCDE, ambassadeur à l’UNESCO, représentante nationale du PSOE…) elle céda la parole au Señor Fernando Martinez qui annonça le décret signé par le chef du gouvernement espagnol Pedro Sanchez, de relève des cendres du dictateur Franco del Valle de los Caidos, et son intention de mener durant son mandat une vraie réhabilitation des combattants antifascistes espagnols en ouvrant les fosses communes, identifiant chaque corps pour le remettre à sa famille, et en travaillant en harmonie avec les associations de mémoire espagnoles et celles de l’exil, conscient qu’une grande part de l’histoire du peuple espagnol se trouve hors de ses frontières.
La réconcilaition en Espagne est à ce prix : exhumer la vérité et en tirer les véritables leçons, rien n’avancera sans ce passage obligé.

Le 25 août 2018, nous avons accompagné la famille Campos aux cérémonies officielles de la libérations de Paris. Une grande joie , un beau cadeau les attendait, la rencontre avec Alberto Marquardt, l’homme par lequel la quête de cette famille a commencé à devenir réalité.

Mais lors de la célébration officielle, très militaire et protocolaire (rien à voir avec celle de la veille) à nouveau la chappe de plomb s’est installée par ommission : pas un mot des Espagnols, de la Nueve entrant dans Paris ou martyrisée à Écouché.

La cérémonie s’est terminée par la projection du film Paris brûle-t-il ; film grand public qui tisse les ommissions avec le fil des extravagances historiques, jamais remises en cause.

Il reste encore beaucoup de chemin pour que ce qui se dit un jour se dise toujours et qu’on ne perde pas ce fil ténu de la vérité en une nuit.

Le bureau de l’association
24-août-1944

Tous les textes des interventions seront publiés en bilingue dans une brochure illustrée.

En l’attendant je tez un oeil à cette vidéo :

Les photos sont de : Mireille Mercier Balaz, Cristine Hudin, Didier Auroi, Alain Rameau Frias, Richard Prost

Luis Royo Ibáñez, un de la Nueve

Issu d’une modeste famille d’origine aragonaise, Luis Royo Ibáñez est né le 14 novembre 1920 dans le quartier de l’Ensanche à Barcelone. Son père qui était cordonnier avait des idées anarchistes et souhaitait que son fils reçoive une éducation gratuite. Il avait coutume de lui dire que seule l’éducation le rendrait libre de décider de sa vie. Alors qu’importe si ce sont des religieux qui proposent une école gratuite, il inscrit son fils chez les Maristes !

Luis arrête ses études vers l’âge de 16 ans pour devenir ouvrier dans les Arts Graphiques. La guerre éclate l’année suivante et il s’engage dans l’Armée Républicaine. À 17 ans, il fait partie des 30 000 jeunes engagés de « la quinta del biberón » (la classe du biberon) ainsi que les avait surnommés Federica Monseny, ministre de la Santé du gouvernement Républicain.

La guerre d’Espagne et la Retirada, c’est Luis Royo lui-même qui les raconte : « J’ai commencé la guerre avec l’offensive de Balaguer, qui a été un échec parce qu’on n’avait pas de moyens et qu’il est clair qu’on ne pouvait se battre avec un balai contre un canon. Malheureusement, cela a toujours été comme ça dans le camp Républicain. Dans de nombreuses batailles, on a combattu en jetant des pierres et des grenades. J’ai participé à toute la bataille de l’Ébre et au remplacement des Brigades Internationales à Tortosa. J’ai vu beaucoup de morts, beaucoup de blessés graves, quelques-uns sans jambes ou sans bras. C’était très dur de ne pouvoir rien faire pour eux…

Le front a été enfoncé en décembre 1938 après Noël, et, de Tortosa, on est partis vers l’Ampourdan. Là, on a commencé la retraite à pied. On est passés par Berga, Olot, Figueres, et on est arrivés à la frontière de Prats-de-Mollo le dimanche 12 février 1939, vers cinq heures de l’après-midi. On était cinq amis de la même division, avec des mules et un cheval. Il faisait encore jour. L’aviation franquiste bombardait près de Ripoll, à quelques trois kilomètres. Avant de franchir la frontière, on nous a tous désarmés. J’avais un « naranjero » (fusil-mitrailleur) et plutôt que le donner, j’ai préféré le briser et jeter les morceaux dans le fossé. Ensuite, on a passé la frontière avec le Général Hernández à notre tête, son état-major et un groupe de musiciens. On était une soixantaine de militaires. On est entrés en formation, avec les musiciens jouant l’Himno de Riego (hymne de la République espagnole). J’avais 18 ans. »

Après son entrée en France, Luis Royo est interné sur place, puis envoyé au camp d’Agde. Deux de ses tantes installées dans la région apprennent sa présence au Camp et réussissent à le faire sortir. Il travaille dans un domaine viticole jusqu’à l’Armistice. Le 18 juin 1940, tandis qu’avec ses cousines il recherche une station de radio, il tombe par hasard sur Radio Londres. L’appel du Général de Gaulle qu’il entend alors le décide de rejoindre ceux qui refusent de subir le nazisme et le fascisme. Il s’engage dans la Légion et part pour Marseille. Avec 15 autres espagnols il est expédié à Oran puis au Maroc.

