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Hispaniste, libertaire et camusien.

Albert Camus et l’exil espagnol

Il est justice de mentionner ici Albert Camus, espagnol par sa mère, qui n’a cessé de soutenir la cause des républicains et des anti-franquistes.

Article d’un universitaire qui permet de mieux comprendre sa relation avec des intellectuels espagnols.

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L’Espagne de l’exil m’a souvent montré une gratitude disproportionnée. Les exilés espagnols se sont battus pendant des années et puis ont accepté fièrement la douleur interminable de l’exil. Moi, j’ai seulement écrit qu’ils avaient raison. Et pour cela seulement, j’ai reçu depuis des années, et ce soir encore dans les regards que je rencontre, la fidèle, la loyale amitié espagnole, qui m’a aidé à vivre. Cette amitié-là, bien qu’elle soit imméritée, est la fierté de ma vie. Elle est, à vrai dire, la seule récompense que je puisse désirer.

 

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Albert Camus : compagnon des essayistes de l’exil républicain espagnol

Ricardo Tejada

Université du Maine, Labo 3L. Am
Maître de conférences

Résumé
Cet article analyse la présence de l’œuvre de Camus chez les essayistes de l’exil républicain espagnol. Tout d’abord, il explore les nombreux combats camusiens en faveur de la Seconde République espagnole et de l’exil républicain. Ensuite, il évoque les rencontres personnelles entre Camus et quelques essayistes espagnols de l’exil en tâchant d’interpréter les références à Camus chez les intellectuels de l’exil, nés au début du XXe siècle, puis, chez les écrivains de la deuxième génération de l’exil, nés dans les années 20. Cette mise en perspective globale permet d’arriver à une conclusion (provisoire) à partir d’un échantillon significatif mais non exhaustif : l’importance non négligeable de l’écrivain français (aussi bien de sa pensée que de son œuvre littéraire, sans oublier son rayonnement moral et intellectuel) chez les essayistes espagnols les plus influencés par les philosophies de la vie (Nietzsche, Bergson et Dilthey), en particulier chez les exilés les plus jeunes : Ramón Xirau et Tomás Segovia. En revanche, Sartre a eu beaucoup moins d’impact à l’intérieur de ces deux collectifs humains. Resterait à mener une étude sur la présence de Sartre chez les essayistes de l’exil les plus proches d’orientation « rationaliste » et/ou « marxiste », comme le romancier Max Aub ou chez les philosophes : Juan David García Bacca, José Gaos et Eduardo Nicol.
Table des matières
1. Albert Camus et sa fidélité à l’Espagne républicaine
2. Camus et les essayistes de l’exil républicain
3. Camus chez les essayistes de la deuxième génération de l’exil.
4. Conclusion

