La blessure de l’exil espagnol

Article de « La Nouvelle république » du 24 mars 2016.
REFUGIES ESPAGNOLS TETE (1)

Mar-y-Luz Cariño-Lopez tient dans ses mains une photo de son père. Ce dernier a été décoré par De Gaulle pour sa participation à la libération de la France.

2016 marque les 80 ans de la guerre d’Espagne. Elle se conclut par l’exil de centaines de milliers de Républicains en France. Témoignage d’une Lochoise, fille d’un exilé qui a combattu aussi les nazis.

Longtemps, elle n’a rien su, ou presque, des épreuves de son père. Simplement qu’il avait déserté l’armée franquiste et fait la Seconde Guerre mondiale dans la 2e DB du maréchal Leclerc. Son père, Angel Rodriguez-Leira, n’en parlait jamais. Mais, en 2010, plus de trente ans après sa mort, Mar-y-Luz Cariño-Lopez en a appris bien davantage grâce à l’historien Robert Coale dans le cadre d’un hommage aux républicains espagnols : « J’ai pris un coup de poing à la figure ».

Cette habitante de Ferrière-sur-Beaulieu porte le prénom que son père avait donné au canon de son tank qui défilera dans Paris libérée. Quant à son nom, Cariño-Lopez, c’est celui que son père s’est choisi, par sécurité, en 1943, en s’engageant dans les corps francs d’Afrique. Il renvoie au village espagnol où il est né en 1914 : Cariño. Dans ce port de Galice, il est marin pêcheur et adhérent au syndicat anarchiste CNT lorsqu’éclate le coup d’Etat nationaliste de Franco en 1936. Il est marié, père d’une petite fille, et son épouse attend un deuxième enfant, qui naîtra après son départ pour la guerre.

«  Continuer la lutte  »

Réquisitionné dans l’armée franquiste fin 1937-début 1938, Angel Rodriguez-Leira déserte et passe du côté des Républicains. Quand Madrid tombe aux mains de Franco fin mars 1939, son seul salut est de fuir l’Espagne par bateau depuis les environs d’Alicante. Avec d’autres Républicains, il traverse la Méditerrannée en chaloupe, à la rame. Accoste en Algérie française. Comme dans l’Hexagone, il va connaître, de l’âge de 25 ans à 28 ans, les camps où la France a parqué les Espagnols exilés. Il s’évade, mais est repris. « On lui a dit : soit vous rentrez dans la Légion étrangère, soit vous retournez chez Franco. » Ce qui signifiait l’envoyer à une mort presque certaine. Ce sera donc la Légion.
Il y reste huit mois, puis déserte une nouvelle fois le 27 juin 1943. Le lendemain, il signe dans les corps francs d’Afrique sous sa nouvelle identité. Rapidement, il intègre, au sein de la 2e DB, « la nueve », une compagnie majoritairement composée de Républicains espagnols. « Ils n’avaient qu’une idée en tête : continuer la lutte. » Et, au bout de la victoire des Alliés, reprendre l’Espagne aux Franquistes. Les espoirs d’Angel Rodriguez-Leira seront trahis. Jamais les alliés n’ont envisagé de renverser Franco pour y réinstaurer la République.
En France, l’exilé espagnol fondera une nouvelle famille, sans jamais oublier la première. Mais il ne reverra pas l’Espagne.

Pierre Calmeilles

Une réflexion sur « La blessure de l’exil espagnol »

  1. Quel témoignage bouleversant et tellement extraordinaire (au sens réel du terme) ! Combien d’années il aura fallu pour réussir à reconstituer des puzzles ! En tout cas ton père t’a donné un très joli prénom. Bises amicales de Jacqueline

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