Dès que l’occasion se présente, il déserte de la Légion et rejoint la 2ème division blindée placée sous le commandement du Général Leclerc, rallié aux Forces Françaises Libres. Les Républicains espagnols étaient tellement nombreux dans la 9ème Compagnie qu’elle a été surnommée la « Nueve » (9 en espagnol). Installée à Rabat, la Compagnie reçoit des véhicules américains, notamment des half-tracks que les Espagnols s’empressent de baptiser avec des noms de villes espagnoles comme Madrid, Guernica ou encore Santander. Plus facétieux, un half-track est dénommé « les pingouins » en référence à « espingouins », surnom donné aux Espagnols par les soldats français, et la jeep de contrôle est appelée « mort aux cons ». Et, à leur grande joie, les Espagnols sont autorisés à peindre le drapeau républicain espagnol sur les blindés.

Du Maroc, la Nueve part en Grande-Bretagne avec l’objectif de débarquer en France. Le 1er aout 1944, Luis Royo et ses 10 compagnons du half-track « Madrid » qu’il conduit débarquent sur la plage d’Omaha Beach. Ils participent à des combats dans l’Orne, et notamment à la bataille d’Écouché, une des plus dures de Normandie mais aussi une des plus grandes victoires de la Nueve contre les nazis. Puis, le 24 août, le Général Leclerc, surnommé « el patrón » par les Espagnols, donne un ordre : « Objectif Paris ! ». Ils parcourent alors les 200 kms qui les séparent de la capitale et, guidés par les FFI, entrent dans Paris par la Porte d’Italie. Près de l’École Militaire, ils échangent des tirs avec des miliciens français et atteignent enfin l’Hôtel de Ville.

Quelle fierté pour ces combattants espagnols d’être les premiers à libérer Paris ! D’ailleurs, Leclerc disait d’eux : « Je commande une troupe de rouges, mais quel courage ! ».

Le lendemain, la Nueve assaille l’Hôtel Meurice et fait prisonnier le général Von Choltitz, gouverneur militaire allemand. Le 26 août, le Général de Gaulle honore la Nueve en remettant aux combattants la croix de Lorraine, symbole de la France libre. En ce jour mémorable, les Espagnols arborent fièrement cette décoration placée sur leur insigne aux couleurs de la République espagnole.

Mais la guerre n’est pas finie pour autant et, après avoir libéré Paris, la Nueve continue à combattre les nazis dans la Haute-Marne et en Alsace. Les Espagnols passent de l’autre côté du Rhin et arrivent en Allemagne. Leur dernière bataille sera celle de Berchtesgaden, ville des Alpes bavaroises où Hitler s’est retranché dans son « nid d’aigle ».

Après la guerre, Luis Royo s’est installé à Cachan dans la région parisienne. Ouvrier chez Citroën, il a mené une vie simple mais a toujours gardé en lui cette fierté d’avoir libéré Paris.

Il a fallu l’aube des années 2000 pour que l’épopée de l’héroïque Nueve sorte enfin des limbes de l’Histoire : en 2004, Luis Royo et d’autres rares survivants ont été honorés par le gouvernement espagnol et, en 2005, la France leur a remis la Légion d’Honneur. Cette même année, la Ville de Paris a balisé un itinéraire mémoriel de 11 plaques ponctuant le parcours des half-tracks de la Nueve.

Suite à ces hommages, Luis Royo est sollicité pour de nombreux témoignages. À un journaliste qui lui demandait à quoi il pensait après tant d’années, il répondit : « À mes dix camarades du half-track  » Madrid  » que je conduisais. Ils ont tous disparu. Je pense à mon chef de section Moreno, à ces dix Espagnols vaincus par les franquistes soutenus par les nazis et les fascistes italiens. Lorsque l’ordre nous a été donné par Leclerc de  » foncer sur Paris « , nous étions ivres de joie et de bonheur. Nous allions participer, aux premières loges, à la libération de Paris, nous allions chasser les Allemands et surtout prendre notre revanche sur ceux qui avaient assassiné la République espagnole que nous défendions à l’époque avec des tromblons datant de la guerre 1914-1918. En débarquant en France, en combattant dans l’Orne, en pénétrant dans la capitale de la France, nous disposions d’un armement américain moderne. Je pense à mon half-track  » Madrid « , à sa vitesse, à sa puissance de feu. Nous étions déterminés, bien armés et entraînés, bien commandés, bien guidés par les FFI. Les Allemands n’avaient, cette fois, qu’à bien se tenir. »

En 2014, Luis Royo, malade, n’a pu participer à la commémoration des 70 ans de la Libération de Paris ni à l’inauguration d’un parc en mémoire de sa Compagnie. Il s’est éteint à l’âge de 96 ans le 23 août 2016, la veille du jour où, 42 ans auparavant, il libérait Paris. C’était le dernier survivant de la Nueve.