1. Albert Camus et sa fidélité à l’Espagne républicaine
1Albert Camus a été dès 1936, et même avant, un fervent partisan de la cause républicain espagnole1. Son soutien à « l’Espagne Pèlerine » a été inlassable jusqu’à sa mort, en 1960. Il a écrit tout au long de sa vie de nombreux articles politiques sur la situation de l’Espagne. Sans vouloir être exhaustif, nous pouvons, par exemple, dénombrer neuf articles, entre 1944 et 1948, au journal Combat, où il a été rédacteur en chef et éditorialiste2. Entre 1949 et 1956, dans le troisième volume des Œuvres Complètes à la Bibliothèque de La Pléiade, nous constatons l’existence de huit articles. Enfin, deux articles sont parus entre 1957 et 1959 sur la question espagnole3. Pratiquement tous les ans, il écrivait un texte sur cette question. Il faut ajouter à tous ces articles, les textes qu’il a écrits dans les revues anarchistes espagnoles comme Solidaridad Obrera, ou francophones comme Témoins ou Révolution prolétarienne. Les textes publiés dans la première revue sont, assez souvent, des remaniements de textes préalables en français ou, comme c’est le cas du recueil d’articles en espagnol, ¡España libre!, publié au Mexique en 1966, les changements se limitaient à quelques titres différents. Parfois, c’était des extraits de ses livres, traduits en espagnol. Les articles à caractère libertaire portaient parfois sur des questions internationales et l’Espagne, ponctuellement, était toujours présente d’une manière ou d’une autre. N’oublions pas les collaborations, sous forme d’articles, mais pas uniquement, qu’il a publiées, une fois traduites en espagnol, sur des questions variées dans quatre revues de l’exil républicain : Cénit, Galería, Suplemento literario de Solidaridad Obrera et Per Catalunya4.
2La solidarité de Camus envers l’Espagne républicaine ne se limitait pas à quelques articles. Il a signé de nombreuses pétitions et manifestes en faveur des prisonniers espagnols, des condamnés à mort, contre la torture en Espagne, contre le régime franquiste (à chaque fois où celui-ci obtenait plus de reconnaissance internationale), et en général, en faveur du Gouvernement républicain, à propos duquel il a toujours affirmé qu’il existait toujours – pas comme la IIIe République française, qui s’est dépossédé de ses pouvoirs, ce sont ses propres mots – et, surtout, qu’il était un régime légitime parce qu’il s’appuyait sur les principes démocratiques, et pas sur la violence, comme le régime franquiste. Il a parrainé l’Ateneo Ibero-Americano de Paris, et le journal Nueva República,avec Jean Cassou, un autre grand ami de l’Espagne républicaine5. Par ailleurs, il a été l’instigateur de plusieurs hommages, par exemple à Salvador de Madariaga, et probablement à l’origine de l’organisation du seul hommage rendu à Ortega y Gasset en France, au moment de sa mort en 1955, à l’Université de la Sorbonne6. La cause de la liberté était chez lui intimement liée à la cause de la justice. D’où la difficulté de savoir jusqu’à quel point, dans son œuvre, les idées libérales et démocratiques l’emportent sur son esprit libertaire et jusqu’à quel point sa sympathie pour l’anarchisme l’emporte sur son démocratisme à caractère éthique7. Complexité d’autant plus difficile à saisir que, dans les années trente il fait partie brièvement du Parti Communiste Français et à la fin de sa vie il apporte son soutien à la candidature de Pierre Mendès France, au début radical, puis socialiste. Celui-ci, un homme politique de gauche, aussi « orphelin » (en termes partisans) que l’intellectuel de gauche qu’était Camus, « malgré la gauche et malgré lui », comme il le dira un jour, avec un peu d’amertume et d’ironie.
3Les républicains espagnols lui ont reconnu ce soutien sans faille. Le Gouvernement en exil lui a décerné la Encomienda de la Orden de la Liberación, une des seules médailles ou décoration (mis à part le Prix Nobel) qu’il a acceptée, en 19498. Plusieurs hommages ont été rendus par les exilés espagnols à Camus, notamment après sa mort. Signalons, par exemple, celui organisé par l’Institut des Hautes Études de l’Amérique Latine et la collaboration directe de Radio París (la radio des exilés espagnols), en 1966, avec le soutien de José Ballester, Ramón Rufat Llop, Fernando Valera Aparicio et le journaliste français Jean Daniel9.
4Quelles sont les idées-clé qui forment le soubassement de la lutte de Camus en faveur des exilés républicains ? Honte, dette, fidélité et j’ajouterais aussi, empathie. Premièrement, c’est la « double honte » collective dont il parle, honte d’intervenir indirectement en faveur des franquistes, en 1936, sous prétexte d’une soi-disant « politique de non-intervention », honte de ne pas accueillir les exilés au moment de la Retirada, en 1939 (Camus utilise dès le début le mot « camp de concentration »), mais il y a une troisième honte, aux yeux de Camus, honte de ne pas libérer l’Espagne, suite à la Libération de la France, en 1944, alors que son pays, selon lui, avait (c’est la deuxième idée-clé) une « dette » profonde vis-à-vis de l’Espagne, à cause de son premier combat contre les fascismes, mais aussi, plus tard, à cause de la lutte des guerrilleros en faveur de la Résistance (Glières, Ariège, la Nueve de la division Leclerc, etc.). Il ressent, en plus, une dette personnelle, comme il le dira dans sa conférence « Ce que je dois à l’Espagne »: « J’ai envers votre patrie, sa littérature et son peuple, sa tradition, une dette qui ne s’éteindra pas ». Et d’ajouter :
L’Espagne de l’exil m’a souvent montré une gratitude disproportionnée. Les exilés espagnols se sont battus pendant des années et puis ont accepté fièrement la douleur interminable de l’exil. Moi, j’ai seulement écrit qu’ils avaient raison. Et pour cela seulement, j’ai reçu depuis des années, et ce soir encore dans les regards que je rencontre, la fidèle, la loyale amitié espagnole, qui m’a aidé à vivre. Cette amitié-là, bien qu’elle soit imméritée, est la fierté de ma vie. Elle est, à vrai dire, la seule récompense que je puisse désirer.10
5Troisièmement, fidélité comme principe qui réunit l’éthique et la politique : fidélité à une cause et refus de la Realpolitik, telle qu’elle était programmée au moment de la Guerre froide. Enfin, empathie, qui me paraît être une clé de compréhension du lien intime, chaleureux, entre Camus et les exilés : l’exil lui-même. Chez l’écrivain français le sentiment de l’exil est permanent. Exil par rapport aux autres, à autrui, à l’étranger qui est en dehors de nous et en nous-mêmes. Exil de l’homme, ici-bas, sur cette planète, par rapport à la nature. Et, bien entendu, sentiment d’exil, plus immédiat, à chaque fois qu’il est en France continentale ou métropolitaine, sous les cieux gris de l’Europe atlantique. Certes, il se sent mieux en Provence, avec son ami René Char, mais c’est probablement, plus encore que la France méditerranéenne, l’Algérie qui lui manque.
6C’est sans doute ce sentiment d’attachement au Mare nostrum, aux dieux grecs, aux mythes, au soleil, à la culture méditerranéenne, qui a été un facteur de sympathie mutuelle entre Camus et les essayistes espagnols de l’exil. Les mises en scène de drames espagnols du Siècle d’Or (Lope de Vega et Calderón) qu’il a dirigés, son intérêt évident pour la littérature et la philosophie espagnole (surtout Ortega et Unamuno), les thématiques espagnoles de certaines pièces de théâtre, et surtout, la filiation espagnole de Camus, du côté maternel, tout cela a contribué à faire de lui un écrivain proche, un frère, un compagnon, un compagnon de route de l’Espagne républicaine et de l’Espagne en général11. Cela dit, il faut reconnaître – si l’on regarde son œuvre d’un point de vue espagnol – que cette « castillanerie », comme disait son ancien maître Jean Grenier, cette dimension si espagnole ou ibérique de son caractère et de son attitude face à la vie est, à certains égards, si j’ose dire, plus « biologique » ou « instinctive » que culturelle, compte tenu d’une connaissance, en général, médiocre de ces auteurs, de la culture espagnole et de sa langue, et d’une indéniable mystification de l’Espagne éternelle, assez éloignée de l’Espagne réelle12.
7Une anecdote émouvante explique ce compagnonnage, ce partage, au sens littéral du terme, du pain, du pain de la justice, de l’amitié commune. Camus fait une conférence à Rio de Janeiro, le 20 juillet 1949. La salle est comble. Prévue pour 800 personnes, elle est surchargée d’auditeurs. Je donne la parole à Camus, dans ses Carnets :
L’ambassadeur d’Espagne s’assoit derrière la tribune sur un praticable. Tout à l’heure il s’instruira. Tombé sur moi, Ninu, un refugié espagnol que j’ai connu à Paris. Il est chef de campeones dans une fazenda, à 100 km de Rio. Il a fait ces 100 km pour venir entendre « su compañero ». Il repart demain matin. Et quand on sait ce que représentent ici 100 km dans le bled… Je suis touché aux larmes. […] Je ne le quitte plus, heureux d’avoir cet ami dans cette salle et pensant que c’est pour des hommes comme lui que je vais parler.13
2. Camus et les essayistes de l’exil républicain
8C’est justement dans ce voyage en Amérique qu’il rencontre José Bergamín, à Montevideo, le 20 août 1949. Bergamín, essayiste et poète espagnol, songe à cette époque-là – c’est du moins son aveu dans le café où ils s’installent tous deux – à rentrer à Espagne, comme immolation ou « suicide spectaculaire », question d’ailleurs essentielle dans l’essai camusien, Le Mythe de Sisyphe14. Les notes de Camus sur ses Carnets montrent bien une sympathie envers Bergamín, même si celui-ci était relativement proche de l’esprit métaphysique dualiste de Sartre, compagnon de route du communisme, et, en plus, catholique. Sa condition d’exilé espagnol avait probablement joué en sa faveur. Ce jour-là à Montevideo, le 20 août 1949, Camus rencontre Susana Soca, poétesse uruguayenne qui avait dirigé la revue Cahiers de La Licorne, et qui publiera plus tard, Entregas de La Licorne, deux revues cosmopolites, raffinées, où les contributions des exilés espagnols étaient très importantes : Rafael Alberti, María Zambrano, Carlos Gurméndez, Lorenzo Varela, Juan David García Bacca…
9María Zambrano est une philosophe et essayiste espagnole qui a eu aussi un contact personnel avec Camus, plus soutenu dans le temps. Ils se sont rencontrés à Paris, dans les années quarante. Camus recevra en 1951 la première mouture de L’Homme et le divin, qui, en fait, aurait dû s’intituler L’absence, mot que l’écrivain français affectionnait. Le manuscrit passa aux mains de René Char, puis de Roger Caillois, sans qu’il puisse être publié en français15. La légende raconte que Camus avait dans le coffre de sa voiture ce manuscrit au moment de l’accident où il périra au mois de janvier 1960. Ou plutôt sa traduction, car le livre avait été déjà publié en espagnol aux éditions Fondo de cultura económica, en 1955. S’agissait-il de la traduction de Francis de Miomandre ?
10Ce qui est plus important encore c’est la présence chez les deux auteurs de plusieurs parallélismes aussi bien conceptuels que thématiques. Signalons l’idée de crise de l’Occident comme maladie du monde, la vision tragique de l’Europe, leur méfiance vis-à-vis du monde technologique et militariste, un intérêt partagé pour la Grèce ancienne, notamment les néo-platoniciens, Saint-Augustin et Rousseau, leur proximité par rapport à Simone Weil, leur amour pour la Méditerranée et ses mythes, au point qu’elle en devienne leur véritable patrie16. Cela dit, c’est vrai que Camus a une vision différente du sacré et de la religion, en général. C’est vrai aussi que Camus se considère agnostique et pense que Zambrano est chrétienne, alors que pour les athées Camus a un penchant croyant et pour certains exilés qui l’ont connue, Zambrano est loin d’être une croyante ou de se comporter comme telle.
11Leur vision de la tragédie et de certains mythes est assez différente. Je pense, par exemple, à leur lecture d’Antigone et de Prométhée, sans doute parce que l’essayiste français oscille entre une attitude contemplative, presque orientale (c’est l’influence de Jean Grenier), et une attitude très active, de révolte (c’est son côté « moraliste »), alors que Zambrano est bien ancrée dans cette passivité, où elle se ressource constamment, qui est le seul germe, pour elle, d’une activité digne, humaine, à la hauteur de la personne. Mais je crois aussi que Zambrano est plus incisive au niveau des percées métaphysiques que Camus, et moins osée, et provocatrice, dans ses prises de position philosophiques. Jesús Moreno Sanz, grand spécialiste de la philosophe espagnole, qui a traité la question de l’échange épistolaire entre les deux grands essayistes, estime que Zambrano voyait chez Camus un côté « amateur » en philosophie, reproche – il faut le dire – qui n’émanait pas uniquement d’elle puisque c’était l’avis aussi de Sartre.
12D’un autre côté, je pense aussi – c’est l’impression qui découle de leurs lettres – que Camus considérait L’Homme et le divin comme un texte presque littéraire, puisque hispanique17. Je pense que les deux jugements étaient erronés. Toujours est-il qu’il n’y a dans tous leurs livres – à ma connaissance – aucune référence explicite à l’œuvre de l’autre. La seule référence implicite chez Zambrano, c’est celle de l’article « Sentido de la derrota »18, où elle fait référence à « un des grands écrivains français d’aujourd’hui », qui « aimait l’Espagne d’une manière profonde et passionnément désespérée » et qui lui dit un jour qu’il était aussi espagnol. La philosophe espagnole lui rétorqua : « Pour être espagnol il faut être vaincu. » Mais après la conversation, elle s’est dit : « Pour devenir un être humain il faut aussi être vaincu. » Ce que montre cette anecdote c’est que la défaite était au centre de l’exil républicain, que c’est cela qui situait son aire d’influence dans l’excentricité de la république mondiale des lettres, sans, pour autant, lui barrer la route de l’universalité.
