17000 KM pour récupérer la bague et la montre que les nazis dérobèrent à un prisonnier espagnol

Article traduit
https://www.eldiario.es/sociedad/17-000-kilometros-recoger-anillo-reloj-nazis-arrebataron-prisionero-espanol_1_8838769.html

Le 13 novembre dernier je lançais sur ce site un appel suite au message reçu d’Isabel et Jesus de Madrid qui recherchait la famille de Gabriel Alvarez Arjona, déporté au camp de Neuengamme en Allemagne pour récupérer des effets personnels (une montre à gousset et deux bagues, dérobés par les nazis. Aujourd’hui cet article de Carlos Hernandez paru dans le diario.es nous révèle l’issue de cette histoire.
Article de Carlos Hernandez du 20 mars 2022
El diario.es
traduit par mes soins : Luis

Manuel et son fils veulent entreprendre un voyage en Espagne depuis l’Australie pour récupérer les effets personnels que des chercheurs ont sauvé et qui appartenaient à son oncle, survivant du camp de concentration de Neuengame.

Le carillon de la porte retentit avec insistance. C’est la maison d’une famille espagnole : Los Montes. Il y a 60 ans que Manuel et son épouse Herminia ont abandonné leur patrie pour ce pays où ils ont cherché à construire un avenir pour leurs enfants : Mari Trini et Manuel.

Ils ont fait partie de la fameuse opération « Kangourou » un accord entre le régime franquiste et les autorités australiennes. Le pays océanique avait besoin de main d’oeuvre et son gouvernement recherchait en dehors de leurs frontières des travailleurs qui devaient être « blancs et catholiques ». La précaire situation économique en Espagne incita près de 8000 compatriotes à faire les valises et à se déplacer pour toujours à l’autre extrémité de la planète.

Il s’est passé beaucoup de temps, trop de temps. Manuel a aujourd’hui 88 ans et vit seul depuis que son épouse Herminia est partie pour son dernier voyage. Il vit seul, mais ses enfants restent proches de lui. C’est pourquoi, il n’a aucun doute sur sur celui qui sonne à la porte, son fils ainé. La seule chose que Manuel n’imagine pas un instant est la nouvelle qu’il va bientôt apprendre.

Camp de prisonnier de Sandbostel, Allemagne, le 29 avril 1945.

Gabriel Alvarez Arjona continue sans croire un instant ce qu’il est entrain de vivre. Plusieurs véhicules militaires étasuniens viennent d’entrer dans le camp. Le cauchemar prend fin. Derrière il y a 24 mois d’emprisonnement et deux grandes guerres. Tout avait commencé 9 ans avant.

Le coup d’état franquiste l’avait surpris dans sa terre natale, Madrid. Gabriel n’hésita pas un instant à laisser le pinceau de peintre en bâtiment et à s’enrôler comme volontaire dans les MAOC, les Milices antifascistes ouvrières et paysannes, pour défendre la démocratie républicaine et empêcher que la capitale ne tombe entre les mains des rebelles. Trois années de combats plus tard, Gabriel se vit obligé de s’enfuir en France avec un demi million d’autres Espagnols.

Après être passé dans plusieurs camps de concentration français le madrilène put s’installer dans la ville du Mans, où il reprit son travail de peintre-décorateur. La paix ne dura pas plus d’un an, parce qu’en juin 1940 la ville fut occupée par les troupes nazies. Gabriel continua son métier de peintre jusqu’en mai 1943 où il fut arrêté par ordre des autorités de la collaboration française. Dans le rapport de police il fut accusé d’être le chef d’un groupe d’agitateurs, financés par le Mexique, dans lequel il y avait des communistes espagnols et des anarchistes de Paris.
Les témoignages et les documents présentés pour réduire les charges contre lui ne servirent à rien. Il fut considéré comme un ennemi et un danger pour le Reich. En novembre il fut envoyé dans un camp d’internement pour prisonniers politiques à Voves.

Une enceinte contrôlée directement par le gouvernement collaborationniste du régime de Vichy. Les conditions de vie n’étaient pas excessivement mauvaises et les prisonniers arrivèrent à organiser des activités culturelles, éducatives et sportives en plus de tisser des réseaux de résistance clandestine. Grâce à cela des évasions purent se produire avec un pic dans la nuit de 5 au 6 mai 1944.

42 prisonniers s’enfuirent par un tunnel de 148 mètres qu’ils avaient creusé pendant trois semaines. Gabriel n’était pas parmi les évadés mais paya le prix fort pour cela. Les SS s’emparèrent du camp, ils le clôturèrent et transférèrent les prisonniers vers les camps de Buchenwald et de Neuengamme. C’est dans ce dernier camp qu’atterrit Gabriel.

Là il lui enlevèrent toutes ses affaires personnelles, entre autres une montre et deux bagues. Après il reçut le costume rayé , un triangle rouge inversé qui le distinguait comme prisonnier politique avec le numéro 32 040. Les 10 mois suivants il souffrit de la faim, des mauvais traitements, du manque d’hygiène et dut travailler comme un esclave. Mais le pire était devant lui.

Devant l’imparable avancée des troupes britanniques, les nazis durent déplacer les 9500 déportés depuis Neuengamme jusqu’au camp de Sandbostel. Un tiers d’entre eux périrent dans cette marche de la mort et dans les jours suivants en arrivant à leur nouvelle destinée. Gabriel fut victime, témoin et survivant de ce terrible périple.