https://www.herault-tribune.com/articles/168132/agde-association-pour-la-memoire-du-camp-detrsquo%3Bagde-etlaquo%3B-ils-sont-passes-par-le-camp-etraquo%3B/

Etat espagnol : Les esclaves du franquisme

Cette histoire débute par une fuite. Des militants de la CNT [Confédération nationale du travail, le plus grand syndicat espagnol avant la guerre civile, anarcho-syndicaliste] ont brûlé jusqu’aux fondations l’Instituto Católico de Artes y Oficios de Madrid. Le directeur de l’Institut, le jésuite José Agustín Pérez del Pulgar, a décidé de partir pour la Belgique. L’attaque contre cet édifice n’était en rien un hasard. Pérez del Pulgar est un militant actif de la droite la plus réactionnaire; il met à profit sa fonction pour diffuser de la propagande, il est convaincu de la nécessité de freiner l’expansion des idées marxistes parmi les jeunes. Quelques mois après avoir quitté le pays, la guerre civile éclate. Il décide de rentrer, se placer au service du soulèvement, participer à la croisade qui sauvera l’Espagne.

Pérez del Pulgar passe les mois suivants au nord de la péninsule. Il sait bien que sa place n’est pas au front, mais à l’arrière-garde le travail ne manque pas pour des hommes tels que lui. Il ne perd pas son temps. Il se met en relation avec Máximo Cuervo Radigales [1893-1982], un général très proche des sommets ecclésiastiques en raison de son activité à la direction du CEU [Centro de Estudios Universitarios, fondé en 1933 par l’Association catholique de propagandistes]. Cuervo Radigales est sur le point de devenir l’un des personnages les plus dangereux et obscurs du régime franquiste, il a toutefois besoin de l’aide du jésuite. Les deux vont commencer à construire l’appareil idéologique qui soutiendra le système pénitentiaire de la dictature.

La récompense est immédiate. En 1938, Cuervo Radigales est nommé Directeur général des prisons; il réorganise les prisons sous contrôle franquiste. Avec l’aide de Pérez del Pulgar, il crée un système de travail forcé pour les prisonniers qui sera maintenu pendant toute la durée de la dictature. Celui-ci est placé sous le contrôle d’un nouvel organisme, le Patronato de Redención de Penas por trabajo [Fondation/patronage de rédemption des peines par le travail]. Cuervo Radigales place le jésuite à la tête du Patronato, ce dernier est placé sous sa responsabilité directe. L’une des machines répressives parmi les plus cruelles du régime vient de naître. Ce Patronato ne sera, toutefois, pas le seul organisme qui fera appel à du travail esclave. Il faut en effet ajouter au système pénitentiaire le système de camps de concentration créé dans l’ensemble de la péninsule au sein desquels ont également été constitués des bataillons de travail. Leurs prisonniers ne devaient pas même accomplir des peines, car ils n’avaient pas été jugés. Ils dépendaient directement de l’Inspección de Campos de Concentración de Prisioneros (ICCP) puis de la Jefatura de Campos de Concentración y Batallones Disciplinarios.

Bien que le travail forcé des prisonniers fût chose courante depuis le coup d’Etat [en juillet 1936], la construction du Valle de los Caídos [Vallée des tombés, basilique creusée dans la roche située à quelques kilomètres de Madrid et où sont enterrés le fondateur de la Phalange, José Antonio Primo de Rivera, et Franco] sera l’un des premiers chantiers à faire massivement usage de main-d’œuvre esclave. Franco voulait un grand mausolée, un monument digne de la croisade qu’il venait de terminer. Il attendit peu avant de lancer les travaux. Le 1er avril 1940, date du premier anniversaire de la victoire, il publie un décret ordonnant le début des travaux. Le document ne laisse aucun doute quant au but poursuivi: Franco souhaitait rendre hommage à ceux qui étaient tombés en se battant à ses côtés. «Destination éternelle de pèlerinage, où le grandiose de la nature offre un cadre digne au terrain dans lequel reposent les héros et martyres de la Croisade.»

C’est là que Pérez del Pulgar revient dans notre histoire. Dans un pamphlet publié fin 1939, sous le titre La solution de l’Espagne au problème des prisonniers politiques, le jésuite jettent les bases de ce qui sera sa tâche à la tête du Patronato de Redención de Penas por Trabajo: «il est bien juste que les prisonniers contribuent par leur travail à la réparation des dommages auxquels ils ont contribué en collaborant avec la rébellion marxiste.» Del Pulgar va faire en sorte qu’ils paient.

Le fonctionnement du Patronato était simple: les entreprises et les entités publiques sollicitaient des prisonniers comme travailleurs et les responsables décidaient du nombre qui leur serait attribué ainsi que la prison où ils seraient sélectionnés. Les Archives générales de l’administration conservent les registres élaborés par le Patronato entre 1940 et 1960. Ceux-ci détaillent les prisonniers attribués, le lieu de destination et le travail qu’ils devront réaliser. Ces données n’ont toutefois pas pu être consultées de manière systématique, raison pour laquelle les chercheurs qui travaillent sur ce thème ont dû recourir aux Memorias de la Dirección General de Prisiones. Les recherches indiquent qu’il y avait des entreprises de tout type, y compris des petits commerces et des particuliers qui sollicitaient une domestique. Alors qu’ils travaillaient, ils étaient enfermés dans des colonies pénitentiaires, en détachement pénal, ou même dans des prisons. Pour avoir une image générale du système d’enfermement, il faudrait ajouter à ces colonies pénitentiaires les camps de concentration dont la fonction était d’interner et de classer les prisonniers de guerre.