13Si nous voulons suivre la trace de Camus chez les essayistes de l’exil républicain espagnol qui ne l’ont pas connu personnellement, il faut faire une double distinction : tout d’abord entre les exilés de la génération de Camus, nés au début du XXe siècle, et les exilés de la deuxième génération, ceux qui sont nés, en gros, dans les années vingt. Le deuxième groupe le cite plus souvent. Ensuite : entre les exilés proches du marxisme ou du « rationalisme », sous une variante socialisante, communiste, positiviste ou phénoménologique, et ceux qui se situent tout simplement à gauche, dans une attitude critique des rationalismes, au sens large du terme. C’est ce dernier groupe qui le cite plus souvent et d’une manière plus favorable. Si nous réunissons les deux critères, nous pouvons affirmer que les essayistes et philosophes contemporains de Camus, notamment ceux qui ont été les plus réfractaires aux philosophies de la vie (Nietzsche, Bergson et Dilthey), sont ceux qui le citent rarement. Mais même parmi les essayistes de cette génération qui sont le plus favorables à ces philosophies, la présence de Camus n’est pas massive. C’est vrai que les contemporains se citent rarement entre eux ; ils réfléchissent encore moins sur leur œuvre respective. Or, nous savons qu’Ortega, l’aîné par rapport à la plupart des membres de l’exil, s’est exprimé sur l’existentialisme, certes pas forcément d’une manière très approfondie. Pourquoi alors cette présence plutôt discrète, en tout cas de prime abord, parmi les contemporains de Camus ? Est-ce qu’elle est si discrète ?
14Prenons par exemple Francisco Ayala, un auteur appartenant au cercle d’Ortega, né en 1906. Il cite Camus rarement, mais le commentaire qu’il fait, dans un article de La Nación, en 1948, est révélateur de son admiration envers le roman La Peste, qu’il juge proche de l’existentialisme, et même teinté de thématiques chrétiennes19. Un roman qu’il trouve plus symptomatique de la période d’après-guerre que les pièces de théâtre de Sartre, selon lui, un peu schématiques, puisque les personnages ne sont pas aussi bien traités que le scénario. Lorsqu’en 1958 Ayala envoie à Camus une lettre à propos de la pièce de théâtre Le Malentendu, c’est pour lui demander si le fait divers sur lequel il s’était basé pour écrire la pièce relevait de la réalité ou de l’invention pure et simple. Camus le remercie de l’envoi de son roman Muertes de perro, et lui explique que ce fait divers, qu’il avait vraisemblablement lu au début des années 40, avait été publié en été, moment où les journalistes avaient une tendance à se laisser influencer par leur imagination20. Lorsque Francisco Ayala décrit ces œuvres existentialistes, il y trouve toujours une « obscénité trop atroce et douloureuse pour qu’elle puisse être considérée comme un simple divertissement de mauvais goût », ce qui caractérise justement, par ricochet, ses propres romans et récits de cette période, même si l’inspiration baroque ou post-baroque fait la différence par rapport à l’écrivain français21. Du côté de l’essai et de ses traités de sociologie, l’inspiration est chez Ayala plus proche d’Ortega, de Manheim et d’un certain Nietzsche, ce dernier pas le même que celui de Camus, même si une veine camusienne est repérable dans sa vision, plutôt noire, de l’histoire de l’humanité, du pouvoir et de la façon dont les personnes sont broyées par la volonté de pouvoir, une analyse que partage la plupart des exilés espagnols, et pour cause.
15La Peste est un roman qui a attiré indéniablement le regard des exilés espagnols. Il a été traduit pour la première fois par la romancière et essayiste exilée Rosa Chacel (1898-1994), qui a peut-être rencontré Camus en 1949, lors de sa visite à Rio, Montevideo et Buenos Aires. Malheureusement, le lecteur de son journal personnel, publié sous le titre de Alcancía, l’ignore puisque l’auteure de Valladolid ne mentionne rien à cette date. Deux décennies plus tard, Chacel consacrera quelques pages de son remarquable essai, Saturnal, à analyser ce roman. D’après elle, l’image que Camus avait trouvée, une ville assiégée par la maladie, par la peste, est parfaite, puisqu’elle jaillit comme une allégorie. Si ce qui a été vécu dépasse ce qui est exprimable, l’allégorie est le meilleur moyen d’y faire référence. L’atmosphère y est très bien réussie, selon elle. En revanche, elle trouve que la théorie qui est derrière cette image n’est pas aussi parfaite, parce qu’elle véhicule l’idée que le mal est dans l’homme, alors que, pour elle le mal, est une possibilité de la condition humaine22.
16Francisco Ayala (1906-2009) est un auteur libéral, démocrate, rationaliste dans son approche de la théorie constitutionnelle, mais très sensible à certains égards à Nietzsche et à Dilthey, ce qui n’est pas le cas du romancier Max Aub et du philosophe José Gaos, qui ont été des militants au sein du Parti Socialiste et se sont connus à Valence, avant la Guerre d’Espagne. Je souligne cette filiation ou proximité nietzschéenne, ainsi que celle de Bergson, parce que je crois que c’est un fil rouge qui réunit la plupart des exilés sympathisants de Camus, lui aussi, nietzschéen à sa manière. Aub et Gaos s’accordent dans leur diagnostic sur l’existentialisme : c’est un nihilisme, (« méditerranéen », rajoute Aub), un nihilisme qui nie l’essence, affirme Gaos23. Je crois que tous les deux s’inquiétaient d’un manque d’engagement politique de la part de Camus, jugement erroné par ailleurs, comme on vient de le voir24. Ils voyaient dans ce nihilisme, probablement, un individualisme plus ou moins bourgeois.
17José Ferrater Mora (1912-1991) est un auteur libéral et démocrate, comme Ayala, influencé dans les années 40 par Ortega, même s’il ne fait pas partie de son cercle, et aussi par Unamuno. Son livre sur le philosophe et écrivain basque, paru en 1944, fait partie d’une réception assez importante de l’œuvre unamunienne, aussi bien dans l’exil qu’à l’intérieur, lue à l’aune de la Guerre civil, de la Deuxième Guerre Mondiale et de toute la crise occidentale qui en découle. Or, il n’y a aucune référence à Camus dans ce livre. Il faut attendre El hombre en la encrucijada, publié en 1952, pour qu’il fasse quelques références ponctuelles à Caligula, La Peste et L’Etranger, sans traiter aucunement les essais de Camus25. Son livre, plus tardif, La filosofía actual, confirme qu’il ne considère pas l’écrivain français comme un philosophe à part entière. En tout cas, au moment où il traite de l’existentialisme il ne le cite pas26. Par ailleurs, l’entrée « Camus », dans son fameux Diccionario de Filosofía, confirme en partie cette hypothèse. Il sépare Camus de l’existentialisme, mais il établit un axe dans son œuvre constitué par un point de départ, la question du suicide, et un terminus, la pensée de midi comme couronnement de son idée de révolte, ce qui est, quand même, un progrès dans sa vision par rapport aux textes précédents27.
3. Camus chez les essayistes de la deuxième génération de l’exil.
18Passons maintenant en revue les essayistes de la deuxième génération de l’exil. L’impact de l’œuvre de Camus et de Sartre est plus considérable dans cette génération que dans la génération précédente. À l’époque où ils ont âgés d’une vingtaine d’années, (fin des années quarante), c’est le moment de la diffusion de l’existentialisme en France et dans toute l’air hispanophone, où, soit dit au passage, on traduit plus tôt que dans l’aire anglo-saxonne. Le climat moral et politique de cette décennie est propice à ce qu’ils reçoivent et assimilent rapidement ces inspirations et suggestions littéraires et philosophiques. Signalons, par exemple, qu’en 1943, Jorge Semprun, né en 1923, avait dans son sac à dos, juste avant d’être arrêté par la Gestapo, Le Mythe de Sisyphe, de Camus28.
19La division, durant cette période, entre camusiens et sartriens au sein de l’exil a été signalé par Ramón Xirau (Barcelone, 1924) dans ces termes :
En aquellos años, años de carrera, [nos llegó] una doble noticia que llevaba por nombres Jean-Paul Sartre y Albert Camus. Nos dividimos entre sartrianos y camusianos. Tal vez por orígenes comunes en el Mediterráneo pero sobre todo por la luminosidad poética de su pensamiento algunos fuimos «camusianos». Debe ser Camus, El Extranjero, El Hombre rebelde pero sobre todo Nupcias y el Verano. Sartre fue objeto de largas polémicas, principalmente El ser y la nada. Si mucho se empeñan pueden leer a Sartre. Dicho más seriamente. No cabe duda de la «importancia» de Sartre. No así de su simpatía puesta de manifiesto mucho más tarde en Palabras (Les Mots).29
20La présence de la Méditerranée confirme ce topos important pour les exilés. Probablement repéraient-ils chez Camus un sens de la mesure, de l’harmonie, un certain classicisme, des traits par rapport auxquels un Catalan comme Xirau, sensible au noucentisme des années 20, ne pouvait pas être indifférent. D’un autre côté, l’idée de « luminosité poétique de sa pensée » montre aussi jusqu’à quel point l’« irradiation poétique de l’essai » qui avait été signalée par Pedro Salinas comme caractéristique de l’essai espagnol, était un facteur de rapprochement vis-à-vis de Camus. Xirau était et est toujours un poète, et ce n’est pas un hasard si les oliviers, les criques et le soleil de sa terre natale sont très présents dans presque tous ses poèmes30. Il faut remarquer le fait que sa prédilection pour les essais méditerranéens, Noces et L’Eté, montre une grande différence par rapport à ses ainés exilés, plus attentifs à La Peste. Le premier essai célèbre de Camus, Le Mythe de Sisyphe, attire aussi l’attention de Xirau dans son livre, El péndulo y la espiral de 1959. Il y soutient que la philosophie de Camus s’appuie sur la sincérité, la sincérité constituant sa vérité. Et cette sincérité consiste à donner tout au présent. Je le cite : « El hombre de esta tierra es un absurdo con sentido de presente, una imaginación con deseo de vida, una existencia con afán de compromiso »31. Ce sentiment du présent, de la présence, de l’estar,en espagnol, de l’attachement aux choses concrètes, est extrêmement important pour comprendre la philosophie de Ramón Xirau et plus particulièrement son grand essai philosophique : Sentido de la presencia32.
21Qui étaient ces « camusiens » du cercle des exilés au Mexique ? Probablement la plupart des membres de la revue Presencia, publiée entre 1948 et 1950 : José Miguel García Ascot, Roberto Ruiz, Carlos Blanco Aguinaga, Inocencio Burgos, Manuel Duran, Francisco González Aramburu, Luis Rius, Ángel Palerm, Jacinto Viqueira, Ramon Xirau et Tomás Segovia33. Tous n’ont pas collaboré avec la même intensité dans cette revue, mais je crois qu’il y a une présence de Camus dans leur itinéraire intellectuel respectif. Songeons par exemple aux remarquables romans de Roberto Ruiz, où la question de la condition humaine, sous tous ses aspects, la dignité, le désespoir, l’humiliation, fait penser au monde de Camus34. Manuel Durán, poète et essayiste, comme Xirau, a écrit aussi, pendant les années cinquante, quelques articles sur Camus.
22Le poète et essayiste Tomás Segovia (Valence, 1927-México, 2011), est, probablement, au sein de ce groupe, et même parmi tous les exilés, l’intellectuel qui a consacré le plus d’articles à l’œuvre de Camus : six, entre 1956 et 1959, et aussi celui qui a eu plus de sympathie et d’affinités avec lui35. Plusieurs idées sont à retenir : la fidélité, comme morale du créateur, fidélité vis-à-vis de son époque, de son monde, de ses prises de position, l’insistance de Camus à ne pas séparer la vie ni de l’art ni de la justice, sa lutte contre les abstractions (maladie de l’après-guerre), contre les idéologies, contre la raison instrumentale, l’universalité de son œuvre, sa centralité, le fait d’être à l’écoute de l’époque où il vit, tout en refusant sa servitude envers l’histoire, son attitude d’ « opposition de gauche », qui ne se laisse pas entraîner par des dogmes et des idées toutes faites qui laissent de côté l’homme concret et, enfin, contrairement à Sartre, son pari métaphysique pour un monde intermédiaire entre le pour-soi et l’en-soi, un monde d’expression (Segovia s’inspire ici de Merleau-Ponty), de critique de soi-même, de liberté impure.
23Si nous nous éloignons des articles consacrés explicitement à Camus, il faut mentionner de nouveau l’importance de la Méditerranée, notamment dans sa série éblouissante d’essais courts, « Notas de viaje », publiés dans Revista de la Universidad de México, 1956, pour lesquels il a reconnu l’influence de Gaya, Camus et Pavese et son importance dans le contexte de son œuvre36.