Madrid 2022
Jesus et Isabel depuis 2019 font connaître et installent les STOLPERSTEINE en souvenir et en hommage aux madrilènes déportés dans les camps de concentration nazis. Il s’agit de petits pavés, avec une plaque dorée où figurent les principales informations des victimes, qui se placent sur sur le trottoir, en face du dernier domicile connu.
Sachant que les Archives internationales Arolsen, les plus importantes sur la répression nazie, conservent des objets personnels de quelques déportés espagnols, Jesus et Isabel ont décidé de participer à la remise des effets personnels aux héritiers des prisonniers madrilènes. En coordination avec l’historien Antonio Munoz, ils ont pu localiser les adresses de certains d’entre eux. Arolsen avait deux bagues et une montre gousset que les nazis avaient réquisitionnées à leur arrivée à Neuengamme appartenant à un Espagnol Gabriel Alvarez Arjona.

Les recherches sur Gabriel arrivaient toutes à une voie sans issue. Ils savaient qu’il était mort en France, très probablement dans les années 60, mais comment retrouver les descendants directs. En 1939 le madrilène apparaissait dans les registres comme veuf sans enfant et rien ne prouvait qu’il avait eu des enfants et ils durent approfondir les recherches.

Gabriel avait deux sœurs ; l’une n’avait pas eu d’enfant et l’autre donna naissance à un garçon et deux filles. Le chemin commençait à s’éclaircir jusqu’à ce que les différentes archives révélèrent qu’aucun des trois neveux n’avait eu d’enfant. Tout paraissait perdu quand un des documents révélait qu’une des nièces avait adopté un enfant après la guerre, en 1940. Son nom était Manuel Montes Exposito et son existence ouvrait ainsi une nouvelle voie de recherche pour retrouver les descendants de Gabriel.

Les archives permirent de reconstruire la vie de Manuel. Il se maria avec Herminia Martinez et eu deux enfants. Par contre entre 1960 et 1965 la piste documentaire de la famille disparaissait. Au moment de jeter l’éponge, ils tirèrent du fil généalogique d’Herminia et tombèrent sur deux de ses sœurs. C’est elle qui leur apporta la clef « ils émigrèrent en Australie dans les années 60 »

Jesus et Isabel partagèrent leurs avancées avec deux chercheurs. L’un d’entre eux, Unai Eguia, connaissait un Espagnol qui résidait en Australie et qui avait été animateur dans un programme radiophonique en direction des migrants espagnols. Ce n’est que quelques jours après qu’Unai était interviewé dans l’émission « Pain et chocolat, l’émission de radio de Brisbane 4EB » Pendant plus d’une heure il apporta les précisions sur les informations dont il disposait, il évoqua Gabriel, les bagues et sa montre et lança un appel pour que les auditeurs collaborent à la recherche de Manuel.

Manuel Montes Exposito peut à peine croire ce que lui raconte son fils Manuel. Ils sont entrain de le rechercher en Espagne pour lui remettre les objets personnels que les nazis dérobèrent à son oncle Gabriel à Neuengamme. Il n’arriva jamais à le voir en personne parce qu’il grandit dans l‘Espagne franquiste pendant que son oncle demeurait dans son exil forcé en France. Malgré tout cela une forte relation s’installa entre les deux. C’est pour cela qu’il conserve avec beaucoup d’affection la dernière photo qu’il lui envoya du Mans en septembre 1960. Au verso, d’une main tremblante, Gabriel lui avait dédicacé « pour vous Herminia et Manolo avec tout mon coeur ». L’ex-prisonnier de Neuengamme avait seulement 62 ans, mais les séquelles de sa dure existence on peut les sentir dans ses mots d’adieu «  je ne l’ai pas envoyé avant car je suis paralysé »

« Je ne savais même pas que mon oncle avait été déporté dans un camp de concentration nazi » avoue Manuel fils au Diario.es. « Jamais mon père ne me le raconta ni me parla de cela jusqu’au jour où je reçus la nouvelle qu’il le recherchait depuis l’Espagne, à travers une émission de radio. » La vérité est que je ne savais même pas que des Espagnols avaient été renfermés dans ces camps. »
Manuel fils n’avait que deux ans quand il laissa l’Espagne avec sa sœur Mari Trini plus jeune de 6 mois. Tous les deux se sont élevés et ont été éduqués en Australie où contrairement à ce qui se passe dans notre pays, l’histoire contemporaine a toujours été étudiée. « A l’école on enseigne la participation des Australiens à la guerre. Ici il est très important de savoir. Il y a une journée par an où sont commémorées les victimes et les soldats qui sont tombés pendant la deuxième guerre mondiale. C’est un grand jour. Est-ce qu’il y a cela en Espagne. ? Non.
La mémoire lui joue des tours, mais malgré cela Manuel Montes Exposito est inondé d’une grande émotion en pensant que bientôt il va avoir entre ses mains les bagues et la montre de son oncle Gabriel. « ça lui fait un énorme plaisir et à moi aussi, affirme Manuel fils. Ces évènements ne peuvent s’oublier. Si la santé de mon père le permet nous voyagerons jusqu’en Espagne ces prochains mois. » 
La remise des objets personnels volés par les nazis ne sera pas l’unique motif de cette visite. Jesus et Isabel sont entrain d’organiser la pose des « stolperstein » en souvenir de Gabriel Arjona. Un pavé de la mémoire qui sera installé devant le domicile du combattant antifasciste et victime du nazisme qui vécut à Madrid avant d’entreprendre son dramatique périple en 1936.
Manuel père et Manuel fils parcourront 17000 km pour récupérer une montre gousset, deux bagues et se retrouver enfin avec leur oncle Gabriel.

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