Les chiffres et l’étendue de cette pratique à tous les secteurs de l’économie montrent que le système de travail esclave n’avait rien de provisoire, mais qu’il s’agissait bien d’un pilier central de l’économie franquiste. D’après les historiens qui ont traité de cette question, le nombre le plus élevé de prisonniers a été destiné aux infrastructures et travaux publics: construction de chemins de fer, routes, canaux, prisons et mines. Un exemple est celui de la construction de la prison de Carabanchel, à Madrid, où l’on sait qu’en 1946 956 prisonniers travaillaient, bien que l’on ne possède pas de données sur d’autres années.

Dans son ouvrage intitulé El Valle de los Caídos: Una memoria de España, l’une des recherches les plus détaillées sur la construction du monument, l’historien Fernando Olmeda ne s’aventure pas à donner des chiffres sur le nombre de prisonniers qui ont œuvré au Valle en raison des difficultés à trouver ces données. D’après les Memorias de la Dirección General de Prisiones, il y aurait eu environ 500 prisonniers par année entre 1943 et 1950, bien qu’il n’y ait aucun chiffre pour certaines années.

Les travaux furent confiés à trois entreprises de la construction – Banús, Molán et San Román – dont les dirigeants eux-mêmes faisaient le tour des prisons pour sélectionner les détenus. Teodoro García Cañas, prisonnier à Ocaña, rappelle dans le libre Esclavos por la patria comment Juan Banús examinait personnellement les dents et les muscles des prisonniers pour choisir ceux qui seraient les plus à même à tenir le coup. Nombreux sont ceux qui ne le firent pas. Aux morts causés par les mauvaises conditions de travail et par l’épuisement, il faut ajouter ceux qui moururent de silicose à la suite du travail dans les cryptes.

Pérez del Pulgar observait la progression du Valle de los Caídos et souriait. Les prisonniers se rachetaient non seulement vis-à-vis de la patrie, mais aussi face à Dieu. En échange de leur travail, le Patronato avait établi un système de réduction des condamnations et un salaire dont l’objectif était de montrer qu’il était possible de revenir sur le droit chemin et d’obtenir le pardon. Ce qui est sûr, c’est que ces mesures furent peu mises en place. Le système pénitentiaire de Cuervo Radigales était fondé sur l’arbitraire et la torture systématique des détenus, qui souffraient de mesures telles que la politique de dispersion permanente baptisée de «tourisme pénitentiaire» par Radigales. Pour ce qui est du salaire, il était fixé à 2 pesetas par jour, desquels l’Etat déduisait 1,5 pour les frais d’entretien.

La plus grande fosse commune de la péninsule

Franco choisi un autre anniversaire pour l’inauguration du Valle de los Caídos, celui de 1959 [20 ans après la fin de la guerre civile]. Alors que dans un premier temps il avait été décidé que seuls les héros franquistes y seraient enterrés, en 1958 le régime changea d’idée: une lettre du ministre de Gobernación [de l’intérieur] spécifiait que les inhumations se feraient «sans distinction du camp dans lequel ils combattirent». L’endroit ne cessa jamais d’être un monument à la victoire franquiste, mais on décida d’y transférer les cadavres provenant de fosses communes de pratiquement toute la péninsule, sans tenir compte d’où ils venaient et sans aviser les familles.

L’énorme transfert, 33’833 corps, qui se prolongea jusqu’en 1983, transforma le Valle de los Caídos en la plus grande fosse commune d’Espagne. 12’410 cadavres n’ont toujours pas été identifiés. Bien que les fosses aient été déclarées de propriété de l’Etat en 2007, leur accès dépend de l’Eglise en vertu des accords de 1979 avec le Vatican. L’Eglise a fait usage de ce pouvoir pour refuser les identifications, y compris contre des décisions judiciaires comme dans le cas, en 2017, de Manuel et Ramiro Lapeña.

Ces accords, qui ont rang de traité international et sont par conséquent au-dessus des lois nationales, constituent l’obstacle principal auquel fait face le gouvernement [Sánchez] pour transférer les restes de Franco. L’avenir du mouvement soulève toutefois d’autres questions. L’une d’elles est celle de sa transformation possible en un mémorial des victimes des deux camps, ainsi que l’avait recommandé le Comité d’experts nommé par Zapatero en 2011. Cette transformation semble compliquée pour un monument dont la finalité était claire dès le début et qui est resté, jusqu’à aujourd’hui, un lieu d’hommage au franquisme. Il s’agit aussi de répondre à des questions telles que celle du financement de sa restauration, dont le coût est estimé à 13 millions d’euros en raison de l’importante détérioration du monument.