24Le peintre et essayiste Ramón Gaya, ami et maître, en quelque sorte, de Segovia dans les années 40 et 50, dans une lettre envoyée à Tomás, lui reproche justement son admiration pour Camus. Primo, s’explique le peintre espagnol, il n’aime pas les moralistes. Secundo, « sa vanité me fa veramente schifo »37. La méfiance de Gaya pour Camus montre bien qu’il y a un clivage qui se produit au niveau des générations dans l’Espagne de l’exil, entre, d’un côté, les contemporains de Camus et ses aînés, plus réticents vis-à-vis de l’écrivain français, et ses frères “cadets” de l’autre côté, beaucoup plus enthousiastes. L’itinéraire politique de Segovia, pas très concerné par l’engagement politique collectif, indifférent au communisme, quand il était jeune, puis, de plus en plus en révolté contre le néo-libéralisme, montre bien cet esprit à contre-courant, titre d’un de ses livres, et d’indépendance farouche, morale et politique de l’artiste vis-à-vis des partis politiques, ce qui le rapproche énormément de Camus. Eduardo Vázquez, quelques jours avant la mort de Tomás Segovia, lui rendit une visite pour l’interviewer. Il remarqua qu’il lisait un livre de Camus, ce qui lui donna l’impression d’une cohérence dans toute sa trajectoire. Et d’ajouter : « Si Camus es el gran rebelde de la literatura francesa, Tomás Segovia lo es de la poesía mexicana »38.
25Plusieurs autres thématiques sont proches du monde camusien. Par exemple, la façon dont Segovia conçoit le mythe, qui a, selon lui, la capacité de réunir la pensée et l’image. C’est « une manière de voir les idées, comme si elles étaient des êtres concrets », c’est-à-dire qu’il permet de penser à travers les images, ce qu’on voit chez Camus dans sa reprise du mythe de Sisyphe et dans le cas de Segovia dans celle du mythe de Marsyas et d’Orphée. Par exemple, sa vision de l’exil : pas une thématique, mais « une condition, une manière très importante d’être au monde »39.
4. Conclusion
26De Zambrano à Segovia, Camus a été un compagnon des essayistes de l’exil, pas de tous les essayistes de l’exil, mais d’une partie bien significative. Même si peut-être la marque directe de sa pensée et de son monde littéraire sur ces auteurs est moins importante qu’une inspiration globale, une empathie flagrante, une sympathie mutuelle indéniable, nous pouvons dire que leur vision du monde était commune. Ce monde où les génocides côtoient la bombe nucléaire, les répressions politiques, la manipulation des masses, l’emprise croissante de l’économie et de la technologie sur les valeurs humaines, ce monde-là où l’exil est accepté comme normal ou, pire, devient une « immigration » invisible, ne leur plaisait pas du tout. Ils ont lutté corps et âme, dans leurs combats politiques, dans leurs méditations, dans leurs créations, pour un monde meilleur, un autre monde qui est toujours possible, un autre monde qui est, à sa manière, toujours d’actualité.
Bibliographie
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Notes
1 « On ne comprend pas ce qui attache tant de nous à l’Espagne républicaine, ce ne sont pas de vaines affinités politiques, mais le sentiment irrépressible que, de son côté, se trouve le peuple espagnol, si pareil à sa terre avec sa noblesse profonde et son ardeur de vivre », Alger républicain, 18 février 1939. Cité par Roblès dans son livre Camus, frère du soleil, Paris : Seuil, 1995, p. 27-28. Emmanuel Roblès, écrivain, dramaturge « pied noir », fut un bon ami de Camus avec lequel il partageait une origine espagnole commune.
2 Voir Camus à Combat. Éditoriaux et articles d’Albert Camus. 1944-1947, éd. J. Lévi-Valensi, Paris : Gallimard, 2002. Il faudrait ajouter à ce recueil deux autres articles : « L’Espagne continue d’être pour nous une plaie qui ne se ferme pas… » (du 29 décembre 1945) et la préface à L’Espagne libre, de 1946, consultables dans le volume II des Œuvres Complètes, 1944-1948, Paris : Gallimard, La Pléiade, 2006.
3 Albert Camus, Œuvres complètes, vol. III, 1949-1956, Paris : Gallimard, La Pléiade, 2008 ; et vol. IV, 1957-1959, Paris : Gallimard, La Pléiade, 2008.
4 Geneviève Dreyfus-Armand, L’Exil des républicains espagnols en France. De la Guerre civile à la mort de Franco, Paris : Albin Michel, 1999, p. 278 et 280-281. Mentionnons aussi les nombreux articles écrits par les anarchistes espagnols sur Camus et l’impact qu’il a eu sur des essayistes et éditeurs anarchistes comme Marín Civera. « Sartre para mí no señala un camino ; Camus, sí. A estas dos posiciones se debe quizá el hecho de que Sartre esté más cerca de la órbita moscovita y de que Camus esté más cerca de nosotros », dit Civera dans un entretien réalisé par Mariano Viñuales, dans la revue Solidaridad Obrera (Paris, juin 1954, n° 480). Par exemple, dans la revue Cénit, citons la présence des articles d’André Prunier, « ¿Breton o Camus? Los límites de la rebelión » et le compte rendu de L’Homme revolté, écrit par Vicente Galindo Cortés (Fontaura), « Camus y nuestro tiempo » (Año II, n° 13, Toulouse, janvier 1952) ou l’article de J. Carmona Blanco, « Rebelión y existencialismo » (n° 17, Mai 1952), qui est un commentaire de L’Homme revolté.
5 Geneviève Dreyfus-Armand, L’Exil des républicains…, op. cit., p. 328-329. Voir aussi : Jean Cassou, La Mémoire courte, postface de M.O. Baruch, Paris : Mille et une nuits, 2001.
6 D’Ortega, il a affirmé: « Il est peut-être, après Nietzsche, le plus grand des écrivains européens et, pourtant, il est difficile d’être plus espagnol », « Le pari de notre génération » (1957), Œuvres complètes, vol. IV, op. cit., p. 586.
7 La sympathie qu’il portait aux libertaires espagnols est indéniable (voir E. Roblès, Camus…, op. cit., p. 84), mais faut-il aller trop loin et affirmer qu’il « a voulu l’anarchie concrète et positive pour la France, l’Algérie, l’Europe et la totalité de la planète » ? Michel Onfray parle-t-il de Camus ou, plutôt, de sa propre pensée? Voir L’ordre libertaire. La vie philosophique d’Albert Camus, Paris :Flammarion, 2012, p. 705.
8 Il a refusé la Légion d’Honneur, comme Sartre et, plus récemment, le dessinateur Tardi.
9 Disponible sur : ˂http://devuelvemelavoz.ua.es/devuelveme-voz/visor.php?idioma=es&fichero=9229.mp3>
10 Albert Camus, OC, vol. IV, op. cit., p. 594.
11 Voir Frédéric-Jacques Temple (et al.), Albert Camus et l’Espagne, Aix-en-Provence : Edisud, 2005 ; Javier Figuero Moreno, Albert Camus ou l’Espagne exaltée, Gémenos : Autres temps, 2008.
12 Sur ces connaissances limitées de la langue espagnole : un témoignage chez Roblès, Camus, frère de soleil, op. cit., p. 14. Une preuve de son ignorance sur certaines questions espagnoles : il finissait ses lettres à Roblès avec un « ¡Arriba España! », très connoté à droite puisque cette interjection était le monopole des Franquistes et qu’aucun républicain espagnol ne l’employait ou ne l’écrivait. Voir Roblès, ibid., p. 14 et 77. Sa mère était analphabète et presque muette, ce qui ne contribuait pas à une transmission solide, culturellement parlant.
13 Albert Camus, OC, vol. IV, op. cit., p. 1030.
14 Camus note à propos de son ami espagnol : « Retourner en Espagne au risque d’être mal jugé, résister et mourir ». Ibid., p.1052. Bergamín est obsédé de plus en plus par son retour en Espagne, au moment où, en 1949, il prépare avec son ami Rafael Alberti sa participation au Congrès de la Paix, à Varsovie en 1950, parrainé par l’URSS et ses alliés. Voir Gonzalo Penalva, Tras las huellas de un fantasma. Aproximación a la vida y a la obra de José Bergamín, Madrid : Turner, 1985, p. 183-184.
15 Il est actuellement disponible en français chez José Corti, Paris, 2006. Quant aux rencontres entre Camus et Zambrano: Jesús Moreno Sanz, « Cronología y genealogía filosófico-espiritual », in : María Zambrano, La razón en la sombra. Antología crítica, edición de Jesús Moreno Sanz, Madrid : Siruela, 2004, p. 699, 705; et du même auteur, « Tres cartas de Camus a María Zambrano. Breve historia de una amistad y de una publicación malogradas », María Zambrano. 1904-1911. De la razón cívica a la razón poética, ed. J. Moreno Sanz y F. Muñoz, Madrid : Residencia de Estudiantes, 2004, p. 307-414.
16 Sur la question de la crise chez Camus et Zambrano, je me permets de renvoyer à ma contribution : « Sacar a la luz la crisis de Occidente: en torno al diagnóstico y las terapias defendidas por Camus y Zambrano para curarse de esta », disponible sur : ˂http://www.uni-kiel.de/symcity/ausgaben/04_2013/data/Tejada.pdf>, revue on line de l’Université de Kiel (Allemagne), (consulté le 20 décembre 2015).
17 Jesús Moreno Sanz, « Tres cartas de Camus a María Zambrano. Breve historia de una amistad y de una publicación malogradas », op. cit., p. 307-321. Le texte inclut, à la fin, les trois lettres, traduites en espagnol.
18 María Zambrano, « Sentido de la derrota », Bohemia, La Habana, Cuba, nº 43, octubre de 1953.
19 Francisco Ayala, « Letras últimas. Perspectivas de salida », 27-VI-1948, in : Irma Emiliozzi (ed.), Francisco Ayala en La Nación de Buenos Aires, Valencia : Pre-Textos, 2012, p. 112-113.
20 AA.VV.,Francisco Ayala. El escritor en su siglo, Granada : Sociedad Estatal de Conmemoraciones Culturales/Fundación Francisco Ayala, 2006, “Estados Unidos”, p. 212-213.
21 Irma Emiliozzi, Francisco Ayala en La Nación, op. cit., p. 111.
22 Rosa Chacel, Saturnal, Barcelone : Seix Barral, 1972, p. 176-181.
23 José Gaos, « Una izquierda sin filosofía », in : Excelsior, México, 3 de marzo de 1959, cité par Gérard Malgat, Max Aub y Francia o la esperanza traicionada, Sevilla : Renacimiento, Biblioteca del exilio, 2007, p. 286. Max Aub considère que les intellectuels de gauche en France, qu’il s’agisse de Merleau-Ponty, Sartre ou Camus, ont tous « une philosophie avec un fond irrationaliste », dont les racines se trouvent chez Schopenhauer, Nietzsche, Spengler ou Scheler. De ce point de vue, ils sont tous pareils, selon lui. C’est, évidemment, une affirmation à l’emporte-pièce. Voir aussi : José Gaos, « Existencialismo y esencialismo » (1947), Filosofía de la filosofía, OC, VI, México: Universidad autónoma de México, 1987, p. 178-199. Dans ce dernier texte, Gaos manque de recul pour juger d’une manière convenable l’existentialisme. Nous ignorons si Gaos a consacré d’autres textes, plus tardifs, à l’existentialisme.
24 Il est fort probable que les exilés espagnols installés en France connaissaient mieux ces engagements camusiens en faveur de la République espagnole que les exilés installés en Amérique.
25 José Ferrater Mora, El hombre en la encrucijada, Buenos Aires : Editorial Sudamericana, 1952, p. 113-114, 305, 323.
26 José Ferrater Mora, La filosofía actual, Madrid : Alianza Editorial, 1969, p. 55-65.
27 José Ferrater Mora, Historia de la Filosofía, nueva ed. revisada, aumentada y actualizada por Josep-Maria Terricabras, Barcelona : Círculo de Lectores, 2002, vol. 1, A-D, p. 472-473.
28 Jorge Semprun, « Mal y modernidad: el trabajo de la historia », 1990, in : Pensar en Europa, Prólogo de Josep Ramoneda, Círculo de Lectores, 2006, p. 61.
29 Ramón Xirau, Otras Españas : antología sobre literatura del exilio, selección y advertencia Adolfo Castañón, México, D.F. : El Colegio de México, 2011, p. 18. Un ancien étudiant de Xirau raconte à quel point un des commentaires les plus courants de Xirau, c’était de justifier « pourquoi il préférait Camus à Sartre ». Luis Ignacio Helguera, « Imagen crepuscular de Ramón Xirau », Vuelta, México D.F., n° 246 (mayo 1997), p. 42.
30 Ramón Xirau, Poesía completa, edición bilingüe, México : FCE, 2008.
31 Ramón Xirau, El péndulo y la espiral, México : Universidad Veracruzana, 1959, p. 131.
32 Ramón Xirau, Sentido de la presencia, FCE, Tezontle, 1953.
33 Le livre le plus exhaustif sur cette génération est celui constitué par les actes du Congrès organisé par le Groupe de recherche GEXEL de l’Université Autonome de Barcelone : El exilio republicano de 1939 y la segunda generación, Sevilla : Renacimiento, 2011. Il existe actuellement une réedition de la revue Presencia, sous le même titre, publiée à Mexico par l’Ateneo Español de México, Embajada de España, Centro Cultural de España en México et Ediciones sin Nombre, 2015, avec une longue préface de Jose María Espinasa, en support papier, et un CD contenant les huit numéros de la revue, entre 1948 et 1950.
34 Citons, par exemple, El último oasis, México : Joaquín Mortiz, 1964 ; Juicio y condena del hombre nuevo, A Coruña: Edicios do Castro, 2005 ; Ironías, Valladolid : Fundación Jorge Guillén, 2006. Dans une lettre datée du 3 mars 2010, qu’il a eu la gentillesse de m’envoyer, Ruiz me disait la chose suivante : « También soy fiel lector de Camus ».
35 Voir « Camus y la literatura comprometida », Revista de la Universidad de México, 1956 ; « Nuevas obras de Camus », Revista de la Universidad de México, 1957 ; « El exilio o el reino de Camus », Revista Mexicana de Literatura, 1957 ; « Camus y la universalidad », Revista de la Universidad de México, 1957 ; « Acercamientos a la tragedia », La Cultura en México (suplemento de Siempre), 1958, (repris dans Contracorrientes, UNAM, México, 1973, p. 131-151) ; « Camus ida y vuelta », Revista Mexicana de Literatura,1959.
36 Voir « Viaje a contrapelo », repris dans Contracorrientes, op. cit., p. 17-61.
37 Lettre adressée le 19 février 1958, in Algunas cartas, Pre-Textos, Valencia, 1997, p. 57, 59-60. Gaya préfère le retrait à la visibilité (médiatique?) de Camus, dans le champ culturel, ce qui le dégoûte.
38 Eduardo Vázquez,Apalabrarse. Conversaciones con Tomás Segovia, México : Ediciones sin Nombre/ Conaculta, 2012,p. 139.
39 Tomás Segovia, Resistencia. Ensayos y notas. 1997-2000, México: Ediciones sin Nombre/ Conaculta, 2005. [1ª ed. : 2000], p. 214.

