Article de Jean Ortiz : La journaliste française Renée Lafont, assassinée par les franquistes, et la « guerre civile » à Cordoue.

Pourquoi la Guerre d’Espagne et la dictature franquiste constituent-elles, « le deuxième génocide » du 20ième siècle ? Pourquoi entre 110.000 et 150.000 corps de républicains, fusillés par les franquistes, gisent encore entassés dans des fosses communes, sans que l’Etat espagnol y remédie ? Pourquoi ce « cri du silence », cyniquement « oublié » ? Pourquoi la journaliste et romancière française Renée Lafont a-t-elle « disparu » à Cordoue, dans une fosse de 2000 corps, depuis le premier septembre 1936 ? Et sans quasiment de vraies réactions ni d’hommages en France? Le chef du gouvernement était alors Léon Blum. Journaliste et femme libre, engagée, romancière aux convictions républicaines, Renée dérangeait sans doute les partisans français de l’hypocrite « non intervention ». Renée n’est pas une anonyme. Le quotidien espagnol « ABC » du 17 mars 1914 met en avant « la spirituelle romancière française, très connue en Espagne par son travail « d’hispanophile » et par ses traductions d’éminents écrivains espagnols contemporains ». Dans quel environnement de « Guerre civile à Cordoue »[1] Renée Lafont exerçait-elle son métier de reporter pour « Le Populaire » (SFIO), avant d’être fusillée par les franquistes le premier septembre 1936 au cimetière San Rafael ?

Ces questions hantent toujours les consciences antifascistes, en Andalousie et au-delà, malgré le pilonnage du « tous coupables », du renvoi-dos-à-dos victimes-bourreaux, colporté jusqu’à plus soif par le révisionnisme massif. Les républicains espagnols n’étaient pour la plupart, on le sait bien, que des pions manipulés… Les révisionnistes, le vent « libéral » en poupe, s’en prennent à tous ceux qui ont voulu et/ou veulent « changer le monde ». Ils défendent bec et ongles leur système : le capitalisme. Quoi de plus normal ?

Le « golpe » militaro-civil des 18-19 juillet 1936 fut en Andalousie comme ailleurs, particulièrement violent ; un projet programmé, planifié, pour « limpiar » (nettoyer), débarrasser à tout jamais l’Espagne des germes de « la révolution »… qui ne menaçait guère par ailleurs.

L’Andalousie, proche du Maroc et de l’Afrique du nord (espagnols), voit, la première, déferler les terribles troupes coloniales franquistes, les « africanistes » (Légion et « Regulares »), les « colonnes de la mort »[2]. Poussées au viol, au pillage, elles se livrent aux pires horreurs, notamment de Séville à Madrid, pratiquant la « terre brûlée », sous l’emprise de la haine de classe et des discours radiophoniques « fous », « sadiques » (sur « Radio Séville »), de celui qui s’est proclamé commandant de toutes les « forces insurgées » d’Andalousie : Queipo de Llano. Ce dernier « repose » encore aujourd’hui, en toute gloriole et impunité, à l’entrée de la chapelle de la Macarena, à Séville. Insupportable provocation. Pour les factieux, il faut éradiquer avec la plus grande férocité, le plus vite possible et définitivement, le prolétariat agricole et industriel, les anarchistes, grande force populaire, les communistes, les «ugétistes », les miliciennes, les soutiens du Front populaire, les enseignants, ces « subversifs ». « Le petit peuple » ne doit jamais plus remettre en cause l’ordre dominant établi. Les femmes, surexploitées, abusées, et qui désormais fument et votent, commencent à se libérer, deviennent « visibles ». Elles ne sont pas épargnées.

La guerre à Cordoue prend d’emblée un caractère « d’holocauste », de « guerre d’extermination »[3], et de « guerre sociale ». Pour le cerveau et l’organisateur du « golpe », le général Emilio Mola, il faut tuer « tous ceux qui ne sont pas d’accord avec nous ». Des dizaines de milliers de « simples républicains » mourront à l’arrière-garde des combats… Des massacres délibérés de civils destinés à ce que règne la terreur « immédiate », la terreur d’Etat, se succèdent… Au moins 20.000 antifascistes seront exécutés après « la victoire ». Le prolétariat reste considéré comme « une race inférieure » à annihiler.