En 2011, Joan Tardá [député membre d’ERC] proposa au Congrès que ces coûts soient portés par les entreprises qui s’étaient enrichies grâce à l’usage de main-d’œuvre esclave. Pour appuyer son propos, il utilisa une photographie des travaux où l’on pouvait voir une affiche de l’entreprise Huarte, ancêtre de l’actuelle OHL [Obrascón Huarte Lain, S.A., l’une des six plus grandes entreprises espagnoles de la construction]. Au dos de la photo, une note indiquait qu’il fallait effacer l’affiche pour éviter toute association avec l’entreprise. En réalité, la participation de Huarte aux chantiers fut plus tardive, en 1950, alors que, selon les données de la Dirección General de Prisiones, il n’y avait plus de travail esclave. Toutefois, ainsi que l’ont signalé les collectifs de mémoire historique de Navarre lorsque Félix Huarte a reçu la médaille d’or de Navarre, la complicité de ce dernier avec la dictature était très forte. Il est probable qu’il ait eu recours à du travail esclave sur d’autres chantiers, tels que la construction de l’aérodrome d’Ablitas.

Huarte n’était pas seul. Les grandes fortunes de l’IBEX 35 [l’indice boursier espagnol], édifiés sur le travail esclave, ne souhaitaient pas laisser de traces de leur passé. Ainsi que l’ont découvert des recherches du Financial Times, publiées en 2003, et de La Marea, en 2014, aux côtés d’OHL se trouvent de nombreuses autres entreprises dont la fortune repose sur le travail forcé, des compagnies minières Norte ou Duro à des entreprises de la construction comme Acciona et ACS en passant par Iberdrola ou Gas Natural Fenosa.

Toutes ces entreprises ont refusé de donner toute explication et à fournir des informations sur cette affaire. Le système créé par Pérez del Pulgar et Cuervo Rodigales produit toujours, bien des années plus tard, des bénéfices. (Article publié le 27 juin sur le site Elsaltodiario.com. L’auteure remercie l’historien Fernán Mendiola pour la révision et l’amélioration du texte. Traduction A l’Encontre)

Layla Martínez

Etat espagnol. Les esclaves du franquisme

LA NUEVE, EL FILM

LA NUEVE
Una unidad de ciento cincuenta españoles contra el mayor ejército del mundo

Argelia, 1944

Somos la novena compañía, una unidad de choque formada por 150 exiliados españoles, conocidos en el frente como “La Nueve”. Somos la punta de lanza de la ofensiva aliada en Normandia.

Pese a la negativa del alto mando, nuestra unidad ha votado por avanzar en solitario para liberar París del terror nazi. Estamos dispuestos a protagonizar la liberación de la Ciudad de la Luz y el asalto final al Nido del Águila de Hitler. Frente a nosotros se despliegan más de veinte mil efectivos alemanes comandados por la 1º División Adolf Hitler y fuerzas de élite de la Wehrmach.

Teaser La Nueve de Daniel H. Torrado from Hernández Torrado, Daniel on Vimeo.

Los hombres de “La Nueve” habían abrazado nuestra causa espontánea y voluntariamente. Eran, verdaderamente, combatientes de la libertad. Las tumbas de sus muertos jalonan la ruta gloriosa y dolorosa que siguieron desde Normandía a Berchtesgaden, y los supervivientes tuvieron el orgullo y la satisfacción de terminar la guerra en el santuario del nazismo del Nido del Águila.
RAYMOND DRONNE, Capitán de la Segunda División Blindada del Ejercito de la Francia Libre

Presentación de "La Nueve" from Hernández Torrado, Daniel on Vimeo.

Témoignages de républicains espagnols en France (1939-1945)

« Mon travail ici est très simple, sans transcendance quelconque. Je me limite à recueillir des témoignages épars, à laisser parler les survivants et projeter l’ombre des morts. Je modifie à peine le ton, et j’adapte à la littérature le langage simple et rude d’hommes qui n’eurent d’autre université que le chantier, l’atelier, l’usine ou les durs travaux de la terre ».

En librairie le 25 mai 2018.

La Révolution s’arrêta en Mai

Printemps 1937, la guerre civile espagnole est à son apogée. L’armée républicaine et les milices des partis et des syndicats, luttent contre les troupes franquistes. À des centaines de kilomètres à l’arrière du front, le gouvernement ordonne l’assaut du Central téléphonique de Barcelone qui est géré par la CNT. Les anarchistes résistent et une grève générale éclate. C’est le début d’une guerre civile au sein de la Guerre civile. Cinq jours qui cèlent l’épitaphe de la révolution : http://demainlegrandsoir.org/spip.php?article1833

Collioure : Un bagne fasciste en France


Photo prise aux abords du port de pêche de Collioure, Pyrénées-Orientales, en 1890, devenu lieu d’internement pour combattants de la Brigade internationale en 1939 – source : WikiCommons

Au début de l’année 1939, un camp d’internement pour combattants républicains revenant de la Guerre d’Espagne est implanté sur le sol français. Sa découverte fait scandale.