Ricardo TEJADA
Université du Maine, Labo 3L. Am
Maître de conférences

Source :
http://revues.univ-pau.fr/lineas/1813

MILICIENNES

Quelques photos de femmes engagées dans la défense de la République. L’enthousiasme de la jeunesse se lit sur leur visage.

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tricoter

 

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Simone Weil, 1936.

 

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Plaza Mayor, photo de Zuga, 1938.

MILICIANAS ENCARGADAS DE REPARTIR EL PAN A LAS TROPAS QUE VIGILABAN A LOS PRISIONEROS DEL ALCÁZAR DE TOLEDO.
MILICIANAS ENCARGADAS DE REPARTIR EL PAN A LAS TROPAS QUE VIGILABAN A LOS PRISIONEROS DEL ALCÁZAR DE TOLEDO.

 

 

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moto

 

mochila

 

mirada

 

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Isabel Gonzáles, militante du PSOE aux Canaries.

instruction

 

 

guernica

 

UNA MILICIANA EN LA PRIMERA LÍNEA DE LA AVANZADILLA DE LA SIERRA.
UNA MILICIANA EN LA PRIMERA LÍNEA DE LA AVANZADILLA DE LA SIERRA. Guadarrama, 25-07-36.

 

 

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Frente del Nalón.

frente_aragon

 

 

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Revue Estampa, 29-08-36.

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Revue Estampa, 29-08-36.

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Esperanza Rodríguez, capitaine.

enfermera

 

embalses

 

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descanso

 

 

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Revue Crónica, 05-01-37.

combatante

 

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Capitaine.

 

 

capitana

 

 

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Photo Capa, août 1936.

cantimplora

 

canon

 

 

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Infirmière, Buitrago (Aragon).

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Photo Centelles, juillet 1936.

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bebiendo

 

barril

 

 

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Revue Estampa, 29-08-36.