Dès la fin juillet 1936, Cordoue et les villages de « la Campiña » environnante paient un lourd tribut aux militaires sabreurs pour le compte de « la trame civile » du « golpe » : la grande bourgeoisie et l’oligarchie agraires, les « terratenientes » (grands propriétaires des oliveraies), les vieux aristos, les monarchistes, les politiciens de la Ceda (alliance d’extrême droite), l’Eglise, qui félicite les bourreaux[4]. L’oligarchie tire les ficelles en coulisses. Elle recrute des meutes de « lumpens » (ils se bousculent), de pègre, chargées du sale boulot. Les villages cordouans, la ceinture ouvrière anarchiste de Palma del río, Posadas, Hornachuelos, Almodóvar, Bujalance, Castro del río, Espejo et Santaella, zones ouvrières (communistes) résistent inégalement, et finissent majoritairement par céder face au déséquilibre des forces. Fernán Nuñez, le 25 juillet 1936, voit 80 des siens (dont deux femmes et des mineurs) martyrisés par les fascistes. Plus loin, le 28 juillet, la population ouvrière de Baena, saignée à blanc, massacrée place de la Mairie, pleure ses 1 200 morts (2 000 peut-être). Le sang coule dans les rues. Le « golpe » a surpris la plupart des dirigeants et des militants républicains, désarmés.

Le deux septembre 1936 à Cordoue, un citoyen français EDMOND PADOVANI, meurt sous les balles franquistes, accusé de « franc-maçonnerie ». On ne sait, pour l’heure, pas grand chose de plus sur lui.

La liste des victimes de la répression franquiste à Cordoue pendant les trois années de la Guerre d’Espagne (source : « Registre civil » -incomplet- de Cordoue et « livres d’enterrements » des cimetières cordouans de « San Rafael » et « Nuestra Señora de la Salud », de juillet à décembre 1936), s’élèverait à 2088. Un nombre très inférieur à la réalité. Il ne tient pas compte des victimes des bombardements, des exodes, des morts républicains sur d’autres fronts, ou des « rouges » exécutés, non « déclarés »  sur ces registres, tellement la terreur paralyse la population… On attribue -cyniquement- aux suppliciés que l’on fusille, une même adresse de domicile : « Arroyo del moro », le nom de l’un des murs d’enceinte du cimetière de la Salud contre lequel on fusillait par dizaines. Les prisonniers étaient souvent passés par les armes au cimetière de la Salud puis transportés pour inhumation à celui de San Rafael. Les bourreaux se moquaient des victimes, leur tenant des propos sarcastiques du type « tu vas aller rejoindre ta réforme agraire ». Et  ils utilisaient toute la gamme des supplices.

Selon les « données des cimetières » cordouans, le premier septembre 1936, les corps de « deux hommes et d’une femme, inconnus » apparaissent, au cimetière San Rafael et « sept hommes inconnus » au cimetière de La Salud[5]. Il est fort probable, par recoupements, et selon le témoignage d’un militaire en faction ce soir-là[6], au carrefour de la Victoria (il raconte avoir vu une femme sauter du camion des condamnés et tenter de s’enfuir) que le corps de femme « inconnu » soit celui de l’écrivaine et journaliste française Renée Lafont. Selon le journal « El Guión » du 1er septembre 1936, elle a été arrêtée « en tenue d’homme ». Cette femme ne pouvait donc être que de mauvaise réputation ; elle osa couvrir la guerre et de surcroît en tenue de soirée !! Le quotidien la présente comme une « Mata-Hari » au service des « rouges ».

Le lieutenant-colonel de la Garde civile Bruno Ibañez Galvez, un sadique, un tueur psychopathe, devient chef de l’Ordre public à Cordoue, le 22 septembre 1936. La répression redouble, avec un acharnement inouï… Arrestations, tortures, exécutions, prennent un caractère de terreur de masse « exemplaire ». Elle cible les petites gens, les ouvriers, les cheminots, les enseignants, victimes d’une « épuration » d’une rare violence, les femmes (120 fusillées à Cordoue en 1936). « Don Bruno » reçoit le soutien public de l’Eglise. En cette fin d’été 1936, chaque aurore, contre les murs des cimetières, les fascistes de la « brigade du petit matin » exécutent une cinquantaine de « rouges » ; le plus souvent coupables d’avoir voté pour la République ou sympathisé avec elle. Assoiffé de haine, don Bruno, le « boucher de Cordoue », interdit même la visite aux cimetières… afin d’éviter les bouchons !! Le bilan de l’extermination, sous toutes ses formes, des républicains de Cordoue, entre 1936 et 1939, s’élève à plus de 4 000 victimes, toujours selon les travaux d’archives de l’historien Moreno Gómez. Il estime que les registres -à trous- ne reflètent que le tiers de l’ampleur des massacres.

Envoyé sur place avec sa colonne, le général républicain Miaja, indécis, échoue à libérer Cordoue, malgré l’appui des résistances populaires. Après la guerre, Cordoue et ses environs abriteront de nombreux maquis ; longtemps, ils feront la nique aux fascistes.

Jean Ortiz

25 février 2018

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