Grégory Tuban vient de publier aux éditions du Nouveau Monde une imposante somme historique à propos des camps d’emprisonnement bâtis en France à la suite de la Guerre d’Espagne, et destinés en priorité aux combattants républicains, communistes, socialistes ou anarchistes.

Avec son aimable autorisation, nous publions aujourd’hui un chapitre tiré du livre Camps d’étrangers : Le contrôle des réfugiés venus d’Espagne (1939-1945) consacré au camp de Collioure, dans les Pyrénées-Orientales.

Le 14 mai 1939, le quotidien L’Humanité met Collioure à sa une. Sous le titre « Un bagne fasciste en France », le journal communiste révèle les dantesques conditions d’internement dans ce camp réservé aux « fortes têtes ». Plus de 350 étrangers, majoritairement des Espagnols, mais aussi d’ex-brigadistes internationaux, y sont détenus depuis le début du mois de mars 1939. Des hommes quasi séquestrés dans un fort, à l’abri des regards, sans droit de correspondance ni de visite. Si Collioure est connue comme la dernière demeure du poète Antonio Machado – mort d’épuisement le 22 février 1939 –, désormais, c’est le château royal surplombant ce petit port de pêche, situé à seulement une trentaine de kilomètres de la frontière, qui attire l’attention des derniers défenseurs de la République espagnole.

À quelques mois du 150e anniversaire de 1789, ils espèrent bien faire tomber cette « Bastille de Daladier », selon les mots de Jean Chauvet, secrétaire général du Secours populaire de France et des colonies. L’affaire des « séquestrés de Collioure » éclate grâce à la pugnacité d’un jeune avocat communiste présent à Perpignan pour le compte du Secours populaire. Pierre Brandon a découvert l’existence de ce « camp spécial » en rencontrant, clandestinement, des brigadistes italiens internés à Argelès-sur-Mer. C’est à leur contact qu’il a appris le départ de certains d’entre eux pour le château royal, notamment de Francesco Fausto Nitti. […]

C’est donc depuis le camp d’Argelès-sur-Mer, situé à seulement quelques kilomètres du château royal, qu’ont lieu les premiers transferts, avec l’envoi d’un premier contingent de 77 internés le 4 mars 1939. Le camp d’Argelès-sur-Mer enregistre pas moins de 167 départs vers Collioure en mars 1939. Ces transferts précèdent donc la circulaire de l’Intérieur du 5 mai 1939 sur la création de locaux disciplinaires. L’armée a ainsi anticipé les directives d’Albert Sarraut. La direction de la sûreté nationale est toutefois très vite informée de l’ouverture d’un tel site, pensé et conçu dès l’origine comme un espace d’isolement. Alors que les inspecteurs procèdent aux premières identifications des miliciens de la 26e division en Cerdagne, la Direction de la police du territoire et des étrangers semble attendre l’ouverture du camp spécial. Son directeur en fait part le 10 mars 1939 au préfet des Pyrénées-Orientales. Dans sa réponse, le préfet précise que le camp spécial de Collioure fonctionne depuis près d’une semaine déjà : « Par votre communication confidentielle, n° 3368, du 10 courant, vous avez bien voulu me demander de vous faire savoir à quel moment et dans quelles conditions il serait possible d’utiliser le centre de groupement spécial en voie d’organisation dans des locaux militaires de Collioure. J’ai l’honneur de vous faire connaître que ce centre fonctionne depuis quelques jours. »

Le camp de Collioure permet donc aux autorités compétentes dans les camps, tant civiles que militaires, d’emprisonner hors du circuit judiciaire.

Dans les premiers mois de fonctionnement du camp spécial, un « transfert d’autorité », pour reprendre la terminologie administrative, a valeur de punition. Les motifs des envois à Collioure ne sont toutefois étayés que par de courtes explications dans les dossiers consultés. Le lieutenant-colonel Marcelino Usatorre Royo et le commandant Isaias Alvarez Echaniz, internés à Saint-Cyprien, sont ainsi envoyés le 14 mars 1939 sur le camp spécial, après avoir été accusés d’avoir « facilité l’évasion de réfugiés communistes espagnols et manifesté des idées extrémistes », selon le commissaire spécial. […]

Les hommes transférés à Collioure proviennent de tous les camps. Un individu considéré comme « suspect » peut aussi être envoyé à Collioure afin d’être particulièrement surveillé. Une mesure préventive dont on retrouve les traces dans les archives. Ainsi, lorsque le contrôleur général Sallet demande fin mars 1939 au commissaire spécial d’Argelès-sur-Mer d’exercer une surveillance toute particulière à l’encontre de Manuel Rodríguez, il lui précise qu’il serait préférable, en concertation avec le chef du camp, d’envoyer ce dernier au camp de Collioure.