FRAGMENTS DE MÉMOIRE 11

plessis

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camp

Sont reproduits ici les textes qui ont été mis en voix par la Compagnie Cano López le 20 novembre 2015 au Plessis-Théâtres  à  La Riche (Indre-et-Loire).

Souvenirs perdus.

 C’est en Espagne que ma génération a appris que l’on peut avoir raison et être vaincu, que la force peut détruire l’âme et que, parfois, le courage n’obtient pas de récompense. C’est, sans aucun doute, ce qui explique pourquoi tant d’hommes à travers le monde considèrent le drame espagnol comme étant une tragédie personnelle, la dernière grande cause.

 Ma chère petite maman, voici ce que dénonçait Albert Camus dans l’un de ses textes. Tu as vécu dans ta propre chair cette tragédie quand, dans la rigueur du froid de février 1939, traversant à pied avec tant d’autres la frontière de Cerbère, tu cherchais un refuge, refuge qui sera ton exil, exil qui sera ta patrie. Tu avais 16 ans.

Je sais trop peu de choses sur ton passé, la maladie armée de sa faux m’a privé de ta voix. Tu n’avais pas encore 45 ans. Je vivais alors ma jeunesse dans l’insouciance du présent, dans l’exaltation et la liberté des barricades, je ne pensais qu’à l’avenir, je n’étais pas curieux du passé, TON passé. Aujourd’hui, à l’automne de ma vie, je me retourne, et derrière moi je fouille dans mes souvenirs. Je cherche, en vain, mes racines, je cherche en vain à reconstruire ton histoire, à deviner ton parcours.

De ce petit village d’Aragon où tu es née, Paracuellos de la Ribera, on t’envoie en Catalogne vivre chez une tante car ton père, jeune veuf, ne peut s’occuper seul de ses trois enfants.

Puis la Catalogne tombe sous le feu des troupes rebelles. Vient alors ce que nous appelons la Retirada.

Mais pourquoi étais-tu seule quand tu as traversé la frontière ? Où était ta famille ? Que s’est-il passé ?

Et comment as-tu vécu, seule, cet exode, et qui t’a ensuite recueilli ?

Je n’ai qu’une seule trace de ton passage, celle du 18 octobre 1939, dans un camp pour réfugiés étrangers près de Bourges. Le registre indique ton nom, Carmen Lite Gracia, ta date de naissance et ta profession : « bonne ».

Toi ne parlant pas le français, toi analphabète, toi étrangère indésirable, comment as-tu vécu dans la France de Pétain ? 

Puis tu aurais résidé quelques années en Alsace. Pourquoi ?

Et puis ensuite à Paris. Pourquoi ?

A la libération de la France, celui qui sera mon père épouse la belle espagnole, tu étais fière en effet d’avoir gagné un prix de beauté dans une fête locale. Ça, je m’en souviens…

Pourquoi n’ai-je pas été curieux, pourquoi tant de négligence, pourquoi, maman, ne pas m’avoir dévoilé un peu plus de ta vie ? Serait-ce par pudeur, pour ne pas troubler mon innocence ? Papa n’est plus là depuis trop longtemps pour me parler de toi.

Je ne serais pas né sans cette guerre civile, serais-je alors un « enfant illégitime du franquisme » ?

Je sais au moins une chose : la monarchie, imposée par un dictateur, est doublement injustifiable.

 

Et nous avions le rêve illusoire de juger l’imposteur, de lui  demander des comptes !

Mais… le juger, aurait signifié le présumer innocent… il est mort coupable.

 

Maintenant nous réclamons simplement justice et réparation, nous devons recouvrer ce que le peuple espagnol avait choisi librement.

La République, qui fut trahie, poignardée, abandonnée, nous te la devons maman, saches que, contrairement à ce que l’on prétend, nous ne sommes pas vaincus car, comme l’écrivait bien justement le dramaturge Fernando de Rojas : No es vencido sino el que quiere serlo. (*)
« N’est vaincu qui croit l’être. »

 

 Pardonner ??

 ********

********

 

 

 

 

Oui…

 Mais avec la volonté de résipiscence de la part des bourreaux, c’est-à-dire qu’il leur faut reconnaître leur faute et s’amender, c’est le prix de la réconciliation. En effet, il n’y a pas de pardon sans justice et justice n’est pas vengeance car alors de victimes nous deviendrions bourreaux. Oui, la justice existe, sinon quelle serait la différence entre victimes et coupables ? Cependant, nous savons que « le pardon rature, il n’efface pas » (**), seule la vérité reste. Nous veillerons, moi et ma descendance, à  transmettre ta mémoire et celle de tes compatriotes, ces martyrs, ces déracinés et ce, jusqu’à ma fin, c’est un devoir, une mission pour moi, ma résilience, car oublier ce drame signifierait qu’il n’a pas existé.

 

En définitive, que me reste-t-il de toi, maman ?

Des lambeaux de souvenirs, un joli et tendre sourire, de beaux yeux marron attentifs et protecteurs…

La frustration du manque est immense, cruelle, car mes questions resteront à jamais une énigme sans réponses, à JAMAIS.

 

¡ Salud y República !

  

capa5

Je peux vivre ailleurs mais j’aurai toujours la conviction que je suis en exil.
Albert Camus (1913-1960)

bartoli1

Caminante, son tus huellas
el camino y nada más;
Caminante, no hay camino,
se hace camino al andar.
Al andar se hace el camino,
y al volver la vista atrás
se ve la senda que nunca
se ha de volver a pisar.
Caminante no hay camino
sino estelas en la mar.

Antonio Machado (1875 – Collioure, 22 février 1939)

 bartoli2

Dicen que al morir le hallaron España dentro del pecho.
Juan Rejano (1903-1976)

Jean-Claude Vanhille Lite

 

(*) Fernando de Rojas, La Celestina (Melibée répondant à la Célestine, Acte IV).

(**) Robert Sabatier, Le livre de la raison souriante.

FRAGMENTS DE MÉMOIRE 10

plessis

refugies-marchant-sur-la-route-entre-barcelone-et-la_415438_516x343

camp

Sont reproduits ici les textes qui ont été mis en voix par la Compagnie Cano López le 20 novembre 2015 au Plessis-Théâtres  à  La Riche (Indre-et-Loire).

Un  » abric »

Cette histoire m’a été racontée par ma mère  Je ne peux pas donner de date exacte mais je pense que je peux la situer au cours de l’hiver 1940.

« Il fait froid. Les hivers sont rudes en Creuse, très rudes même pour ces jeunes femmes  trimballées d’un camp à l’autre au bon vouloir des autorités

Paquita, (c’est ma maman mais on ne se connait pas encore) marche à pas lents, seule, certainement triste en pensant au petit garçon de 6 ans qu’elle a laissé là-bas, dans sa Catalogne, pour ne pas qu’il souffre dans un voyage improbable. Elle pense aussi à son cher mari, Juan, interné dans un autre camp.

En marchant, elle s’est approchée des limites du camp et voit un brave homme qui la regarde gentiment et la salue et tente de communiquer avec elle. Pas facile quand on ne parle pas la même langue. Elle finit par comprendre que cet homme lui apportera une brique pour qu’elle puisse se réchauffer les pieds.

Toute contente elle s’en va le dire à ses compagnes, Juana Font et la « mallorquina « ,

Le lendemain elle retrouve le bon monsieur qui lui remet un paquet entouré de papier journal.

Déception. C’est une brique.

En catalan un « abric » signifie manteau. »

Cette anecdote pas vraiment guerrière m’a toujours amusé et si tu peux en faire  quelque chose je serai ravi.

 Tony Torne

FRAGMENTS DE MÉMOIRE 9

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Sont reproduits ici les textes qui ont été mis en voix par la Compagnie Cano López le 20 novembre 2015 au Plessis-Théâtres  à  La Riche (Indre-et-Loire).

Emilio

 

C’était une photo prise sur la sierra, à quelques encablures de Saragosse. Deux jeunes servants posant à l’ombre d’un canon.

Ces hommes appartenaient à la colonne Ortiz, une formation de miliciens anarchistes, qui marchait avec ceux de la colonne Durutti en direction de Belchite afin de tenter d’écraser les troupes franquistes qui s’étaient emparées de la région et qui en profitaient pour exécuter, par milliers, les militant-e-s ouvriers qui tombaient sous leur coupe.

Une soixantaine d’années après, j’ai rencontré un de ces deux là. Emilio, à peine sorti de l’adolescence, s’était rué, comme une grande partie du peuple d’Espagne dans la révolution naissante, ce bref été de l’anarchie, qui va bousculer l’ordre établi durant quelques mois et faire entrevoir la possibilité d’un monde nouveau, ouvert au possible, émancipé des totalitarismes et de l’oppression.

De ces quelques mois, qui l’ont marqué à vie, il en gardait la flamme qui pétillait dans ses yeux lorsqu’il me parlait de ces instants magiques, des ses combats contre les fascistes et les staliniens,  de la beauté de l’Espagne libertaire.

Et puis, il s’assombrissait soudainement, lorsqu’il invoquait l’exil, les camps de concentration de la France républicaine, la dureté du camp du Vernet, les compagnons qui  avaient  disparu morts de canonnades,  de maladies, de trahisons, d’exil et de désespoirs…

Et pourtant la geste libertaire qui l’avait fait basculer dans la grande histoire le tenait toujours debout, humble et joyeux d’avoir vécu tout cela et désirant toujours l’écrire à l’encre du possible.