Les services de police et de gendarmerie procèdent eux aussi à l’envoi à Collioure de réfugiés espagnols arrêtés hors des camps et estimés « dangereux ». C’est le cas de Miquel Ferrer Sanxis, transféré à Collioure le 30 avril 1939. Cet ancien secrétaire catalan de l’Union générale des travailleurs, proche du Parti socialiste unifié de Catalogne, a pu éviter les camps au passage de la frontière et trouver refuge à Toulouse où, avec l’aide de la CGT locale, il organise une structure de mise en relation entre les internés des différents camps et leurs familles. Miquel Ferrer est interpellé puis transféré à Collioure. Un jeune membre du Parti nationaliste basque fait aussi partie de ce voyage. Les deux réfugiés arrivent de nuit, escortés par deux gendarmes, avant d’entreprendre une longue marche à pied jusqu’au château royal. […]

Tous les réfugiés transférés à Collioure sont conduits menottés au fort, avant d’être soumis à des mesures d’identification criminelle avec prises d’empreintes digitales et mesures anthropométriques. Immatriculés, rasés, vêtus d’un uniforme de prisonniers, ils sont ensuite affectés à différentes sections. À la notion de « dangerosité » supposée de ces hommes répond ainsi un strict règlement militaire. La surveillance des parties communes et des abords du fort est en partie confiée à des détachements du 24e régiment de tirailleurs sénégalais basé à Perpignan relayés, plus tard, par ceux du 15e régiment d’infanterie et du 21e régiment d’infanterie coloniale. Les gardes républicains mobiles de la 12e légion sont chargés, quant à eux, de la surveillance des internés, sous la direction d’un chef de camp, ex-légionnaire, dont l’aversion contre les « rouges » est avérée. On retrouvera d’ailleurs ce capitaine, promu colonel, à la tête en février 1944 d’un groupe mobile de réserve (unité paramilitaire créée par Vichy) engagé contre les maquisards des Glières.

Au printemps 1939, le château royal de Collioure s’apparente plus à un bagne qu’à un camp. Durant une douzaine d’heures par jour, les internés sont contraints de réaliser des travaux de force à l’intérieur, mais aussi à l’extérieur du fort. Tous les espaces pouvant servir de zones d’internement, des souterrains aux remises, sont utilisés afin de faire entrer plus de 350 hommes dans l’ancien château médiéval réaménagé par Vauban en bastion militaire. Pourtant habitués aux conditions de vie spartiates des camps sur la plage, les internés de Collioure doivent s’accommoder de lieux humides et insalubres avec une paillasse en guise de couchage. Une fois la nuit tombée, ces cellules collectives, la plupart du temps sans fenêtres, sont fermées jusqu’au lendemain. Les hommes sont ainsi répartis par groupes dans différentes sections, dont une est réservée aux éléments jugés les plus dangereux. Dans cette dernière, dite « section spéciale », les internés sont soumis à un régime d’incarcération pénitentiaire avec l’interdiction de parler. Enfin, toute forme de rébellion, d’insoumission ou d’insubordination entraîne une mise au cachot. L’un d’eux ne permet pas aux punis de tenir debout. Les brimades sont ainsi quotidiennes. Les coups aussi, comme ce fut le cas pour Agustí Vilella, membre du PSUC, transféré à Collioure après s’être battu avec des gardiens au camp de Saint-Cyprien. Cette insoumission lui vaut, à son arrivée au fort, un tabassage en règle entraînant la perte d’un œil.

Les témoignages de mauvais traitements venant de Collioure sont nombreux. Les internés qui parviennent à sortir du camp accusent. D’autres entament des grèves de la faim. À la fin du mois de mars 1939, quatorze volontaires yougoslaves des Brigades internationales, qui ont refusé de s’alimenter, doivent être transférés vers l’hôpital de Perpignan. Un mois plus tard, une vingtaine d’Espagnols, de brigadistes bulgares et italiens tentent la même action. […]

Les autorités du camp décident de nourrir de force, à l’aide d’une sonde, les grévistes. Souffrant d’un ulcère à l’estomac, Mario Giudice est transféré de l’infirmerie du camp de Collioure à l’hôpital de Perpignan au 14e jour de sa grève de la faim, alors que sept de ses compagnons refusent toujours de s’alimenter. Il s’agit de membres du groupe libertaire Liberta o Morte dont une partie fut transférée depuis le camp d’Argelès-sur-Mer lors de la purge du camp des internationaux. Ainsi, dans la promiscuité du château, les militants anarchistes sont mêlés aux communistes les plus orthodoxes. Les anarcho-syndicalistes catalans de la CNT se retrouvent mélangés à une partie de la direction du PSUC, alors que seulement deux ans auparavant les deux camps s’affrontaient dans une bataille sanglante lors des journées de mai 1937 à Barcelone. […]

L’affaire de Collioure éclate au printemps 1939. La présence de nombreux ex-brigadistes et de cadres du Parti communiste espagnol et catalan, n’est pas étrangère à l’intérêt que porte le parti communiste au camp spécial. Le Komintern, à travers Pierre Brandon qui est épaulé par André Marty, s’empare de l’affaire de Collioure pour dénoncer le sort réservé aux réfugiés espagnols en France par le gouvernement d’Édouard Daladier et obtenir en même temps la libération de certains de ses cadres enfermés dans la citadelle. Pour dénoncer le caractère illégal de ce camp disciplinaire, le jeune avocat communiste s’appuie sur l’article 615 du code d’instruction criminelle qui prévoit que « quiconque aura connaissance qu’un individu est détenu dans un lieu qui n’a pas été destiné à servir de maison d’arrêt, de justice, ou de prison, est tenu d’en donner avis au juge de paix ».

Refoulé aux portes du camp, bien qu’accompagné du juge de paix du canton d’Argelès-sur-Mer, Pierre Brandon se lance alors dans une campagne de presse dans L’Humanité, sous le pseudonyme de Pierre Vergès, ainsi que dans La Défense pour le compte du Secours populaire. Il parvient à obtenir en avril 1939 la venue de la commission du Comité international de coordination et d’information pour l’aide à l’Espagne républicaine (Ciciear). Sous le titre « Le scandale de Collioure », Paul Bourgeois, le délégué du Ciciear, décrit sa visite à Collioure :

« Deux cents hommes environ revenaient du travail, des pelles et des pioches sur l’épaule. À six heures, sonnerie au drapeau ; les hommes se mirent à défiler un à un devant nous – j’en comptais 347 – sans un sourire, sans un mot, les yeux fixés sur le capitaine. Je ne parlerais pas de la situation matérielle.

La nourriture serait à peu près équivalente à celle des autres camps. Mais le défilé de ces 347 hommes, le silence que venait rompre le bruit des pas sur le pavé, témoignent de la terreur qui pèse sur ces hommes traités comme des criminels par des officiers qui ont sur eux un pouvoir illimité. »

Le rapport de Paul Bourgeois annonce la création du comité de défense juridique. Pierre Brandon prend alors la tête de l’Association pour la défense des séquestrés de Collioure, regroupant trente-trois avocats parisiens sous la présidence d’Henri Wallon, professeur au Collège de France. En écho à cette campagne orchestrée par le parti communiste, le « scandale de Collioure » va ainsi être dénoncé par une kyrielle d’organisations (Ligue des droits de l’homme et du citoyen, Amicale des volontaires de l’Espagne républicaine, Grande Loge de France, Centrale sanitaire internationale…), par des députés PCF et SFIO, et par la presse de gauche. Le camp devient ainsi le symbole de la politique la plus répressive à l’égard des réfugiés de la guerre d’Espagne. […]

La plainte mentionne cinq cas de mauvais traitements (deux Espagnols, dont Agustí Vilella, qui a perdu l’usage de son œil, et trois internationaux) et s’appuie sur de nombreux articles du code pénal et du code de procédure criminelle pour prouver l’illégalité d’un tel camp disciplinaire. Au mois de juillet 1939, la plainte est jugée irrecevable par le procureur général de Montpellier puisque, selon les termes de l’article 2 et 4 du code de justice militaire pour l’armée de terre, seuls les tribunaux militaires sont compétents pour juger cette affaire.

L’agitation autour du camp de Collioure porte toutefois ses fruits. Le préfet des Pyrénées-Orientales se rend sur place au mois de mai 1939 et fait état de sa visite auprès du ministre de l’Intérieur, alors que le général Lavigne autorise les visites d’organisations d’aide aux réfugiés, qui étaient jusqu’alors interdites. L’état-major déplace le capitaine, tout en lui adressant par courrier ses félicitations. 160 internés sortent du camp au mois de juin 1939. Il s’agit ici essentiellement de transferts vers d’autres camps et hôpitaux et, dans une moindre mesure, de départs vers le Mexique et d’engagements dans la Légion étrangère, accordés après l’examen attentif de chaque cas. Les sorties s’opèrent au compte-gouttes. En juin 1939, le député socialiste des Pyrénées-Orientales, Louis Noguères, passe par le préfet des Pyrénées-Orientales pour faire libérer cinq Espagnols internés au camp de Collioure. Ces réfugiés, fonctionnaires de police, auraient été assimilés à des membres du SIM, le service de contre-espionnage militaire, détenus aussi au château. […]

À partir du mois de mai 1939, les chefs de camp se montrent un peu plus prudents quant aux transferts au château royal, en raison notamment de l’instauration d’îlots disciplinaires. Ainsi, lorsqu’au début du mois de juin 1939 le commissaire spécial du camp d’Agde sollicite l’envoi à Collioure de six réfugiés soupçonnés d’influences politiques sur leurs camarades, le général Lavigne s’y oppose, en précisant qu’il n’y a pas lieu de transférer les intéressés sur ce « camp de représailles », tant que ces derniers n’ont pas commis à Agde d’actes contraires à la discipline. Le camp spécial de Collioure voit ainsi son effectif passer sous la barre des 200 internés au début de l’été.

Alors que les autorités annoncent sa fermeture, des Espagnols s’affairent toujours dans des travaux forcés au pied du château afin d’aménager le monument aux morts pour les commémorations du 150e anniversaire de 1789…



Camps d’étrangers : Le contrôle des réfugiés venus d’Espagne (1939-1945) de Grégory Tuban est publié aux éditions du Nouveau Monde.
https://www.retronews.fr/actualite/collioure-un-bagne-fasciste-en-france