 Eric Sionneau

FRAGMENTS DE MÉMOIRE 8

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Sont reproduits ici les textes qui ont été mis en voix par la Compagnie Cano López le 20 novembre 2015 au Plessis-Théâtres  à  La Riche (Indre-et-Loire).

Un curé révolutionnaire !

Quand j’étais jeune (8-12 ans), j’ai eu l’occasion d’aller quelques fois en Espagne, en Catalogne, avec ma mère et ma sœur voir quelques membres de sa famille qui étaient restés là-bas à la fin de la guerre civile et qui continuaient à avoir quelques contacts avec ma mère.

Nous y allions sans mon père, ancien de la CNT marqué « d’une croix rouge » qui ne pouvait s’y rendre sans prendre le risque de représailles certaines.

Ma mère, Sofia, était catalane originaire de Rubi près de Barcelone. Elle avait un oncle curé (le frère de sa mère, ma grand-mère maternelle, l’avia en catalan) qui vivait à Vilasar-de-Mar, une station balnéaire un peu au nord de Barcelone.

Il s’appelait Monseigneur Jean Rebull (Mosèn Joan en catalan).

Il habitait une assez jolie maison blanche, en centre-ville, avec un petit jardin qui comportait en son centre un puits et une sorte de fontaine recouverte de plantes et de mousse d’où coulait un filet d’eau permanent.

Contrairement à la plupart des ecclésiastiques espagnols, Mosèn Joan, qui avait une forte et virulente personnalité, avait pris le parti de défendre la République dès le début de la guerre civile, et avait caché et défendu des républicains.

Cela lui valut d’être emprisonné dans une prison de la banlieue de Barcelone, torturé et condamné à mort par les franquistes.

Un jour, appelé à donner l’extrême onction à un prisonnier qui mourrait, il a réussi à s’évader de la prison.

Il s’est ensuite caché dans sa propre maison, au fond de son puits, pendant un mois.

N’imaginant pas qu’il soit retourné chez lui, la guardia civil ne l’a pas trouvé.

Des habitants du village lui apportaient en cachette de la nourriture.

Le temps passant, il a réapparu et a réussi à bénéficier d’une sorte d’amnistie. Il faut dire qu’il était également diacre au célèbre monastère de Montserrat et qu’il jouissait d’une certaine notoriété.

Quand nous allions le voir, dans les années qui précédèrent la mort de Franco, pour bien marquer sa liberté de penser, il ouvrait grand les fenêtres de sa maison et il mettait à fond la musique de « La Santa Espina », sardane emblématique des Catalans, interdite sous les dictatures de Primo de Rivera et de Franco.

Sa vieille servante se mettait alors à le disputer car elle craignait toujours des représailles de la guardia civil.

 

Georges Pares

 

La Santa Espina :

https://www.youtube.com/watch?v=48_yGM4e164

https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Santa_Espina

Une rue de Vilasar-de-Mar porte le nom de Mosen Juan Rebull.

 

 

FRAGMENTS DE MÉMOIRE 7

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Sont reproduits ici les textes qui ont été mis en voix par la Compagnie Cano López le 20 novembre 2015 au Plessis-Théâtres  à  La Riche (Indre-et-Loire).

Sur la plage d’Argelès-sur-Mer

Je suis une fille de la « retirada », la retraite ou l’exode des espagnols qui fuyaient le fascisme à la fin d’une guerre civile de près de 3 ans. Je suis fière d’avoir du sang espagnol qui coule dans mes veines, sang mêlé de celui d’un « rouge », mon père, et celui d’une petite orpheline, élevée chez les sœurs à cornettes, ma mère, orpheline dès l’âge de 2 ans.

Rien n’était fait pour qu’ils se rencontrent, sauf, hélas, qu’une guerre civile n’éclate en Espagne, leur pays, et ne se termine que par un exil forcé, ici en France, où ils se « trouvèrent ».

Ma mère était une jeune fille de 20 ans lorsqu’elle a « échoué », comme des centaines de milliers de ses compatriotes, sur la plage d’Argelès-sur-Mer. Les autorités françaises avaient « prévu » leur accueil sur cette plage en la délimitant par des fils de fer barbelés, la mer représentant un côté « naturel », le tout sous surveillance policière armée très importante. Ils ont été parqués dans ce camp de concentration à partir du mois de février 1939, un hiver qui fut particulièrement rigoureux. Ils étaient « logés » à même le sable si froid, rien n’avait été prévu pour l’hygiène, les soins médicaux…

C’était inhumain au possible, il y eut beaucoup de morts, surtout des enfants.

Papa, bien entendu, va se battre avec ses compagnons d’infortune, pour tenter de libérer son pays du joug fascisant, il fallait empêcher qu’il ne revienne entre les mains de ce dictateur, Franco.

Les « rouges » assiégeaient les églises, couvents… tout ce qu’ils haïssaient car, pour eux, cela représentait de grandes richesses qui n’étaient pas distribuées aux pauvres. Nombreux étaient anticléricaux  et leur souhait, ou leur idéal, était d’obtenir davantage de justice sociale. Maman qui était élevée dans un couvent se souvenait bien de l’arrivée de ces « rouges » qui saccageaient tout mais l’image la plus marquante pour elle fut celle de fœtus qui étaient entassés dans un placard (et oui il y avait de temps en temps des petites soirées libertines organisées entre les sœurs et les curés du monastère voisin qui empruntaient le souterrain reliant les 2 endroits).

Comme dans toute révolte, cela s’est fait dans le sang, Picasso en a rendu l’un de ses tableaux fort célèbre « Guernica ». Des poètes, des écrivains, des « internationaux » prenaient parti pour leur lutte qu’ils trouvaient juste. Franco les traquait, les torturait, les emprisonnait, ou les tuait froidement, tout en récitant ses prières matinales.

Franco avait fait alliance avec Hitler et Mussolini, les appels des républicains espagnols ne furent pas entendus par la France et la Grande-Bretagne. Pourtant, c’était bien là le signal d’une grande guerre qui devint mondiale et la création de camps d’extermination en masse, par la folie d’un autre dictateur qui voulait se créer un Empire, Hitler.

L’exil est le plus souvent forcé pour la plupart des peuples, il n’est jamais fait avec plaisir. Mes parents l’ont adopté de force puisque le Général Franco a dirigé de façon atroce l’Espagne jusqu’en 1975, papa étant décédé 10 ans auparavant. Il n’a jamais pu revoir sa « mère-patrie », il savait très bien que s’il remettait les pieds en Espagne, il risquait de se retrouver en prison, torturé ou assassiné.

J’ai vécu, petite, les sarcasmes des camarades de classe, comme quoi je mangeais le pain des français, ce que je ne comprenais pas à l’époque. Aujourd’hui encore je suis une indignée, je ne supporte pas les relents racistes extrémistes, j’ai même honte des prises de position politique de certains de mes frères et sœur actuellement.

J’ai atteint l’âge auquel papa est parti pour toujours, il me reste un manque énorme de lui. En effet je n’avais que 15 ans et à cet âge je n’avais pas ressenti ce besoin de parler avec lui de sa vie d’avant l’exil, de son Amour pour l’Espagne, de sa lutte contre le fascisme, là-bas, ou ici en France.

De lui, je me souviens d’énormes jurons espagnols, souvent anticléricaux et de chants comme « Ay Carmela » quand un groupe d’amis étaient réunis et que l’anisette coulait si joyeusement dans leurs gosiers. J’ai l’impression d’avoir des racines peu profondes car je n’ai jamais connu de grands-parents. C’est la 1ère fois cet été où j’ai foulé les terres aragonaises qui l’ont vu naître, travailler la terre, connaître la République, malheureusement fragile, et quitter son pays après avoir  lutté avec peu de moyens pour la Liberté. Je n’ai retrouvé aucune trace familiale mais j’ai parfois entendu les jurons qu’il avait tendance à prononcer assez souvent, jurons toujours en vigueur. Je n’ai pu que me rendre compte de l’hostilité de cette région si aride et m’imaginer comme la vie devait y être bien difficile. Que pouvaient faire ces pauvres bougres lors des combats contre l’armée de fascistes, très équipée ?

Je dis un grand MERCI à Papa et à Maman pour tout ce qu’ils ont fait pour nous après avoir subi tant d’horreurs.

 Mirabelle

FRAGMENTS DE MÉMOIRE 6

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Sont reproduits ici les textes qui ont été mis en voix par la Compagnie Cano López le 20 novembre 2015 au Plessis-Théâtres  à  La Riche (Indre-et-Loire).

Nous ne pouvons oublier…

 « Españoles, Franco ha muerto » Arias Navarro l’annonçait ainsi à la Télévision Espagnole le 20 novembre 1975. Les radios, les journaux du monde entier s’en faisaient l’écho.

Dans tous les foyers de Républicains Espagnols exilés la nouvelle fut accueillie comme un grand soulagement, l’anis coulait à flot, l’espoir pouvait enfin renaître. Dans le même message télévisé, celui qui fut ministre de l’intérieur et le dernier président du gouvernement franquiste, présentait aussi le successeur désigné par Franco, le futur roi, Juan Carlos 1er.  Trois chefs d’Etat assistaient à ses obsèques, le Prince Rainier III de Monaco, le roi Hussein de Jordanie et le dictateur chilien Augusto Pinochet, une belle brochette !

Deux jours après, devant les Cortes, le parlement espagnol, dans une cérémonie d’intronisation Juan Carlos prononçait ces mots « Un personnage exceptionnel entre dans l’Histoire. Le nom de Francisco Franco sera dorénavant  une référence dans la vie de l’Espagne et un fait historique qu’il faudra continuer de rappeler  pour comprendre les clefs de notre vie politique contemporaine. Je veux, avec respect et gratitude, évoquer le souvenir de ce personnage qui durant tant d’années à assumer la lourde responsabilité de conduire la direction de l’Etat. Je puiserai dans son souvenir les exigences, nécessaires à l’action et à la loyauté, pour assumer les fonctions au service de la Patrie. Ce sont les peuples grands et nobles qui savent se souvenir de ceux qui ont consacré leur vie au service d’un idéal. L’Espagne ne pourra jamais oublier celui qui comme soldat et Homme d’Etat, a consacré toute sa vie à son service. »

J’ai découvert ce discours, en espagnol, il y a seulement quelques semaines, envoyé par un de mes frères qui écrit un livre sur l’histoire de nos parents. J’ai cherché vainement sur internet une traduction française de ce texte. Rien ! Ces extraits, que je vous ai traduits, aident à mieux comprendre ce qui s’est passé par la suite. Certes pour ceux qui ont connu la période franquiste, et je suis de ceux là, il nous faut reconnaître que Juan Carlos, les différents partis politiques ont réussi à imposer un système démocratique, où les libertés individuelles et collectives ont été respectées, rien à voir avec le franquisme, je suis le premier à le dire. Mais il y a aujourd’hui de grandes remises en cause de ces libertés.

Nous ne pouvons oublier les tentatives de criminalisation de l’activité syndicale, avec la LEY MORDAZA, à forte connotation franquiste,  qui  imposera des amendes de 30.000 euros aux citoyens qui refusent de présenter les documents d’identité à la police, ou encore à ceux manifestant en soutien pour s’opposer aux expulsions de domicile  ou alors à celui qui prendrait et  montrerait sur le web des vidéos de violences policières… voilà le niveau de l’intention de cette loi.

Nous ne pouvons oublier que cette transition démocratique a tenté et continue d’effacer les crimes franquistes. 19 criminels de guerre franquistes devraient être jugés actuellement par le Tribunal de Buenos Aires en Argentine et le gouvernement Rajoy s’oppose à leur extradition, avec la bénédiction du roi Felipe VI, qui n’a pas ouvert la bouche sur cette question… qui ne dit mot, consent.

Nous ne pouvons oublier, Monsieur Felipe VI, que, si vous vous exhibiez à l’inauguration du jardin de la Nueve le 3 juin 2015 à Paris vous faisiez aussi interdire, un an plus tôt, le drapeau de la République espagnole lors de votre proclamation le 19 juin 2014 à Madrid, faisant procéder à plusieurs arrestations pour trouble à l’ordre public, par la seule présence de ces drapeaux, les faisant décrocher des balcons madrilènes. Des associations de Républicains vous l’ont dit haut et fort.

   – Ne pas oublier ! Tel est le maître mot qui a conduit à la création de notre association RETIRADA 37, pour faire vivre toutes les mémoires de ceux qui ont combattu le franquisme.

Merci à Lydie Salvayre, fille de Républicains, qui avec le prix Goncourt « Pas Pleurer » nous a fait revivre de drôles de souvenirs. Merci pour son mail envoyé à ma fille journaliste « Saluez votre père de ma part et dites-lui que tous les enfants de républicains que je rencontre à l’occasion de la sortie de Pas Pleurer me disent tous qu’ils ont toujours le poing serré. » Soyons rassemblés et gardons bien haut le poing serré pour que revive l’Espoir, pour que revive la República. ¡NO PASARAN !                                           

Luis Lopez

FRAGMENTS DE MÉMOIRE 5

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Sont reproduits ici les textes qui ont été mis en voix par la Compagnie Cano López le 20 novembre 2015 au Plessis-Théâtres  à  La Riche (Indre-et-Loire).

« Tuntún ¿Quién llama a la puerta ? »

 

Comptine chantée dans les cours d’école (années 40) « Tuntún ¿Quién llama a la puerta ? Es la policía … Tuntún ¡me van a matar ! »

 

Pendant les bombardements, elle a pris le train avec sa sœur aînée et sa mère pour se réfugier en France. Comme elle était la plus petite, mon grand-père avait dissimulé des billets dans sa chaussette pour que sa famille ait un peu d’argent. Quand ma grand-mère a trouvé les billets elle était furieuse car il était interdit de sortir des billets d’Espagne et elles auraient risqué une arrestation. De toutes façons, les franquistes une fois au pouvoir, ont décrété que la monnaie républicaine n’aurait plus cours et ne valait plus rien.

Elles ont passé la guerre à Bezons (banlieue parisienne) chez des amis communistes (mes grands-parents étaient anarchistes). Là-bas, les amis René et Marcelle ont publié dans un journal (communiste je crois) le témoignage « de deux petites réfugiées de la guerre d »Espagne » que ma mère et ma tante avaient rédigé (Elles avaient entre 9 et 10 ans). Le but de cet article était de sensibiliser la population française à ce qu’il se passait en Espagne.

La République de 1931 avait permis que les élèves apprennent le catalan à l’école. Je conserve encore un livre d’alphabet de cette époque. Après la guerre, le catalan était interdit à l’école.

Dans le quartier de mes grands-parents il y avait un aviateur qui avait participé aux bombardements de Barcelone sous les ordres de Franco. Il avait bombardé le quartier de Gracia et du Guinardó. La guerre terminée il avait continué d’habiter près de la Sagrada Familia. Mais il ne sortait guère de sa maison car les gens savaient ce qu’il avait fait, et même s’il était dans le camp des vainqueurs,  il y avait de l’animosité contre lui.

 Sylvie Dulos

 

FRAGMENTS DE MÉMOIRE 4

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Sont reproduits ici les textes qui ont été mis en voix par la Compagnie Cano López le 20 novembre 2015 au Plessis-Théâtres  à  La Riche (Indre-et-Loire).

Les Olympiades oubliées – Barcelone, juillet 1936

 

17 juillet  – En 1936 le tourisme n’est pas encore populaire mais sur les Ramblas de Barcelone  les accents étrangers, surtout européens, se mélangent aux parlers  catalans, andalous, madrilènes… On attend plusieurs milliers de sportifs et visiteurs à l’occasion des Olympiades Populaires qui vont se dérouler au stade Montjuich du 20 juillet au 26 juillet. Ces  Olympiades sont organisées par le mouvement sportif catalan en opposition aux Jeux Olympiques de Berlin présidés par Hitler.

Dès l’arrivée d’Hitler au pouvoir un mouvement de boycott lancé par des sportifs américains avait contesté  l’organisation par le régime nazi des Jeux Olympiques attribués en avril 1931 à l’Allemagne. Les protestataires s’appuyaient notamment sur le fait qu’aucun athlète juif ne serait sélectionné en Allemagne. Le mouvement de protestation s’était également  développé dans d’autres pays, notamment en France, avec les organisations sportives FSGT (Fédération sportive et gymnique du travail), UFOLEP (Union française des organisations laïques d’éducation physique) et même des associations ou fédérations purement sportives. En mai 1936 l’invitation était venue d’Espagne d’organiser des Olympiades Populaires à la fois sportives et culturelles  en signe de protestation pacifique à l’encontre des Jeux encadrés par les uniformes nazis.

L’entrée en rébellion de Franco au Maroc « espagnol » mettait la République en grand danger. Le général Goded était attendu, venant de Majorque, pour prendre la tête de la rébellion à Barcelone, un colonel assurait l’intérim. Mais l’armée était loin d’être gagnée à la cause monarcho-fasciste et des armes avaient été données aux travailleurs par des sous officiers ; certaines unités de Gardes d’Assaut et de Gardes Civiles, la majorité des forces de police, se mirent aux côtés des travailleurs armés dans les jours qui suivirent.

Les 18 et 19 juillet les combats sporadiques eurent lieu dans Barcelone. Les délégations sportives logées dans les hôtels de la place de Catalogne les entendirent et il y eut quelques blessés parmi eux. Mais aussi de nombreux morts des deux côtés des combattants. Le général Goded arrivé dans la mi-journée du 19 ne put rallier les unités de la Garde Civile, il fut fait prisonnier et lança un appel à la radio pour cesser le combat. Les travailleurs armés de la CNT, du Poum et du Parti socialiste unifié catalan avaient gagné la première épreuve à Barcelone. Il n’en était pas de même en d’autres lieux. Les barcelonais victorieux allaient devoir prêter main forte aux républicains des autres villes.

Le 20 juillet les Olympiades Populaires durent être annulées. Le 24 juillet la plupart des sportifs et accompagnateurs français furent rapatriés à Marseille dans deux paquebots. Jacques Gérald, responsable de la délégation girondine, raccompagna les sportifs aquitains dans leur région et repartit, en volontaire, au mois d’août, pour combattre au côté des républicains espagnols, il fut tué sur le front le 2 janvier 1937. Andrés Martin, ex secrétaire du Comité d’organisation des Olympiades Populaires, fut tué, en septembre, sur le front d’Estrémadure.

En 1937 des Olympiades Populaires eurent lieu à Anvers en souvenir des Olympiades Populaires de Barcelone. Les organisations sportives travaillistes internationales continuaient de rechercher les bases possibles de l’unité antifasciste. En Espagne la guerre continuait et s’aggravait avec l’intervention ouverte des forces armées hitlériennes et mussoliniennes.

 Gilbert Déverines